Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 24 juillet 2017
Intégrité et théorisation
Quelles sont les valeurs de la science ? L'objectif est partagé : chercher les mécanismes des phénomènes. Et, pour cela, aucune malhonnêteté n'est possible. Par exemple, inventer des données qui n'existent pas est idiot, parce que c'est un acte social et qui ne rapproche pas de l'objectif. Ou bien encore plagier : ce n'est pas ainsi que l'on se rapproche de l'objectif. Utiliser des méthodes inappropriées ou désuètes ? Là encore, ce n'est pas faire ce que l'on désire, donc c'est idiot. Bref, vu l'objectif, qui n'est pas social, ce n'est pas étonnant que la loyauté la plus grande soit de mise.
Loyauté ? Intégrité ?
Loyauté ? Fidélité manifestée par la conduite aux engagements pris, au respect des règles de l'honneur et de la probité.
Probité ? Droiture qui porte à respecter le bien d'autrui, à observer les droits et les devoirs de la justice.
Honneur ? Principe moral d'action qui porte une personne à avoir une conduite conforme (quant à la probité, à la vertu, au courage) à une norme sociale et qui lui permette de jouir de l'estime d'autrui et de garder le droit à sa dignité morale.
Intégrité ? Caractère, qualité d'une personne intègre, incorruptible, dont la conduite et les actes sont irréprochables.
Je propose de méditer ces quatre termes, en relation avec les sciences de la nature, mais voici comment le physicien américain Richard Feynman a décrit l'approche informelle de communication des principes de base des sciences en 1974, lors de son discours à l'Institut de technologie de Californie (Feynman, 1985, 311-312):
"Il y a une idée que nous espérons tous que vous avez appris, lors des cours de science à l'école -nous n'avons jamais explicitement dit ce que c'est, mais nous avons seulement espéré que vous la trouveriez à partir de tous les exemples de recherche scientifique... C'est une sorte d'intégrité scientifique, un principe de pensée scientifique qui correspond à une sorte d'honnêteté extrême - une sorte de fondation absolue. Par exemple, si vous faite une expérience, vous devez rapport tout ce que vous pensez qui peut la rendre invalide - et pas seulement ce que vous pensez qui va bien ; vous devez évoquer d'autres causes qui pourraient expliquer vos résultats différemment de la façon dont vous croyez devoir le faire ; et vous devez évoquer des choses que vous pensez que vous avez éliminé lors d'autres expérience, afin que personne ne puisse dire que vous les avez éliminées.
Il faut donner des détails qui pourraient faire douter de votre interprétation, si vous en avez. Vous devez vous efforcer d'expliquer tout ce qui pourrait être une cause d'erreur de votre part. Si vous faites une théorie, par exemple, et si vous la publiez, vous devez rassembler tous les faits qui vont à son encontre, à coté des faits qui la supportent. En résumé, l'idée est d'essayer de donner toutes les informations qui aideront les autres à évaluer votre contribution, et non pas seulement l'information qui pousse le jugement dans une seule direction".
dimanche 23 juillet 2017
Les sciences cherchent moins la "vérité" qu'une description mécanistique et rationnelle du monde.
Dans un texte de 2010, l'académie américaine des sciences commence par citer Albert Einstein : "The right to search for truth implies also a duty; one must not conceal any part of what one has recognized to be true" [le droit de chercher la vérité impose aussi un devoir : on ne doit cacher aucun élément de ce qui a été reconnu comme vrai].Cette phrase est écrite sur la statue d'Albert Einstein qui se trouve en face de l'immeuble de l'académie, à Washington. Et l'académie d'ajouter que la recherche de la vérité serait la vocation de tout scientifique, une vocation qui pousserait à rechercher des idées excitante parce que nouvelles, donc controversées, qui pousserait à s'engager à des échanges éventuellement critiques avec nos collègues, etc.
Pourtant, je suis désolé de ne pas être d'accord avec Einstein ou avec l'académie américaine des sciences, mais je crois qu'ils ont tort de parler de vérité. Je sais évidement une bonne partie de ce qui a été dit et écrit à ce sujet, mais je propose une vision qui se fonde sur l'idée suivante : les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthode qui comprend :
- l'identification desdits phénomènes
- leur caractérisation quantitative
- la réunion des données de mesure en "lois" (entendons équations) synthétiques
- par induction, la constitution de "théories" ou "modèles", qui identifient des notions et concepts nouveaux, quantitativement compatibles avec les lois
- la recherche de conséquences des théories
- le test expérimental de ces conséquences théoriques, en vue de réfuter les théories ainsi établies, ce qui a pour objectif de les "améliorer", c'est-à-dire d'en trouver de nouvelles, qui décrivent mieux (mais jamais parfaitement) les phénomènes.
