mercredi 27 août 2025

A propos de dénominations : pensons à des "façons"

 La question des dénominations culinaires est bien difficile, et notamment parce que chaque chef fait "à sa sauce", varie les ingrédients selon son goût, au mépris de ce qui est consigné dans les recettes dont il s'inspire et dont il prend le nom pour nommer son propre plat.

Sans compter que nombre de praticiens connaissent mal  l'histoire de la cuisine et les raisons pour lesquelles les dénominations ont été choisies,  trompés en cela par les dictionnaires qui n'ont pas correctement fait le travail.

Et c'est ainsi qu'on en vient à croire que le poivre mignonnette est un poivre grossièrement moulu alors qu'on lit très bien dans le Cuisinier gascon, publié en 1740, sous la plume d'un Bourbon, que les mignonnettes sont de petits sachets dans lesquels on enferme les épices avant de le placer dans une préparation liquide.
Et c'est ainsi, de même, que les praticiens ignorent que les "mousselines" ne sont autres que des  farces cuites dans un linge léger nommé mousseline (tout comme on fait une terrine en cuisant une farce dans une terrine, en terre).

Bref, si l'on ignore la différence entre rémoulade (avec moutarde) et mayonnaise (sans moutarde), par exemple,  ou entre un beurre Colbert et un beurre maître d'hôtel, trompé notamment par  des textes culinaires écrits par des cuisiniers qui ignorent l'histoire de leur discipline et qui n'ont pas fait les recherches nécessaires, alors on ne sait plus où donner de la langue.

Quelle est la différence entre un beurre d'escargot et un beurre maître d'hôtel par exemple  ? Je propose d'examiner la question générale des dénominations sur cet exemple parce qu'il est éclairant.

Pour un beurre maître d'hôtel, il s'agit de malaxer du beurre avec du persil haché, du sel, du poivre et un peu de citron.
Rien à voir donc avec ce beurre d'escargot qui est plein d'ail et qui donc mérite un autre nom... tel que beurre d'escargot.
Pourrait-on le nommer beurre d'ail ? Pourquoi pas... sauf que le "véritable beurre d'ail", celui qui a été nommé avant moi, ne comporte pas de persil, mais seulement du beurre et de l'ail...


En tout cas, je propose de considérer que ces dénominations sont comme des dans un paysage montagneux. Il y aurait le pic beurre maître d'hôtel, le pic beurre d'escargot, le pic beurre d'ail, bien séparés. Entre eux, il y aurait toute une série d'intermédiaires. Par exemple, si l'on part d'un  beurre maître d'hôtel et qu'on ajoute un peu d'ail, alors qu'a-t-on ? Ou encore, si l'on ajoute de l'échalote ? Il serait bon d'utiliser l'expression "façon beurre maître d'hôtel" ou "façon beurre d'escargot" pour rappeler la préparation dans la direction de laquelle on se dirige.

En réalité, je connais bien peu de cuisiniers qui suivent exactement les recettes, et, sans ce "façon",  les dénominations qu'ils utilisent sont souvent illégitimes.

Terminons en signalant que l'examen des livres de cuisine anciens montre que, par le passé, certaines dénomination particulières ont été appliquées un peu différemment. La sauce la sauce espagnole de Marie-Antoine Carême n'est pas exactement celle d'Urbain Dubois et Émile Bernard, différant également de celle de Jules Gouffé... Cela doit nous conduire à penser que certains des pics évoqués sont parfois des sommets arrondis.



mardi 26 août 2025

2-2-2, pour la thèse comme pour les stages

Pour un travail de thèse, aujourd'hui une période de travail de trois ans, avant une soutenance finale qui donne accès à l'enseignement supérieur,  il est bon de conseiller aux doctorants que  la première année soit essentiellement  consacrée à   :
- des études exploratoires,
-  la recherche et à la lecture de références bibliographiques (on doit devenir le "spécialiste mondial" d'un sujet particulier),
-  la publication de mini-synthèses sur des points particuliers,
-  l'énonciation claire d'une question de recherche, élaborée à partir de la question initialement posée, amendée par les lectures effectuées ;
- et l'année doit s'achever par la rédaction de la première partie du document de thèse, à savoir la partie bibliographique ; ce chapitre doit, à défaut d'être terminé, finalisé, être rédigé aussi complètement que possible,  en vue d'une finalisation ultérieure.

