mardi 2 janvier 2018

Il est un peu tard pour les réveillons, mais pour attendrir une volaille ferme...

Ce matin, un ami m'interroge :

Il y a longtemps que me trotte une idée de cuisson en tête : pour rendre la chair d'un poulet fermier plus juteuse et tendre, serait-il opportun de le plonger d'abord dans un bouillon (version pot au feu) pendant, disons 30 mn, puis de le placer au four très chaud à rôtir?





La réponse se fonde sur les trois données essentielles suivantes :

1. les viandes sont faites de fibres qui sont tenues entre elle par le tissu collagénique, responsable de la dureté ;

2. la jutosité est liée au fait que l'intérieur des fibres est fait de protéines et d'eau, un peu comme du blanc d'oeuf

3. le chauffage a deux actions contradictoires : il durcit l'intérieur des fibres, comme quand on fait un pot-au-feu ; et il dissout très lentement le tissu collagénique.


Autrement dit, si une volaille est un peu dure, c'est qu'il faut surtout dissoudre le collagène, d'où la solution de la cuire dans un bouillon, à basse température. La cuisson doit être longue, car le collagène se dissout lentement, et la température doit être aussi basse que possible, afin que l'intérieur des fibres ne durcisse pas.

En pratique ? Je préconise une cuisson à basse température, dans un bon bouillon, pendant plusieurs heures. Disons pour être précis une journée à 70 degrés.
Puis, une fois que la poule est attendrie et cuite, oui, un coup de décapeur thermique en surface pourra faire le croustillant plus le goût en quelques minutes (mais attention de ne pas cuire : cette second opération doit seulement atteindre la surface).

A propos du caramel

Des questions, ce matin :





1. La réaction de caramélisation est-elle propre aux sucres comme le saccharose ?  

Oui, parce que le saccharose est une molécule très particulière, et que la réaction de caramélisation correspond 
- à une déshydratation intramoléculaire, avec formation d'une forme spirolactone
- à la réaction des spirolactones avec des glucose libérés dans la masse
- à la formation de petits composés odorants, tel le 5-hydroxyméthylfurfural

Rien de tout cela ne pourrait se faire avec du lactose, du glucose, du fructose, etc.


Ou peut-elle se produire avec des édulcorants comme l'aspartame par exemple?

L'aspartame est un dipeptide, pas constitué du tout comme les sucres. Il ne peut donc subir aucune de ces transformations, lors d'un chauffage.

La mise à l'ébullition d'eau salée

Ce matin, un message :
Nous sommes un groupe de TPE qui travail sur un mythe urbain : "Le sel élève le point d’ébullition de l’eau". 
Ce qui implique que lorsqu'on fait chauffer de l'eau pour une cuisson il faut mettre le sel lorsque l'eau est chaude.
Nous avons fait des expériences en laboratoire pour tester plusieurs sels, plusieurs eaux et 2 quantités de sels.
 Nous avons aussi pu voir que les eaux sans sel atteignaient le point d'ébullition de l'eau plus rapidement que les eaux avec du sel de table. Donc cela confirme le mythe, sauf lorsque nous mettons une importante quantité de sel (8% contre 0,2%), Auriez vous une idée pour expliquer cela ?
L'eau de source, l'eau du robinet, l'eau déminéralisée et l'eau minérale sont les quatre eaux que nous avons étudiées. Pourquoi l'eau déminéralisée est-elle l'eau la moins efficace que les autres ? Et pourquoi l'eau de source est-elle la plus efficace ? Est-ce que les substances chimiques contenu dans l'eau du robinet ont des impacts sur le temps d'ébullition de l'eau ?
Le sel de table, le sel de Gérande et le sel noir d'Hawaï, le sel rose d'Himalaya et le sel bleu de Perse sont les sels que nous avons étudiés. Sont-ils tous des sels de mer ? Et y a t-il une différence entre le sel de mer et le sel gemme ? Nous avons pu constater que le sel noir d'Hawaï était le plus efficace lorsque l'eau contenait 0,2% de sel mais nous nous demandons pourquoi. Savez vous si le charbon a un impact sur l'ébullition ?


