mardi 25 avril 2023

Je viens de passer devant le 16 de la rue Claude Bernard, à Paris.

A cette adresse, il y  a un grand bâtiment en brique, qui était celui de l'Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement, AgroParisTech. A priori rien de particulier ; un bâtiment comme les autres, en brique rouge. Pourtant, à l'intérieur, que de fourmillement intellectuel il y a eu, que de beautés de l'esprit ! 

AgroParisTech, c'est l' « Agro », cette école qui, depuis plus d'un siècle, forme les élèves ingénieurs agronomes, et, plus généralement, les spécialistes des sciences et des technologies du vivant et de l'environnement. 

Le titre ne ment pas : ces élèves sont sélectionnés sur un concours difficile, et ils sont donc parmi les meilleurs. Pendant trois ans, ils suivent ici des cours donnés par des enseignants chercheurs qui, eux-mêmes,  doivent être les meilleurs. Tout y passe, de la physique, de la chimie, de la biologie, mais aussi de l'agronomie, de l'économie... 

On le voit, il y avait donc bien plus que des briques rouges, au 16 de la rue Claude Bernard,  avant que l'école ne parte s'installer à Palaiseau, mais laissez-moi vous dire aussi qu'il y a toute une histoire derrière ces murs. 

Après la guerre de 1870, alors que les engrais s'introduisaient en agriculture, augmentant les rendements, indispensables pour nourrir les populations, le chimiste Charles Adolphe Würtz, de Strasbourg, s'efforça de créer l'Institut national agronomique, qui était l'ancêtre d'AgroParisTech. 

Cette école était donc une école de chimie,  puisque la chimie était la clé des développements agricoles de l'époque. Pour autant, Würtz n'était pas un esprit obtus, et c'est un ensemble pédagogique cohérent qu'il contribua à bâtir : la chimie avait sa place,  mais elle n'était pas isolée. L'institut fut donc créé dans un triangle, au coin de la rue de l'arbalète et de la rue Claude Bernard. 

Ce triangle, auparavant, était occupé par  la faculté de pharmacie, qui avait là ses « simples », les herbes médicinales indispensables à la préparation des remèdes. 

Tout cela pour quelques briques rouges !

lundi 24 avril 2023

Bon pour la santé...

« Bon pour la santé » ? C'est soit de l'ignorance, soit de la malhonnêteté, soit de la mauvaise foi. 

L'ignorance est évidemment... la chose la mieux partagée du monde, et, pour anticiper certains des commentaires qui me sont adressés et que je publie pas quand ils sont outrés ou inutilement désobligeants (j'accepte les critiques polies, toutefois), je dirais volontiers que,  personnellement, je suis dans le lot commun, hélas. J'essaie de me soigner, mais c'est un travail de chaque instant. Bref, on est souvent ignorant, quand on dit « bon pour la santé », parce que rien n'est parfaitement bon pour la santé. Parmentier contribua à sauver la France de la famine avec les pommes de terre, mais celles-ci contiennent des glycoalcaloïdes toxiques. Tous les composés sont toxiques, à des doses variées certes, mais ils sont « toxiques ». 

Pis, on a découvert, avec les SERM, médicaments introduits ces dernières décennies contre le cancer du sein, que les composés bio-actifs pouvaient avoir une action bénéfique sur un tissu, et maléfique sur un autre, car les récepteurs sont variés, et les réactions qu'ils déclenchent n'ont aucune raison d'être toutes souhaitables ; la « panacée » est une vielle lubie. Même l'eau est toxique : que l'on pense au supplice de l'eau, ou aux chocs osmotiques auxquels sont exposés ceux qui boivent de la neige fondue. 

 

Derrière l'ignorance, il y a parfois la malhonnêteté : c'est celle d'un certain commerce prêt à tout pour nous refiler ses produits (qui, selon les cas, sont bons ou non). Et, par les temps qui courent, je vois hélas bien trop de « bon pour la santé » sur les conditionnements alimentaires ! Luttons, luttons sans relâche contre les prétentions fausses. 