On le voit : aucune place pour la "vérité", ici, ce qui tombe bien, car les termes trop compliqués sont toujours l'occasion de se demander s'ils désignent des objets bien identifiés.
Oui, je crois que ce serait bon que les sciences de la nature cessent de parler de "vérité", pour parler seulement d'adéquation des théories aux faits expérimentaux. Un peu de modestie : puisque les "lois" sont induites, et non déduites, nous ne pouvons pas être certains qu'elles s'appliquent dans tous les cas où elles n'ont pas été vérifiées, et, d'autre part, nous devons répéter qu'un modèle réduit de la réalité (les théories) n'est pas la réalité. Ainsi, nous ne pouvons que réfuter nos théories, et jamais les démontrer (les démonstrations sont pour les mathématiciens, pas pour les physiciens).
Pourtant, je suis désolé de ne pas être d'accord avec Einstein ou avec l'académie américaine des sciences, mais je crois qu'ils ont tort de parler de vérité. Je sais évidement une bonne partie de ce qui a été dit et écrit à ce sujet, mais je propose une vision qui se fonde sur l'idée suivante : les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthode qui comprend :
- l'identification desdits phénomènes
- leur caractérisation quantitative
- la réunion des données de mesure en "lois" (entendons équations) synthétiques
- par induction, la constitution de "théories" ou "modèles", qui identifient des notions et concepts nouveaux, quantitativement compatibles avec les lois
- la recherche de conséquences des théories
- le test expérimental de ces conséquences théoriques, en vue de réfuter les théories ainsi établies, ce qui a pour objectif de les "améliorer", c'est-à-dire d'en trouver de nouvelles, qui décrivent mieux (mais jamais parfaitement) les phénomènes.
On le voit : aucune place pour la "vérité", ici, ce qui tombe bien, car les termes trop compliqués sont toujours l'occasion de se demander s'ils désignent des objets bien identifiés.
Oui, je crois que ce serait bon que les sciences de la nature cessent de parler de "vérité", pour parler seulement d'adéquation des théories aux faits expérimentaux. Un peu de modestie : puisque les "lois" sont induites, et non déduites, nous ne pouvons pas être certains qu'elles s'appliquent dans tous les cas où elles n'ont pas été vérifiées, et, d'autre part, nous devons répéter qu'un modèle réduit de la réalité (les théories) n'est pas la réalité. Ainsi, nous ne pouvons que réfuter nos théories, et jamais les démontrer (les démonstrations sont pour les mathématiciens, pas pour les physiciens).
Chaque faute a son remède
Aujourd'hui, c'est sur le blog qui évoque des questions culinaires que j'interviens : à propos d'une mousse à l'abricot, j'identifie des possibilités d'échec, d'où se déduisent quasi automatiquement des remèdes.
Voir http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/07/la-mousse-labricot.html
Voir http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/07/la-mousse-labricot.html
vendredi 21 juillet 2017
La clé de l'innovation alimentaire, pour la partie technique, c'est la physique et les sciences chimiques.
Innover du point de vue alimentaire ?
Les innovations que proposent l'industrie alimentaire sont parfois bien faibles, et ce ne sont souvent que des variations de systèmes classiques, qui s'apparentent en réalité à l'empirisme des cuisiniers.
D'ailleurs, les élèves ingénieurs ne sont pas mieux placés que ces derniers, voire moins bien, car ils sont souvent bien ignorants ce qui s'est déjà fait. Car nos étudiants n'ont pas de connaissances spécifiques pour faire bien, et on n'oublie pas que certains cuisiniers sont des individus de talent, dont le savoir et l'intelligence dépassent parfois largement ceux de nos étudiants… qui n'ont donc que très peu à apporter.
Que faut-il à nos étudiants pour être capables pour dépasser l'empirisme, d'une part, et, d'autre part, pour avoir une compétence qui soit réellement supérieure à celle d'un cuisinier (d'un point de vue technique) ?
