mardi 30 mai 2023

A propos d'enseignement : les MOOC

 Les Massive Open Online Courses sont là, et une partie du système universitaire français s'émeut. Car la concurrence semble devenir rude, les plus grandes universités américaines proposant des cours par centaines, par milliers... Parfois, les cours sont  payants ; parfois ils sont gratuits, et seul le diplôme est payant. Une masse considérable de données est réunie, et pas seulement sous la forme écrite, mais aussi visuelle, sonore, animée... 

 

Le phénomène remettra-t-il en cause la pédagogie de l'enseignement supérieur ? Remettra-t-il en cause l'enseignement supérieur, même ?  L'usage de l'internet rend-il l'étudiant plus actif ? Les enseignants doivent-ils apprendre le théâtre, pour produire des prestations attrayantes ? Faut-il fermer les amphithéâtres ? Et les universités doivent-elles  se transformer en studios de télévision ? 

 

Poser une question n'est pas toujours poser une bonne question, et il on aurait raison de bien regarder le passé, pour ne guère s'émouvoir du présent ou du futur (amusant, ce sont toujours les mêmes qui ont peur). 

Mieux, ne pourrait-on pas profiter des évolutions, quand on a la chance d'en voir, pour faire évoluer les choses du bon côté ? 

Commençons par voir pourquoi rien n'a vraiment changé, et pourquoi les MOOC ne sont peut-être pas l'Innovation que l'on annonce. Pour ce qui concerne les étudiants, cela fait longtemps que certains restent dans leur environnement proche (pour mille raisons, bonnes ou mauvaises), mais que d'autres n'hésitent pas à traverser le monde pour rejoindre les systèmes d'enseignement les plus « réputés », les « professeurs » les plus remarquables. Et l'on a toujours vu,  à côté d'une masse qui « suit les cours », quelques Jean-Marie Lehn, qui dès les années 1960, sèchent les cours pour aller en bibliothèque « produire le cours » à partir d'ouvrages à leur disposition. 

Observons que les cours en ligne ou les livres dans les bibliothèques ne diffèrent guère. Ceux qui suivaient les cours suivront sans doute les cours, et ceux qui voudront aller en « e-bibliothèque » iront, parce qu'ils ont de la curiosité et de l'autonomie. 

Et relisons l'introduction de Richard Feynman, dans ses Cours de physique : « The question, of course, is how well this experiment has succeeded. My own point of view – which however does not seem to be shared by most of the people who worked with the students- is pessimistic. I don’t think I did very well by the students. When I look at the way the majority of the students handled the problems on the examinations, I think that the system is a failure. Of course, my friends point out to me that there were one or two dozens of students who –very surprisingly- understood almost everything in all of the lectures, and who were very active in working with the material and worrying about the many points in an excited and interested way. These people have now, I believe, a first-rate background in physics –and they are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, « The power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy dispositions where it is almost superfluous. » (Gibbons). 

 

D'autre part, du côté des enseignants, il y a toujours eu des enseignants de diverses qualités. Et il y a toujours eu, même sans l'Internet, quelques très grands enseignants, qui attiraient à leurs cours des étudiants de partout, en raison d'une « beauté intellectuelle » très particulière, d'une avancée intellectuelle, de capacités d'acteur qui rendent les cours vivants, que sais-je. Pas de changement, non plus, donc... et l'on doit même s'interroger si l'e-learning ne va pas, au contraire, emplir les salles de cours, au lieu de les vider : les personnalités attirantes attirent ! 

Oh, et puis j'y pense : il y a, certes, beaucoup de vidéos en ligne... mais la question est de connaître leur « qualité » ; le nombre n'est pas tout ! 

 

Surtout la question des relations entre enseignement et communication n'est pas neuve, et l'on aurait lieu de s'interroger mieux sur la différence entre connaissances et compétences. 

