lundi 9 décembre 2024

Les études expérimentales doivent être en phase avec les théories, et les enseignements doivent évoluer.

Dans les années 2000, le ministre de l'Education nationale et des inspecteurs avaient décidé de rénover les référentiels des établissements d'enseignement culinaire pour supprimer des notions périmées, qui avaient été introduites dès les années 1900. 


À l'époque, j'avais rencontré une personne "importante" dans cette organisation qui savait à peu près tout, même ce qui était faux et avec un aplomb considérable. Mais avec l'appui du ministre, avec un parfait accord avec l'inspection générale, nous avons donc réformé les référentiels de cuisine, supprimé les théories fausses de "cuisson par concentration" et de "cuisson par expansion", par exemple, mais nous avons fait également nombre d'autres changements.

C'était il y a longtemps et, depuis cette époque, les séminaires de gastronomie moléculaire, chaque mois, avec la bénédiction de l'Inspection générale, contribuent à montrer qu'il y a encore  largement lieu de rénover les enseignements.
C'est ainsi que si l'on regarde les séminaires et leur compte rendu, on verra presque chaque mois que des idées techniques enseignées sont réfutés expérimentalement.

Oui, il y a donc lieu de changer à nouveau les référentiels, il y a lieu de diffuser très largement une information juste et il y a lieu d'enseigner des choses justes.

Je le répète, mais, dans nos séminaires, nous avons régulièrement la présence de professionnels et d'enseignants, et nous faisons les tests tels qu'ils doivent être faits.
Bien sûr, nous devrions multiplier ces tests mais quand même, un contre-exemple à une loi générale suffit pour abattre cette loi... surtout quand l'idée théorique sur laquelle la loi est fondée est manifestement fausses.

Par exemple, il a été écrit par des chefs triplement étoilés et il a été enseigné que le dégorgement des aubergines  par du sel les faisait mieux tenir à la cuisson. Pourtant, l'expérience a montré que, au contraire, les rondelles d'aubergines tenaient moins bien quand elles étaient dégorgées. Qu'enseigner alors ?

Je propose de ne pas continuer à enseigner les erreurs venues de chefs qui n'ont jamais fait de tests expérimentaux rigoureux et qui se sont simplement fondés sur des idées personnelles pour dire avec beaucoup d'autorité des choses qui ont été ensuite répétées.
 Je propose que les enseignement soient fondés sur des travaux référencés,  avec des références qui ne soient pas d'autorité (le Guide culinaire, plein d'erreurs !), mais sur des  tests expérimentaux fiables, répétés, rigoureux...
 
 Bref je propose une réforme assez fondamentale de l'enseignement de la cuisine et je ne doute pas que l'inspection et le ministère est à cœur de nous suivre dans cette direction.

Des voeux

Alors que des guerres font rage, alors que des vociférateurs politiques montent les groupes les uns contre les autres,  les fêtes de fin d'année, les voeux sont clairs : nous devons nous souhaiter d'être exemplaires, rassemblants, rationnels... 

Alors qu'il y a de l'obscurité et de l'obscurantisme, nous avons un devoir de profiter des ce que nous sommes au chaud pour chercher des moyens de diffuser les Lumières, d'allumer les Lumières de l'esprit. 

Lutter contre l' "obscurité" sous toutes ses formes, c'est lutter contre les Tyrannies. Mettre de la lumière partout, c'est empêcher les Tyrans, qui voudraient profiter de l'obscurité pour faire leurs coups bas, d'agir au détriment de tous. 

Le voeu que je forme à l'attention de tous, et notamment de mes amis, c'est surtout que nous soyons capables d'être dans une telle dynamique : connaître, comprendre, transmettre, expliciter, nous améliorer... Nous pouvons être meilleurs, nous devons devenir meilleurs.

La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public

Je combats la confusion entre "acides gras" et "résidu d'acide gras" : dans de l'huile, les molécules constitutives sont majoritairement des triglycérides, c'est-à-dire des assemblages d'atomes où l'on trouve un "résidu de glycérol" et trois "résidus d'acides gras".

 Car stricto sensu, dans une molécule de triglycérides, il n'y a pas de glycérol et il n'y a pas d'acide gras : il y a seulement une partie de la molécule qui ressemble à du glycérol, à quelques atomes près, tout comme on trouve des groupes d'atomes qui ressemblent à des acides gras. 

Pour avoir du glycérol ou des acides gras, il faudrait des atomes en plus, il faudrait surtout que ces molécules soient séparées, car une molécule de triglycéride n'est pas un assemblage de glycérol et d'acides gras, mais une molécule particulière. 

