jeudi 14 décembre 2017

Une astuce : des feuilles de figuier pour attendrir les viandes ?



Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes. 

Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?

Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.

Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Le constructivisme culinaire

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande.

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes.
Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ?
Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût.

En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers.

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire.
Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ?
Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ?

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Une de mes inventions anciennes : les liebig

Une sorte de paradoxe que de faire l'éloge de la technologie le dimanche, alors que la technologie est le métier de l'ingénieur, dont le nom a la même étymologie qu' "engigner" : le diable, raconte-t-on, engigna la mère de Merlin l'enchanteur, en vue de faire un pendant à Jésus Christ, de faire un fils qui perdrait l'humanité (mais un prêtre présent baptisa l'enfant à la naissance, de sorte qu'il perdit sa "malice", ne gardant que des pouvoirs surnaturels.
Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. D'accord, mais plus précisément ?
La technologie, c'est l'activité  qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même,  frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion,  se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques...
Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit,  comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.).
Cela se passe dans les années 1980 :  ayant compris que les protéines sont d'excellents  tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions,  je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on  donc  faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue,  et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion.
Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait  (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder,  regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres,  et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment.
Voici l'état final :
2. Mayo gélifiée sans flash
Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique.
Une émulsion prise dans un gel  physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment).
Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons  de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et  une  gélification physique, utilisons de l'huile ou tout  autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise,  crème fouettée,  parmentier, caramel, etc..
Moralité : les liebigs  sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier  où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique.
Vive la technologie !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Une de mes inventions : les gibbs

Dans un précédent billet, nous avons considéré les liebigs, des émulsions gélifiées.
Toutefois, il y a gélification et gélification ; certaines sont réversibles, dites « physiques », tandis que d'autres sont « chimiques ». Les gélifications chimiques sont des gélifications irréversibles, assurées par la formation de liaisons chimiques plus fortes que dans les gélifications physiques.
Un type particulier résulte de la formation de liaisons chimiques particulières nommées ponts disulfures, telles qu'il s'en forme lors de la coagulation de l'oeuf. De ce fait, on entrevoit aussitôt que l'on peut obtenir une émulsion gélifiée chimiquement en émulsifiant de l'huile dans une solution qui contient des protéines capables de coaguler, telles qu'il y en a dans le blanc d'oeuf, puis en faisant coaguler les protéines.

 La recette est extrêmement simple : fouetter de l'huile dans du blanc d'oeuf, jusqu'à obtenir une préparation épaisse comme une mayonnaise, mais blanche, puis cuire quelques secondes cette préparation au four à micro-ondes, afin d'obtenir la coagulation les protéines restées à la surface des gouttes d'huile. Et c'est ainsi que l'on obtient rapidement une émulsion gélifiée blanche et insipide.
J'ai nommé de ce système un « gibbs ». 

Blanches et insipides : est-ce rédhibitoire ? Pas du tout : il suffit de donner de la couleur et du goût.
Pour la couleur, tous les pigments ou colorants comestibles font l'affaire : les chlorophylles engendrant le vert, jusqu'aux caroténoïdes qui font le jaune, rouge, orange, en passant par les composés phénoliques des fleurs et fruits, qui font aussi du bleu, ou en passant par les bétalaïnes des betteraves.
Du goût : cela signifie de la saveur et de l'odeur. Comme il y a de l'huile dans la préparation, on conçoit facilement qu'il soit facile d'y dissoudre des composés odorants, le plus souvent solubles dans l'huile.
Pour la saveur, les composés sont solubles dans l'eau, ce qui tombe précisément bien, puisque le blanc d'oeuf initialement utilisé est composé de 90 % d'eau.

