vendredi 19 janvier 2018

Du blanc dans la mayonnaise

Ce matin, une question par email :

Permettez-moi de vous importer avec une question/remarque. Je suis en train de lire, avec énormément d’intérêt et presqu’avec passion, votre livre « révélations gastronomiques ». Le chapitre sur la mayonnaise est bien explicite. Mais un collègue m'a soufflé une méthode pour la mayonnaise : mettre tous les ingrédients, l’œuf en entier avec son blanc, dans un bol et passer tous ces ingrédients aux mixer pour faire de la purée ou des soupes. Cette mayonnaise a toujours pris. Est-ce que c’est compatible avec vos explications en relation avec la production d’une mayonnaise ?
 


Notre ami cite un cas très particulier, mais il aurait pu citer nombre de livres de cuisine qui stipulent qu'il ne faut jamais la moindre "goutte de blanc d'oeuf", sans quoi la mayonnaise ne prend pas. C'est complètement faux, et, au contraire, le blanc d'oeuf facilite la réalisation de la sauce mayonnaise. J'explique.



Partons de la recette de la mayonnaise : c'est un jaune d'oeuf, une cuillerée de vinaigre, puis on ajoute de l'huile par petites quantités, en fouettant vigoureusement, et, surtout, en s'assurant que toute l'huile ajoutée est, à chaque ajout, bien intégrée à la sauce, bien "émulsionnée".

Ce que l'oeil ne voit pas, mais que révèle le microscope, c'est que l'huile, qui n'est pas miscible à l'eau (on dit "hydrophobe"), se disperse sous la forme de microscopiques gouttelettes. L'eau ? Oui, l'eau, parce que du jaune d'oeuf, c'est 50 pour cent d'eau. Et le vinaigre, c'est plus de 90 pour cent. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le vinaigre se mêle bien au jaune d'oeuf : l'eau se mélange à l'eau.
Quand on ajoute à ce mélange de jaune et de vinaigre un peu d'huile, celle-ci surnage. Mais le fouet divise la goutte d'huile, formant ces gouttelettes microscopiques dont je parlais. Puis, on ajoute à nouveau de l'huile, qui est donc dispersée également, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il y ait tant de gouttelettes qu'elles sont tassées les unes contre les autres, ce qui affermit la sauce : si les gouttelettes sont coincées les unes contre les autres, elles ne peuvent plus bouger, de sorte que la sauce tout entière ne peut pas couler.

Mais le rôle du vinaigre ? C'est surtout d'apporter de l'eau. Et du jaune d'oeuf ? Là, pour le comprendre, je propose de comparer la mayonnaise à de l'huile pure ajoutée à de l'eau pure : quand on fouette, l'huile est bien divisée, mais ces gouttes sont plus grosses, et elles remontent rapidement à la surface, où elles fusionnent, reformant une flaque d'huile qui flotte sur l'eau. Le jaune d'oeuf, lui, apporte des molécules qui viennent tapisser les gouttelettes d'huile divisées, ce qui empêche ces fusions, et stabilise donc relativement l'émulsion. Ah, j'oubliais : on nomme "émulsion" une dispersion de gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide avec lequel le premier ne se mélange pas. La mayonnaise est une émulsion.

Quelles sont les molécules en question ? On a longtemps cru qu'il s'agissait des "phospholipides", notamment les lécithines, mais on sait aujourd'hui que les protéines sont bien plus efficaces, dans cette affaire.
Or le jaune d'oeuf contient 15 pour cent de protéines... et le blanc d'oeuf  10 pour cent. La présence de protéines dans le blanc d'oeuf permet d'ailleurs de faire une sauce que j'avais inventée il y a très longtemps et que j'ai nommée un "geoffroy" : on fouette de l'huile dans du blanc d'oeuf, et l'on obtient une émulsion.

Et voilà pourquoi il est complètement faux de penser que la moindre goutte de blanc d'oeuf empêche la prise des mayonnaises. Au contraire !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 





Comment faire de la pâte à tartiner

Un groupe d'élèves me demande comment utiliser la gastronomie moléculaire pour faire de la pâte à tartiner. 

