mercredi 30 août 2023

Le mot espuma est inutile, en français

 Espumas ? Le mot traîne dans les cuisines, pour désigner des mousses. A quoi bon ? 

Le mot "mousse" existe depuis longtemps, en français, ainsi que le mot "écume", dont voici la définition :

Amas de mousse d'apparence blanchâtre plus ou moins impur, qui se forme à la surface d'un liquide agité, chauffé ou en fermentation.

 Pas très appétissant, donc. Le blanc d'oeuf battu en neige ? Une mousse, pas une écume, puisque que ce n'est pas "un amas de mousse d'apparence blanchâtre plus ou moins impur". 

La question est surtout : pourquoi certains cuisiniers se laissent-ils aller à utiliser les termes "écume" ou "espuma" ?  

Du snobisme, pour "jouer à Ferran Adria", pour faire "moléculaire", moderne ? 

De l'ignorance de la langue française ? 

De la routine, parce qu'ils ont été entraînés par des journalistes qui n'ont pas bien fait leur travail ? 

De la négligence ? 

Merci de m'aider à comprendre ! Je sais que, depuis 1901, une partie de l'Education nationale confond fautivement les mousses et les émulsions ; je sais que certains cuisiniers croient que ce qui sort d'un siphon est une émulsion ; je sais que, dans certains cas (la crème chantilly, par exemple), les produits sont à la fois émulsionnés et foisonnés ; mais je sais aussi que notre mauvaise foi naturelle (le propre de l'être humain) nous pousse à croire que la mayonnaise monte parce que l'on y incorporerait de l'air, qu'elle serait foisonnée, ce qui est absolument faux. 

Je sais que... je ne comprends pas pourquoi certains cuisiniers français utilisent le mot "espuma", fautivement. Aidez-moi à rectifier ! Militons activement !

mardi 29 août 2023

Assez de ce terrorisme anti-technologique

 
 Alors que je me prépare à créer un nouveau site, où seront présentées des activités de gastronomie moléculaire, j'avais dans l'idée de faire une "déclaration d'intérêts", notamment parce que, récemment, des journalistes malhonnêtes me faisaient implicitement reproche de "collaborer" avec l'industrie alimentaire. 

Bref, j'avais colligé une liste (incomplète...  parce que je n'ai pas tout comptabilisé) de sociétés avec lesquelles notre laboratoire avait travaillé. Non pas que j'ai reçu de l'argent à titre personnel, mais parce que ces sociétés ont payé les stages d'étudiants, les thèses de doctorants, etc. 

Toutefois la liste est donc incomplète, tout d'abord, et, d'autre part, elle l'est nécessairement, parce que je me demande bien ce qu'est l' "industrie alimentaire" : un cuisinier qui dirige plusieurs restaurants, et a donc plus de 20 employés, est-il plus ou moins industriel qu'un industriel qui a une toute petite usine ? A partir de quand commence l'industrie ? 

Si l'on considère que cela commence dès le stade de la société avec un employé ou plus, alors la majorité des cuisiniers travaillent dans "l'industrie alimentaire" ! Et, alors, le nombre de "sociétés avec lesquelles j'ai travaillé est gigantesque... puisque notre travail a été distribué à tous les cuisiniers de France. 

 

Bref, la question est mal posée.

 

Et, surtout, la question est idiote : au fond, pourquoi avoir honte de travailler avec l'industrie ? Après tout, le fait que l'industrie s'intéresse à nos travaux n'est-il pas la preuve que nos travaux ont un intérêt ? 

Je crois qu'il faut promouvoir vigoureusement, énergétiquement, l'idée qu'un scientifique qui n'a pas d'intérêts déclarés n'a pas la compétence pour être un expert. 

Je rappelle aussi que la science est payée par les contribuables, et que les scientifiques ne sont pas de purs esprits dans un monde immatériel. Ce type de déclaration ne veut pas promouvoir la malhonnêteté, bien au contraire, mais j'en arrive au point essentiel de ce billet : je vais finalement faire une liste de sociétés avec lesquelles notre laboratoire a travaillé... parce que, agent de l'Etat français, fier de l'être, je veux pouvoir montrer à mes concitoyens que nos travaux sont utiles à la collectivité. 

