mardi 30 septembre 2025

Blanc, blanc, blanc

 Un chef m'interroge sur la question du blanc en cuisine : comment l'obtenir ?

J'ai réfléchi à votre blanc, et la réponse est que, si l'on veut en obtenir :
- soit on place des particules blanches (dioxyde de titane, aujourd'hui à éviter)
- soit on fait une mousse ou bien une émulsion à très petites bulles/gouttelettes : pensez à du blanc en neige que l'on "serre" avec du sucre, ou à un "geoffroy" que l'on passe au mixer (pour le geoffroy, ce sera dans mon prochain livre : une "mayonnaise au blanc d'oeuf", si l'on peut dire)
- sans compter les agents blanchissants, qui absorbent les uv et réémettent de la lumière visible, faisant "plus blanc que blanc"... mais là, je ne peux pas en dire plus.  

A noter que le blanc s'obtient par réflexion : il faut que la lumière soit bien blanche pour que la réflexion le soit aussi.

lundi 29 septembre 2025

Un écueil pour l'enseignement : oublier que l'on a été étudiant

Lors d'une rencontre avec des étudiants, j'observe qu'ils ignoraient ce qu'est la tension de surface, ce qu'est la montée capillaire, ce qu'est la pression de Laplace...  Mais en réfléchissant bien, je vois le moment précis où j'ai moi-même appris tout cela, alors que j'étais un étudiant un peu avancé et j'aurais mauvaise grâce à reprocher à mes amis de ne pas savoir ce que... je suis censé le renseigner. 

Au fond, les items didactiques identifiés dans le référentiel  (un contrat d'enseignement, qui liste les points à savoir en fin de cursus) doivent être enseignés, et cela signifie que l'on a initialement fait le constat les étudiants les rencontrent pour la première fois :  il y a donc lieu de parfaitement leur expliquer. 

D'autre part, étant moi-même reconnaissant que des professeurs m'aient jadis transmis de belles idées scientifiques, comment imaginerais-je que je puisse ne pas à mon tour transmettre de belles idées aux jeunes amis qui me font l'honneur de me consulter ? Ce n'est pas parce qu'un cours est écrit un jour qu'il faut oublier de le distribuer largement et de l'expliciter davantage.

Au fond, hier, lors de ce travail de tutorat d'hier, j'ai vu que des notions n'étaient pas connues mais c'est plutôt une pierre dans mon jardin car en réalité, il aurait fallu les donner à tous, et pas seulement au groupe que j'accompagnais.  Certes je donne un gros document de cadrage à l'ensemble de la promotion, mais  les données particulières du référentiel n'y sont pas présentes : dans ce document de cadrage, je fais plutôt une remise à niveau et il y a donc lieu de préparer un autre document avec les notions particulières que nous enseignons, avec le référentiel explicité en quelque sorte.

dimanche 28 septembre 2025

Une question à propos de crème anglaise

Je reçois une question d'un professeur de pâtisserie : 


je me permet de vous écrire pour vous poser une questions concernant la coagulation du jaune d'œuf dans une crème anglaise. J'ai appris que la texture de celle-ci est issue de la dénaturation du jaunes qui vont se lier aux micelle de caséines pour former un réseau semi-solide.
Pourtant dans mon quotidien, je remarque que l'on peut obtenir une texture similaire en remplaçant le lait ou la crème par de la purée de fruit. Quelle est l'importance des micelle de caséines dans une anglaise et qu'est-ce que ma recette faite avec la purée de fruit aura en "moins" comparé à une anglaise classique ?

 

Et je réponds : 


Merci du message. Vous avez parfaitement raison de douter ce que l'on vous dit : l'épaississement d'une solution de protéines découle seulement de l'agrégation des protéines (par la formation de ponts disulfures)... et l'on a le même épaississement avec de l'eau, où il n'y a pas de caséines. C'est d'ailleurs la base de mon invention des "priestley" (voir mon prochain livre Inventions culinaires/gastronomie moléculaire, aux éditions Odile Jacob). 


Un point d'attention : il vaut mieux parler de consistance que de texture. La consistance, c'est ce qu'est la matière considérée : eau, crème, etc. La texture, d'autre part, c'est ce que l'on perçoit de la matière, selon la manière avec laquelle on l'approche.
Ainsi, en bouche, c'est la texture.

samedi 27 septembre 2025

Peut-on congeler un gel ?

Peut-on congeler un gel ? La question m'est en réalité posée différemment : on me demande si la gélatine se dégrade à la congélation ? 

 

Commençons par le macroscopique avant le moléculaire. 

Quand on part d'une feuille de gélatine,  qu'on lui ajoute de l'eau, puis que l'on chauffe, la gélatine se dissout dans l'eau, quand la température devient supérieure à environ 36 degrés. 

Puis, quand on refroidit cette "solution", alors on obtient un gel, une gelée, un aspic. Si l'on met maintenant ce gel au congélateur, alors on observe que le gel se congèle, mais progressivement, on observe des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent avec le temps. 

