jeudi 14 septembre 2023

Molécules, composés, composés chimiques, produits chimiques...

 
Souvent nos concitoyens (et nous mêmes) ne savent pas exactement la différence entre une molécule, un composé, un composé chimique, un produit chimique, un produit de synthèse... J'ai donc expliqué la chose dans un podcast sur le site d'Agroparistech (http://www.dailymotion.com/video/x1r1o5y_qu-est-ce-qu-un-compose_school). 

Cela dit, pour ceux qui n'auraient pas le temps d'aller sur ces sites, une explication, à nouveau. Un objet matériel, tel l'eau dans un verre, est fait de molécules. Pour l'eau du verre, ce sont des objets tous identiques, que l'on nomme des molécules d'eau. Et l'eau est liquide parce que ces molécules d'eau bougent en tous, un peu comme des boules de billard sur un billard qui serait secoué.
Dans un cristal de sucre, il y a des objets tous identiques, empilés régulièrement : ce sont des molécules de « saccharose », et, cette fois, les mouvements se limitent à des vibrations.
Dans de la vodka, maintenant, c'est un peu (à peine) plus compliqué, parce qu'il y a des objets de deux sortes : d'une part, des molécules d'eau, et, d'autre part, des molécules d'une autre sorte : l'éthanol. Les molécules des deux sortes sont dispersées au hasard, comme des boules jaunes et des boules rouges sur un billard agité. Et, mieux, le fait que la vodka soit à 40 pour cent d'éthanol revient à dire qu'il y a environ six molécules d'eau pour quatre molécules d'éthanol. Les molécules sont des molécules... mais les catégories de molécules sont les composés. L'eau est un composé, et l'éthanol est un autre composé ; le saccharose est un troisième composé. 

Et les composés ont ce nom, parce que toutes leurs molécules des objets d'un même type, tous « composées » d'atomes organisés de la même façon. Par exemple, les molécules d'eau sont toutes composées d'un atome d'une sorte (l'oxygène) et de deux atomes d'une autre sorte (l'hydrogène). Pour les molécules de saccharose, il y a 12 atomes de carbone, 12 atomes d'oxygène et 24 atomes d'hydrogène. 

Lorsque a été mis en ligne le podcast qui explique cela en images, sur le site d'AgroParisTech, je n'étais pas bien fier : que penseraient mes collègues ? Etait-ce bien raisonnable de donner des explications si simples sur le site de la plus grande école d'agronomie du monde ? 

La réponse a été donnée par mes « amis » qui ont visité le site et visionné le podcast : il n'y a finalement eu que des remerciements. C'est-à-dire, en définitive, une invitation à poursuivre dans cette direction, et je me dis que cela serait merveilleux si chaque profession faisait de même : sans « supériorité », simplement, avec la seule volonté de permettre à nos amis qui ont d'autres connaissances de mieux connaître notre propre champ. D'ailleurs, le physico-chimiste qui sait la physico-chimie n'est-il pas le plus souvent parfaitement ignorant de la découpe de la viande (par exemple) ou du travail du bois, que nos amis bouchers ou ébénistes savent parfaitement. 

C'est l'explication amicale de nos métiers qui nous réunira amicalement, tout en nous élevant un peu l'esprit, n'est-ce pas ?

mercredi 13 septembre 2023

Le sucre semoule, pour des pâtes à foncer plus croustillantes ?



Le sucre semoule ferait des pâtes plus fines et plus  croustillantes ?

Dans la question que l'on me pose, je m'arrête, tout d'abord, parce qu'il y a mille sortes de pâtes différentes, et la réponse n'existe sans doute pas pour une question aussi vaste.
Et pour des pâtes à foncer ? Là encore, il y a tant de variations que je doute d'une réponse uniformes.

Et puis : "plus fines"  ? Moi, je sais "fin comme un fil, mince comme une feuille". Que veut dire mon interlocuteur ?

Enfin, croustillant, ou croquant ?

Mais si j'acceptais de répondre, je dirais... que je n'en sais rien et que je n'y crois guère à l'effet annonce. Mais peu importe ce que je crois, car, ce qui compte, c'est l'expérience, et l'expérience doit être faite dans des conditions rigoureuses.