Je vais faire l'hypothèse qu'ils ne confondent pas la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire, mais comme ils liront ce message, je répète à leur attention :
 - la gastronomie moléculaire est l'exploration scientifique des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des opérations culinaires, non pas en vue de produire des applications (il y en a quand même mille), mais en vue de trouver des phénomènes ou des mécanismes nouveaux
 - la cuisine moléculaire est cette technique culinaire moderne, qui se fond sur les résultats de la gastronomie moléculaire ; c'en est donc une application.

Cela étant dit, j'analyse maintenant leur question. 

D'abord, qu'est-ce que de la "pâte à tartiner" ? C'est une pate, et, mieux, une pâte qui peut être tartinée. Il n'est pas dit que le chocolat doive être présent, mais pourquoi pas ? Ou la noisette, ou n'importe quel ingrédient que l'on saura y mettre.
Mais revenons donc à la "pâte". Le terme est flou, du point de vue scientifique, parce qu'il ne désigne que des systèmes "mous", que l'on peut faire changer de forme. Mais une bonne façon d'obtenir de tels systèmes consiste à considérer les possibilités de "dispersion" : quand on disperse un liquide dans un autre liquide non miscible, on obtient une émulsion ; quand on disperse des bulles de gaz dans un liquide, on a une mousse. Et, ce qui nous intéresse ici, quand on disperse des solides dans un liquide, on a une suspension liquide.
Ainsi, le simple chocolat fondu est une suspension liquide, puisque de microscopiques cristaux de sucre sont dispersés dans la matière grasse fondue (il y a aussi des particules végétales, mais c'est secondaire).
Autrement dit, du chocolat fondu, c'est de la pâte à tartiner.

Mais j'entends bien nos amis, qui voudraient une pâte toute faite, que l'on ne doive pas chauffer.
Avec le chocolat, le problème est que la matière grasse du chocolat, le beurre de cacao, solidifie aux températures inférieures à 30 degrés. Comment "assouplir" cette matière ? Très simplement : fondez le chocolat, et ajoutez lui de l'huile ! En effet, les triglycérides de l'huile se mêleront à ceux du beurre de cacaco, changeant le comportement "rhéologique" (d'écoulement) de ce dernier. Et vous réglerez la consistance en dosant à votre goût la quantité d'huile. Evidemment, vous aurez raison de choisir l'huile la plus neutre possible, à moins que vous ne vouliez qu'elle participe au goût : une huile de noisette peut faire merveille !

Vous trouverez plus dans ma chronique "Science & Gastronomie" de la livraison de février 2018 de la revue Pour la Science : j'y donne un nombre infini d'autres possibilités !










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)












jeudi 18 janvier 2018

La vérité de l'aïolli



L'aïoli ?

Comme pour la mayonnaise, il y a beaucoup de confusion, avec tous ceux qui croient qu'il s'agit d'une mayonnaise à l'ail. 
 Erreur ! L'aïoli est une sauce ancienne, qui s'est toujours faite à partir d'ail et d'huile seulement. 

Historiquement, l'aïoli est très ancien, puisqu'on le trouve déjà sous le nom de « beurre de Provence », dans la Suite des Dons de Comus, paru au 18e siècle.

De l'ail dans un mortier, de l'huile ajoutée goutte à goutte que l'on incorpore au pilon. Parfois, il est dit de caler le mortier dans un linge, entre les genoux (on est assis). Parfois, il est dit que la préparation de la sauce prend un bon quart d'heure. Parfois il est dit que le pilon doit tenir debout dans la sauce, qui, donc, doit être très ferme.
Plus récemment, la sauce se dévoie avec du pain trempé dans du lait, ou avec de la pomme de terre, et, tout récemment à l'aune de l'histoire de la cuisine, on voit apparaître du jaune d'oeuf.
Mais sa présence est en quelque sorte scandaleuse, car elle change le goût de la sauce.
Bien sûr, l'aïoli peut se faire à partir d'ail blanchi, mais ne devrions-nous pas donner des noms différents à des objets différents ?

En tout cas, l'aïolli n'est certainement pas une mayonnaise à l'ail… sans quoi ce ne serait pas un aïoli… mais une mayonnaise aillée.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)


mardi 16 janvier 2018

Des soufflés aux fruits rouges ? Pas difficile !