La deuxième année, il s'agit de faire les explorations expérimentales, méthodiquement, et c'est là que s'impose l'usage de la technique que j'ai nommée  "arbre et rameaux" : il y a une direction générale de croissance du travail, et l'apparition de questions secondaires qu'il faut décider ou non d'explorer. Pendant cette deuxième année, le corps du document de thèse doit être rédigé dans ses grandes lignes, au moins pour le compte-rendu des résultats expérimentaux.

Puis la troisième année doit se consacrer à la rédaction finale, c'est-à-dire en réalité à la partie d'interprétation théorique des résultats expérimentaux, qui nécessite d'ailleurs des compléments expérimentaux décidés en fonction des résultats.

Ainsi, le doctorant arrive sans stress à la cérémonie de soutenance, face au jury. 




Mais j'ai déjà indiqué tout cela précédemment et le billet d'aujourd'hui vise à se demander si les stages d'étudiants (licence, master)  ne devraient pas être construits de même : par exemple pour un stage de 6 mois, il y aurait deux mois de préparation bibliographique et de formation technique, 2 mois d'expérimentation et 2 mois de finalisation.
Pour un stage de 2 mois c'est-à-dire de 8 semaines, il y aurait 3 semaines de préparation, 3 semaines d'expérimentation et 2 semaines de finalisation et rédaction.

En tout cas, cela ne sert à rien de se mettre en position d'échec point par exemple c'est un écueil de préparer trop longtemps le travail et de ne rien faire expérimentalement, tout comme c'est une faute de d'enchaîner les expérimentations sans se donner le temps des interprétations et des rédactions.

C'est au maître de stage, de donner ces indications, tout comme c'est le rôle directeur de thèse que de rappeler ces consignes aux doctorants, qui prennent ensuite leur responsabilité, puisque, pour ces derniers, ils sont de jeunes scientifiques, responsables de leur travail face à la soutenance finale, et non plus des étudiants.

lundi 25 août 2025

Des cartes d'études

Cela n'a pas de sens de se lancer bille en tête dans un cours, soit que l'on soit professeur, soit que l'on soit étudiant. Où allons-nous ? Quel est notre objectif ? Quel sera notre chemin ? Quels doivent être nos bagages ? 

Certes,  comparaison (des études avec un cheminement) n'est pas raison, mais on a tout à gagner à chercher à faire mieux que nous ne faisions, n'est-ce pas ? 

Soit le début d'un cours, d'une unité d'enseignement, d'un article, d'un livre, d'un site... La moindre des choses est d' "annoncer la couleur", de dire succinctement ce dont il sera question. Et puis, tout d'abord, pourquoi ne pas prendre un peu de temps pour montrer aux étudiants combien le sujet est merveilleux ? Pour ne pas chercher à donner envie de découvrir cette belle histoire que nous allons raconter ? Certains pisse-vinaigre diront que ce type de racolage est bon pour la vulgarisation... mais à quoi bon un tel puritanisme ? 

D'autre part, n'est-il pas judicieux de montrer, pour commencer, une liste des informations, notions, concept, démarches qui seront examinées ? De toute façon, judicieux ou pas, cela est maintenant quasi obligatoire : il faut que le "contrat" d'enseignement soit clair, et cela passe par l'affichage d'un "référentiel", cette liste des points exigibles pour l'obtention de l'examen final (ou de toute autre évaluation). 

Mais cela ne suffit pas : je maintiens qu'il faut aussi présenter le chemin qui sera suivi et éventuellement le justifier. 

Tout cela peut-être aligné linéairement, dans un discours, mais on fera mieux de dessiner le chemin qui sera suivi sur une carte, à deux, trois dimensions... ou plus. Bien sûr, on peut se débarrasser de la chose en jetant sur un plan les items du cours, mais pourquoi ne pas montrer le chemin dans un paysage plus général ? 

En tout cas, ces cartes d'études méritent d'être généralisées, car elle fixent mieux les idées qu'un long discours dont on a oublié le début quand on arrive à la fin ; une carte, en revanche, on l'a synthétiquement sous les yeux si elle est bien faite, on voit des relations entre les éléments.

Les dimensions ? Il y a le temps du cours, bien sûr, mais il y a la structure de la matière enseignée, aussi. A quoi correspondrait l'altitude dans une carte à trois dimensions ? À nous de l'imaginer ! Par exemple, pour de la physico-chimie, je vois bien  :
- un niveau de base qui correspond aux objets étudiés,
- puis un niveau un peu supérieur où figureraient les paramètres quantitatifs qui caractérisent les objets du premier niveau,  telle une viscosité, une tension de vapeur...
- puis un niveau encore supérieur, théorique, d'interprétation. 