On le voit : finalement, il n'est pas difficile de fairedes gibbs au goût merveilleux ! note : je vous recommande un blanc d'oeuf que vous sucrez, puis vous émulsionnez une huile où vous avez fait macérer des gousses de vanilles, et vous passez au four à micro-ondes dans de jolies tasses. A servir avec un élément croustillant ou croquant, tuile aux amandes ou autre.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 13 décembre 2017

Pour un rapport

 Ayant à relire des rapports préparés par des étudiants, j'identifie rapidement des fautes courantes, qu'il est facile de corriger :

1. l'introduction sert à dire ce que l'on va voir, et pourquoi

2. la table des matières doit avoir une logique explicitée

3. quand on change de partie, la dernière phrase du paragraphe avant l'intertitre doit expliquer pourquoi on passe à la partie suivante (logique du texte), puis la première phrase du paragraphe qui commence doit annoncer ce que l'on va y trouver

4. l'intertitre dont il est question au point 3 doit être séparé du paragraphe qui le précède par un espace supérieur à l'espace qui sépare l'intertitre et le paragraphe suivant, auquel l'intertitre se rapporte (une bonne règle simple : 2/3 et 1/3, en pratique deux lignes de blanc pour une ligne de blanc)

5. jamais d'adjectif ni d'adverbe : il faut la réponse à la question "combien"

Bien sûr, ce n'est qu'une toute partie des règles à appliquer... mais mes amis se reporteront, pour en avoir plus, à nos "Comment faire".
Et, j'y pense, quand le texte est terminé,  il faudra appliquer les "automatismes à avoir", que voici :


Quelques fautes fréquentes mais faciles à corriger (utiliser la fonction rechercher remplacer de l'ordinateur) :

# Un infinitif ou un participe présent doivent avoir le même sujet que celui de la principale. Chercher les "ant" et les "er"
# chercher les "rendre" plus adjectif  : "rendre possible" = "permettre" : recherche systématique de "rend"
# remplacer "semble probable" par "est probable" (pléonasme)
# De même, « faire obstacle », c’est « gêner »  ; etc
# "il semble qu'il fasse" = "il semble faire" : recherche systématique de "il semble" ; plus généralement, les il impersonnels poussent  à la faute.
# éviter les adverbes, c’est le commencement du style : recherche systématique de "ment", et suppression des adverbes inutiles
# Pas de "mais" ni de conjonction de coordination (et, ou , car ...) en début de phrase : rechercher les .Mais, .Car, .Et, .Ou et les ", et", ", ou"
# Attention à l’inflation des "très" ; on peut généralement les éliminer
# Attention à "impliquer" (contamination de « to imply »)
# « Sophistiqué » signifie « frelaté », pas « complexe » ni « évolué »
# « Brutalement » n'est pas « brusquement »
# Attention à "véritable" (« véritable révolution » !)
# Attention à « influer » sur  et  « influencer »
# Attention aux anglicismes : les plus fréquents sont : « se baser sur », « des douzaines »,
# Remplacer « par contre » par « en revanche »
# « réaliser » n'est pas « comprendre »
# Remplacer « contrôler » par « commander »  ou « déterminer » (contrôler, c’est faire une vérification)
# attention aux usage exagérés de « permettre »
# « compléter » n'est pas « achever »
# Rechercher « suggérer » : normalement, la suggestion, c’est l’hypnose
# Rechercher « affecter »
# Rechercher « processus » : un processus n’est une réaction, ni une série de réactions
# Rechercher « développer »  au sens de « mettre au point » ; idem pour « développement »
# Rechercher induire
# Attention à la distinction entre « technologie » et « technique » (et « science »)
# Remplacer systématiquement (ou presque) les "a pu" montrer, observer, etc. par « a montré, observé, etc »
# Rechercher emmener/emporter
# Rechercher le verbe pouvoir et chercher à l'éliminer
# "Après que" est suivi de l'indicatif
# Ne pas chercher la rallonge : "dans lequel" peut souvent devenir "où".
# on ne dit pas "débute" mais "commence" (sauf au théatre)
# on ne dit pas "en dessous de ", mais "au-dessous de" ;
# on dit plutôt "chaque fois" que "à chaque fois" ;
# éviter "au niveau de" et faire attention au mot « niveau »
# quand on rencontre "entre eux", "entre elles", vérifier que c'est utile ; de même, « les uns des autres », « les uns aux autres », etc. sont souvent inutiles
# « ceci » annonce alors que « cela » se rapporte à ce qui a déjà été énoncé (le plus souvent, on peut se débarrasser de ces mots faibles)
# "en fait" est rarement utile
# un point suivi de "en effet" peut être avantageusement remplacé par deux points
# « plus petit »  est « inférieur », « plus grand » est « supérieur »
# « très inférieur »  est fautif (« bien inférieur ») ; de même pour « très supérieur »  ;
# « être différent » donne « différer » ;
# second (pour deux possibilités seulement) et deuxième  pour plus de deux
# Examiner si les "simples", "compliqués", "facile" sont indispensables.
# Souvent remplacer « appelé » par « nommé »
# Les verbes présenter et constituer peuvent souvent  être remplacés par être ou avoir
# Attention : "plus important" doit signifier qu'il y a une importance plus grande ; souvent on doit le remplacer par supérieur


