mardi 24 janvier 2023

 Une émulsion ? Non, une mousse !!!!!



Il y a un débat sur Twitter, parce que j'ai dénoncé les appellations fautives de "pâté en croûte" ou de "pâté croûte" (on doit parler plus justement de "pâté froid"), tout comme la confusion de terrine de campagne et de pâté de campagne, par exemple.

Il y a pourtant des idées simples : un pâté, c'est dans une pâte, tandis qu'une terrine est cuite dans un récipient qui est nommé terrine, en terre.

Voilà donc quelque chose de tout simple, de très juste, et qui a le mérite, de surcroît, ne pas prononcer des absurdités, de ne pas confondre  le tournevis avec le marteau.

 

Mais c'est quelque chose que j'ai déjà souvent expliqué. Aujourd'hui je fais ce billet, parce que, la semaine dernière encore, un serveur m'a soutenu que ce qu'il me mettait dans l'assiette était une "émulsion", alors qu'il s'agissait d'une mousse.
Pourtant, les mots mousse et émulsion ne sont pas d'abord des mots culinaires, mais des mots venus de la pharmacie et de la chimie, voire de la physique. Leur définition est universelle... et connu même des enfants au moins pour les mousses : quand on agite l'eau du bain avec du savon, on obtient une mousse.

De fait,  dans mon assiette, il y avait des bulles parfaitement visibles dans un liquide, et il s'agissait donc d'une mousse, un point c'est tout.
Le serveur, lui, sans doute mandaté par le cuisinier qui faisait également la confusion, m'a annoncé une émulsion, c'est-à-dire un système physico-chimique très différent de la mousse, puisque constitué de gouttelettes de matière grasse dispersées dans un liquide aqueux.
Le prototype culinaire de l'émulsion, cest la mayonnaise, mais il y a également des sauces émulsionnées, tel les béarnaises, hollandaise, et cetera.

Résumons. Une mousse : c'est un système aérien, parfois diaphane, fait d'un gaz dans un liquide. Une émulsion : une matière grasse liquide dans un liquide aqueux. Ce n'est quand même pas difficile de faire la différence et de parler correctement, non ?

En réalité, je crois qu'il y a à la fois de l'ignorance, de la paresse ou du snobisme derrière l'utilisation du mot émulsion à la place du mot mousse : j'ai d'ailleurs déjà entendu des maîtres d'hôtel me dire que dire émulsion, c'était plus flatteur que de dire mousse. Ah bon ?

J'ai aussi entendu dire qu'il y avait une confusion possible entre la mousse, dispersion de bulles d'air dans un liquide, et les mousses de poisson, par exemple, où il y a de la crème fouettée mêlée à de la chair broyée. Mais est-ce une vraie raison pour nommer marteau un tournevis, chat un chien, casserole une araignée, écumoire une louche ?

Je maintiens absolument que les mots vont de pair avec la pensée et que quelqu'un qui dit les mauvais mots pense mal.

J'interprète aussi, dans l'épisode récent, que le jeune serveur avait été missionné par le chef... qui faisait lui-même la confusion.

Et j'ai tracé l'origine de cette faute, de cette confusion, à des erreurs enseignées par l'Education nationale au début du 20e siècle (elle s'est corrigée, depuis, notamment avec ma contribution, mais, aussi, avec celle de nombreux inspecteurs, professeurs...). D'ailleurs, j'en veux beaucoup aux auteurs du Guide culinaire qui, avec une immense autorité, ont été à l'origine de la confusion. et pas seulement de celle des mousses et des émulsions mais de bien d'autres !

Pour moi qui ai comme valeur la bonté et la droiture, pour moi qui cherche à aider mes amis et moi-même à grandir, tout ce qui peut nous rabaisser me paraît honteux, insupportable, et c'est la raison pour laquelle je cherche non seulement à faire utiliser des terminologies appropriées, avec lesquelles on pourra cuisiner mieux, mais aussi à conduire la profession à s'interroger collectivement sur la transmission, l'enseignement.