Une autre possibilité serait de mettre en œuvre, sur cette carte, la méthode d'étude descendante (), avec, à la base la structure macroscopique du système considéré, puis un peu plus haut la structure microscopique, encore plus haut la structure supra moléculaire, puis encore plus haut la structure moléculaire. 

Et puis, pour les couleurs faisant une quatrième dimension, on pourrait mettre dans une couleur les objets matériels, dans une autre couleur  les caractérisations, et dans une autre couleur encore les items théoriques. 

Evidemment, produire une telle carte, c'est du travail en plus pour le professeur. Mais, à l'usage, j'ai bien vu combien cette préparation des cartes d'études était utiles. Elle nous met en position de justifier, d'organiser, de planifier bien mieux qu'on ne le faisait autrement.


dimanche 24 août 2025

De la lecture

L'activité de publication ne faiblit pas, et voici des choses récentes : 

La gastronomie moléculaire, une discipline scientifique toujours nécessaire, en croissance, A3 Magazine CNRS, N° 85, juin 2025, pp. 22-27.
Les légumes sont-ils plus fermes quand ils sont cuits dans du vin, Pour la Science, N°575, juillet 2025, p. 96.
Ah, il gusto del pan brioche!, Sapere, 91(3), p. 57
Fermentare, si o no?, Sapere, 91(4), 58
Quand les piments s’adoucissent, Pour la Science, N° 576, août 2025, p. 96

Royans de mer, ou royans de terre, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/royans-de-mer-ou-royans-de-terre/ , 30 juin 2025.

Potage à la jambe de bois, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/potage-a-la-jambe-de-bois/, 30 juin 2025.

Sauce au pauvre homme, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/sauce-au-pauvre-homme/, 4 juillet 2025.

Qu’est-ce qu’une sole à la Dugléré ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/quest-ce-quune-sole-a-la-duglere/, 10 juillet 2025.

Cinquante nuances de gras, Charcuterie & Gastronomie, N° 506, juillet août 2025, pp. 38-39.

A la Conti, Nouvelles gastronomiques, 13 juilet 2025, https://nouvellesgastronomiques.com/a-la-conti/.

Sauce vierge : c’est quoi la tradition?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/sauce-vierge-cest-quoi-la-tradition/, 20 juillet 2025.

Chateaubriand : deux écritures et deux préparations, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/chateaubriand-deux-ecritures-et-deux-preparations/, 25 juillet 2025.

Fondu ou fondue ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/fondu-ou-fondue/, 25 juillet 2025

Colbert ? , Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/colbert/, 3 août 2025.

Une sauce paloise ? Une sauce à la mousquetaire ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/une-sauce-paloise-une-sauce-a-la-mousquetaire/, 8 août 2025.

Crèmes à la Lehn, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/nouvelle-invention-dherve-this-la-creme-a-la-lehn/, 8 août 2025.

Eloge de quelques composés dont je ne pourrai plus me passer, Le Journal International Club Toques Blanches, 157, avril-mai-juin 2025, pp. 26-28.

Ravioles de Saint-Jean et Rissoles, Le Journal International Club Toques Blanches, 157, avril-mai-juin 2025, p. 33.

 

samedi 23 août 2025

Oublions les mauvais livres, utilisons le Glossaire des métiers du goût

Je retrouve dans ma bibliothèque un livre qui prétend donner l'origine des termes culinaires, et qui m'avait jadis paru "savant"... mais  le travail que je fais à la fois pour mes billets terminologiques des Nouvelles Gastronomiques (https://nouvellesgastronomiques.com/?s=terminologie)  et pour le Glossaire des métiers du goût (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire)  me montre combien ce livre est mauvais. 

Evidemment, on est dans une désagréable position quand on annonce ce genre de choses, et l'on s'expose à la fois à la colère des auteurs et aux hésitations de nos interlocuteurs... mais je crois utile de signaler les défauts de textes qui nous entravent, j'espère éviter à mes amis de perdre leur temps avec de tels documents. Au fond, avec ce livre, j'ai le même sentiment d'injustice que quand j'avais un mauvais professeur, je veux dire par là un professeur insuffisant et paresseux. Je me hâte évidemment de dire que ce type de personnes n'est pas la règle mais je me souviens quand même de mon émoi, enfant, et, je le répète,  ce sentiment d'injustice que je ressentais m'émeut encore aujourd'hui.

En l'occurrence, le livre que j'évoque est mauvais parce que l'auteur s'est limité à citer quelques occurrences un peu anciennes de termes qu'il discute : à la Conti, hollandaise, espagnole, Nantua, et cetera. 