Là, je renvoie à des discussions que j'ai eues publiquement à propos de la science et de la technologie : je ne crois pas que la technologie soit la seule "utilité" des sciences de la nature, mais c'en est une. Vive la technologie, même si ce n'est pas mon activité personnelle (moi, c'est la recherche scientifique) !

lundi 28 août 2023

Très encourageant

Cela dépasse mes espoirs les plus grands ! Il y a quelques jours, j'envoyais urbi et orbi (pardon pour la référence sous jacente) le message suivant : 

Chers Amis
Souvent nos concitoyens (et nous mêmes) ne savent pas exactement la différence  entre une molécule, un composé, un composé chimique, un produit chimique, un produit de synthèse...
J'ai donc expliqué la chose : http://www.dailymotion.com/video/x1r1o5y_qu-est-ce-qu-un-compose_school

 Je savais que ce savoir aurait quelque utilité, mais je reçois aujourd'hui de nombreux messages, tous de la même veine : 

je viens tout juste de voir ta video, et franchement plus que passionnant
un grand merci....

 

On se tromperait si l'on interprétait en termes de prétention l'affichage de ce message sur ce blog. Il s'agit seulement de faire état d'un fait, en vue d'en tirer les conséquences : l'échange précédent est seulement la preuve que le public ignore la chimie, et ne la déteste pas ! 

Nous faisons fausse route, en conséquence, si nous croyons que des idées politiques, par exemple, sous tendent des réactions de la population contre la chimie. Et nous ne faisons pas notre travail si nous omettons de donner des éclaircissements.

Il nous faut donc maintenant nous retrousser les manches. A propos de molécules, mais aussi à propos d'ADN, à propos d'atome...

dimanche 27 août 2023

Les fruits sont-ils naturels ?

 
 Dans la grande discussion des aliments prétendument naturels, il y a la question des fruits : sont-ils naturels ? 

Je signale à  mes amis l'excellent http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-peregrinations-du-pommier-domestique-32854.php, article qui vient de paraître, dans le numéro de mai de Pour la Science : l'évolution du pommier, depuis qu'il est rapporté d'Asie. 

Manifestement les pommes, en tout cas, ne sont pas naturelles !

samedi 26 août 2023

Science et cuisine font-ils bon ménage ? Non, impossible !


 Ce matin, je reçois un commentaire amical, qui mérite une réponse. C'est le suivant :

Science et cuisine font-ils bon ménage? On peut être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments... La cuisine n'est pas une science exacte!

 

Expliquons le titre de ce billet, en commençant par supposer (hypothèse) que mon interlocuteur sous-entend "science de la nature", quand il écrit "science".
Je répète  que, il y a quelques décennies, on parlait de "science du cordonnier", ce qui ne désignait pas une science physique, de la nature, mais un savoir particulier. 

Science de la nature et cuisine font-ils bon ménage ? Non. Et, plus précisément, la réponse est non, mais pour une raison simple : la science de la nature et la cuisine ne peuvent pas faire bon ménage, parce  qu'ils n'ont rien en commun. 

 

Expliquons : la science cherche les mécanismes des phénomènes, et ces phénomènes peuvent être ceux qui surviennent lors des opérations culinaires, mais la science de la nature n'a qu'indifférence pour la cuisine, puisque, une fois le phénomène identifié, elle travaillera en vue de chercher les mécanismes, qui sont en réalité, le plus souvent, de la chimie physique.
Ajoutons que la cuisine, de son côté, n'a que faire de la science de la nature : en quoi ses équations permettront-elles de faire mieux les mets ? 

Concluons : science de la nature et cuisine ne font pas bon ménage, parce qu'elles s'ignorent. Ce sont des champs disciplinaires qui n'ont en commun que ces phénomènes qui ont lieu lors des opérations culinaires. 

Peut-on, ensuite, être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments ? On va dire que je pinaille, mais j'ai expliqué dans un autre billet pourquoi, au contraire, un peu de précision est importante. Pour en arriver au fait, un cuisinier n'utilise pas des aliments : il les produit. 

Cela étant dit, je suppose (hypothèse) que mon interlocuteur voulait demander si l'on pouvait utiliser de mauvais ingrédients ? Il fut alors s'interroger sur ce qu'est un mauvais ingrédient. Si c'est un ingrédient empoisonné, alors la réponse s'impose, bien évidemment. Si c'est une asperge fibreuse, par exemple, ou une viande dure, la question devient bien plus intéressante. La viande dure ? Lors d'un braisage, elle fera un goût bien plus puissant qu'une viande à griller... de sorte que la viande dure n'est pas bonne à griller, mais bonne à braiser. Bref, elle est appropriée à son usage. Pour une asperge ? Il sera plus difficile de trouver une utilisation, mais si l'on cherche bien ? 

Bref, je vous renvoie sur notre débat, podcasté sur le site d'AgroParisTech : qu'est-ce qu'un bon produit ? 