Ce ne sont là que des fautes statistiquement courantes. Bien d'autre sont signalées dans les Difficultés de la langue française, qu'il n'est pas inutile de (re)lire.
Plus généralement, celui qui écrit devrait avoir quatre outils : un ordinateur équipé d’un traitement de texte avec correction orthographique, un dictionnaire (pour le vocabulaire, les Difficultés de la langue française (pour la grammaire), le Gradus (pour la rhétorique)








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

A propos de pate à choux : quelle farine ?

Ce matin, les questions suivantes m'arrivent :

 N'étant pas scientifique, j'aimerais avoir les réponses aux questions suivantes : 
1. lorsque je réalise une pâte à choux , avec une farine de type 45 ou type 55 le résultat n'est pas le même pourquoi ? 
2. Le grain de blé et les molécules du blé qui ont pour rôle d'absorber le liquide quel qu'il soit (lait ou eau et beurre fondu), lorsqu'on fait de la pâte à choux est-elle différente, selon les farines et les blés ? 
3. Est-il vrai que nous pouvons réaliser avec de la maïzena une pâte à choux ? Quelle est sa structure ? Quel est le résultat organoleptique ? La cuisson se fait-elle comme pour une farine classique type 45 ?


Voici des questions difficiles. Mon correspondant ayant précisé qu'il n'était pas scientifique, et ayant donné d'autres indications, je prends les choses en faisant l'hypothèse qu'il ne connaît aucune chimie.

Tout d'abord, partons d'un grain de blé. Ce grain varie considérablement, selon les variétés, et aussi selon les conditions de croissance. Certaines années, les farines sont "mauvaises", en terme de composition, mais aussi en termes de toxicité : une année humide, des champignons peuvent se développer, et former des aflatoxines toxiques.

Bref, on a des grains de blé, et l'on moud.
Selon la façon dont la mouture est conduite, on aura des farines qui concerneront plus ou moins le centre du grain, ou bien des farines qui intégreront du son.
Les plus blanches sont celles qui ont le plus d'amidon.

 Ah, "amidon" : il s'agit de petits grains très blancs, faits de deux types de molécules, qui ont pour nom "amyloses" et "amylopectines". Les amyloses sont comme des fils, et les amylopectines sont comme des arbres. Les deux types sont présents en des milliards de milliards d'exemplaires dans un grain, empilés en couches concentriques. D'autre part, ces grains sont associés à des cires, des phospholipides, des protéines, etc.

Dans de la farine, il y a donc de l'amidon, essentiellement, et aussi des protéines. Ces protéines sont de diverses sortes : il y a les gluténines, les gliadines, et plein d'autres. Supposons que l'on en reste, du point de vue chimique, aux observations du 18e siècle : quand on malaxe de l'eau et de la farine, puis que l'on presse doucement la boule de pâte dans l'eau, on en fait partir l'amidon (poudre blanche qui sédimente dans le saladier), et il reste entre les mains ce "chewing gum" qui est le gluten. Ce gluten est fait de nombreuses protéines, et ces protéines font un grand filet, en se liant à l'eau.

Là où la réglementation des types est peu utile, c'est que, pour certains blés qui contiennent beaucoup de protéines, la farine de type 45 que l'on obtient... contient plus de gluten que des farines de type 55 que l'on aurait avec d'autres farines. En réalité, le type ne dit rien du gluten ou de l'amidon, car il décrit seulement le "taux de cendres", c'est-à-dire environ la masse de cendre que l'on récupère quand on calcine de la farine.
Bien sûr, on peut souvent faire l'hypothèse que la farine 45 contient moins de gluten que la 55, mais ce n'est pas toujours vrai... et d'autre part, la composition est bien plus complexe qu'on ne le pensait au 18e siècle.