Oui, je suis resté un enfant tout à fait scandalisé par les mauvais professeurs, par les professeurs paresseux,  par les professeurs méchants... et, a contrario, j'ai un immense respect, une immense admiration, une immense reconnaissance pour les professeurs qui ont su dépasser les fautes qu'il faisaient eux-mêmes grâce à du travail effectué en vue de me faire grandir.

Je crois que toute personne qui a la responsabilité de guides des collègues plus jeunes, des enfants, des adolescent, des étudiants, devrait a minima chercher à éviter des transmissions pourries.

Plus positivement, j'invite tous mes amis à contribuer au Glossaire des métiers du goût (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire), car il distribuera une information juste et référencée.

J'insiste sur le référencée, car cela est absent des livres de cuisine alors que c'est un minimum que l'on puisse justifier des connaissances que l'on transmet, n'est-ce pas ? C'est une essentielle question de confiance.

A propos de risotto

 Aujourd'hui, des questions à propos de risotto, et la réponse est ici : https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/on-minterroge-a-propos-de-risotto/

La nutrition ? La diététique ?


Pour ceux qui s'intéressent à la diététique et à la nutrition

Diététique, Vialatte (269, Chronique des nourritures terrestres, 18 mars 1958


La civilisation nous crée bien des soucis. Par exemple la diététique. On ne sait plus ce qu'il faut manger. Des gens qui habitent en plein marché, au-dessus du charcutier, à côté du boucher, entre le "primeurs" et le boulanger, s'interrogent avec angoisse : que vont-ils mettre sur leur table ? Autrefois on avait de la chance, les gens n'étaient pas difficiles : il se contentaient du meilleur. Un petit gigot pommes boulangère, une belle cuisse d'oie réunissaient tous les suffrages. Nous avons changé tout cela. D'abord avec les vitamines. Il fallait manger des vitamines. Il fallait manger des vitamines. Et que faisait le monde -folie !-depuis cent mille ans ? Il jetait toutes  vitamines ! Ainsi ne se nourrissait-il pas. Il mangeait, peut-être ; à la rigueur ; si l'on peut dire ; concédons qu'il mangeait, il ne s'alimentait pas. Tant de patriarches joufflus, de vieillards immoraux, de centenaires illustres avaient fait illusion à des esprits légers. Ils vieillissaient par de mauvaises méthodes. Mathusalem avait triché. La vérité c'était la vitamine. Elle se trouvait, assuraient les savants, entre la pulpe et la pelure, dans cette partie insaisissable du légume, cette pellicule infime, ce sanctuaire dermique qu'on lui arrache en épluchant.  Le plus sûr était donc de manger l'épluchure. Et le reste était bon pour les Boches. Ainsi nous l'expliquait l'Allemand. On prouva même qu'en pressant les poubelles on parvenait à en extraire une espèce d'huile particulièrement nourrissante, fluide, conforme aux besoins du corps, aux exigences de la salade et aux rêves des gastronomes. La vérité était dans la poubelle cette huile idéale non la vérité était dans la poubelle. Dans l'épluchure et la poubelle. Et on eût en effet certainement extrait de la poubelle cette huile idéale qu'ils disaient, s'il y avait eu la moindre chose dans les poubelles. Malheureusement, il n'y avait rien dans les poubelles ; puisqu'on  mangeait les épluchures. Je le regrette encore. Tant pis, j'avais bien faim. Mais peut-être des guerres meilleures nous permettront-elles de faire mieux.
Ensuite il y eut les calories. Il fallut les manger. C'était un cauchemar de comptable. Une banane valait trois biftecks. On pouvait remplacer le gigot par la moitié d'un morceau de sucre de betterave, et un banquet de poètes folkloriques par un verre d'huile de foie de morue additionnée de deux caramels mous. Ce fut une terrible arithmétique. On vit des intrépides remplacer trois jus de fruits par une tête de cochon et un repas de funérailles. Les imprudents ! C'était dix litres de vin de trop ! On inventa le régime amincissant qui permettait de manger davantage en se nourrissant moins ; on se mit à maigrir en faisant du repas de noces ; on engraissa en cessant de manger ; on parla de métabolisme ; on fit avouer à l'estomac humain tout l'abîme de ses paradoxes ; on procéda à des études comparées ; on mesura le buste des Anglaises ; on le trouva moins gras dans les classes qui transpirent et plus gras dans les classes qui mangent ; plus flasque dans les classes qui boivent ; on en fit des graphiques ; on en tira des leçons ; on vient de mettre au point dans les laboratoires une méthode révolutionnaire : elle permet d'engraisser en mangeant davantage. Déconcertés d'abord par une innovation qui avait surtout l'air d'un remède de bonne femme, les savants ont finit par se rendre à l'évidence : il paraît bien que l'homme engraisse en dévorant. Ce scandale a été mal vu. Des mesures ont été décidées :  il faut manger sans boire ; il faut boire sans manger ; il faut se reposer en mangeant ; il faut boire en se reposant ; il faut manger de tout , il ne faut manger de rien ; un syndicat a décidé qu'il fallait boire : et se reposer entre-temps. L'appétit a paru suspect. Car la dernière école, sur une page de journal, nous apprend les nouveaux systèmes : il se confirmerait que l'homme est omnivore, il paraît qu'il peut manger de tout. Que c'est son droit ; que c'est même son devoir. Que ses dents le prouvent. Qu'il doit donc manger de tout. Mais peu. Par conséquent se couper l'appétit. En  mâchouillant de petites saletés avant les repas ; je ne sais quels brimborions conservés dans des boîtes qu'on trouverait, paraît-il, dans le commerce aisé. La vérité c'est de manquer d'appétit. Il faut manger sans appétit. Peut-être aussi travailler son goût, boire son soif, dormir sans sommeil et n'épouser qu'une mégère repoussante. Tel est le dernier cri de la science diététique :
l'homme doit cesser de manger à jeun.