 

Les MOOC sont l'occasion de se demander à nouveau quel est le rôle de l' « enseignant », du « professeur », de l' « étudiant » (Michel Eugène Chevreul, âgé de 100 ans, se disait le doyen des étudiants de France). Quelle est la différence entre un article ou une vidéo de vulgarisation, d 'un côté,  et un cours de l'enseignement supérieur, de l'autre ? Et puis, pourquoi sélectionne-t-on les enseignants chercheurs par leur recherche ? Parce que c'est là un moyen, si les enseignants chercheurs enseignent ce qu'ils viennent de produire, de conduire directement les étudiants à la pointe du savoir actuel ? Je crois que les enseignants de l'enseignement supérieur n'ont pas, comme dans l'enseignement secondaire, à tenir la main des étudiants pour aider ces derniers à gravir lentement les pentes du savoir accumulé ; ils ont la mission d'enseigner ce qu'ils produisent, et de proposer une vision unique du bout de connaissance qu'ils ont défriché. 

Profitons de l'arrivée des MOOC pour nous demander s'il est légitime d'accueillir dans des amphithéâtres, pour des cours de physico-chimie, des étudiants qui ignorent le théorème de Gauss, qui trouvent difficilement des primitives de fonction simples, qui croient que les cycles aromatiques comportent des doubles liaisons ? Faut-il vraiment prolonger un interminable enseignement supérieur, ou faut-il plutôt conduire rapidement vers l'autonomie qui doit être celle de la fin du master ? Enfin, l'enseignement universitaire, c'est de la recherche... et ce n'est pas une nouveauté que la recherche scientifique  doit être de qualité, MOOC ou pas !  Par ailleurs, n'oublions pas de faire savoir ce que nous faisons si nous le faisons bien : une belle idée dans un tiroir fermé à clé, ce n'est pas une idée ; c'est rien !

Ma position à propos des "arômes" ?

On m'interroge sur ma position à propos des arômes ? Et ma première réponse, c'est que ce mot est employé par l'industrie alimentaire française de façon confuse, donc possiblement déloyale. 

En effet, en bon français, un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, et c'est ensuite, seulement, que la réglementation a accepté (on n'aurait jamais du laisser faire cela, et il faut changer) de nommer "arômes" des préparations utilisées par l'industrie alimentaire pour donner du goût aux préparations alimentaires. 

 

Il faut changer sans tarder, pour ne pas tromper le public ! 

 

Plus en détail, a position est très simple :


0. les denrées qui font l'objet d'une consommation, ou d'un commerce doivent être saines, loyales et marchandes
 
En découlent des considérations terminologiques

1. un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, sans quoi on gauchit la langue, et on trompe les citoyens (je parle de citoyens, et pas de "consommateurs")

2. un "aromatisant" (mot choisi pour éviter une confusion avec la langue française), c'est une composition de composés odorants (je me refuse absolument à parler de "composés d'arômes", parce que certains ne sont pas dans les plantes aromatiques, cf pyrazine des viandes grillées)

3. un "extrait", c'est... un extrait ; j'ajoute cela parce que je crois que le monde des parfums et aromatisants devraient parler de "compositions et extraits", compositions quand c'est une composition, et extrait quand c'est un extrait ; simple et loyal, non ?

4. un composé odorant, c'est... un composé odorant, à savoir un composé qui est capable d'atteindre les fosses nasales et de stimuler des récepteurs olfactifs

5. je ne connais pas la "flaveur", mais le goût, à savoir la sensation synthétique faite de la saveur, de l'odeur (rétronasale), du trigéminal, etc. (modalité du calcium, modalité des acides gras à longue chaîne insaturés)

6. pour les compositions, il doit y avoir les bons principes de la loi de 1905, à savoir qu'elles doivent être saines, loyales et marchandes

7. pour les extraits, il doivent être sains, loyaux et marchands

8. la question analytique des "impuretés" semble essentielle pour les deux cas

9. et évidemment la question toxicologique est présente à toutes les étapes, et la présence d'un composés toxiques dans un extrait doit être évitée

10. le mot "naturel" est malhonnête, pour toutes les productions humaines (et notamment les extraits) .
Car je rappelle que, en français, est "naturel" ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par un être humain (sinon, c'est "artificiel", mot qui vient de "art")

Simple, non ?