Ce que l'on attend d'un livre l'étymologie, c'est évidemment les plus anciennes occurrences et non pas seulement quelques-unes qui ont été glanées ça et là dans des livres un peu anciens. Après tout, à quoi bon nous dire que tel terme se trouve dans le Guide culinaire en 1903, voir dans un livre de Pierre-François la Varenne un peu plus ancien ?
Ce qui compte, ce n'est pas l'anecdote, mais la comparaison raisonnée, la recherche des évolutions. 

Par exemple Marie-Antoine Carême, en 1901, dans son Art de la cuisine française au 19e siècle parle abondamment de la "sauce magnonnaise", notre mayonnaise d'aujourd'hui, récemment découverte alors, et il est intéressant d'indiquer que, dans 1848, soit un an après une réédition de ce livre, il écrit maintenant "mayonnaise" comme nous l'écrivons aujourd'hui. 

Il est intéressant d'observer, en comparant tous les textes  culinaires du passé, que les préparations peuvent être à la Chateaubriand, à la Châteaubriand, à la Châteaubriant, à la Chateaubriand... : il y a des viandes, mais il y a aussi un gâteau. Et les mythes sur la création du plat de viande sont... des mythes qui ne résistent pas à l'exploration historique.  J'ajoute que je ne donne pas d'ici les références de ce que j'avance, mais je les fournis dans le Glossaire des métiers du goût qui a cette particularité de ne pas prétendre donner la plus ancienne occurrence, mais de toujours la chercher et en tout cas de donner des références. 

Au fond, ce que je reproche au livre que j'évoquais, c'est d'avoir fait un travail bâché, d'avoir tourné toujours autour des mêmes livres classiques sans chercher plus loin,  alors que la Bibliothèque nationale contient tous les livres qu'il aurait dû consulter. 

Oublions le Trésor de la langue française informatisée pour ce qui est des termes de cuisine, car ils sont souvent absents. Oublions généralement le Dictionnaire de l'Académie française pour les mêmes raisons. Oublions le texte du CNRTL pour les mêmes raisons et reportons-nous plutôt au Glossaire des métiers du goût qui parfois, d'ailleurs utilise ces sources quand il n'a pas mieux, mais,  sinon,  se réfère à des textes culinaires anciens. 

Des textes sans lesquels la compréhension de la cuisine est impossible point par exemple une mignonnette est un petit sachet dans lequel on enfermait des épices, et ce n'est donc pas le poivre moulu grossièrement comme on le pense aujourd'hui. Les mousseline ne diffèrent des préparations des mousses que parce que l'appareil a été cuit dans un linge délicat nommé mousseline. Les gravances, notamment utilisées dans les oilles, sont des variétés de pois. Les nantilles, ou nentilles,  sont en réalité ce que nous nommons aujourd'hui des lentilles. À propos, je signale que ni le mot nantille ni le mot nentille n'apparaissent dans les trois sources que j'ai citées. 

Bref il y a lieu de travailler pour y voir plus clair, pour comprendre que ce que sont véritablement les préparations culinaires dont nous entendons le nom.

vendredi 22 août 2025

Aimons les calculs !

 
Il y a des professeurs merveilleux... mais il y a aussi des professeurs détestables, et, bien que cela nous fasse considérer la fange, je prends ici un exemple très important, parce qu'il montre une dérive de l'enseignement des sciences de la nature au lycée. Je m'empresse de dire que c'est un cas pathologique, et pas la règle, car il y a, je l'ai dit en tout premier, des professeurs merveilleux. 

 Mais l'exemple pathologique que je considère me permet de développer le point  suivant : les sciences de la nature ne sont pas la vulgarisation, et la différence, c'est que les sciences de la nature sont en réalité du calcul, des équations, alors que la vulgarisation s'apparente à ces histoires que l'on raconte aux enfants pour les endormir le soir. 

Partons donc d'une histoire vraie. Un mes fils, dans un excellent lycée, avait pour projet de groupe de construire une montgolfière, et le groupe voulait y adjoindre un petit moteur. Comme un moteur pèse, le groupe avait compris du cours de physique qu'il fallait dimensionner la montgolfière pour qu'elle puisse emporter le moteur. Ne sachant calculer cela, mon fils m'avait interrogé, et j'avais fait le calcul pour son groupe, arrivant à gros volume de montgolfière. Consulté ensuite, le (très mauvais) professeur de physique avait alors répondu qu'"il ne croyait pas aux calculs". Oui, pas à ce calcul-là en particulier, mais aux calculs ! Mais alors, qu'enseignait-il ? Pas la physique en tout cas puisque cette dernière se fonde essentiellement sur les calculs. 

