Ceux qui disent aimer la nature, refuser la technique moderne, sont des enfants gâtés, voire un peu pourris, à moins qu'ils ne soient ignorants de l'histoire.
Disons à ceux qui ne l'ignorent que la cathédrale de Strasbourg a été incendiée régulièrement à peu près tous les 10 ans pendant des siècles, car sa flèche ne manquait pas d'attirer la foudre, mettant le feu à la charpente en bois.
Quand l'humanité était jeune, quand la science électrique n'était pas advenue, on attribuait la foudre à des divinités terribles : Zeus pour les Grecs, Jupiter pour les Romains et Taranis ou Thor pour l'Alsace.
L'humanité tremblait de crainte à chaque orage, comme de petits enfants, et elle tremblait à juste titre car ses efforts de bâtir les cathédrales étaient régulièrement anéantis : tous les dix ans, il fallait reconstruire ce que l'on avait péniblement construit et que la "nature" avait détruit.
Puis est apparue la science électrique, au avec des pionniers comme Walter Gilbert, François de Cisternay du Fay, Buffon et Dalibard avant Benjamin Franklin, Michael Faraday, etc.
L'invention du paratonnerre est tout à fait remarquable, mais nous l'avons oubliée aujourd'hui car les paratonnerres équipent maintenant les maisons, et notre compréhension des phénomènes nous permet d'éviter ses catastrophes.
Nous vivons avec les paratonnerre sans nous en soucier, véritablement insouciants donc.
Mais si insouciants que nous ignorons les remarquable progrès du passé qui nous permettent à la fois de ne plus craindre les phénomènes naturels, et, aussi, de nous en prémunir quand il nous nuisent.
Je vois la même histoire avec le fouet de cuisine : jadis il était en osier, comme un martinet, avec des fils qui cassaient, qui s'incrustaient de bactéries pathogènes et qui revenaient dans la figure quand on le relevait. Ce fut une invention merveilleuse que de réunir l'ensemble des lanières en boucle avec un manche assez gros que l'on puisse bien tenir à la main, et ce fut un progrès encore plus grand quand le fouet de cuisine devint métallique : d'abord en fer, qui rouillait, mais, aujourd'hui en acier inoxydable ; cet acier inoxydable qui nous garantit un fonctionnement merveilleux de l'outil... avant que l'on ne rempalce et outil par un ustentile amélioré.
Et l'on voudrait revenir à l'état de nature ? C'est un fantasme et une idéologie détestable, raison pour laquelle également je déteste les Thoreau, les Rousseau, qui endoctrinent pernicieusement les foules et leur font croire que la nature est bonne.
Je suis conscient d'écrire cela à un moment où nous devons nous préoccuper de notre planète, et je m'en préoccupe moi-même beaucoup, mais je ne pense pas que la naïveté soit la meilleure solution, que l'ignorance soit la possibilité de régler les problèmes graves.
Nous manquons cruellement de science : nous manquons de physique, nous manquons de chimie, nous manquons de biologie, c'est-à-dire des connaissances qui nous permettront une action affinée pour corriger les aberrations du climat, d'origine humaine, pour éviter les pollutions...
Mais nous manquons surtout d'instruction, d'apprentissage de la vie citoyenne et non pas citoyenne seulement en politique mais aussi dans notre quotidien, dans nos consommations, dans nos modes de vie qui engendrent déchets, pollutions...
Oui, nous avons un excès d'ignorance et de naïveté, et nous manquons de connaissances.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 26 novembre 2022
Finalement, je n'ai plus de regrets à utiliser le mot "progrès"
vendredi 25 novembre 2022
Une bonne pratique : ne pas interpréter abusivement
C'est une bonne pratique que d'interpréter correctement, et, inversement, c'est une mauvaise pratique que de tirer des conclusions quand les résultats expérimentaux sont insuffisants.
Expliquons cela plus en détail. Quand on fait un travail scientifique, on met en œuvre des matériels et des méthodes (qui doivent être identifiés aussi précisément que possible pour donner des résultats répétables), et l'on effectue des expériences, qui doivent être aussi bien caractérisées que possible, donnant des résultats aussi proches que possible lors de la répétition d'une même expérience (ce qui, d'ailleurs, s'estime par un écart type sur le résultat).
Ainsi une série d'expériences conduit à des résultats que l'on exprime notamment par des équations, et l'on cherche ensuite à interpréter ces équations, c'est-à-dire à les exprimer en langage naturel, afin de tirer des conclusions sur les mécanismes du phénomène que l'on explore.
Lors de ce processus d'interprétation, il est essentiel de ne pas aller plus loin que ce que les résultats nous donnent, et les limites de validité, en particulier, sont tout à fait fondamentales.
Quand un résultat est insuffisant, on ne peut pas en tirer une loi générale, et même quand ils sont en quelque sorte suffisants, la loi que l'on peut tirer doit être validée, car, sans validation, le résultat n'est pas suffisamment établi.
Autrement dit, il y a lieu d'être extrêmement prudent quand on arrive à l'étape des interprétations, et il s'agit d'une bonne pratique que de ne pas interpréter plus que les résultats ne nous disent.
