Décidément, on ne combattra jamais assez, très positivement bien sûr, les phrases du type "je ne suis pas bon en maths".
Ce sont des phrases hélas courantes de la part de certains étudiants, les mêmes qui, en réalité, malgré leurs insuffisances patentes, ne veulent rien changer à leurs façons de faire. Mais que croient-ils : que l'on est bon en maths d'un claquement de doigts ?
Il faut dire et redire que, bon en maths, on le devient, et cela est tout à fait optimiste comme vision, s'opposant au pessimisme d'une sorte de don que l'on aurait ou que l'on n'aurait pas.
Il faut rappeler l'histoire de Démosthène (Athènes, -324/ Calaurie, -322) : l'enfant était bègue, et, pour vaincre son bégaiement, il allait déclamer face à la mer, la bouche pleine de cailloux. Il devint ainsi l'un des plus grands orateurs de la Grèce antique.
Mais cela se trouve dans tous les champs et mon calcul des deux siècles et demi d'avance (pour ceux qui travaillent 95 heures par semaine) permet de comprendre pourquoi après 10 ans de travail assidu des mathématiques (de la classe de Sixième à la Terminale), on est bon en mathématiques.
Raison pour laquelle je n'aime guère le vieux proverbe latin qui dit en substance que ce que la nature ne donne pas, une université ne peut le procurer.
Oublions cette paresseuse nature et ses dons et focalisons-nous plutôt sur le travail que nous faisons, et les résultats que ce travail procure.
Je maintiens que ceux qui passent du temps à l'ouvrage deviennent capables de faire cet ouvrage, et je propose de considérer comme "paresseux" tous ceux qui justifient leurs insuffisances d'une phrase qui leur permet d'éviter de travailler pour obtenir des capacités qu'ils n'avaient pas.
Certes, on m'objectera que nous sommes grands, petits, gros, minces, blonds, bruns, etc. ... mais ceux qui sont petits pourront exceller aux agrès, tandis que les plus grands pourront mieux courir ou sauter à la perche.
Et puis il y a notre goût personnel, dont je propose qu'il soit fondé sur des valeurs, et non pas -à nouveau- sur de la paresse.
En tout cas, quelle que soit l'activité, on n'oubliera pas ce vita brevis, ars longa. On n'oubliera pas que le peintre japonais Hokusai, sur son lit de mort, disait : « Si le ciel m'avait accordé encore dix ans de vie, ou même cinq, j'aurais pu devenir un véritable peintre ».
Et on complètera cela en se souvenant que l'on ne fait bien que ce que l'on aime : enfant, la violoncelliste anglaise Jacqueline Dupré était toute émoustillée de pouvoir passer une audition, alors que ses camarades tremblaient de peur. Elle, au contraire, s'émerveillait de pouvoir jouer !
Et elle jouait, elle jouait, elle ne faisait que jouer, parce que c'est ça qui l'animait.
Si notre activité n'est pas telle que nous en soyons fiévreux, il faut peut-être en changer ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 21 mars 2023
Pas bon en maths ? Travaillons... ou faisons autre chose
lundi 20 mars 2023
Les individus de qualité ont des réactions de qualité
Décidément, on ne dira jamais assez que les gens de qualité ont des réactions de qualité et, inversement, le sutor non supra crepidam est une façon bien petite, que nous devons combattre : pardon aux cordonniers, tout d'abord, mais je maintiens surtout que l'on peut apprendre à être un individu de qualité.
J'en trouve un nouvel exemple à propos des fables de Jean de la Fontaine, dont on sait pertinemment qu'elles se fondent sur un vieux fonds de fables, notamment d'Esope (7e siècle avant notre ère) et du brahmane Pilpay, du 3e siècle avant notre ère.
Mais Ésope écrivait en grec, Pilpay en indien et La fontaine en français ; or le charme des Fables de la Fontaine tient précisément à la langue extraordinairement ciselée de notre bon Jean de la Fontaine.