Cette idée d'une science qui serait toute de récits, cette "physique avec les mains" comme on dit, est très néfaste quand elle est donnée à des imbéciles, et elle risque de faire des dégâts. Il ne faut pas oublier que ceux qui ont bien fait de la physique avec les mains savaient parfaitement calculer. Je pense en particulier à Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, qui avait une capacité remarquable non seulement pour le calcul formel, mais aussi pour les calculs d'ordres de grandeur, qui lui permettaient précisément de mieux faire du calcul formel, lui permettant de sélectionner dans des équations compliquées les termes qui étaient négligeables, que l'on pouvait donc négliger pour devenir capable de résoudre les équations simplifiées que l'on avait ensuite. Ni les sciences de la nature, ni la technologie ne sont de simples récits. 

Il faut dire et redire que ce sont des discours ancrés dans les équations, et qui imposent des compétences en calcul, la maîtrise des calculs. Ici, je fais une différence entre le calcul et les mathématiques, ces dernières étant une exploration du monde mathématiques. Les mathématiques sont parfois considérées comme un peu inutiles, opinion que je ne partage évidemment pas. 

Mais, de toute façon,pour les sciences de la nature et la technologie, il y a la nécessité d'apprendre les calculs, de maîtriser des outils tels que les matrices, les fonctions, et ainsi de suite. Il ne s'agit pas d'aimer cela ou non ; il s'agit surtout de reconnaître que, quand on fait de la science ou de la technologie, le calcul est omniprésent, parce que la question n'est pas la vulgarisation, mais l'apprentissage des outils théoriques, à savoir les équations. Oui, je veux des professeurs de physique, mais aussi de chimie, de biologie, de géologie... qui font comprendre aux étudiants que calculer est une chose simple, et essentielle en sciences de la nature et en technologie. Et c'est vers ce ciel bleu que je propose de regarder : un bon professeur, c'est celui qui, ayant bien compris la matière qu'il professe, ayant bien compris que le calcul est essentiel, permet aux étudiants de le comprendre aussi, et de l'aimer !

J'ai eu un commentaire à mon billet
Je dois avouer que j'ai du mal à croire votre anecdote. J'ai enseigné les mathématiques pendant quarante ans, au collège et au lycée. J'ai discuté avec beaucoup de professeurs de physique ( et de chimie ou de biologie ). Leur demande principale était que l'on fasse le programme de math de l'année en deux semaines, un mois à la rigueur, parce qu'ils en avaient besoins pour leurs calculs. Je peux facilement imaginer un professeur de physique qui ne croit pas aux calculs des élèves, je ne les croyais pas non plus avant de les avoir refaits. Et leurs calculs étaient souvent faux ( au moins dans deux tiers des cas ). J'ai souvent eu des enfants de collègues, et j'ai pu constater qu'il y avait souvent plus qu'une nuance entre ce que les élèves racontaient à leurs parents ( le prof a dit ça ) et ce j'avais effectivement dit.

Et j'ai répondu :
J'ai pris mille précautions pour bien dire que c'était un cas pathologique. Car je suis très admiratif du travail de très nombreux professeurs d'écoles, de collèges, de lycées, d'universités. Mais c'est un cas où j'étais si étonné moi même (il y a 30 ans : on voit que je reste choqué) que j'avais investigué pour être bien sûr. Et ce sont mes propres calculs qui étaient en jeu ;-) Au fond, pas de raison que, pour toute profession, il n'y ait pas une répartition gaussienne, non ? Et le billet dépasse cette question, pour discuter autre chose : la merveilleuse adéquation du monde et du calcul, qu'admirait déjà Galilée : oui, le monde est écrit en langage mathématique, et c'est cela qui fait lever certains le matin. C'est une étrangeté merveilleuse, et un des deux pieds (avec l'expérience) sur lesquels les sciences de la nature reposent tout entières. Le nombre, le fait, l'équation...

Il y a eu une réponse à ma réponse
Merci pour votre réponse. Je fais certainement parti des gens qui sont fascinés par le rapport entre les mathématiques et l'expérience. Je ne critiquais pas le fond de votre message, mais je dois bien avouer qu'un professeur de physique qui ne croit pas aux calculs en physique me semble un oxymore. Je me permets une remarque : il n'y a aucune raison, pour quelque profession que ce soit, que la qualité des gens suive une répartition gaussienne. Et il y a beaucoup de raisons pour que ça ne soit pas le cas. Par exemple les examens sont censés éliminer les trop incompétents. L'invocation à la loi normale est, à mon avis, une erreur grave. Mais, bien sur, on peut savoir faire les calculs sans y croire.