On doit partir doit faire deux pâtes avec la même quantité de  farine, de beurre et d'eau. On doit  travailler les deux pâtes exactement de la même façon, pendant le même temps, chronomètre en main. On doit ensuite abaisser les deux pâtes de la même façon, et les cuire ensemble dans le même four.

Si l'on change rien qu'un paramètres, on n'aura aucune certitude que ce n'est pas le changement des paramètres qui est responsable du changement final.

Et voilà notamment ce qui est enseigné lors des séminaires de gastronomie moléculaire auquel je vous invite soit en présentiel soit  en ligne, avec les liens qui sont donnés à tous ceux qui les demandent.
Les séminaires de gastronomie moléculaire ont lieu au Lycée Guillaume tirel que je remercie vivement de nous accueillir, généralement le  deuxième mercredi du mois, de 16 à 19 heures.
Les expérimentations et les discussions donnent lieu à des comptes rendus rédigés, assorti de photos, qui sont d'abord soumis aux participants, afin qu'ils puissent corriger éventuelles erreurs, avant d'être diffusés très largement. Et tout est en ligne sur le site du Centre  INRAE-AgroParisTech de gastronomie moléculaire et physique.

Le sucre glace et l'humidité

 

Un correspondant m'interroge, avec cette question :

"Le sucre glace absorbe l’humidité des autres ingredients pour donner une texture plus tendre et moelleuse (avec sucre glace amylace 3 % amidon) amidon et silice agissent en tant d’anti-agglomerant" [sic]


Ma réponse est : "Oui et non".

Oui le sucre glace absorbe l'humidité facilement, mais non, je n'ai aucune certitude au fait qu'il puisse produire des plates à foncer plus moelleuses.

Commençons par le sucre glace. C'est du sucre qui a été moulu très finement : on peut en produire soi-même soit en mettant du sucre dans une poêle et le l'écrasant à l'aide d'une casserole, soit avec un moulin à café, soit avec un rouleau à pâtisserie...
Dans le sucre glace, les cristaux sont divisés en cristaux beaucoup plus petits.
Dans l'industrie, pour produire un sucre glace qui ne s'agglomère pas, on lui ajoute un anti-agglomérant, ou antimottant.

Mais commençons par voir pourquoi il y a ce problème. Les cristaux de sucre sont des empilements réguliers de molécules toutes identiques que l'on nomme des molécules de saccharose.

Le saccharose est  un composé, c'est-à-dire une catégorie particulière de molécules  : les molécules de saccharose.
Et ces molécules de saccharose ont des propriétés chimiques qui ressemblent à celle de l'eau, parce qu'elles composées notamment de huit atomes d'oxygène lié chacun à un atome d'hydrogène. Or ce groupe de deux atomes, que l'on nomme groupe hydroxyle, est susceptible de se lier à une molécule d'eau, où l'on trouve aussi -notamment- un atome d'hydrogène lié à un atome d'oxygène.

Les "liaisons hydrogène", qui peuvent lier une molécule de saccharose à une molécule d'eau, est pour la raison pour laquelle les molécuels de saccharose peuvent fixer  des molécules d'eau de l'atmosphère, ce qui provoque leur dissolution dans l'eau, vu la petite quantité de cristal (on se souvient qu'is sont très petit).

Ce genre de "déliquescence" se produit notamment pour le sucre  et pour le sel  : par exemple, les marins savent bien qu'il faut mettre des grains de riz dans le sel sur leur bateau, sans quoi on voit la boîte à sel plein d'eau absorbé par les boites à sel des bateaux, car le sel capte l'eau, et s'y dissout.

Pour le sucre, il est probable que, dans les conditions habituelles, la surface des cristaux de sucre est couverte d'une mince pellicule d'eau, invisible évidemment.
Mais cela a des conséquences, à savoir que, quand deux cristaux de sucre sont voisins, alors ils peuvent coller entre eux par les couches d'eau, et former des agglomérats.

Ce qui n'est pas très gênant pour le sucre cristal ou du sucre semoule le devient pour du sucre glace, d'où l'importance des anti-mottants.

Ces derniers sont soit de l'amidon, soit de la silice (du sable parfaitement pur et propre, en quelque sorte). Et, évidemment, les industriels ne déposent que des couches très minces de ces produits, à la surface des cristaux du sucre glace.