Bien sûr, on a le droit de faire des hypothèses : des résultats peuvent nous faire proposer des idées, mais quand des hypothèses sont des hypothèses, il n'est pas bien de les faire apparaître comme des mécanismes établis.
Cette discussion doit entrer en correspondance avec celle que j'ai déjà eu à propos des de la "'démonstration scientifique' : on ne pourra jamais démontrer qu'une interprétation est juste ; on pourra seulement la corroborer.
Cela dit, il s'agit là d'une question de principe, car, en pratique, des corroborations multiples renforcent une hypothèse au point qu'elle peut mériter d'apparaître comme une interprétation.
mercredi 23 novembre 2022
À quoi la science sert-elle
Je reviens ici sur une déclaration que je fais parfois, par provocation : contrairement à la technologie, la science ne doit servir à rien.
C'est évidemment un peu iconoclaste, et il faut bien sûr l'interpréter.
Je fais cette précision, parce que j'ai rencontré des interlocuteurs qui prennent ma déclaration au pied de la lettre, sans sourire : ayant compris l'existence de ce type de personnes parmi mes interlocuteurs, je dois à la fois préciser publiquement ma position et peut-être prendre des résolutions pour l'avenir.
Commençons en indiquant qu'il y a une différence entre les sciences de la nature et leurs applications.
Louis Pasteur, parmi d'autres grands scientifiques du passé, a bien dit qu'il n'y a pas de science appliquée... mais qu'il y a des applications des sciences.
Et s'il y a des applications des sciences c'est bien la preuve que les sciences ont une utilité, notamment celle de pouvoir être appliquée.
Mais allons plus loin : les sciences ont deux types d'applications, à savoir des applications pour l'instruction et des applications pour la technique.
Il y a donc beaucoup d'applications et, donc, beaucoup d'utilité des sciences.
Pour les applications techniques, il y a le GPS, qui n'aurait jamais existé sans la théorie de la relativité, laquelle n'avait initialement aucune "application" : pensons, des vitesses proches de celles de la lumière !
Mais, surtout, les sciences sont en quelque sorte l'honneur de l'esprit humain.
Sans elle, sans le questionnement à propos des phénomènes, nous en resterions à croire à des divinités présentes derrière la foudre, l'orage, la pluie, la source, la tempête, les feux de Saint-Elme en haut des navires ou les feux follets dans les marais...
Bref, nous resterions terrorisés par une nature que nous ne comprendrions pas. Alors que, au contraire, les sciences de la nature, c'est précisément la compréhension du monde où nous vivons. Au lieu de nous laisser apeurés, proies de ceux qui en profitent pour nous manipuler, proies d'une nature quand même largement hostile, les sciences de la nature nous rassurent, nous aident à vivre.
Oui, les sciences de la nature sont en réalité extrêmement utiles et quand je dis qu'elles ne doivent servir à rien, je dis surtout que la production des connaissances scientifiques ne doit pas avoir l'œil rivé sur les applications, sans quoi nous n'arrivons jamais à cette relativité d'où découle le GPS (un exemple parmi mille !).
Bien sûr, la technologie a son intérêt et notamment quand elle explore des phénomènes en vue des applications, mais l'histoire des sciences a largement montré combien une recherche scientifique qui n'a pas pour objectif l'application arrive à des résultats extraordinaires.
Ainsi, quand Michael Faraday découvrit l'induction électromagnétique, il reçut la visite du premier ministre britannique dans son laboratoire et celui-ci lui demanda : "A quoi tout cela sert-il ?" Et Faraday de répondre : "Je ne le sais pas, mais à jour vous récupérerez des impôts dessus".
D'ailleurs, je ne dis évidemment pas que la science doit être isolée du monde, au contraire !
Oui, je maintiens qu'elle doit être proche de la technique sans se confondre avec elle, proche de la technologie sans se confondre avec elle : il faut que les technologues et les scientifiques se parlent pour que les seconds fassent usage des connaissances obtenues par les premiers. Le transfert technologique est tout à fait essentiel.
Analysons l'expression "transfert technologique" : c'est bien la technologie qui transfère les connaissances, qui en fait de la technique renouvelée, améliorée...
Finalement on devra se souvenir qu'il faut toujours interpréter les paroles, notamment quand on m'entendra dire que la science ne sert à rien : on devra pas oublier de penser que je considère que la science est évidemment utile, mais que dans les conditions de production, elle ne doit pas chercher à résoudre des problèmes pratiques, mais bien plutôt toujours penser à faire des découvertes car c'est cela son objectif, sa grandeur.
Le sel glace
mardi 22 novembre 2022
L'œuf à 65°C
Sur le site de Pierre Gagnaire :
Qu’est-ce que « cuire » ? La question conduit à une révision de la théorie classique, révision qui engendre une foule de produits nouveaux. Tout cela à partir d’un seul œuf !
Mon cher Pierre,
L'œuf est à l'origine de tout : L'œuf, c'est le poussin en devenir, mais c'est aussi l'ovule humain, qui fera le cuisinier.