Je ne suis pas complètement d'accord avec vous. Les sciences de la nature ne sont pas essentiellement du calcul. Les sciences (et vous en serez je pense d'accord) sont d'abord de l'observation, puis de la modélisation, puis, au bout du compte, effectivement, du calcul. Mais, à mon sens, l'étape "calcul" est loin d'être la plus intéressante. La meilleure preuve est que c'est celle qui est la plus facilement automatisable ou, pour le dire brutalement, celle qui est le plus facilement réalisable par la stupidité artificielle.

Les sciences de la nature ?
1. identifier un phénomène
2. le caractériser quantitativement ("tout nombrer")
3. réunir les données de mesures en "lois", à savoir des équations
4. induire une théorie, en réunissant des lois et en introduisant des concepts nouveaux (l'entropie, l'électron, le boson de Higgs...)
5. chercher des conséquences testables de la théorie
6. tester expérimentalement les conséquences théoriques de (5)
7. et ainsi de suite à l'infini, puisque toute théorie est insuffisante !

jeudi 21 août 2025

Je veux des additifs dans ma cuisine... et je dis cela sans être "vendu à l'industrie agroalimentaire", ni d'ailleurs à des industries que l'on nomme fautivement "chimiques"

 
Je veux des additifs dans ma cuisine... et je dis cela sans être "vendu à l'industrie agroalimentaire", ni d'ailleurs à des industries que l'on nomme fautivement "chimiques" 

1. Il y a quelques jours, à l'Ecole de chimie de Paris - Chimie ParisTech"- où j'avais été invité par les étudiants (quel honneur ! quel bonheur !), ma conférence a suscité des questions, et notamment une à propos des additifs alimentaires. 

2. En répondant, j'ai fait une petite erreur, parce que j'ai supposé que tous mes jeunes amis savaient ce dont il s'agit, mais, en réalité, ils sont baignés dans un discours cauchemardesque, de sorte que, même s'ils ont une vague idée de la chose, cette idée est erronée. 

3. Commençons par signaler que les additifs sont des "produits" : ils sont produits par des sociétés qui les produisent... de sorte qu'ils ne sont pas plus naturels que du coq au vin ou de la choucroute : je rappelle qu'est "naturel" ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain, et est artificiel ce qui n'est pas naturel. 

4. Enchaînons en signalant que ces produits peuvent être des substances, de mélanges de composés, ou bien des "composés", c'est-à-dire des groupes de molécules toutes identiques. Par exemple, la curcumine est le composé jaune majoritaire du curcuma. Dans la curcumine (E100(ii)), toutes les molécules sont ce que l'Union internationale de chimie pure et appliquée nomme justement "(1E,6E)-1,7-bis(4-hydroxy-3-méthoxyphényl)-1,6-heptadiène-3,5-dione". 5. Et précisons que les additifs alimentaires ne se confondent pas avec les auxiliaires technologiques (on devrait dire "auxiliaires techniques"), ni avec les aromatisants (on voit que je ne parle pas d'arômes, et je m'en explique plus loin). 

6. Un additif alimentaire est une substance (composés purs ou mélanges de composés) qui n'est pas habituellement consommée comme un aliment ou utilisée comme un ingrédient dans l'alimentation. Les additifs sont ajoutés aux denrées pour une raison technique, au stade de la fabrication, de la transformation, de la préparation, du traitement, du conditionnement, du transport ou de l'entreposage des denrées. Ils sont présents dans les produits finis. 

7. Les additifs alimentaires ont des fonctions diverses, comme par exemple : - garantir la qualité sanitaire des aliments (conservateurs, antioxydants), - améliorer l'aspect et le goût d'une denrée (colorants, édulcorants, exhausteurs de goût), - conférer une texture particulière (épaississants, gélifiants), - garantir la stabilité du produit (émulsifiants, anti-agglomérants, stabilisants). 

8. A noter que l'on distingue deux types d'additifs : dit "naturels" - c'est à dire obtenus à partir de micro-organismes, d'algues, d'extraits végétaux ou minéraux – et de synthèse. C'est idiot, car les additifs qui ont été extraits... ont été extraits, et sont donc artificiels, au sens du dictionnaire, lequel est notre seul juge en matière de communication. En réalité, on veut dire que les additifs sont soit extraits, soit synthétisés. 