Donc oui, finalement, le sucre glace absorbe l'eau de son environnement, et cela d'autant plus que sa surface exposée est grande.
Pourquoi cette surface est-elle grande ? Parce que les cristaux sont petits. Imaginons un cristal de sucre cristal sous forme d'un cube de côté égal à un. L'aire d'une face serait 1x1, soit 1. Et comme un cube a six faces, l'aire qui peut absorber l'eau de l'environnement serait de 6. Si l'on divise le cube en huit cubes plus petits, de côté égal à 1/2, alors la face d'un des petits cube serait de 1/4, donc l'aire d'un petit cube serait de 8 fois 1/4, soit 2, et comme il y a 8 cubes, l'aire totale des surfaces de cube serait de 8x2, soit 16... ce qui est supérieur à l'aire du cube initial. Dans du sucre glace, les cristaux ont moins d'un dixième de millimètre de côté, contre 40 fois plus pour le sucre cristal : cela implique que l'on a divisé, et divisé, et divisé, de sorte que l'on a considérablement augmenté la surface par laquelle une masse donnée de sucre peut capter l'eau !

Mais la question de mon correspondant n'est pas là. Elle est que le sucre cristal ferait (j'utilise un conditionnel) des pâtes plus moelleuses. Est-ce vrai ? Je ne le sais pas, et cela pourra faire l'objet d'un futur séminaire.

Baking soda et bicarbonate

 

Un correspondant me dit :

"L'ajout de baking soda(acide) reagit avec le bicarbonate de soude)". [sic]

 

Qu'en penser ? Que c'est ahurissant... car le baking soda, c'est précisément le bicarbonate de soude !

J'ai déjà souvent considéré les "poudres levantes" dans mes billets, notamment pour dénoncer la dénomination fautive et trompeuse de "levure chimique", et il est vrai que dans certains pays, on utilise du "baking soda", que certains professionnels utilisent du "bicarbonate", et cetera.

La question est la suivante : il s'agit de produire des bulles de dioxyde de carbone quand la préparation sera chauffée. C'est bulles feront gonfler la pâte.

Commençons par l'expérience simple qui consiste à mélanger de du bicarbonate (de sodium) avec de l'acide tartrique. L'acide tartrique est un acide  et le bicarbonate est une base : ces deux composés peuvent réagir... mais pas à sec  : si nous mélangeons les deux poudres, il ne se  passe rien. En revanche, dès que l'on ajoute un peu d'eau, on voit une vive effervescence, signe de la réaction.

L'important, pour les poudre levantes c'est qu'elle soit stables dans la pâte mais que la réaction se fasse lors de la cuisson, et c'est ainsi que les fabricants de poudres levantes ont composé des mélanges bien plus efficaces que notre simple mélange d'acide tartrique et de bicarbonate. Il faut aussi les composés dans les proportions intelligentes c'est-à-dire sans qu'il y ait trop d'acidité qui rendent la préparation impossible à manger. Bref, il y a lieu de faire des poudres levantes "professionnelles", bien faites, qui libèrent autant de gaz que possible et au bon moment.

En tout cas, le bicarbonate ne réagira pas avec le baking soda... car le baking soda, c'est précisément du bicarbonate !

Eviter les "retrecissements" ?

"Comment éviter "les rétrécissements" des pâtes ?", me demande-t-on ?

En réalité, il s'agit moins de rétrécissement que de rétraction, un terme que l'on ne confondra pas avec "rétractation".  La rétractation, c'est ce que fit Galilée sous la menace de l'Inquisition, quand, ayant osé penser que la Terre tourne autour du Soleil et non l'inverse, il fut conduit à abjurer cette cité qui était contraire à l'écriture.

La rétraction, en revanche, le fait de se rétracter, de voir des dimensions se réduire.

Mais rien ne vaut une expérience : commençons par faire une pâte à foncer, avec farine, beurre, un peu d'eau, et abaissons là au rouleau ; immédiatement, avec un emporte-pièce carré, coupons la pâte... en laissant  l'emporte-pièce en place. Après une dizaine de minutes, on verra que la pâte s'est rétractée, à savoir qu'il y a une distance entre la pâte et les bords de l'emporte-pièce.