D'ailleurs, on peut synthétiser des triglycérides avec autre chose que du glycérol et des acides gras, et la décomposition d'un triglycérides peut produire autre chose que du glycérol et acides gras. 

Evidemment, quand des spécialistes se parlent, ils peuvent juger plus rapide de parler d'acide gras que de résidu d'acide gras, et le risque, là, est seulement qu'il y ait une confusion, qui peut-être levé par le contexte. 

En revanche, pour de l'enseignement ou pour le public, je trouve très contestable de parler d'acides gras pour désigner les résidus d'acides gras des triglycérides, car on voit, derrière, les confusions que cela engendre : en licence et même en master, je rencontre des étudiants qui ne comprennent pas la différence, et je vois même des collègues qui croient qu'il y a des acides gras dans l'huile ! 

Le public, lui, est persuadé que l'huile est faite d'acide gras. 

J'ai rencontré des collègues qui n'utilisent pas l'expression résidu d'acides gras sous prétexte qu'il y aurait le mot résidu, qui pourrait être confondu avec les résidus de pesticides. En réalité, je crois qu'ils sous-estiment l'enjeu de la clarté du discours chimique en public. 

Nous ne devons pas être démagogue, nous devons expliquer sans supériorité, mais avec autant de clarté que possible : les citoyens le méritent !
 

dimanche 8 décembre 2024

La science ? Théorie et expérience : cela s'apprend.

Ce matin, alors que je recevais au laboratoire un étudiant venu faire des expérimentations, j'ai mieux compris l'étendue des explications à donner. 

En l'occurrence, j'avais imaginé produire des mousses en soufflant de l'air par la partie inférieure d'un liquide susceptible de mousser. Quand j'avais initialement expliqué à l'étudiant, j'avais compris qu'il voyait mal comment nous pourrions faire, et c'est à ce moment-là que j'ai compris que mon idée "évidente" était celle d'une colonne de chromatographie où l'on soufflerait de l'air par la base n'avait rien d'évident. 

Rien d'évident...  parce que mon jeune ami ne savait pas ce que c'est une colonne de chromatographie. Une colonne de chromatographie ? C'est une colonne en verre qui comporte à sa base un "fritté". Un fritté ? Il s'agit de particules de silice agglomérées pour faire comme un filtre solide. 

La colonne de chromatographie était le premier objet inconnu de mon ami et le fritté était le second. 

Comment souffler de l'air dans cette colonne ? Il me semblait évident que l'on utiliserait de l'air comprimé, mais j'ai bientôt compris que mon ami ne savait pas qu'il y avait des systèmes d'air comprimé mutualisés dans les laboratoires. Je lui ai donc montré cela (c'est un robinet qui arrive sur les paillasses), en ajoutant "évidemment" qu'il fallait régler le débit. 

Comment régler le débit ? Pas en ouvrant plus ou moins la vanne, mais en faisant passer cet air du circuit mutualisé vers un débitmètre, tel que nous en avons dans les placards. Je lui en ai trouvé un deux : il s'agit simplement de faire passer l'air dans un système qui fait monter plus ou moins une bille dans une échelle graduée, laquelle doit être calibrée. 

Comment brancher ces divers éléments ? Il me semblait "évident" que nous utiliserions des tuyaux en caoutchouc, mais comment notre jeune ami aurait-il su que nous avions de tels tuyaux de différents diamètres dans nos réserves ? 

Je lui ai donc trouvé ce qu'il fallait et j'ai fait les branchements. Restait à raccorder le tuyau de caoutchouc à la sortie mutualisée d'air comprimé. Pour cela il fallait un système vissable sur la sortie d'air. Mais ce système fuyait, et la solution était d'enrouler sur le raccord vissable un "ruban de Téflon". Un ruban de téflon ? Là encore, notre ami ignorait l'existence d'un tel objet, et nous lui avons montré ce dont il s'agissait. 

Finalement, le montage étant fait, j'ai expliqué qu'il fallait laver la colonne de chromatographie qui, sortant des réserves de verrerie, n'était pas d'une propreté parfaite, ce qui risque de fausser les mesures, les mousses étant particulièrement sensibles à la présence de certains composés qui souillent les équipements. 

Comment laver ? Là c'était plus facile, parce que j'avais un document tout fait ayant précisément ce titre. Mais en réalité, une bonne réflexion aurait suffi : un matériel est souillé parce que des composés sont à sa surface. Pour enlever les composés soluble dans l'eau, on utilisera de l'eau, mais pour enlever les composants l'eau ? On prendra "évidemment" un solvant organique. 