 

lundi 29 mai 2023

Vous avez dit "créativité" ?

 On ne cesse de me parler de « créativité ». Et si c'était simplement du travail, ou la volonté de faire bien ? 

 

Que ce soit en science, en cuisine, dans l'industrie, etc., le mot « créativité » semble être porté aux nues. Il semble que certains soient des êtres supérieurs, parce qu'ils seraient créatifs. Créatifs ? Cela signifie-t-il qu'ils font quelque chose que les autres ne font pas ? Et est-ce si extraordinaire ? Existerait-il des méthodes particulières pour être créatif ? En sciences quantitatives, le simple examen de la méthode scientifique suffit à rendre n'importe qui créatif... à condition de travailler un peu. 

En effet, cette méthode consiste à observer des phénomènes, puis à les quantifier, à réunir les données en lois, puis à chercher les mécanismes des phénomènes, avant de chercher à réfuter expérimentalement les théories ainsi produites, en vue de les améliorer par la répétition des étapes que nous venons de considérer. Examinons-les les unes après les autres. 

Observer un phénomène : rien de difficile, puisqu'il suffit de décrire le monde que nous voyons. Par exemple, cette tasse de café, devant moi : elle est bleue, ébréchée, la dorure de l'anse s'en va, il y a des traces de café sur le bord. 

Ne suffit-il pas de se demander comment colorer une céramique en bleu, comment une ébréchure se forme, ce qu'est le doré, comment on a pu le déposer, pourquoi il est partiellement parti, et qu'est-ce que la matière qui attache aux parois et comment ? Il y aurait déjà de quoi passer une vie sur chaque phénomène. 

Quantifier : ce n'est pas le plus compliqué. Bleu : combien ? Doré : combien est partie ? Adhérer : quelles forces, quelle énergie ? Réunir les données en lois : là, je passe, mais ce n'est pas le plus compliqué non plus, à qui possède une suffisante culture mathématique. 

Chercher les mécanismes correspondant à ces lois ? Ici, c'est de l'induction, et c'est le plus difficile. Là, il y a vraiment lieu d'être malin. 

Créatif ? Réfuter les théories : pas besoin d'être malin, car il suffit de se dire que les théories sont fausses, et de chercher en quoi, de combien. On le voit, la méthode nous porte... 

 

En cuisine ? Oui, on peut « suivre des recettes », mais n'est-ce pas méconnaître la nature de la cuisine ? Quand on sait que la cuisine, c'est de la technique, de l'art, du lien social, on est immédiatement conduit à du sans cesse renouvelé. 

Pour la technique, il suffit de s'y intéresser, avec l'idée de faire autrement, pour faire autrement. 

Pour l'art, il est dans tout sauf la répétition à l'identique. 

Quant au lien social, s'il s'agit de se préoccuper d'autrui, « d'un autrui en particulier », alors il ne peut y avoir de répétition, et il y a nécessairement de la créativité, puisque l'on se demande, à chaque instant, comment lui donner du bonheur. 

 

Dans les lignes qui précèdent, il est vrai que j'ai toujours admis l'idée de faire autrement. Et si cette volonté était première ? Evidemment, il ne suffit pas de claquer des doigts pour faire advenir les choses, et du travail est nécessaire... de sorte que je corrige mon introduction : la créativité, c'est l'état d'esprit de vouloir faire autre chose que ce que l'on fait, plus du travail. N'est-ce pas ?

dimanche 28 mai 2023

Moins de graisse ;-)

 Dans un train, un magazine traînait. Voici le titre de sa 4e de couverture : 

chips-avec-moins-de-graisse

 

Une chips avec 40 % de graisse en moins ? En moins que dans quel produit ? Et puis, si la frite n'est pas frite, pourquoi y aurait-il même un soupçon de matière grasse, alors qu'il n'y en a pas dans la pomme de terre. 