J'ai répondu à nos jeunes amis que leur résultat m'étonne... d'autant plus qu'ils donnent des valeurs sans indiquer d'incertitudes, de sorte que, sans doute, les répétitions n'ont pas été faites. 
D'autre part, j'avais moi-même fait les comparaisons expérimentales de façon TRES contrôlée, et je n'ai pas vu de différence significative : parfois, l'eau salée avant d'être chauffée mettait plus de temps à bouillir que l'eau chauffée  pure, puis additionnée de sel ; parfois, c'était l'inverse. 

Surtout, ces expériences méritent d'être faites de façon très contrôlée. Dans le message de nos jeunes amis, de nombreuses précisions manquent, car les biais sont possibles partout. 
Par exemple, ils ne signalent pas que l'ajout de sel diminue la température de l'eau, et que l'ajout de sel augmente la température d'ébullition. 

D'autre part, il faut comparer des choses comparables, et s'il est logique que de l'eau salée mette plus de temps à bouillir que de l'eau pure (il y a, dedans, la masse du sel, qu'il faut chauffer aussi), il vaut mieux comparer les deux cas suivants : 
- on prend une casserole, on y met une masse d'eau pesée (précision de la balance ?), puis on pose la casserole sur un dispositif de chauffage et l'on attend l'ébullition ; on ajoute le sel (ce qui fait tomber l'ébullition), puis on mesure le temps à partir duquel on a formé de l'eau salée bouillante
- on prend une casserole, on y met la même masse d'eau que précédemment, la même masse de sel que précédemment, on pose la casserole exactement au même endroit du système de chauffage (ou mieux, on ne bouge jamais la casserole, afin que le contact soit  le même), puis on attend l'ébullition. 
Bref, le résultat de nos jeunes amis est douteux, d'autant que, pour comparer des expériences répétées, il faudra avoir donné une moyenne et un écart-type, et avoir comparé les résultats par un test statistique (ANOVA, Student...). 


Plus généralement, on voit bien, ici, la nécessité d'une description très détailles des matériels et des méthodes. Une "expérience de laboratoire", ce n'est pas le fait qu'elle soit faite dans un laboratoire : il faut surtout qu'elle soit faite sans biais ! 
Enfin, pour le sel  noir de Hawai, je ne suis certain qu'ilest noirci par du charbon. Les sites qui décrivent ce sel évoquent aussi des laves, ce qui me semble plus plausible.



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 1 janvier 2018

Des questions

Ce matin, des questions, en anglais (ci dessous). Je les traduis et je réponds en français (car Google translate ;-))

1. What is molecular gastronomy to sir?
2. How did sir discover and get an idea to invent molecular gastronomy?
3. What is the problem that sir have to face during the early days of molecular gastronomy?
4. How did sir managed to convince people about molecular gastronomy?
5. What is the issue in molecular gastronomy?
6. In sir opinion, what is the future of molecular gastronomy?
7. What is the kind of question that sir always get in an interview?
 
 
 
1. What is molecular gastronomy to sir?
 
Qu'est-ce que la gastronomie "pour moi" ? La définition est absolue, et pas personnelle ! La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. 
 
A ne pas confondre avec la cuisine moléculaire ou avec la cuisine note à note : la science n'est pas la cuisine, et la cuisine n'est pas la science ! 

 
2. How did sir discover and get an idea to invent molecular gastronomy?
 
Là, je me demande si mon interlocuteur ne confond pas cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire. 
 
Donc, répondons en deux temps  : 
1. Comment ai-je des idées scientifiques ? En m'accrochant très énergiquement à la méthode scientifique, qui opère de la façon suivante : 
- observation (identification) d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène retenu
- réunion des données quantitatives en "lois" synthétiques (équations)
- induction de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois
- prévisions théoriques déduites du modèle/théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
 
2. Comment ai-je les idées mensuelles (et plus) de cuisine moléculaire ou autre ? J'en ai fait un livre intitulé "Cours de gastronomie moléculaire 1 : science, technologie, techniques, quelles relations?", dont la deuxième moitié est un cours d'innovation et de créativité. Voir aussi mes cours en ligne sur le site AgroParisTech. 
 