Il fit à la fois oeuvre de traduction et d'adaptation, tout comme Beaudelaire nous laissa une traduction merveilleuse d'Edgar Poe. Dans ces deux cas, il y a une véritable création, et les qualités littéraires du traducteur font bien plus, ou plutôt différemment, que le texte initial.
Pour Jean de la Fontaine, il n'est pas anodin que ce dernier ait choisi des mots particuliers, et qu'il ait parfois changé le sens des fables par ses choix littéraires, précisément.
Surtout, les résultats sont de petits bijoux. Il faut moins admirer les fables elles-mêmes que la façon dont elles sont dites, dont elles sont presque même chantées, dans cette jolie langue de la Fontaine.
Je propose de ne pas faire partie des roquets qui reprochent à la Fontaine d'avoir repris de vieilles fables (d'autant qu'il ne s'en est pas caché), mais au contraire de prendre cet exemple pour gagner nous-même en qualité : admirons la Fontaine et grandissons en "qualité" !
mardi 14 mars 2023
Vous avez dit "recherche" ?
En sciences, en technologie, en technique, et ailleurs, il y a ce mot « recherche ».
C'est un mot merveilleux, bien sûr : au lieu de se contenter passivement de ce que l'on a, on fait l'effort de l'activité, et l'on cherche, plutôt d'ailleurs qu'on ne recherche, autre chose, sous-entendu quelque chose « de mieux ».
De nombreux métiers sont l'occasion de faire de la recherche, mais, je ne sais pourquoi, les sciences de la nature se sont un peu accaparé ce mot, au point que l'on ne spécifie même plus "recherche scientifique ».
La recherche serait-elle l'apanage de la science, et de la science quantitative en particulier ? Non !
Il y a de la recherche presque partout. La technologie, d'ailleurs, est par définition de la recherche : observons le mot grec logos qui fait le suffixe.
La technologie est la recherche d'améliorations de la technique. Autrement dit, quand les étudiants en sciences de la nature et en technologie déclarent vouloir se diriger vers de la recherche, cela semble bien naturel.
Les techniciens peuvent-ils faire la recherche ? Si le technicien cherche à améliorer la technique, il fait de la technologie, de sorte que la technique semble être condamnée à être exclue du domaine de la recherche.
Pourtant, les techniciens ont parfaitement le droit d'être intelligents, bien évidemment, d'être actifs, de ne pas être des machines. Confucius disait d'ailleurs que l'homme n'est pas un ustensile ; contrairement à une cruche, il n'a pas une seule fonction, mais plusieurs.
Autrement dit, la technique n'a pas d'intersection avec la recherche, mais les techniciens peuvent faire autant de recherche qu'ils veulent (d'ailleurs, ne peut-on être technicien ET musicien, scientifique ET potier, etc.)
Pour les sciences de la nature, le problème est inverse, d'ailleurs pour la technologie aussi.
Cette fois, c'est une sorte de pléonasme que de parler de recherche scientifique ou de recherche technologique, puisque les sciences quantitatives sont par définition une recherche, la technologie aussi.
A ce sujet, il me faut répéter ici qu'un pléonasme n'est pas une faute, ou une erreur ; c'est une répétition voulue, contrairement à la périssologie, qui, elle, est un pléonasme fautif. Descendre en bas, monter en haut, une obscurité bien sombre... Il y a là du pléonasme, qui, si l'on est négligent en parlant ou en écrivant devient une périssologie, mais le poète peut en faire des éléments de la beauté.
Vive la recherche !
lundi 13 mars 2023
Le pain "sec" ne l'est pas toujours
Pour évoquer le pain, commençons par le commencement, à savoir la farine : elle contient des grains d'amidon et des protéines, comme on peut s'en apercevoir par l'expérience de "lixiviation" qui fut introduite à Strasbourg à la fin du 18e siècle par Johannes Kesselmeyer.
Cette expérience consiste à prendre de la farine, à ajouter un peu d'eau et à malaxer pour faire une boule de pâte. Quand ce pâton est bien dur, on le plonge dans un grand récipient plein d'eau claire et l'on malaxe doucement : il en sort une poudre blanche, tandis qu'il reste entre les doigts une matière élastique jaunâtre.