Cette expérience est est le résultat d'un séminaire de gastronomie moléculaire qui a montré que des repos d'une nuit n'ont aucun intérêt. Non seulement, nous n'avons pas vu d'effet avec un long repos, mais, surtout, nous avons compris que c'est l'abaissement final qui étire le gluten, de sorte que la rétraction intervient ensuite, dans les 20 minutes qui suivent l'abaissement.

Les explications sur la rétractions ? Voir mon livre Les secrets de la casserole. 



Les détails sur les expérimentations du séminaire : voir le compte rendu correspondant.

La décomposition des protéines et des amidons lors du repos d'une pâte ? Je n'y crois pas.

 

Un correspondant me tend la phrase suivant :

"Le repos aiderais aussi a ce que les proteines de la farine et les amidons se decomposent et donc accelerent le processus de brunissement au four pour obtenir une saveur plus prononce." [sic]


Le repos d'une pâte favoriserait la décomposition des protéines et de l'amidon lors de la cuisson ? Je ne sais pas d'où cela peut sortir et je ne crois pas que cela soit vrai, car les protéines (plutôt que "proteine") et les molécules de l'amidon (plutôt que "les amidons") n'ont aucune raison chimique de de décomposer.

Mais, cela dit,  je ne vais certainement pas chercher des explications théoriques à un phénomène auquel je ne crois pas, car  il m'est  trop souvent arrivé de tomber dans le piège de la demande d'explication à des phénomènes qui n'existaient pas,  et l'on se sent bien ridicule quand on fait l'expérience et qu'on voit qu'il n'y a aucun phénomène à interpréter.

Ici, il y a donc lieu, tout d'abord,  d'organiser une expérience correcte, qui consiste à prendre une pâte, à la diviser en deux moitiés, à diviser chaque moitié en 3 ou 4 échantillons, et a commencer par cuire les quatre échantillons d'une même moitié en différents endroits, dans le même four qui aura été préchauffé et réglé à une température bien connue. On enfournera les quatre éléments quand le four aura atteint son équilibre, et l' on cuira pendant un certain temps ; puis on sortira les ingrédients les échantillons du four.  Le lendemain, par exemple, on prendra les quatre autres échantillons et on leur fera subir le même traitement. Puis, on effectuera les tests triangulaire soit pour la couleur soit pour le goût avec chaque fois trois échantillons à raison de deux d'une sorte et un de l'autre sorte, numérotés et donnés à déguster dans un ordre aléatoire ,à plusieurs reprises. On ne demandera qu'une chose aux jurés, à savoir "Pouvez-vous nous dire lesquels sont les deux échantillons du même lot ?".
Et c'est seulement suite que l'on cherchera des explications... s'il y a lieu de le faire !

Pas d'acides dans le sucre

 

Un correspondant soumet à mon analyse la phrase suivante :

"Dans les pâtes à foncer, le bicarbonate bicarbonate de sodium ferait lever la pâte par réaction avec les acides présents dans le sucre."

Comment a-t-on pu inventer cela.... sachant qu'il n'y a pas d'acides dans le sucre ????????

Certes le bicarbonate peut réagir avec des acides pour libérer du dioxyde de carbone  : on le voit simplement en ajoutant du bicarbonate à du vinaigre blanc, lequel, lui, contient bien un acide, à savoir l'acide acétique.

Certes, le bicarbonate peut libérer du dioxyde de carbone,  qui fait éventuellement lever une pâte : d'ailleurs, si l'on chauffe de l'eau avec du bicarbonate, on voit l'eau mousser.

Mais  ce qui est vraiment choquant, ce sont ces prétendus acides qui seraient dans le sucre.
Non,  le sucre ne contient pas d'acides, et d'ailleurs le sucre de table  blanc est une forme quasi pure (plus de 99 pour cent) de saccharose. Disons le différemment : le sucre, ce sont des grains formés par l'empilement régulier des molécules de saccharose.
Autrement dit, il n'y a que des molécules de saccharose, et aucun acide.

D'où vient cette élucubration des acides dans le sucre ?  Décidément je m'étonne sans comprendre.