 

Reste à savoir si la cuisine est ou non une science exacte. J'ai tout dit dans mon livre "La cuisine, c'est d'abord de l'amour, ensuite de l'art, enfin de la technique" (Editions O.Jacob).

Vous avez parlé de "charges électriques" : mais de quoi s'agit-il ?



Un pâtissier réagit au podcast que j'ai fait pour l'Académie d'agriculture de France  à propos d'émulsions et d'émulsification :
https://www.youtube.com/watch?v=ANpn7ybeyWE

Ce correspondant me dit qu'il a bien compris ce qu'est l'émulsion, mais qu'il n'a pas compris ce qu'est une charge électrique, ce dont je parle en passant, rapidement, lors du podcast. Et il est vrai que je n'ai pas tellement expliqué cela.

Une charge électrique ? Pour l'expliquer, rien ne vaut l'expérience qui consiste à frotter une règle en plastique contre la manche d'un vêtement, puis à approcher la règle d'un petit morceau de papier posé sur une table : on voit le papier attiré par la règle.

Pourquoi est-il attiré ? S'il se soulève, c'est qu'il y a nécessairement une force qui le tire vers le haut. Mettons nous plusieurs en arrière : décidons de nommer cette force  "une force électrique".
Et ajoutons que, au Palais de la découverte, il y a cette même expérience de la règle, mais avec des forces électriques très fortes : et c'est ainsi que l'on soulève de gros plateaux métalliques, que l'on crée des étincelles, comme de la foudre, que l'on fait se dresser les cheveux sur la tête... Tout cela fut exploré après le 17e siècle.  

Grâce aux études des physiciens, on comprend aujourd'hui que frotter la règle contre la manche arrache de petits objets (pensons à des boules, pour simplifier) que l'on nomme des électrons. Et quand il y a une "décharge électrique", c'est que de nombreux électrons passent d'un corps à un autre : par exemple, des nuages et un paratonnerre.

Il faut ajouter que, dans les corps matériels, qu'il s'agisse d'une règle ou d'un atome, il y a un équilibre (rien ne se passe) quand il y a autant d'électrons (on dit qu'ils sont chargés négativement, avec une quantité de charge électrique égale à un pour un électron) que de charges électriques positives, nommées protons.

Quand on frotte une règle, on arrache des électrons à la règle, pour les faire aller sur le vêtement.
Et les électrons sont toujours attirés par des corps qui manquent d'électrons pour être neutres (autant d'électrons que de protons). Et c'est ainsi qu'une pile est un système qui a deux pôles : un pôle où il y a des électrons en trop, et un pôle où il y a des électrons en mains. Si on relie le pôle avec des extrémités en plus à l'autre pôle, par un fil métallique, alors un "courant électrique" circule dans le fil métallique, ce qui signifie que des électrons parcourent le fil, d'un pôle à l'autre.

L'électricité, le courant électrique qui passe dans les fils qui alimentent nos lampe nos ordinateurs, et cetera c'est la même chose sauf que au lieu de se propager dans l'air, on conduit cette électricité dans des câbles métalliques.

Et ainsi, on sait que l'électricité n'est pas un fluide continu comme l'eau, qui coulerait dans un tuyau, même si la comparaison peut-être utilisée, mais est plutôt faite de petits grains que sont les électrons.

Il y a cela des phénomènes électriques (des échanges d'électrons), dans une foule de phénomènes quotidiens. Par exemple, un cristal de sel est fait de deux sortes d'atomes alternés, empilés régulièrement comme des cubes, à savoir des atomes de chlore et de sodium. Mais ces atomes de chlore et de sodium se sont échangés un électron, à savoir que les atomes de sodium ont perdu tous un électrons, et que les atomes de chlore ont tous gagné un électron. Et de ce fait, les atomes de chlore et de sodium s'attirent, tout comme le papier était attiré par la règle.

Un merveilleux chapitre de la physique !

Plus sur la densité des sirops

 
Alors que je présentais la découverte que j'avais faite il y a quelques décennies déjà, pour bien doser les sirops où l'on conserve les fruits : https://hervethis.blogspot.com/2023/08/des-fruits-au-sirop.html

un pâtissier m'écrit :

Cher Monsieur THIS
A qui le dites-vous ?
Je me bagarre en vain , les enseignants et nos apprenants sont encore au degrés baumé
Ils n’imaginent même pas se passer du pèse sirop…
Aucune notion de « densité » n’est enseigné aux CAP pâtisserie cuisine confiserie… c’est quand même grave….en France…
Excellente journée


Il est exact que mon texte était concis, et j'avais donné la "recette" sans expliquer le phénomène que j'avais utilisé pour la mettre en œuvre. Mon correspondant  me demande d'expliquer le phénomène.