 

Bref, tout cela est bien la preuve qu'une certaine industrie alimentaire prend les citoyens pour des imbéciles. Je souhaite que le prochain chantier politique, en matière alimentaire, porte sur la loyautés des conditionnements.

samedi 27 mai 2023

Et si l'industrie alimentaire innovait comme le prêt à porter ?

 Et si l'industrie alimentaire innovait comme le prêt à  porter ? On a beau regarder  : les aliments produits par l'industrie alimentaire semblent très classiques, et très comparables, selon les marques. Les salons professionnels, d'ailleurs, montrent bien que les innovations dans le domaine alimentaire portent surtout sur le conditionnement, plus que sur les aliments eux-mêmes. Ce sont les éternels cassoulets, choucroute, pizzas, salades de carottes ou de pomme de terre... Je n'ai pas besoin de vous inviter à faire la visite dans un supermarché pour vous convaincre que bien peu de changements ont eu lieu. 

 

Bref, je maintiens que  l'industrie alimentaire innove peu en ce qui concerne le contenu affiché des mets (et si ces mets étaient changés, en dépit ce qui est « affiché », alors ce serait déloyal!). D'ailleurs, l'industrie alimentaire voudrait-elle évoluer qu'elle le pourrait difficilement : nous sommes "biologiquement" collés à l'alimentation que nous avons eu enfant, et les changements de culture alimentaire sont difficiles. 

L'histoire d'Augustin Parmentier le démontre à l'envi : il fallut à la fois une famine et une intelligente stratégie pour déterminer les Français à consommer des pommes de terre. 

Arrêtons-nous à la stratégie : il donna au roi à consommer des pommes de terre, tout comme, plus tard, Auguste Escoffier assura le succès de sa pêche Melba en la nommant d'après une actrice célèbre. 

Dans les deux cas, c'est l'argument d'autorité... qui est largement utilisé par l'industrie de l'habillement, qui parvient, elle, à imposer des styles très variés et parfois quasi imbéciles : cela va de la casquette à l'envers jusqu'au pantalon troué par avance ! Comment l'industrie du vêtement s'y prend-elle ? D'abord, il y a un "artiste", qui dessine des vêtements qui sont réservés à une élite (sur mesure), et souvent portés dans des circonstances (défilés de mode, festivals de cinéma, galas...) qui s'apparentent à la consommation de pomme de terre par le roi ; puis l'argument d'autorité joue, et le public adopte les nouvelles modes, ce qui permet le développement de production en série. 

Observons qu'il s'agit là d'un mécanisme qui correspond pleinement à du "design", lequel est né avec la Révolution industrielle, et la collaboration des artistes à des industries produisant en série. 

 

Pourquoi l'industrie alimentaire ne pourrait-elle fonctionner de même ? 

L'introduction de véritables innovations aurait l'intérêt de la libérer du carcan de la concurrence, qui, depuis quelques années, conduit à une réduction désastreuse des marges bénéficiaires. Se pose alors la question de la collaboration de l'industrie avec les "artistes". 

Là, il faut reconnaître à la pratique culinaire trois composantes : technique, artistique, de lien social. Si l'industrie alimentaire est techniquement compétente, elle est souvent très faible artistiquement, et gagnerait donc à s'adjoindre le concours des meilleurs artistes. Comment y parviendra-t-elle, économiquement ? La pratique des droits d'auteur semble pouvoir être mise en oeuvre, pour le bénéfice commun des artistes et des sociétés qui les emploieront : cette pratique conduit à éviter de gros investissements, et incite les deux parties à oeuvrer de conserve pour assurer le succès de leurs produits.

vendredi 26 mai 2023

Comment apprendre la science ?

 
 Apprendre la science ? 

La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose. 

 

1. La science, mais c'est quoi ? La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie). 

Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science de la nature" (physique, physico-chimie, biologie....). 