 

Enfin, il y a la mauvaise foi. Dans ce cas, il y a un sourire, parfois, de l'humour. Et la mauvaise foi est bien trop complexe pour que je puisse en juger de façon fiable. Certes, il y a la mauvaise foi qui consiste  à dire froidement quelque chose de faux en sachant que c'est faux, mais la mauvaise foi est compliquée, parce que l'on peut être de mauvaise foi en disant quelque chose de juste et en sachant que c'est juste. Pensons à une réunion où l'on doit choisir des candidats : si l'on met le doigt sur une caractéristique éliminatoire d'un des candidats, c'est quelque chose de juste qui est dit... et, pourtant, c'est très hypocrite, de mauvaise foi que l'on dit cela.

dimanche 23 avril 2023

On me dit que la cuisine de synthèse n'est pas de la "vraie" cuisine.

  La "vraie" cuisine ? Qu'est ce ? 

Pour moi, la cuisine, c'est l'activité qui consiste à préparer des aliments. Une pâtisserie n'est déjà plus du légume ou de la viande, mais c'est un "vrai" aliment, non ? Je me demande si l'on ne pourrait pas réinterpréter par référence aux autres arts : que serait la "vraie" musique ? Le chant ? Pourquoi se priver de la flûte et du piano... Que serait la "vraie" peinture ? La vraie sculpture ? Jetterons nous au panier tout l'art abstrait ? Et en littérature, resterons nous aux aèdes grecs ? Et puis, j'aimerais avoir des certitudes !

samedi 22 avril 2023

Des questions, à propos de cuisine de synthèse

Des questions, il peut y en avoir de sciences ou de technologie. 

Aujourd'hui je propose que l'on s'interroge d'abord sur la nature des questions qui sont posées, sur le champ dont elles relèvent. 

 

Partons de de la  cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note", cette cuisine qui, au lieu d'utiliser des fruits, des légumes, des viandes et des poissons, utilise des composés purs. 

Ce billet est une sorte d'introduction à toutes les questions que pose la cuisine note à note. 

 

Puisque les plats de cuisine note à note doivent avoir une consistance, une odeur, une saveur, une couleur, des piquants, des frais, etc., s'imposent une série de questions relatives à chacune de ces modalités. Comment construire les consistances ? Lesquelles viser ? Pourquoi ? Comment construire les  couleurs ? Lesquelles choisir ? Comment construire les saveurs ? Et là encore, lesquelles choisir et pourquoi ? Les piquants, et les frais... 

Supposons maintenant que cette cuisine note à note s'impose  quotidiennement, pour mille  raisons  primordiales, telle  une population croissante dans le monde, une crise de l'énergie, une crise de l'eau. Comment manger quotidiennement note à note. 

Oui, la nutrition  (je veux dire la science de la nutrition, et non pas son application,  pour laquelle on devrait réserver le nom de "diététique") a progressivement appris l'importance des diverses catégories de nutriments, des macronutriments, des  micronutriments, l'importance des vitamines... On se dit donc  que l'on commence à connaître le contenu de ce que l'on doit manger, mais …  est-ce  vrai ? Un être humain qui mangerait tous les jours note à note, exclusivement de la cuisine note à note, serait-il en bonne santé ? en mauvaise santé ? ou en santé améliorée par rapport à l'état actuel ? La  toxicologie  : là encore, il y a beaucoup de faire. Il y a beaucoup de découvrir...  car de nombreux composés  que nous consommons aujourd'hui dans les tissus végétaux ou animaux ont des toxicités connues, avérées, établies (pensons aux hydrocarbures aromatiques polycycliques des viandes grillées, à l'estragole de l'estragon ou du basilic, à l'acrylamide formé lors de la cuisson du pain, etc.). Souvent, les toxicités n'apparaissent pas, ou, du moins, pas considérablement, et l'on peut vraiment se demander quoi manger, pour manger "sainement". 

Il va donc falloir apprendre, progressivement, à répondre à toutes ces questions. Quel bonheur !

Les Hautes Etudes de la Gastronomie

 En juin, les Hautes Etudes de la Gastronomie recevront la promotion 2023, avec une semaine de cours à Paris, puis une semaine à Reims. 