Bref,  on lavera d'abord  à grande eau froide, puis à l'eau chaude, pour éliminer  les composés solubles. "Évidemment" on terminera avec de l'eau distillée. Et on passera ensuite à l'acétone qui dissoudra les composés insolubles et on le fera trois fois parce que si l'on enlève 90 pour cent des souillures au premier lavage, il en restera 10 pour cent ;  mais le deuxième lavage enlèvera 90 pour cent de ces 10 pour cent, de sorte qu'il ne restera qu'un pour cent et l'on comprend pourquoi la troisième opération s'impose. 

Ayant lavé à l'acétone, on repassera à l'eau pour ne pas laisser de trace sur le verre et là encore, on aura intérêt à faire grande eau froide, eau chaude, eau froide et eau distillée. 

Le lavage de l'intérieur du fritté pose une question particulière parce qu'il ne s'agit pas de faire simplement un nettoyage de surface, mais un nettoyage profond. Et c'est là qu'on sera amené à pousser les liquides nettoyants à travers le fruité... à l'aide d'air comprimé, que l'on utilisera pour pousser les liquides lavant. 

Et c'est ainsi que, disposant d'une colonne bien propre, nous pourrons pousser de l'air avec un débit connu, faible ou fort. 

Surtout, j'y reviens, je vois qu'il n'y avait rien d'évident dans tout cela, et qu'il a fallu en quelque sorte bricoler : nos étudiants sont mieux formés à la théorie qu'au bricolage, et quand ils savent bricoler, ils n'imaginent pas toujours que la recherche scientifique puisse se fonder sur de telles bricolages. 

Bien sûr, on bricole mais avec rigueur :  par exemple, pour notre système, s'imposait absolument de le calibrer, de le tester, de voir la répétabilité du foisonnement, etc. 

La recherche scientifique est donc un jeu constant entre l'expérimentation et la théorie, je l'ai déjà dit souvent, c'est précisément cette vie simultanée dans deux mondes parallèles qui me fascine

Il faut répéter, répéter, instruire, s'instruire, aider les autres

 Dans un article que je prépare, un rapporteur me propose d'évoquer les causes pour lesquelles certains scientifiques se laissent aller à l'emploi d'épithètes grandiloquents, qui n'ont rien à faire dans ces textes. 

Je modifie mon manuscrit en ajoutant une référence vers l'article que j'avais déjà écrit, à propos des adjectifs et des adverbes, mais la question de la pression qu'exercerait le milieu sur les scientifiques m'intéresse bien parce que je ne crois pouvoir ajouter une phrase à ce propos que si je trouve des références précises et quantitatives pour le dire. 

Surtout, ayant fait ce travail, je ne peux m'empêcher d'observer qu'il y a lieu de pilonner pour parvenir à changer les choses. Il faut faire de l'instruction initiale et de l'instruction continuée, il faut répéter et répéter encore, car ce serait de la plus grande naïveté que de croire que quelque chose dit une fois est entendu à jamais. 

Chaque jeune scientifique qui commence à écrire a besoin d'informations claires pour le faire, et la connaissance de la vie en général, et de l'imperfection des individus, ces derniers fussent-ils des professeurs avec des P très majuscules, doit conduire à penser que, statistiquement, les apprenants ne seront pas toujours entre des mains excellentes et qu'il y a donc lieu de trouver des moyens pour pallier les insuffisances des enseignants individuels qu'il rencontreront. 

C'est d'ailleurs la raison exacte pour laquelle je produis ces textes, cherchant à dire des choses anciennes sous un angle nouveau. Je suis bien convaincu que, dans les cours, les éditoriaux, nous nous répétons un peu, nous disons des choses déjà dites, mais l'effort de produire un texte nouveau, évalué afin de bien montrer l'exemple, permet aussi de remettre sur le devant de la scène des idées utiles qui pourraient  être oubliées. 

Oui, les institutions exercent une pression sur les individus, avec notamment ce mot d'excellence qui devient risible quand les tutelles scientifiques en abusent. Oui les institutions poussent les chercheurs à publier trop puisque des calculs comptables du nombre de publications interviennent dans les carrières, sans considération réelle de l'importance des travaux effectués. Oui les médias contribuent à faire dire aux scientifiques plus que ne disent exactement  leurs travaux... 