9. La présence des additifs dans les denrées est mentionnée dans la liste des ingrédients soit par leur code (E suivi de 3 ou 4 chiffres), soit par leur nom. 

10. Un additif n'est autorisé en alimentation humaine que s'il ne fait pas courir de risque au consommateur aux doses utilisées. Et la preuve de leur innocuité ne suffit pas : pour pouvoir être utilisée, une substance doit aussi faire la preuve de son intérêt. Ainsi, les additifs alimentaires ne sont approuvés que si l'effet technique revendiqué peut être démontré et que si l'emploi n'est pas susceptible de tromper le consommateur. 

11. Avant d'être autorisés par la Commission européenne, les additifs sont soumis à évaluation de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Sur cette base, la Commission établit une liste positive (on ne peut utiliser que les additifs de cette liste) d'additifs autorisés auxquels un numéro E leur est attribué en indiquant les aliments dans lesquels ils peuvent être ajoutés et les doses maximales à utiliser. J'insiste un peu : les additifs, autorisés donc, font l'objet d'évaluations extraordinairement serrées ! Je vous invite à bien regarder ces conditions sur le site de l'Efsa. 

12. Et c'est un consensus international, avec la participation de toutes les agences nationales : l’évaluation et l’autorisation des additifs alimentaires sont encadrées et harmonisées au niveau européen au sein de l’Europe par les règlements CE/1331/2008 et CE/1333/2008. Oui, contrairement à ce que prétendent des marchands de cauchemars, on ne joue certainement pas avec la santé des citoyens. D'ailleurs, les évaluateurs sont eux-mêmes des citoyens, n'est-ce pas ? Et ils consomment ces produits, en font consommer à leur famille. Y aviez-vous pensé ? 

13. Toute information scientifique et technique nouvelle relative à des additifs autorisés est examinée avec une attention particulière et leurs conditions d'emploi sont reconsidérées, si nécessaire. Oui, il y a une veille scientifique constante, d'ailleurs un peu surabondante, avec les agences nationales (en France, l'Anses), en PLUS des agences internationales : l'Efsa en Europe, la FDA aux Etats-Unis... 

14. Une réévaluation européenne systématique de l'ensemble des additifs autorisés a par ailleurs été effectuée par l'Efsa. On ne dira jamais assez que les débats techniques des experts sont publics : libre à chacun d'y assister, preuve que tout cela se fait dans la plus grande transparence. 

15. Ne pas confondre les additifs avec les "auxiliaire technologiques", "supports d'additif" ou "auxiliaires de fabrication", qui sont des substances utilisée par l'industrie agroalimentaire durant la préparation ou la transformation d'aliments, et qui peuvent s'y retrouver, mais qui ne doivent pas légalement être mentionnée dans les ingrédients. Utilisés pour permettre, faciliter ou optimiser une étape de la fabrication d'un aliment, ils n'en constituent pas un ingrédient, à l'opposé des additifs alimentaires. Là, j'ai écrit "auxiliaire technologique", mais cela m'arrache la plume, car il s'agit seulement d'auxiliaire technique. La technologie, c'est une autre affaire que la technique ! 

16. Quant aux aromatisants, ce sont des produits destinés à être ajoutés à des denrées alimentaires pour leur conférer une odeur, c’est-à-dire une perception par voie nasale ou retro-nasale et/ou une saveur, c’est-à-dire une perception par voie linguale. Ils font également l'objet de réglementations très strictes. Sont exclus des aromatisant : les substances qui ont exclusivement un goût sucré, acide ou salé, parce qu’on retombe soit sur des denrées alimentaires « générales » comme le sucre ou le sel, soit sur des additifs réglementés par ailleurs, comme les acidifiants et les édulcorants, les aromates, épices et fines herbes, qui ne sont pas considérés comme des aromatisants. 

17. La réglementation définit six catégories d'aromatisants, dont les préparations aromatisantes, mélanges de composés obtenus à partir de matières premières naturelles d’origine végétale ou animale par des procédés physiques d’isolement ou des procédés biotechniques, c’est-à-dire la mise en œuvre d’enzymes ou de fermentations microbiennes. Ainsi un extrait de vanille ou une huile essentielle d’orange sont des préparations aromatisantes. Les substances aromatisantes sont au contraire des composés particuliers qui sont soit extraits, soit synthétisés (la réglementation actuelle en matière de dénomination est à revoir, parce qu'elle fait un usage trompeur du mot "naturel") ; quand il y a synthèse, on distingue des composés déjà identifiés dans la nature, et des composés jamais trouvés à ce jour.