Peut-on faire des soufflés aux fruits rouges ? Oui : on peut faire des soufflés au goût que l'on veut, car un soufflé n'est que... un soufflé.

Partons du classique soufflé au fromage : il est composé d'une sauce blanche que l'on additionne de fromage ; puis, quand on l'a laissée un peu refroidir, on y met des jaunes d'oeufs, et les blancs battus en neige ferme. On met dans un moule beurré au four, et si l'on applique les "trois règles de Hervé" (voir http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/01/faut-il-demarrer-les-souffles-au-bain.html), le soufflé gonfle merveilleusement.

Ce soufflé particulier se généralise parfaitement : il suffit d'une préparation un peu épaisse, d'une mousse faite de protéines susceptibles de coaguler à la chaleur.
Par exemple, une crème anglaise ou une crème pâtissière, avec de la vanille, fera un soufflé à la vanille.
Par exemple, des viandes finement hachées, pour un soufflé au canard, au gibier...
Par exemple de la chair de poisson passée au tamis, avec une panade faite à l'aide d'un fumets de poisson, pour un soufflé au poisson.
Par exemple...


On voit que l'on peut faire le goût que l'on veut  : il suffit de savoir s'y prendre. Et, tiens, cerise sur le gâteau, si l'on peut dire : si vous faites un soufflé au cassis (une crème pâtissière mêlée à un coulis de cassis) dans des assiettes creuses servies individuellement, pourquoi ne pas introduire dans le soufflé, lorsque l'assiette est chaude devant les convives, une cuillerée de confiture de cassis ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Mousseline


Dans un billet précédent, j'ai expliqué l'incohérence du Guide culinaire, en ce qui concerne les mousses et les mousselines de poisson.

Après ce livre, des usages du mot "mousseline" se sont introduits en cuisine française.
Par exemple, la pâtisserie désigne ainsi diverses préparations qui contiennent de la crème fouettée.
Ou bien des préparations "fines", telle la "brioche mousseline".
En cuisine, on trouve aussi les "pommes mousseline" (le mot "mousseline" est invariable), faites d'une purée de pomme de terre additionnée de jaunes d’œufs et de crème fouettée : l'usage semble dater des années 1940.
Tout comme la sauce mousseline, qui est une sauce hollandaise épaisse à laquelle on incorpore au dernier moment de la crème fouettée.

Pourquoi ces dénominations ? On observera que l'emploi de crème fouetté était déjà dans les mousselines initiales, ces sortes de quenelles que l'on cuisait dans une mousseline. Il y a eu contamination linguistique... sans compter que le mot "mousse" fait penser à quelque chose de léger, et "mousseline" incite à penser à quelque chose de délicat.

Mais je m'aperçois que je n'ai pas discuté le mot "mousseline"  !
Il désigne une toile de coton claire, peu serrée, fine et légère.
Au figuré ou par métaphore, il s'applique à une chose ou à une matière légère, transparente et vaporeuse :  "Le demi-jour qui y régnait venait de la mousseline de poussière entassée sur les carreaux" (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 53). En verrerie, le mot a été utilisé pour désigner du verre très fin : "Il eut pour boire son bordeaux, un des premiers verres mousseline que le commerce ait fabriqués (E. de Goncourt, Mais. artiste, t. 1, 1881, p. 355).
Le mot est connu depuis 1694, et il viendrait de mosulin,  « drap d'or et de soie fabriqué à Mossoul » (Marco Polo, éd. L. F. Benedetto, p. 18).



Pour terminer, je trouve assez malhonnête cette industrie alimentaire qui nomme "mousline" des flocons de pomme de terre, créant la confusion avec la préparation de pomme de terre que les cuisiniers font avec œufs et crème fouettée. Vite, invitons-les à se réformer, sous peine de contribuer à ce mouvement anti-industrie alimentaire,  dont la faute leur incombe aussi.





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lundi 15 janvier 2018

La recette des gibbs

Ce soir, un correspondant m'interroge : comment faire un gibbs ?


La recette est montrée en vidéo sur http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html, mais elle est  toute simple.