Des professionnels venus du monde entier, pour une nouvelle aventure : comme d'habitude, les enseignants sont sélectionnés sur une compétence unique, un rayonnement international, plutôt que pour "faire cours sur des matières prédéfinies". Cela fait maintenant de nombreuses années que nous restons sur cette belle idée... et les inscriptions nombreuses sont la preuve que cette stratégie n'est pas mauvaise.
Le "coût" ? Il est élevé (quoique... un adjectif appelle la réponse à la question "combien", et, surtout, doit être comparé à d'autres données ; inscriptions sur le site <a href="http://www.heg-gastronomie.com">

vendredi 21 avril 2023

Merveilleux Pierre Duhem !

Traversant le Quartier latin, je passe devant le Collège de France, et, notamment, devant la place Marcellin Berthelot.  

Berthelot ? Ce savant eut tous les honneurs, au point que son décès fut une journée de deuil national qui le conduisit au Panthéon, accompagné de son épouse décédée quelques heures avant lui. 

 

Au fait, qu'a fait Berthelot ? 

 

Enfant, quand j'allais à ce merveilleux Palais de la découverte, on y voyait en fonctionnement l'expérience de ce qui était nommée "oeuf de Berthelot", où l'envoi d'hydrogène entre deux morceaux de graphite reliés par une étincelle électrique, un arc électrique, conduisait à la synthèse de l'acétylène. 

C'était là une expérience éblouissante qui laissait imaginer combien Berthelot avait été un grand savant. 

Toutefois on ne devient pas plus bête si on lit ou si on relit à ce propos  le merveilleux livre de Jean Jacques, qui fut chimiste au Collège de France. Le livre est une biographie de Marcellin Berthelot  sous-titrée « Autopsie d'un mythe » : Jean Jacques, qui était féru d'histoire de la chimie, et compétent puisqu'il avait les pièces originales, "de l'intérieur",  montre très bien combien Berthelot usurpa sa réputation. L'oeuf de Berthelot, en particulier, n'est pas de lui, et beaucoup des travaux dont il s'est vanté avaient des antécédents dont il n'a guère reconnu la paternité. 

Le personnage était prétentieux, et, d'ailleurs, il a fini ministre ! Pensez-vous qu'un Einstein aurait accepté d'être ministre ?  Un Poincaré ? Un Faraday  ? Un Gauss ? Non, mais Berthelot avaient les dents qui rayaient le parquet, et il sut parfaitement construire son mythe. 

Mythe d'ailleurs repris allègrement par la famille,  qui s'enorgueillit d'avoir un ancêtre célèbre. 

 

Ce qui est extraordinaire, c'est que, quand des collègues étrangers viennent à Paris, ils passent  devant cette place Marcellin Berthelot, ils ignorent tout de  Berthelot   dont l'écho  des travaux n'est absolument pas parvenu jusqu'à eux. C'est troublant, n'est-ce pas ? 

En revanche, tous les physico-chimistes du monde connaissent Pierre Duhem, qui, vivant à la même époque que Berthelot, fit des travaux extraordinaires de physico-chimie. 

Pourquoi Duhem est-il si mal connu des Français et Berthelot si encensé ? La réalité est que Marcellin Berthelot fut le chimiste du parti laïc, extraordinairement puissant à son  époque, qui est celle des Jules Ferry, des  Ernest Renan... Chimistes laïc, Berthelot fut promu, reçut les honneurs, les postes,  les responsabilités...  Pierre Duhem, au contraire était extrêmement croyant, et cela lui valut  de ne pas avoir de poste à Paris, d'être envoyé à Bordeaux, qui à l'époque, n'avait pas les conditions scientifiques d'aujourd'hui. Duhem fut « enterré » scientifiquement. 

Je ne dis  pas mon sentiment personnel  sur l'existence éventuelle de Dieu (d'un dieu), mais je dis qu'il y eut une injustice, et dans les deux sens : un excès d'honneur pour l'un, une insuffisance de reconnaissance pour  l'autre. 

Je me limite à constater que, un siècle après ces deux hommes,  le monde est admiratif du travail de Pierre Duhem, et n'a, à l'exception de quelques uns, dont les descendants,  que peu d'admiration pour Berthelot. Je ne cherche pas ici à abaisser Berthelot pour rehausser Duhem, car c'est une attitude que je combats, mais je propose que chacun soit jugé selon ses mérites propres, et non pas selon une réputation entretenue par l'intéressé. Et puis, Berthelot est enterré, n'en parlons plus. 