dimanche 22 janvier 2023

Que faire avec du foie gras ? Ce que l'on veut !

Que faire avec du foie gras ? Ce que l'on veut ! 

 

Pour la cuisine,  le foie gras doit être considéré comme un ingrédient, qu'il s'agit de transformer, peu ou prou. 
 

A minima, on le divise physiquement en tranches, en lames, en lamelles, en bâtonnets, en filaments, en cubes et cetera.
Mais on peut aussi l'utiliser dans des combinaisons variées, du point de vue physico-chimique :  par exemple pour faire une pâte, une suspension, une émulsion, une mousse... 

 

Et là, il est associé à d'autres ingrédients qui sont essentiellement des tissus animaux végétaux, ou des produits extraits de ces derniers, telle l'huile, le beurre, le sucre, et cetera. 

 

Lors des assemblages, ou, mieux, lors des constructions, il faut considérer des questions de consistance, de couleur, de saveurs, d'odeur, de sensations trigeminales (piquants, frais), de température... Et tout est possible. 

Il faut répéter qu'il n'y a pas d'alliances prédéterminées et que, en matière de cuisine, le bon, c'est le beau à manger. De sorte que la question des appariements est en réalité une question artistique et l'on n'aura pas la naïveté de croire qu'il existe des accords prédestinés. 

Comme dans les autres arts ! Jean-Sébastien Bach a été un de ceux qui ont bien compris que l'on pouvait faire ce que l'on voulait à condition de le faire bien et c'est ainsi qu'il a fondé des œuvres sur l'association du do et du fa dièse, ce qui était jadis considéré comme effroyable, impossible.
L'histoire de l'art, et cette branche de la philosophie qui est nommée esthétique, montrent bien que les évolutions artistiques ont été constantes et que ce qui était considéré comme épouvantable à une époque donnée a pu être considéré comme très beau, voire "classique", des années plus tard. 