Cette poudre blanche qui sédimente, ce sont des grains d'amidon. Quant au réseau élastique, c'est ce que l'on a nommé le gluten, et qui est composé de deux protéines deux sortes de protéines, les gliadines et les glutamines.
Pour discuter la question du pain qui rassit, c'est à l'amidon qu'il faut s'intéresser.
Les grains d'amidons, petits grains insolubles dans l'eau, de forme ellipsoïdale, sont des couches concentriques de molécules que sont les amyloses et les amylopectines.
Les amyloses sont des polymères linéaires du D-glucose, tandis que les amylopectines sont des polymères ramifiés de ce même D-glucose.
Quand on cuit du pain, les grains d'amidon absorbent de l'eau, tandis qu'ils libèrent de l'amylose, et cela forme un gel : c'est la mie, souple, à l'intérieur de la croûte, plus dure, qui, comme l'exosquelette d'un insecte, donne sa tenue au pain.
Le pain qui rassit est moins un séchage qu'un phénomène nommé rétrogradation de l'amidon, et qui correspond à la réassociation des molécules d'amylose, leur cristallisation, ce qui exclut l'eau... qui reste dans le pain, mais sans jouer son rôle d'assouplissant.
Si l'on chauffe du pain rassis, des molécules d'amylose réassociées peuvent à nouveau se séparer, en réabsorbant l'eau, et le pain peut redevenir plus mou.
Le même phénomène peut s'observer quand on fait une sauce blanche, puis qu'on la met au réfrigérateur : la recristallisation s'accompagne d'un phénomène de "synérèse", avec de l'eau qui suinte à la surface.
Mais pour en revenir au pain, quand l'eau disparaît vraiment du pain, le rassissement devient irréversible.
La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public :
Un billet sur :
samedi 11 mars 2023
De la pâtisserie et de la "chimie"
On m'interroge sur la chimie "cachée" derrière la pâtisserie et je réponds que la chimie n'est pas "cachée", mot qui a une connotation négative
Disons que la gastronomie moléculaire (une branche de la chimie) a été introduite, pour explorer les techniques et art du goût, notamment la pâtisserie. Et que les connaissances produites éclairent les phénomènes.
Mon interlocuteur veut comprendre et expliquer la chimie qui intervient dans la fabrication et la cuisson de certaines pâtisseries : je propose de dire plutôt "comprendre et expliquer les phénomènes qui interviennent lors de la confection de pâtisseries".
Pour le brunissement, qui est un phénomène qui l'intéresse, il y en a plusieurs sortes, décrites dans mon livre "Mon histoire de cuisine".
Et les "réactions de Maillard", qui provoquent effectivement du brunissement, ne doivent plus être nommées ainsi ; ce sont des réactions de glycation.
Oui, il y a des réactions de glycation en pâtisserie, chaque fois que l'on chauffe des sucres et des acides aminés ou des protéines. Mais attention : souvent, les brunissements sont dus plutôt à des caramélisations ou à des pyrolyses.
Des documents "publics" à ce sujet ? J'en produis tellement que je ne parviens plus à savoir. Avez vous tapé "Maillard" ou "glycation" sur mes blogs ?
Timothée Goujard
vendredi 10 mars 2023
Il faut justifier ses dires, ou être capable de le faire.
Je fais ce billet parce que cela fait quelques plusieurs fois en quelques jours que des correspondants me soumettent des récits sans justification et que je vois ainsi des personnes qui sont extérieures à la production de connaissance et qui délivrent des informations douteuses (ou manifestement fausse), et cela sans référence.
Par exemple, un de mes correspondants me signale qu' "un chimiste, vers 1930, aurait découvert la molécule qui fait synthétiser le récepteur de l'amertume des légumes" (je le dis tout de suite : la phrase est insensée !).
On passera sur la confusion entre la "molécule" et le composé", mais on aura lieu de s'étonner... parce que la physiologie humaine est si évoluée qu'il est vraiment très incertain (et en réalité faux) qu'un composé (plutôt qu'une seule molécule) puisse faire synthétiser un récepteur à l'organisme humain, car, en réalité, c'est l'ADN qui fait synthétiser les récepteurs que sont les protéines.