Si l'on décongèle ce gel congelé, alors on observe que l'on n'a plus le gel initial, mais un liquide. 

 

Comment comprendre cela ?

 

Les phénomènes culinaires s'interprètent généralement en termes moléculaires. Commençons par la feuille de gélatine : elle est faite de molécules de gélatine, analogues à des fils souples, agrégés dans la feuille tout comme des fibres de cellulose sont agrégées dans du papier. L'eau, elle, est faite d'une myriade de molécules d'eau qui s'agitent en tous sens, qui "grouillent", d'autant plus rapides que l'eau est plus chaude. 

Quand on chauffe une feuille de gélatine dans l'eau, les molécules de gélatine se dispersent parmi les molécules d'eau. Puis, quand on réduit la température de cette solution de gélatine, alors les fils souples s'associent par leurs extrémités, par trois, forment un réseau, une sorte d'échafaudage dans les trois directions de l'espace, à l'intérieur duquel l'eau, les molécules d'eau sont plus ou moins piégées : en réalité, les molécules d'eau peuvent bouger localement (d'où la "souplesse" du gel), mais elles ne peuvent pas s'écouler comme le ferait de l'eau liquide. 

La formation de ce réseau solidifie l'eau en quelque sorte : on obtient un gel qui ne coule plus alors qu'il est effectivement composé de beaucoup d'eau. Quand on congèle ce gel, les molécules d'eau voisines s'associent, s'empilent régulièrement, forment des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent progressivement, atteignant bientôt une taille qui devient plus grosse que les espace disponibles dans le réseau des molécules de gélatine. 

Cela casse le réseau de gélatine en séparant les molécules de gélatine, mais sans dégrader chimiquement les molécules elles-mêmes, dont les atomes sont tenus par des liaisons chimiques covalentes puissantes ; les "fils" restent des fils. 

À la décongélation, l'eau fond, redevient liquide, mais la structure du gel est cassée. Pour autant, les molécules de gélatine n'ont pas souffert chimiquement, de sorte que si l'on réchauffe la solution puis qu'on la refroidit, alors on récupère une gelée. 

La limite de ma description, c'est que les solutions de gélatine que l'on chauffent se modifient progressivement, d'autant plus que l'on chauffe à haute température : quand on fait bouillir la solution de gélatine dans l'eau notamment, les molécules de gélatine sont progressivement dégradées, perdant des "morceaux" qui ont pour nom "acides aminés" ou "peptides". Cela réduit la "force" gélifiante de la gélatine... mais du goût apparaît !



vendredi 26 septembre 2025

Le séminaire de septembre 2025 : haricots verts et beurre maître d'hôtel

Nous venons de tenir le séminaire de gastronomie moléculaire de la rentrée, à propos de l'équeutage des haricots verts, d'une part et de la fabrication du beurre maître d'hôtel d'autre part. 

Je suis désolé de dire que dans les deux cas, les indications des professionnels ont été réfutées. 

 

1. Pour les haricots verts, une certaine culture française supprime les deux bouts : vers le pédoncule, ce bout dur qu'il est  naturel d'enlever, et d'autre part le bout pointu à l'opposé. 

Au Canada, les professionnels m'avaient dit qu'ils laissaient ce bout effilé, pour une raison que je n'ai pas retenu, mais en tout cas, cela faisait longtemps que je voulais comparer des haricots dont soit les deux bouts auraient été enlevés, soit le seul bout près du pédoncule l'aurait été. 

Nous avons donc fait l'expérience de préparer deux casseroles avec la même quantité d'eau : nous avons mis dans une casserole les haricots avec deux bouts enlevés et dans l'autre casserole les haricots avec un seul bout enlevé.
Nous les avons cuits exactement pendant 15 minutes,  de sorte qu'ils étaient cuit mais encore un tout petit peu croquants, sans saler l'eau pour ne pas avoir un paramètre supplémentaire et nous avons d'abord comparé les liquides. Ils étaient de la même couleur, et ils étaient également du même goût. 

Puis nous avons comparé les haricots :  visuellement ils étaient identiques. Ensuite, nous avons goûté les deux sortes de haricots par un test triangulaire où l'on donne trois échantillons, avec  deux échantillons identiques et le troisième différent ; on demande aux dégustateurs quels sont les numéros des échantillons identiques. 

Il n'y a pas eu de différence perceptible,  et l'un des participants, un professionnel,  a conclu que à l'avenir, il ne supprimerait plus qu'un bout. 

Ce même professionnel avait dit que dans sa famille, parce qu'il pouvait se procurer des haricots très frais, il n'était pas nécessaire d'enlever le bout pointu, mais, pour nos expériences, les haricots n'étaient pas parfaitement frais et il n'y a pas eu non plus de différence. Notamment nous n'avons pas perçu de goût désagréable pour cette partie effilée. 