 

Pour le foie gras, n'oublions pas cette leçon et pensons à combiner le foie gras comme nous le voulons. Pensons à l'associer à du beurre, à de la pâte feuilletée, à de la manque, à du vinaigre balsamique, à des huîtres, à de la purée de framboise, et pourquoi pas à du roquefort, du camembert. 

 

Mais n'oublions pas  cette composante essentielle de la cuisine qui est le lien social : pour certains, les associations nouvelles seront refusées et on leur fera pas plaisir si on insiste pour les leur faire manger. Ils diront que ce n'est pas bon, ce qui est injuste puisque c'est seulement ce qu'ils n'aiment pas. Toutefois, sii notre objectif est de faire qu'ils disent que c'est bon, alors il faudra acclimater ces associations et je prends pour exemple les premiers travaux sur le chocolat où l'on a voulu faire par exemple chocolat et fenouil :  au début, quand la quantité de fenouil était importante et que la nouveauté était grande,  on entendait les amateurs de chocolat dire que ce n'était pas bon. Mais on a appris progressivement à réduire la quantité de fenouil de telle façon qu'on en était réduit à le deviner... et les classiques se sont mis à aimer, à apprécier le travail qui était réalisé en utilisant d'ailleurs des mots de très mauvaise foi comme équilibré, subtil, etc. En réalité, on les avait préservés, on les avait choyés, on était allé dans leur sens, on avait évité de les brusquer. 

Mais en réalité tout est possible et c'est à nous d'avoir l'intelligence de faire que ce soit considéré comme bon par un mangeur particulier avec ses goûts particuliers, ses possibilités gourmandes particulières. 



Finalement existe-t-il des accords ? La réponse est donnée et oui, aujourd'hui, il est bon ton de faire une gelée de gewurztraminer, une compote d'oignons, une confiture de cassis... Un peu plus moderne, on n'oubliera pas la fine tarte feuilletée champignons de Paris et foie gras que Pascal Barbot a comme place signature, servi avec un petit condiment au citron. 

Mais bien plus généralement, on a compris que tout est possible et c'est une autre question qui se pose, à savoir la construction exacte qui est proposée  : comment le foie gras doit-il être intégré dans la préparation ? Comment veut-on le faire sentir ? Une question essentielle de "construction". 

 

Pour terminer je propose de ne pas oublier mes inventions (anciennes !) que sont l'émulsion de foie gras, où l'on chauffe légèrement du foie gras dans une solution aqueuse qui peut être du vin, un bouillon, etc. Ou encore le foie gras chantilly, qui est une mousse que l'on obtient en fouettant une telle émulsion tandis qu'on la refroidit :  on obtient comme une crème chantilly mais  la graisse du foie gras tient lieu de matière grasse laitière.
On pensera aussi à bien d'autres possibilités que j'ai introduites, car au fond, le foie gras, c'est aussi une matière grasse avec quelques molécules qui lui donnent sa saveur et son goût particulier, que l'on voudra associer dans différents contextes. Une question artistique !

mercredi 18 janvier 2023

Les frites : j'en ai parlé souvent, mais j'y reviens

Comment les frites cuisent-elles ? 


Avant de répondre, je propose de réfléchir et de distinguer un savoir opératif et un savoir spéculiatif. 

Dit autrement, il y a

1.  la question  de comprendre comment les frites cuisent, d'une part, 

2.  la question de faire de meilleures frites en utilisant cette compréhension des mécanismes de la cuisson. 

 

Soyons pratiques : partons d'une pomme de terre, puisque les pommes de terre frites sont faites de cet ingrédient.
Toutefois, dès ce stade, reconnaissons des possibilités d'innovation : s'il est stipulé que l'on frit des pommes de terre, dans cette occurrence, c'est aussi une façon d'admettre que l'on pourrait frire autre chose que des pommes de terre (carottes, panais, topinambours, croquettes...).