L'idée est la suivante : quand on verse dans un récipient deux liquide de densités différentes, alors le liquide le plus dense va au fond du récipient et  le liquide le moins dense surnage.
C'est le cas de l'huile et de l'eau par exemple.

Ce qui vaut pour deux liquides vaut aussi pour un liquide et un solide : un solide plus dense qu'un liquide tombe au fond du liquide alors qu'un solide moins dense flotte à la surface.
Par exemple une pierre tombe dans un saladier plein d'eau, alors qu'un morceau de bois va flotter.

Il s'agit là de densité et non de poids, ce que je suis obligé d'expliquer régulièrement aux étudiants qui me font l'honneur de vouloir apprendre à mes côtés.
Oui le poids et la densité sont deux choses différentes. Lourd, léger sont des adjectifs qui se rapportent au poids. Mais, pour la densité, il faut dire plus dense, moins dense.

Par exemple, lequel est le plus lourd : un kilogramme de plumes ou un kilogramme de plomb ? Si vous mettez un kilogramme de plumes d'un côté d'une balance à plateau et un kilogramme de plomb de l'autre, vous verrez la balance s'équilibrer parfaitement.
De même pour un litre d'eau et un cube métallique d'un kilogramme, car un litre d'eau pèse un kilogramme, comme le cube métallique. Pour autant, si vous mettez le cube métallique de un kilogramme dans l'eau vous le verrez arriver au fond.

Regardons si nous avons bien compris. Qu'est-ce qui est plus lourd : vos clés ou l'océan Atlantique ? Là, il y a un piège où tombent régulièrement ceux qui ne pensent pas assez aux mots et qui n'ont pas compris que "lourd" est une question de poids, pas de densité.
Et la réponse à la question est que si vous  lâchez vos clés au-dessus de l'océan Atlantique, vous les verrez évidemment tomber au fond de l'océan, car le métal des clés est plus dense que l'eau de l'océan.
Pourtant, les clés sont évidemment moins lourdes que l'océan, comme on le voit en posant les clés à gauche d'un plateau de balance et l'océan tout entier à droite  : évidemment  la balance penche du côté de l'océan.
Il faut donc dire que les clés sont plus denses que l'océan mais que l'océan est plus lourd que les clés. Ou encore que les clés sont plus légères que l'océan, et que l'océan est moins dense que les clés.  

Finalement, on voit bien qu'il y a une différence entre la lourdeur (le poids) et la densité, c'est-à-dire la capacité de tomber ou de flotter.


Passons maintenant aux sirops de sucre.

Les sirops de sucre se font en dissolvant du sucre dans de l'eau, à concurrence d'environ 950 grammes de sucre pour un litre (un kilogramme) d'eau.
Les sirops sont plus denses que l'eau et plus il y a de sucre dissoute dans l'eau plus le sirop est dense.
Un sirop épais, avec beaucoup de sucre dissous, est très dense, et un sirop léger, avec peu de sucre,  est moins dense.
Il y a même une expérience qui consiste à verser un sirop épais dans un récipient, puis  à ajouter doucement de l'eau par-dessus (par exemple, en la versant sur le dos d'une cuiller retournée)  : on voit alors l'eau flotter au-dessus du sirop, surtout si l'on a pris la précaution de colorer le sirop ou de colorer l'eau.
Et c'est ainsi que l'on peut parfaitement maîtriser le nombre de couches dans un cocktail.


Mais revenons maintenant à nos fruits au sirop.

Un fruit, c'est comme de l'eau avec du sucre : on sait bien que les fruits sont sucrés, n'est-ce pas ? Bien sûr, il y a le  noyau mais simplifions la question en l'oubliant.
Si vous mettez un fruit -qui est donc sucré- dans de l'eau pure, vous le verrez tomber au fond de l'eau, puisque sa densité est celle d'une sorte de sirop.
Mais si vous mettez un fruit dans un sirop très épais, qui a une concentration en sucre supérieure à la concentration en sucre du fruit, alors vous verrez le fruit flotter.

Et, donc, pour avoir une densité du sirop exactement égale à celle du fruit, il suffit de mettre le fruit dans un sirop très épais (et l'on voit alors le fruit flotter), puis d'ajouter de l'eau progressivement, ce qui réduit lentement la densité du sirop.
Et quand la densité du sirop est égale à celle du fruit, alors le fruit commence à s'enfoncer et là on ferme les bocaux et on les stocke.