Dans notre master IPP, à AgroParisTech, nous avons notamment répondu avec une unité d'enseignement qui s'intitule « physico-chimie pour la structuration des aliments », et plus j'y pense, plus cela est légitime, car les aliments sont en réalité des assemblages physico-chimiques, de sorte que leur compréhension, leur construction, leur analyse, reposent sur des connaissances physiques et chimiques. Nous devons comprendre la constitution des composés qui entrent dans la composition des aliments, et nous devons aussi comprendre comment ces composés sont organisés.
La question des forces intermoléculaires est évidement essentielle, et l'on aurait toujours intérêt à se souvenir que ces forces se classent utilement par ordre d'énergie croissante. Les plus faibles sont les forces de van der Waals … qu'il faut donc connaître. Puis il y a les liaisons hydrogène… qu'il faut donc connaître. Puis il y a les ponts disulfure, qu'il faut aussi connaître, et qu'il faut notamment connaître parce qu'ils sont responsables de « coagulations », importantes pour la constitution des aliments. Il y a aussi les liaisons covalentes qu'il faut connaître, mais il faut surtout savoir entre quels composés ces liaisons covalentes peuvent s'établir et dans quelles conditions. Enfin il y a les liaisons électrostatiques, qu'il faut connaître aussi, et, là, une connaissance supplémentaire utile est la portée de telles liaisons, en plus de leur intensité.
J'ai esquissé à propos des liaisons covalentes une nouvelle discussion, qui est celle de la compréhension des possibilités de réaction. C'est la nature des composés, leur constitution atomique, qui détermine leur réactivité, de sorte que s'imposent absolument des cours de chimie organique pour nos étudiants ingénieurs.
Mais ce n'est pas suffisant, car la compréhension de la structure physico-chimique des aliments montre bien que la physique est largement à l’œuvre, aussi. Par exemple, la turgescence des cellules de racines de carotte est la clé de leur fermeté, quand ces ingrédients culinaires sont « frais ». Cette fois, il n'est pas question de chimie, mais de physique. De même, la clé de l'amollissement des tissus végétaux chauffés, par exemple des rondelles de carotte dans une casserole, découle également d'interactions physiques en plus des modifications chimiques.
A vrai dire l'échelle des énergies de liaison n'est pas segmentée, avec d'un côté la physique pour les forces faibles et d'un autre côté les forces fortes pour la chimie. Non, c'est une échelle continue, où il est arbitraire de séparer les liaisons covalentes, à savoir la chimie pour faire simple. D'ailleurs, l'introduction de la chimie supramoléculaire fut exactement l'occasion de reconnaître qu'il y avait des édifices polymoléculaires qui s’apparentaient à la fois à ces édifices atomiques qu'on nomme molécules et à des systèmes plus labiles, tels des cristaux de sucre qui se dissolvent dans l'eau, et qui relèvent de la physique. En réalité, la chimie reconnaît bien que l'échelle des énergies est continue, et elle ne veut pas faire de distinction inutile qui gênerait le raisonnement de l'ingénieur quand il doit constuire des aliments.
Et la gastronomie moléculaire dans tout cela ? D'une part, il faut préciser que cette discipline scientifique n'est pas de la technologie ou de l'ingénierie, mais de la science, c'est-à-dire de la production de connaissances, et plus spécifiquement la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation des aliments. D'autre part, il faut signaler que la gastronomie moléculaire explore des phénomènes bien particuliers, et que, à ce titre, elle a toute sa place dans la formation d'étudiants ingénieurs, en cela qu'elle fait apparaître des informations qui seront utiles pour la construction des aliments. C'est bien parce que l'on analyse les phénomènes qui se produisent lors des phénomènes culinaires, de production des aliments, que l'on identifie des mécanismes que l'on peut ultérieurement mettre à l’œuvre lors de la constructions d'aliments par des méthodes qui ne sont plus empiriques.
Oui, la gastronomie moléculaire est une sous-partie de la science des aliments, et oui, elle nécessite des recherches de physique et de chimie. Mais on a plus de discernement, plus de clairvoyance, si l'on ne fait pas un grand sac et si, au contraire, on cherche plus spécifiquement de quelle partie il s'agit. L'ayant expliqué ailleurs, je n'y reviens pas, mais je conclus en répétant combien nos étudiants ont besoin d'une formation de physico-chimie !
Les innovations que proposent l'industrie alimentaire sont parfois bien faibles, et ce ne sont souvent que des variations de systèmes classiques, qui s'apparentent en réalité à l'empirisme des cuisiniers.