En revanche, répétons que Pierre Duhem fit une oeuvre scientifique remarquable. Célébrons Pierre Duhem, découvrons son oeuvre de pionnier !

jeudi 20 avril 2023

Enseigner ? Faire cours ?

Alors qu'une nouvelle promotion  du master Erasmus Mundus FIPDes (food innovation and product design) est lancée, il semble important  de donner aux étudiants  une excellente bibliographie. 

 

C'est important pour de nombreuses raisons, mais, en particulier, parce que c'est la condition pour que les étudiants puissent apprendre par eux-mêmes, puissent considérer l'enseignant  comme un soutien et un guide, plutôt que comme un gaveur d'oies, un salaud de patron contre lesquels les bons ouvriers organisent une lutte des classes. 

J'insiste un peu  : ma proposition  est de réformer l'enseignement, en vue  de conduire les étudiants à l'autonomie,  en vue  de les rendre capables d'apprendre par eux-mêmes, sans « maître », sans « professeur », parce que, plus tard, ils n'auront pas ces soutiens. 

Cela a évidemment des conséquences sur l'enseignement lui-même, ses objectifs, et donc ses moyens, ses méthode, ses pratiques... 

La tentation est grande,  même dans cette idée, d'enseigner, au sens de dérouler l'ensemble du cours ;  je crois que nous devons résister,  tout comme nous devons faire attention à des détails. 

Par exemple, les enseignants en viennent souvent à dire  « mes étudiants », alors que ces  étudiants ne leur appartiennent pas. Voilà un symptôme, un symptôme léger certes, mais un symptôme,   une volonté de pouvoir de l'enseignant sur des étudiants. 

Il y a aussi la tentation de "faire cours", dérouler l'ensemble des informations,  mais pourquoi, au fait ? Pour être en position d'étaler son savoir personnel insuffisant ? Pour une sorte de compassion pas toujours bien comprise (on voit que je prends des tas de précautions oratoires, notamment parce que les idiosyncrasies et les généralisations sont des fautes) ? 

 

Bref  l'enseignement des sciences ne semble devoir être rénové... et cela passera en  particulier par l'usage de livres, d'articles, et aussi par usage d'Internet, dont nous disposons aujourd'hui, et qu'il serait une faute de ne pas utiliser. 

D'ailleurs, à ce sujet,  les enseignants feraient bien de se méfier, car les étudiants sont  souvent plus habiles qu'eux, voire plus expérimentés, pour aller dénicher  les informations dont ils ont besoin. 

En revanche, je ne vois pas d'inconvénient (mais dites moi s'il vous plaît si vous en voyez) à ce que les enseignants fassent état de leur admiration  pour certains documents, livres, articles, sites... 

Pour l'enseignement de la  physico-chimie, le livre  de Jacob Israelachvili (Academic Press) m'a été proposé il y a longtemps, comme un remarquable ouvrage, et il est vrai que, à l'époque,  je l'avais beaucoup apprécié, parce qu'il était un peu au-dessus de mes connaissances. 

Le relisant ces jours-ci, je me vois capable d'en  dégager la stratégie,  laquelle est intelligente  : l'auteur montre la voie du calcul de physico-chimie par des ordres de grandeur, montre des méthodologies de calcul, entre peu dans les détails, et donne nombre d'enseignements sous forme d'exercices. 

 

Connaissances et compétences : voilà deux notions que je crois utile de bien distinguer pour l'enseignement, les connaissances étant... des connaissances, alors que les compétences sont la capacité de mettre en oeuvre  les connaissances. 

Dans le cas de ce livre, on n'est guère embarrassé des détails, de sorte que l'on voit mieux les articulations, ce qui est utile pour un enseignement. 

La stratégie de l'auteur n'est pas complètement explicite (sauf avec cette introduction très anglo-saxonne, où l'on se débarrasse d'une explicitation du sommaire), et elle pourrait l'être, ce qui améliorerait encore l'ouvrage. Relisant donc ce livre, je le vois utile, parce qu'il invite à aller chercher par soi-même, et c'est cela qui me plaît le plus.