On notera que, pendant l'expérience, il était apparu qu'il y aurait une possibilité de différence de goût parce que, quand nous avons cuit les haricots, j'en ai vu un qui était mal placé :  il avait encore son extrémité effilée dans une casserole où tous les autres haricots avaient les deux extrémités éliminées ; j'ai enlevé ce bout effilé et j'ai vu alors qu'il y avait un trou par lequel l'eau pouvait entrer. Autrement dit, dans les haricots aux deux extrémités supprimées, l'eau aurait pu entrer plus que dans les haricots avec une seule extrémité supprimée. 

Mais rien ne sert d'avoir des théories quand elles ne s'appliquent pas :  puisqu'il n'y a pas de différence de goût entre les deux lots de haricots, il est inutile d'aller chercher  à  expliquer ces différences qui n'existent pas. 

 

2. Maintenant pour le beurre de maître d'hôtel, il s'agit de beurre qui est malaxé avec du persil haché, du sel, du poivre et un peu de jus de citron. 

Des professionnels ont dit que le maniement excessif du beurre avec les autres ingrédient pourrait "user" le beurre maître d'hôtel... mais là encore, aucune différence sensorielle n'est apparue. 


On trouvera les détails dans



jeudi 25 septembre 2025

La méthode socratique ?

 

A propos de tutorat, je dois évoquer la "méthode socratique" qu'un "coach de tuteurs" évoque... mais le simple énoncé qu'il fait me montre qu'il y a lieu de se méfier car cette méthode a un nom,  maïeutique, et  le simple fait que la personne qui nous parle l'ignore montre qu'elle n'a peut-être pas suffisamment considérer la chose. 

 

Commençons par dire des choses justes : la maïeutique est une démarche, et non pas une méthode, et il s'agit d'utiliser l'interrogation pour conduire un interlocuteur à prendre conscience de ce qu'il sait implicitement, à l'exprimer et à le juger.  Le mot vient du mot grec pour "accouchement", et elle est montrée par Platon dans plusieurs de ses dialogues, mais je propose surtout que mes amis qui veulent la découvrir lisent le Théétète, où Socrate, questionnant un adolescent, aurait tiré de lui de grandes idées mathématiques qu'il aurait sues à son insu.

 N'oublions pas qu'il s'agit d'une fiction, d'une part, et, d'autre part ne considérons pas sans démonstration que cette démarche puisse être utile à les étudiants :  tirer les vers du nez de quelqu'un ne lui apprend pas nécessairement à se les tirer soi-même. 

De surcroît, il n'est pas exact que nous ayons en nous toutes les connaissances que nous voudrions avoir  : c'est un fantasme un peu paresseux, un peu enfantin,  qui méconnaît ou méprise des siècles de recherche scientifique, d'expérimentation 



mercredi 24 septembre 2025

A propos de rapporteurs et d'évaluation des manuscrits pour des revues scientifiques

A propos de la publication de Zimmer K. 2025. Lipstick on a pig, Nature, 654, 809-812, un auteur d'un manuscrit se plaint à moi des rapporteurs qui auraient fait des observations déplacées à propos de son texte. Et voici ma réponse :
 
Cher Ami
Je ne suis pas certain d'être d'accord avec toi. Les rapporteurs de ton texte ont été respectueux, et, sans connaître le sujet, je ne pense pas qu'ils demandent des choses impossibles ni déplacées. Au contraire -et toujours sans être spécialistes de ces matières- je crois que cela améliorerait ton manuscrit de faire les quelques modifications demandées.
D'autre part, je crois savoir que les rapporteurs ne sont pas des xxx(une discipline particulière)xxx, comme tu le suppose.

Tu proposes une grille d'évaluation ? Je sais d'expérience que ce n'est pas la bonne solution. Mais si tu as une grille à proposer, pourquoi pas ; tout ce qui peut nous faire progresser est bon à prendre. 

Enfin, tu parles d'échec parce que tu as été critique, mais je crois qu'il n'y a pas lieu d'utiliser un tel mot : je peux t'assurer que, sur des manuscrits que j'ai moi-même proposés récemment, j'ai eu bien plus d'observations que tu n'en as eues, avec deux ou trois tours d'échanges. Par exemple, si mon "cours sur les synthèses bibliographiques" a été si gros, une fois publié, c'est parce que des rapporteurs ont insisté pour que j'ajoute des tas de choses, sur l'IA, par exemple. Mais, finalement, le cours est plus complet.
Autre exemple, pour mon article sur la rigueur terminologique, j'ai eu un rapporteur très pointilleux, et j'ai fait BEAUCOUP de changements, non pas parce que j'étais d'accord avec lui, mais parce que je me suis appliqué l'idée que je donnais aux auteurs  quand j'étais éditeur scientifique, dans une vie antérieure : un bon auteur est quelqu'un qui saisit la moindre observation non pas pour suivre nécessairement ce que le lecteur lui dit mais pour changer son texte et faire grandir ce dernier (évidemment il y a des cas où nos taches aveugles sont des taches aveugles, qui appellent des modifications telles que les lecteurs les proposent).

Dépasse donc tes réticences en modifiant ton manuscrit... pour en faire un article que j'ai hâte de lire en détail.