3. What is the problem that sir have to face during the early days of molecular gastronomy?
 
Je n'ai pas de problème, et je n'ai pas eu de problèmes, parce que je ne suis pas de ceux qui ont des problèmes. J'ai des questions, et cela est merveilleux, parce que les questions sont des promesses de réponses. Quel bonheur que de ne pas savoir et d'avancer vers la connaissance !
 
Quoique si, finalement, j'ai des problèmes : je manque cruellement de secondes pour faire tout ce que je veux faire. Et puis, ma question principale est de faire de GRANDES découvertes scientifiques, et je ne suis pas certain d'y être arrivé. Allons, ne perdons pas de temps:  travaillons pour y arriver. 

 
4. How did sir managed to convince people about molecular gastronomy?
 
Convaincre ? Je ne perds pas une seconde à convaincre ; je me contente de partager mon bonheur, mon enthousiasme. Que la chimie est belle ! 


5. What is the issue in molecular gastronomy?
 
La question de la gastronomie moléculaire ? Elle se confond avec son objet : identifier les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. 
 
 
6. In sir opinion, what is the future of molecular gastronomy?
 
Il y a des questions scientifiques par dizaines de milliers ! Donc il faut de nombreux collègues, étudiant les divers aspects, les diverses questions. Donc de plus en plus de laboratoires de gastronomie moléculaire dans le monde. 
 
 
7. What is the kind of question that sir always get in an interview?
 
Là je ne sais pas, mais on s'en fera une idée en regardant https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/de-l-emerveillement-partage/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses



Bonne année 2018 !!!















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Il faut toujours faire le gros avant le détail, à propos de soupe à l'oignon

Il vaut toujours mieux donner une description des recettes, au premier ordre, avant de se focaliser sur des détails.


Une description au premier ordre ? Rien ne vaut l'exemple. Prenons la soupe à l'oignon, que l'on devrait d'ailleurs souvent nommer potage à l'oignon... sauf quand ce dernier contient une soupe.
Là, mes amis sont perdus, parce qu'ils ignorent souvent que la soupe est une tranche de pain, que l'on trempe avec du potage ! Autrement dit, si l'on utilise des oignons avec un liquide pour faire... un potage, on obtient donc un potage.
En revanche, si, en fin de préparation, on ajoute une tranche de pain, c'est une soupe qui est trempée avec le potage.


Les oignons ? Des assemblages de cellules, petits sacs vivants, qui ont la particularité de renfermer de nombreux composés soufrés. Quand on coupe les oignons, les cellules libèrent ces composés, qui sont transformés par des enzymes, protéines également présentes dans les cellules, ce qui engendre des composés qui viennent piquer les yeux.
Dans un potage, ces composés sont transformés  différemment, parce qu'une partie s'évapore, et qu'une partie réagit, donnant le goût particulier de l'oignon cuit.
Lentement, aussi, le ciment entre les cellules végétales s'effritte, se dégrade, ce qui libère des sucres variés dans le liquide, les principaux étant le glucose, le fructose, le saccharose et l'acide galacturonique. Les trois premiers sont les sucres de réserve du bulbe, et l'acide galacturonique est engendré par la dissociation des pectines, qui contribuent à former le ciment des parois végétales.

On récupère donc une solution qui, au premier ordre, contient des sucres, des acides aminés, et divers composés responsables du goût.

Le pain ? Lors de la cuisson, les grains d'amidon de la farine se sont empesés, on gonflé en absorbant de l'eau, se sont soudés. La cuisson du  pain contribue à dissocier les composés (amyloses et amylopectines) dont l'amidon est constitué : du glucose supplémentaire est libéré, contribuant à donner ce goût  doux des potages à l'oignon.

Enfin, il y a le fromage, qui gratinera. Pour le fromage, il y a de la matière grasse, des protéines... mais l'affinage engendre des acides aminés variés, par exemple.
Lors du  gratinage, une odeur merveilleuse se forme... et j'ignore comment elle survient, surtout depuis que je doute de l'importance ubiquitaire des réactions de Maillard (voir mon article https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2016-3-actes-de-colloques-maillard-products-and-maillard).







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)