Répondons maintenant à la question 1 : souvent, le résultat sera différent entre une farine 45 et 55... mais pas toujours.
On peut aussi répondre à la question 2 : oui, quelque soit le liquide, si c'est une "solution aqueuse", c'est toujours l'eau qui se lie aux protéines du gluten. Enfin, peut-on faire une pâte à choux avec de la maïzena.
Là, évidemment, j'ai la réponse... mais pourquoi ne faites vous pas l'essai ? Cela prend quelques minutes, et vous auriez une réponse bien plus puissante qu'une simple réponse écrite, non ?
 J'y pense, tant que vous y êtes à faire des essais : pourquoi ne pas essayer de remplacer l'eau par du café, du thé, du jus de framboise, du vin, du bouillon ? Et pourquoi ne pas remplacer le beurre par du chocolat fondu, du fromage fondu, du foie gras fondu ?
Et pourquoi ne pas utiliser de la farine de châtaigne, du sarrasin ? Jusqu'à l'oeuf : pourquoi ne pas le remplacer par de la viande ou du poison broyé très finement ?

Amusez vous bien !





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Des généralisations du risotto

Risotto, riz au lait... Voilà des préparations qui font usage de riz et pour lesquelles on souhaite une consistance un peu crémeuse.

Le riz étant constitué essentiellement d'amidon, la consistance crémeuse n'est pas difficile à obtenir, puisque, si l'on cuit le riz dans l'eau, il laissera échapper l'amidon, lequel, dans l'eau chaude, s'empèsera (les grains microscopiques d'amidon gonfleront, libérant dans l'eau de l'amylose, qui donnera de la viscosité), de sorte que si sa quantité n'est pas trop grande par rapport à la quantité d'eau, alors on obtiendra cette consistance crémeuse, où des grains de riz un peu défaits seront dispersés dans une solution courte, où des grains d'amidon empesés donneront de la viscosité.
Évidemment, si l'on cuit soigneusement, on pourra conserver un peu de structure pour les grains de riz, de sorte qu'on aura alors les grains tendres dans la partie crémeuse.

Que l'on cuise dans de l'eau, dans des bouillons, dans du lait, cela revient presque au même... comme le prouve l'expérience d'ailleurs.
Le plat, on le voit, peut-être fait en version salée ou en version sucrée, et le goût est celui que nous décidons d'avoir, en employant plutôt tel liquide. Généraliser un riz au lait n'est donc pas difficile : par exemple, si nous faisons une sorte de risotto en cuisant dans du jus de fraise, nous aurons ce que nous pourrions appeler un riz aux fraises. Si nous cuisons dans un fond de viande, nous aurions un risotto à la viande...

Tout est possible, mais en pratique, une question essentielle est d'éviter que la préparation attache à la casserole. À cette fin, les fours à micro-ondes sont bien utiles, parce qu'ils déposent la chaleur à l'intérieur des préparations, et non seulement sur les bords, où la préparation attacherait, l'eau étant évaporée.


Mon conseil : dans une casserole, mettre un corps gras, puis chauffer le riz avec des ingrédients tels qu'oignons ou ail (en version salée), de telle façon que l'on obtienne la vitrification des grains et que des composés odorants aillent se dissoudre la matière grasse, tout comme pour la préparation d'un bouillon de carottes (je vous renvoie à cette préparation).
Ayant donc légèrement modifié la surface des grains de riz, ayant très certainement un peu hydrolysé l'amidon, formant du glucose qui donnera de la plénitude en bouche, on ajoute un liquide qui a du goût (certainement pas de l'eau : ce liquide la n'a guère d'intérêt gustatif) et l'on commence à cuire, en touillant fréquemment avec une cuiller en bois. De la sorte, on endommage un peu la surface, on favorise la libération de l'amidon, on prépare l'obtention de la consistance crémeuse. A un certain moment que le seul notre goût personnel décide, on verse l'ensemble dans un récipient qui va au four à micro-ondes et l'on parachève la cuisson du riz dans le four à micro-ondes. Il n'est pas nécessaire d'être rapide, car une cuisson prolongée pourra hydrolyser davantage l'amidon, former davantage de glucose. Enfin, à la sortie du four à micro-ondes, n'oubliez pas d'ajouter quelques éléments durs, croquant : copeaux de parmesan, éclats de noisette grillés... car si le crémeux de la préparation est essentiel, nos sens réclament des contrastes et, notamment, des contrastes de consistance.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)