Mais ne nous égarons pas. Nous commencerons par peler la pomme de terre, parce que les pommes de terre sont des plantes de la famille des Solanacées, qui contiennent des alcaloïdes toxiques. Ces composés, qui ont pour nom chaconine, solanine, etc., se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la surface, de sorte qu'ils peuvent être enlevés à l'aide d'un économe.
Ils doivent, même,  être enlevés, car ils sont toxiques, et résistent à des température atteignant 285°C, ce qui est bien supérieur aux 180°C des fritures. Evidemment avec de la mauvaise foi, chacun trouvera une raison de justifier des pratiques personnelles selon lesquelles la peau des pommes de terre ne serait pas enlevée : cela ferait un petit croustillant, il n'y aurait plus alcaloïdes dans les pommes de terre modernes, ces alcaloïdes ne seraient pas si dangereux, et ainsi de suite.  Chacun fera comme il l'entend, mais moi, pour garder ma famille en bonne santé et pour me prémunir personnellement contre la toxicité des alcaloïdes des pommes de terre, je préfère peler les pommes de terre que je cuisine.

La pomme de terre étant pelée, il faut maintenant la couper en bâtonnets, ce qui ne semble pas difficile, et ne l'est guère, en pratique. 

 

Mais à l'heure où le matériel se perfectionne, se pose la question du  choix de ce matériel : couteau, ou machine ?
Lors d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons découvert que la question n'est pas superflue : en bouche, on reconnaît parfaitement la différence entre des frites différemment coupées… et la majorité d'entre nous préfèrent les frites coupées à la main, au couteau, parce qu'elles sont plus différentes les unes des autres ; il y a plus de variétés.
En effet, quand on  coupe au couteau, on fait généralement des bâtonnets de toutes les tailles, formes... De petits, de gros, de sorte que, après la friture, il y a de petites frites très croustillantes, brunes, colorées, avec beaucoup de goût, et de grosses frites plus blondes et plus  molles... Or le cerveau humain, branché sur nos systèmes sensoriels, est conçu pour reconnaître des contrastes. Des frites au couteau sont plus contrastées que des frites à la machine. Je n'ai pas  écrit « meilleures », parce que tous les goûts sont dans la nature, et que l'on me  trouvera bien quelqu'un qui préférerait les frites coupées à la machine, mais quand même.

Les bâtonnets sont taillés. Pardonnez-moi de ne pas discuter du lavage et du séchage : je veux arriver rapidement (;-)) à l'opération de friture. D'ailleurs, à l'heure où beaucoup d'entre nous ont des friteuses, pré-réglées sur la température de 180 degrés, je ne discute pas d'emblée la question du choix des températures.
Posons un bâtonnet de pomme de terre dans l'huile : on voit des bulles partir de la surface, avant que ce régime d'ébullition ne ralentisse et que, progressivement, on obtienne le résultat suivant : une croûte croustillante, un peu blonde, avec du goût, qui enferme une sorte de purée.
Pourquoi ce résultat ? Là, nous passons au spéculatif. D'abord, on a intérêt à savoir que le tissu végétal qui constitue les pommes de terre est fait de « cellules » jointives, petits sacs collés entre eux  et qui sont plein d'eau, avec de petits grains d' « amidon », à l'intérieur des cellules. A la surface des bâtonnets placés dans l'huile, la forte chaleur provoque l'évaporation de l'eau, ce qui fait des bulles de vapeur, et, mieux, ce qui expulse vigoureusement ces bulles. Un ordre de grandeur important à retenir, en cuisine, est le suivant : un gramme d'eau fait un litre de vapeur. Oui, un cube d'eau de un centimètre de côté fait un cube de vapeur de dix centimètres de côté.
Puisque ce volume de vapeur ne tient pas dans la frite, il s'en échappe rapidement, et c'est ainsi que se forme la croûte, avec une partie du bâtonnet, exposée à la forte chaleur de l'huile, et dont l'eau est évaporée. Plus la cuisson est longue  et plus la croûte est épaisse.