Bref, il faut commencer par l'œuf. Dans la coquille, un blanc et un
jaune, pour dire les choses simplement. Et l'on sait que l'œuf cuit.
Cuit ? Oui, le liquide qu'est le blanc durcit quand on le chauffe
(contrairement à un glaçon, qui, lui, fond), de même que le jaune.
A quelle température un blanc d'œuf cuit-il ?
La suite ici : https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/76
Pourquoi la cuisine de synthèse n'est-elle pas encore sur toutes les tables alors que je l'ai proposée dès 1994 et que je n'ai cessé de la promouvoir depuis ?
Oui, pourquoi la cuisine de synthèse n'est-elle pas encore sur toutes les tables alors que je l'ai proposée en 1994 et que je n'ai cessé de la promouvoir depuis ?
Je ne répète pas ici ce qu'est la cuisine de synthèse, surnommée cuisine note à note, mais je m'interroge sur les raisons pour lesquelles, malgré mes innombrables conférences, émissions de radio et de télévision, d'articles, etc., nous n'avons pas tous cette cuisine sur nos tables.
Bien sûr, il y a l'habitude, et notamment l'habitude de cuisiner des ingrédients classiques, d'ailleurs faciles à trouver : on descend chez le commerçant en bas de l'immeuble.
Mais il y a aussi ce réflexe humain de "néophobie alimentaire" : nous ne mangeons pas ce que nous ne connaissons pas ; plus exactement, nous apprenons, enfant, à manger ce qui nous est dit être comestible, et nous avons ensuite du mal à manger autre chose.
Bien sûr il y a des variations à l'âge adulte, et c'est ainsi que par des effets de socialisation, nous en venons à boire de l'alcool, tout comme à fumer du tabac, mais il y a aussi des révisions de nos goûts, par exemple quand nous sommes malades après avoir ingéré un ingrédient qui est associé à cette maladie : pendant un long moment, nous ne pouvons plus manger cet ingrédient, et ce n'est pas une crainte intellectuelle, mais bien un réflexe, nommé aversion alimentaire conditionnée.
D'ailleurs, nous savons déclencher une aversion alimentaire chez des primates en leur faisant manger un ingrédient particulier et en les rendant malades aussitôt.
Bref, nous avons notre goût qui est extraordinairement fixé, et cela nous gêne pour apprendre à manger de la cuisine de synthèse.
Nous travestissons les diverses raisons de ne pas manger du nouveau avec mille raisons de mauvaise foi, et d'ailleurs souvent avec des mots que nous ne comprenons pas bien nous-même : vitamine, oligo-éléments...
Plus généralement, j'ai déjà observé souvent que nous faisons du point de vue toxicologique exactement le contraire de ce que nous disons : nous disons manger bio pour éviter des pesticides cancérogènes mais nous mangeons des barbecues, qui, eux, apportent en abondance des composés cancérogènes, notamment des benzopyrènes...
Bref, nos comportements de primate bloquent nos comportements humain, intellectuels, et cela est sans doute essentiel parmi les causes qui retardent l'avènement de la cuisine note à note.
Il y a aussi, simplement, des questions en quelque sorte techniques : malgré mes efforts incessants, je ne suis pas sûr que tous les Français aient entendu parler de la cuisine de synthèse, et l'on ne peut pas en vouloir à des gens qui ignorent l'existence de quelque chose d'en faire usage.
Mais pour les cuisiniers professionnels ? Là, il est quasiment impossible qu'ils n'en aient jamais entendu parler .
Certes, au début, les ingrédients étaient difficilement accessibles, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pourquoi refusent-ils l'innovation ? Alors même que celle-ci semble être un facteur qui attire les humains : ne voulons-nous pas des nouvelles fraîches, le dernier téléphone, etc. ?
Nos amis craignent-ils de ne pas savoir faire cette cuisine ? Ils peuvent apprendre : labo improbus omnia vincit (un travail acharné vient à tout de tout).
lundi 21 novembre 2022
Les gradients en cuisine
Un gradient ? C’est une variation régulière, continue. On a l’habitude des gradients de couleur, qui ont pour nom dégradés, mais pourquoi ne pas jouer de gradients de goût ?
Sur le site de Pierre Gagnaire, j'ai publié :
Mon cher Pierre,
Nous sommes successivement passés du rythme au contraste. Cette fois, j’invite le chef à jouer du « gradient ».
Gradient ? Un mot de science pour dire ce que la peinture nomme le
dégradé. On passe régulièrement du jaune au bleu, quand on change la
teinte, du blanc au vert quand on change la saturation d’une couleur
fixe. Gradient est un terme plus large, qui invite l’artiste à plus de
possibilités.
Bien sûr, il y a le dégradé visuel, en cuisine comme en peinture : d’un
fromage blanc, on peut aller à la confiture de fraises, en augmentant
régulièrement la quantité de confiture rouge mêlée à la crème. Toutefois
le cuisinier sait ne pas s’arrêter à la couleur, à l’aspect visuel, car
c’est en bouche que tout se tient.
La suite ici : https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/77