D'autre part, l'expression "le récepteur de l'amertume des légumes" est faux, et je renvoie à de nombreux articles que j'ai écrits pour expliquer qu'il n'y a pas une amertume, mais des amertumes, et donc plusieurs des amertumes. Voir, par exemple, mon livre Casseroles et éprouvettes où j'ai rapporté les résultats d'études de marquage fluorescent des calcium pour détecter de tels récepteurs.
Bref, l'expression que mon interlocuteur n'a pas de sens, et elle conduit à douter de la phrase où elle se trouve et plus généralement du texte où se trouve cette phrase.
Bref, je doute de toute l'information qui m'est envoyée, dans ma réponse à mon interlocuteur, je commence par lui conseiller de bien citer ses sources.
J'ai en arrière-pensée le fait que, dans nombre de mes billets de blog ou de mes articles de vulgarisation scientifique je ne cite pas moi-même mes sources... Mais cela ne signifie pas que je ne les ai pas. Au contraire !
D'ailleurs, souvent, dans mes conférences, la deuxième diapositive que je présente indique mon adresse email, et je discute le fait que, pour ne pas encombrer mes présentations, je ne cite pas mes sources mais que je les tiens à la disposition de toute personne qui me les demandera.
Tout ce que je dis, tout ce que j'écris, se fonde sur des références. Et des références primaires : je cite ceux qui ont établi les faits. Pas des sources secondaires, dont il y a lieu de douter.
Chaque fait que je délivre doit être fondé sur une référence solide qui établit le fait.
D'ailleurs, dans mes articles scientifiques, toutes les personnes qui ont publié avec toi pourront témoigner du fait que je réclame "une phrase = une référence ou plus ».
Oui, tout ce qui est écrit dans un article scientifique doit être sourcé, référencé, et avec des règles très particulières que j'ai exprimées dans des nombreux billets et texte sur les bonnes pratiques en sciences.
Je sais qu'il y a des groupes humains où des adultes sont poussés à s'améliorer, notamment par la production de textes sur des sujets qu'ils choisissent, réalisant ainsi ce que l'on pourrait nommer des mémoires, mais la qualité de ses textes ne peut se limiter au bon usage de l'orthographe, de la grammaire, voire de la rhétorique : il y a surtout lieu de bien considérer que la formation doit conduire celui qui s'exprime a bien référencer ses assertions, à chercher de telles références, à les comprendre, à les lire in extenso, mieux même à les évaluer, car si l'on cite une référence médiocre sans la critique, alors on en endosse la médiocrité.
La question des références est absolument essentielle en sciences, et l'on ne répétera jamais assez que cela doit concerner des références primaires : on ne doit pas citer un auteur qui cite un auteur qui, etc. Car citer un auteur, cela signifie lire que cet auteur a publié, et s'assurer qu'il a correctement établi le fait que l'on citera !
Parfois, on peut hésiter, car on a le sentiment que plusieurs auteurs doivent être cités.
Par exemple, si une méthode d'analyse a été mise au point par le chercheur A, et que le chercheur B a utilisé cette méthode pour obtenir un résultat d'analyse particulier, alors on citer à la fois B, pour le fait établi, mais aussi A, parce que c'est sous sa plume que se trouve la méthode d'analyse, qui doit être bonne.
Ce que je viens de dire là n'est pas anodin, car la science demande des "moyens de la preuve", à savoir comment un résultat a été établi et si l'équipe A a cité l'équipe a pour la méthode qu'elle a mise en œuvre, alors il devient obligatoire de citer A ainsi que B.
J'en profite aussi pour signaler que nous n'avons pas le droit de choisir entre plusieurs publications que l'on cite. Il y en a une qui a établi le fait : c'est celle-là qui doit être citée et nul autre, même si nous avons des amis que nous à qui nous voudrions faire plaisir les citant, même si un article de synthèse nous a mis sur la piste de l'établissement du fait.