Pendant que cette croûte se forme, la chaleur entre lentement dans la pomme de terre. Oui, lentement, parce que la pomme de terre conduit mal la chaleur. Une expérience pour s'en apercevoir : si l'on tient une petite cuiller métallique par un bout et qu'on plonge l'autre extrémité dans l'huile chaude, on en vient rapidement à se brûler, parce que le métal conduit bien la chaleur. En revanche, avec un bâtonnet de pomme de terre de la même longueur que la cuiller, on peut rester à tenir le bâtonnet pendant très longtemps, parce que le matériau de la pomme de terre conduit mal la chaleur.
Cela a des conséquences pratiques, à savoir que si le bain d'huile était trop chaud, la surface finirait par charbonner, avant même que l'intérieur soit cuit ! Et, de façon plus opérative : commençons par mettre les bâtonnets dans de l'huile pas trop chaude, pour donner le temps au coeur  des frites de bien cuire, avant de pousser le feu, pour faire le croustillant et la couleur voulus de la surface.

Un bain, ou deux bains ? 

 Quand on m'interroge, je réponds : et pourquoi pas trois bains, ou seize bains, comme des bobos-gastronomes me disaient que certains chefs auraient fait ? Depuis un séminaire où nous avons testé le fait de plonger dix fois de suite de la viande dans de l'eau glacée, puis dans un bouillon bouillant... sans voir de particularité, je me méfie de ces "usines à gaz" qui feraient bien mieux que tout le reste, avec un mystère  qui croit à chaque nouvelle complication. Le mystère, ce n'est jamais que cette façon que nos interlocuteurs ont d'habiller un roi qui est nu, si  l'on peut dire !
Bref, depuis que ces mêmes gastronomes bobos m'ont félicité pour  un sanglier qui n'était que du porc mariné dans du vin, ou pour un  aspic qui n'était qu'une feuille de gélatine dans du Porto, je me méfie, et je propose d'oublier cette idée des seize bains : pourquoi pas mille tant qu'on y est ? 


Reste la question : un bain ou deux  bains ? Certains cuisiniers (je parle maintenant de gens raisonnables) proposent deux bains, en partant d'un premier bain pas trop chaud, qui donne du temps aux  frites de cuire à l'intérieur. Le second bain finit la friture, en termes de croustillance et de couleur.  
Pourquoi pas... mais l'expérience suivante montre que la méthode est sans doute moins  bonne qu'un seul bain dont on augmente la température en fin de cuisson.

Partons de deux  bâtonnets de même masse avant cuisson. Plaçons  les  dans  l'huile chaude, et faisons deux frites. Puis, quand les frites sont faites, sortons les deux  bâtonnets en même temps du bain d'huile, et épongeons tout de suite un des bâtonnets ; attendons deux minutes, puis  épongeons  le second bâtonnet. Pesons : la  frite épongée au sortir du bain d'huile pèse un demi gramme  de moins que  l'autre. Ce demi gramme, c'est de l'huile !
Oui, quand on frit, l'intérieur de la frite s'emplit de vapeur, laquelle se recondense quand la frite refroidit, après  être sortie  du bain d'huile. Et comme l'eau liquide, faite de la vapeur  recondensée, prend beaucoup moins de place que la vapeur d'eau, alors l'huile de la surface est  absorbée... quand cette huile est présente. Si l'on éponge, alors on n'a plus cette absorption d'huile !
Un demi gramme d'huile pour une frite, 25 grammes d'huile pour une cinquantaine de frites ! Et cette huile a été chauffée ! Mais, inversement, nous avons testé, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, si l'on faisait la différence entre des  frites épongées ou non à la sortie du bain... et oui, on fait la différence... mais ceux qui la font préfèrent  les frites avec de l'huile absorbée à l'intérieur  !
Décidément, l'être humain, qui aime  le gras et le sucre, mais veut simultanément manger sainement, est un drôle d'animal !

Cuire des carottes

 Je m'amuse beaucoup à expliquer des recettes à ceux et celles qui n'ont jamais cuisiné : en réalité, cela nous fait arriver à des questions essentielles... même pour ceux  et celles qui cuisinent déjà : 

https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/cuire-des-carottes-pour-ceux-qui-ne-lon-jamais-fait/