Soit on le fait en "note à note", soit on le fait plus classique.
Commençons par la recette la plus classique :

- dans un saladier, un blanc d'oeuf
- on ajoute de l'huile en petit filet pendant que l'on fouette vigoureusement (à la main, au batteur)
- quand on a obtenu une émulsion blanche, épaisse comme une crème, on ajoute du sucre (mettons 50 à 100 grammes)
- puis on parfume à la vanille, à l'eau de fleur d'oranger, à ce que l'on veut
- on met à mi hauteur dans une jolie tasse
- puis on met à pleine puissance au four à micro-ondes pendant quelques dizaines de secondes seulement ; plus exactement, quand le volume augmente d'un tiers ou plus, on arrête aussitôt la cuisson.
C'est terminé : on sert chaud. Tous simple, non ?

Pour une recette de gibbs note à note :
- dans un saladier, une cuillerée à soupe rase de protéines susceptibles de coaguler à la chaleur (par exemple, de blanc d'oeuf)
- on ajoute deux ou trois cuillerées à soupe d'eau
- puis on ajoute l'huile en fouettant
- dans l'émulsion, on ajoute acide citrique, sucre, glucose, colorant, composé odorant
- on cuit
- on sert

Tout simple, non ? 




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dimanche 14 janvier 2018

Fermentation, cuisson, coction

Ce matin, une question :

"En tant que dénaturation des fibres et/ou protéines, la fermentation, à l'instar de la choucroute, est-elle une coction ?"

D'abord un point sur le mot "coction", que nous avons proposé à l'Académie française au tout début de ce séminaire, dans les années 2000. Il s'agissait de nommer des techniques culinaires analogues à la cuisson, mais où l'apport n'est pas thermique, comme dans les poissons à la tahitienne, où la chair de poisson est placée dans du jus de citron.

Cela concernait les tissus animaux, mais sur les tissus végétaux ? La cuisson, dans ce cas, a pour principal effet de dégrader les pectines par une réaction d' "élimination bêta", qui est en réalité une "hydrolyse" : les pectines sont des polysaccharides, c'est-à-dire de longs enchaînements de petits "sucres", et l'élimination bêta correspond au fait de détacher progressivement ces sucres de la chaîne. Comme les pectines sont comme des cables entre les "piliers" que sont les molécules de cellulose, entre des cellules voisines, l'élimination bêta a pour effet de d'affaiblir le "ciment" entre les cellules, de sorte qu'elles peuvent se séparer. D'où la possibilité d'écraser à la fourchette un légume cuit, pour faire une purée.




De ce fait, la question posée par mon correspondant peut s'interpréter comme suit : peut-on trouver des procédés qui vont faire la même action que la cuisson ?
Clairement des enzymes qui couperaient les pectines (des pectinases) pourraient avoir un effet. L'acidité ? L'exemple des cornichons au vinaigre montre que ce n'est pas le cas, puisque les cornichons longuement conservés ainsi ne s'amollissent guère.
La fermentation ? Il y en a de très nombreuses, et l'on connaît ces attaques par des moisissures où des carottes (par exemple) finissent quasi liquéfiées... mais ce n'est guère appétissant.

 Un mot, enfin, à propos de protéines et de "fibres". Les protéines, ce sont des polymères, des sortes de chaînes microscopiques avec de nombreux maillons, ces derniers étant des résidus d'acides aminés.
Dans les viandes et dans les poissons, le tissu musculaire est composé d'eau et de protéines, ces dernières étant dans des sacs allongés nommés "fibres musculaires". L'enveloppe de ces sacs (j'aurais pu écrire "tuyaux" ou "tubes") est ce que l'on nomme le tissu collagénique, et il est fait de protéines particulière de la famille des collagènes.
D'autre part, les molécules de cellulose évoquées précédemment sont aussi nommées des "fibres", mais elles n'ont rien à voir avec les premières. Ce sont des molécules très résistantes, intouchées par la chaleur, comme le prouve le lavage d'une chemise en coton (le coton est fait quasi exclusivement de cellulose), même quand on fait bouillir : la chemise n'est pas dégradée. Dans les aliments, il y a des "fibres", comme le montre l'expérience qui consiste à faire un jus de carottes à l'extracteur de jus : le résidu solide est de la cellulose. Et cette dernière n'est pas digestible, sauf à fermenter... ce qui engendre des flatulences.


Bref, la question de notre ami a été discutée, et je suis prêt à repartir sur des bases saines, s'il le souhaite.











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