Mais il y a aussi l'égo de certains, la négligence d'autres, l'ignorance aussi et tout cela contribue à des textes parfois médiocres qui, ensuite, font une sorte de jurisprudence médiocre. Il y a donc lieu de dénoncer les articles de mauvaise qualité non pas individuellement mais plutôt en soulignant les imperfections communes que l'on rencontre trop souvent.
 

samedi 7 décembre 2024

A propos d'un nouveau diplôme

Si j'évoque ce diplôme de Paludier d'Honneur que viennent de m'envoyer les paludiers de Guérande, c'est parce que cela me permet de montrer que les agissements de certains agriculteurs, la semaine dernière, étaient déplacés, et leur discours faux. 

Que s'est-il passé ? Des agriculteurs sont venus rue de l'Université, pour murer le sièce de l'Inrae, au motif (faux, donc) que  l'Inrae aurait été une institution qui ne se préoccupe pas d'eux.

Bien sûr je sais interpréter, et je sais que ces personnes ne sont pas représentatives du monde agricole, malgré leur prétention à l'être, et  malgré leurs vociférations. Je sais aussi qu'ils agissaient de façon idéologique, se moquant parfaitement de la réalité des choses, et acceptant les mensonges pour des raisons politiques (injustifiables). Je ne me ferai jamais à la malhonnêteté.

En étant charitable, en supposant que certains aient été honnêtes, on pourrait imaginer que ces personnes étaient mal informés, mais alors n'avait-elle pas le devoir de s'informer mieux ? 

J'ai expliqué largement, sur les réseaux sociaux, combien notre Colloque "vigne et vin demain" avait été précisément fait à l'intention du monde viticole, qui ne s'y est pas trompé (ily avait des viticulteurs très intéressés dans la salle), et je n'y reviens pas, mais je profite de la réception de ce diplôme de Paludier d'Honneur pour signaler qu'une fois de plus, mon institution est mise à l'honneur par le monde professionnel qu'elle  aide. 

En effet, j'ai pris sur mon temps de recherche un grand moment pour recevoir au laboratoire mes amis paludiers, pour discuter avec eux de leurs techniques, de possibilités technologiques, d'innovations, etc. Ces personnes avaient eu la courtoisie de me demander combien je voulais être payé et j'ai répondu que, au service des citoyens, je ne voulais pas recevoir d'argent. 

Je ne suis pas exemplaire : je crois que beaucoup de mes collègues de l'Inrae et sont comme moi, au service des citoyens et j'ai une très haute idée de mon institution : elle mêle la recherche scientifique et l'accompagnement des professionnels jusqu'aux gestes techniques, dans les champs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'environnement. 

Aux gesticulations, aux vociférations, il faut opposer un discours vigoureux et juste, il y a lieu de montrer que nous sommes très actifs, mais nous ne devons pas oublier de faire savoir cette activité. 

En l'occurrence, avec ce diplôme, il me suffit d'être très actif puisque les amis professionnels du sel ont pris le relais de la communication, et je les en remercie vivement parce que leur geste dépasse la relation qu'ils ont avec moi et rejaillit sur mon institut de recherche et les rapports que cette dernière entretient avec tous les citoyens français. 





Leibniz ?

 Relisant un article un numéro spécial d'histoire des sciences consacrées à Gottfried Wilhelm Leibniz, je suis bien déçu d'apprendre qu'il publia un long mémoire invitant à voter pour l'Electeur de Hanovre sans le signer et en l'anti-datant de 10 ans. 

Quand ensuite j'en arrive à la querelle de priorité concernant la découverte du calcul différentiel, j'apprends aussi qu'il a publié un texte anonyme pour contribuer à la controverse avec Isaac Newton, et cela ne  le grandit pas dans mon estime. 

Il semble d'ailleurs que son travail soit né de documents qu'il aurait vus à la Royal Society et que les idées glanées là l'auraient ensuite conduit au développement mathématique que l'on connaît. 

Pour ce dernier point,  on  peut difficilement lui en faire reproche, car la science se nourrit de tout ce que nous voyons régulièrement publié. Et nous nous échelons les uns les autres comme disait les Grecs. 

Mais en l'occurrence, j'ai du mal à oublier les deux premiers épisodes et surtout, je sais que les personnes un peu malhonnêtes le sont durablement, et qui perd ma confiance de ce point de vue la perd durablement aussi. 

Bien sûr, dans les querelles de priorité à propos du calcul différentiel, il y a eu cette opposition de l'Angleterre et de ce qui n'était pas encore en Allemagne mais quand même,  ce que j'apprends de Leibniz me déçoit, et comme je suis d'assez mauvaise foi, je me range facilement du côté de Voltaire qui se moquait de lui avec le Pangloss de Candide.