C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ».  Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement. 

Apprendre la science de la nature signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit  (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit (2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs []. 

En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie. 

Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ? 

 

2. Apprendre, savoir... Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ? 

Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états. 

Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...). Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois  au minimum... 

Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait  mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de  savoir. 

 

3. Connaissances et compétences Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle  qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des  cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés. Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ? 

 

Et comment ? Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion  de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutée. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence. 

Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir. Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences. 

Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites. Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait. 

 

4. Une proposition Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !

Qu'est-ce que cette innovation dont on rebat les oreilles ?

 
Dans un cours de master que j'ai donné à l'Ecole des Mines, la question de l'innovation m'a été posée, et  comme omnia definitio pericoloso est (toute définition est dangereuse), j'ai répondu en questionnant le mot, en disant que je n'étais pas bien certain de l'acception qu'il fallait lui donner, partagé entre la tentation de désigner ainsi la nouveauté technique et la proposition faite par d'autres de nommer ainsi l'objet qui « réussit ». 

Oui, j'ai bien lu quelque part cette définition : une innovation serait une nouveauté qui réussit. Elle ne me va guère, car qu'est ce que « « réussir » ? S'imposer comme un produit marchand ? A ce compte, on reconnaîtrait au football à la télévision des vertus que je ne vois guère ! 

La notion de réussite me gêne considérablement, car je ne suis pas sûr de partager les critères qui sont proposés. Oublions donc ce mercantilisme un peu bête, et cherchons mieux. 

Un collègue intéressant m'a dit un jour : l'innovation, c'est faire bien, faire mieux, faire autrement, faire autre chose. Pourquoi pas... mais pourquoi ? 

 

Comme souvent, je propose de revenir au mot, à son étymologie, son histoire. Que signifie « innovation » ? S'agirait-il de produire du nouveau ? L''utilisation du formalisme des systèmes dispersés (DSF, voir Hervé This, Formulation and new dishes, Cahiers de Formulation, vol. 16, EDP Science/Société des chimistes français, pp. 5-21. ), comme toute algèbre, conduit à l'introduction d'un nombre infini d'objets nouveaux, de sorte que, manifestement, la production de nouveauté n'a guère d'intérêt non plus. 

Insistons un peu, en fixant les idées par une image. Si nous produisons mécaniquement un nombre infini d'objets nouveaux, si nous les posons devant nous sur la table, la question n'est plus de produire un objet en plus ou en moins, mais plutôt de sélectionner des objets ainsi produits. Lesquels ? Cette fois, des critères (de choix) s'imposent. 

En cuisine, un critère (technique) est le soin, lequel n'a rien à voir avec la nouveauté. 

Un autre critère est le bon, soit le beau à manger, et là encore, mille artistes différents produiront mille représentations personnelles de la Vierge à l'Enfant. 

Un troisième critère est le « je t'aime », et là encore, d'autres choix seront sélectionnés (bien que des recouvrements soient possibles). 

 

Bref, la question se retourne donc vers ceux qui me la posent : quels sont vos critères ? Mes collègues de l'Ecole des Mines, comme moi, hésitent à employer le mot d'innovation, le sachant... miné. Ils parlent de conception. 

Pourquoi pas, mais où s'arrête la conception ? Les parents qui conçoivent l'enfant : que font-ils ? La conception est étymologiquement la représentation par la pensée. Les parents conçoivent l'enfant en le pensant, et ce n'est qu'une conséquence que la réunion de deux semences dont l'union est fructueuse. Dans cette acception, la conception est  un acte formel, qui doit faire l'objet de nos soins, et non une matérialisation qui s'apparenterait à toute la période de la grossesse, à la transformation  de l'ovule fécondée en enfant. Dans cette acception là, il faudrait se préoccuper des règles formelles qui permettent au programme de s'exécuter, en supposant que l'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur le déroulement particulier du programme, n'a pas d'effet. Ce serait dommage de se priver de cette source de variabilité et... d'innovation !