 18. Je me souviens que rien ne vaut un exemple, pour clarifier les choses. La vanille, par exemple, est la gousse fermentée d'une plante. Elle doit son goût (odeur, et pas seulement) à des composés variés, mais le principal est la vanilline, ou 4-hydroxyl-3-méthoxybenzaldéhyde. Et, de fait, de la vanilline dans de l'eau donne un goût très semblable à la vanille. Semblable, mais moins "complexe" quand même, moins velouté, moins puissant... La vanilline est "extraite"... quand elle est extraite, mais elle peut être synthétisée, si elle est synthétisée. Les chimistes ont découvert qu'une modification chimique minime de la vanilline permet de produire de l'éthylvanilline, qui a un goût proche de la vanilline, en bien plus puissant. L'éthylvanilline est un composé artificiel, donc, et synthétique de surcroît. 

19. Tout cela étant plus clair (j'espère : n'hésitez pas à me demander des précisions, des explications, à me signaler des erreurs, des imprécisions), je me place maintenant en cuisinier, dans ma cuisine. Et là, je vois des substances qui peuvent m'être utiles. Par exemple, quand je veux donner de la couleur, pourquoi n'utiliserai-je pas un colorant ? Par exemple, quand je veux modifier la saveur, pourquoi n'utiliserais-je pas pas un additif modificateur de saveur ? Par exemple du bicarbonate pour combattre une acidité excessive que certains de mes convives n'aiment pas ? Par exemple, quand je veux gélifier, pourquoi n'utiliserai-je pas un gélifiant, telle la gélatine ou l'agar-agar ? Par exemple, pourquoi n'utiliserai-je pas l'éthylvanilline pour avoir un goût puissant qui rappelle la vanille ? Ou le 1-octène-3-ol pour donner un merveilleux goût de sous-bois, de champignon sauvage ? 

20. On le voit, il ne s'agit pas d'être "un faux nez de l'industrie chimique", ou "vendu à l'industrie", mais simplement de cuisiner de façon moins archaïque qu'au Moyen-Âge. Et je fais seulement mon devoir de citoyen en essayant d'éclairer mes amis sur des notions qui sont obscures pour eux... en les invitant à utiliser des additifs, des auxiliaires techniques ou des aromatisants. Cela fait en outre des décennies que je dis que si ces produits sont évalués, et sans risques, alors il nous les faut en cuisine ! 

 

PS. Des liens : https://www.anses.fr/fr/content/le-point-sur-les-additifs-alimentaires http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/food-additives http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/food-additive-re-evaluations https://www.academie-agriculture.fr/publications/publications-academie/points-de-vue/y-t-il-de-bons-et-de-mauvais-additifs-alimentaires https://www.academie-agriculture.fr/actualites/agriculture-alimentation-environnement/colorants-edulcorants-conservateurs-tout-savoir https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/reevaluation-des-additifs-alimentaires-par-lefsa


Et j'ai reçu un commentaire : 

Merci pour cet éclairage très détaillé ! Parmi les recommandations alimentaires, on entend souvent qu'il faut limiter la consommation d'aliments ultra-transformés. Y a t'il une raison à cela, hormis le fait que ces aliments contiennent généralement beaucoup de sucre, de sel ou de gras ? Les transformations des aliments créent-elles des composés néfastes pour la santé, ou bien au contraire détruisent elles des composés bénéfiques ?

J'ai donc répondu : 

Bonjour et merci de votre confiance. Mais merci aussi de votre question, qui est d'une grande pertinence. 

La notion d'aliments prétendument ultra-transformés est très contestable, et elle a été introduite surtout idéologiquement, comme cela a été bien montré lors d'une séance publique de l'Académie d'agriculture de France, que vous trouverez ici : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/des-matieres-premieres-agricoles-aux-aliments-quel-impact-des 

D'autre part, il nous faut nous méfier d'une certaine épidémiologie nutritionnelle dont les résultats sont très contestables, comme on peut le lire dans le remarquable travail scientifique suivant : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/1722020-n3af-2020-1-sante-et-alimentation-attention-aux-faux, par Philippe Stoop. 

Bref, il y a un discours idéologique qui n'est pas scientifique, et cela est donc nuisible collectivement. Par exemple, je suis heureux de vous annoncer un travail considérable qui a été fait à propos de nitrates et de nitrites dans les charcuteries : il montre qu'il y a lieu de ne pas gober tous les messages disant que ces produits seraient démoniaques ;-) : le rapport du Groupe de travail académique est pour très bientôt. Mais, pour moi : https://hervethis.blogspot.com/search?q=nutrition