D'ailleurs, les élèves ingénieurs ne sont pas mieux placés que ces derniers, voire moins bien, car ils sont souvent bien ignorants ce qui s'est déjà fait. Car nos étudiants n'ont pas de connaissances spécifiques pour faire bien, et on n'oublie pas que certains cuisiniers sont des individus de talent, dont le savoir et l'intelligence dépassent parfois largement ceux de nos étudiants… qui n'ont donc que très peu à apporter.
Que faut-il à nos étudiants pour être capables pour dépasser l'empirisme, d'une part, et, d'autre part, pour avoir une compétence qui soit réellement supérieure à celle d'un cuisinier (d'un point de vue technique) ?
Dans notre master IPP, à AgroParisTech, nous avons notamment répondu avec une unité d'enseignement qui s'intitule « physico-chimie pour la structuration des aliments », et plus j'y pense, plus cela est légitime, car les aliments sont en réalité des assemblages physico-chimiques, de sorte que leur compréhension, leur construction, leur analyse, reposent sur des connaissances physiques et chimiques. Nous devons comprendre la constitution des composés qui entrent dans la composition des aliments, et nous devons aussi comprendre comment ces composés sont organisés.
La question des forces intermoléculaires est évidement essentielle, et l'on aurait toujours intérêt à se souvenir que ces forces se classent utilement par ordre d'énergie croissante. Les plus faibles sont les forces de van der Waals … qu'il faut donc connaître. Puis il y a les liaisons hydrogène… qu'il faut donc connaître. Puis il y a les ponts disulfure, qu'il faut aussi connaître, et qu'il faut notamment connaître parce qu'ils sont responsables de « coagulations », importantes pour la constitution des aliments. Il y a aussi les liaisons covalentes qu'il faut connaître, mais il faut surtout savoir entre quels composés ces liaisons covalentes peuvent s'établir et dans quelles conditions. Enfin il y a les liaisons électrostatiques, qu'il faut connaître aussi, et, là, une connaissance supplémentaire utile est la portée de telles liaisons, en plus de leur intensité.
J'ai esquissé à propos des liaisons covalentes une nouvelle discussion, qui est celle de la compréhension des possibilités de réaction. C'est la nature des composés, leur constitution atomique, qui détermine leur réactivité, de sorte que s'imposent absolument des cours de chimie organique pour nos étudiants ingénieurs.
Mais ce n'est pas suffisant, car la compréhension de la structure physico-chimique des aliments montre bien que la physique est largement à l’œuvre, aussi. Par exemple, la turgescence des cellules de racines de carotte est la clé de leur fermeté, quand ces ingrédients culinaires sont « frais ». Cette fois, il n'est pas question de chimie, mais de physique. De même, la clé de l'amollissement des tissus végétaux chauffés, par exemple des rondelles de carotte dans une casserole, découle également d'interactions physiques en plus des modifications chimiques.
A vrai dire l'échelle des énergies de liaison n'est pas segmentée, avec d'un côté la physique pour les forces faibles et d'un autre côté les forces fortes pour la chimie. Non, c'est une échelle continue, où il est arbitraire de séparer les liaisons covalentes, à savoir la chimie pour faire simple. D'ailleurs, l'introduction de la chimie supramoléculaire fut exactement l'occasion de reconnaître qu'il y avait des édifices polymoléculaires qui s’apparentaient à la fois à ces édifices atomiques qu'on nomme molécules et à des systèmes plus labiles, tels des cristaux de sucre qui se dissolvent dans l'eau, et qui relèvent de la physique. En réalité, la chimie reconnaît bien que l'échelle des énergies est continue, et elle ne veut pas faire de distinction inutile qui gênerait le raisonnement de l'ingénieur quand il doit constuire des aliments.
Et la gastronomie moléculaire dans tout cela ? D'une part, il faut préciser que cette discipline scientifique n'est pas de la technologie ou de l'ingénierie, mais de la science, c'est-à-dire de la production de connaissances, et plus spécifiquement la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation des aliments. D'autre part, il faut signaler que la gastronomie moléculaire explore des phénomènes bien particuliers, et que, à ce titre, elle a toute sa place dans la formation d'étudiants ingénieurs, en cela qu'elle fait apparaître des informations qui seront utiles pour la construction des aliments. C'est bien parce que l'on analyse les phénomènes qui se produisent lors des phénomènes culinaires, de production des aliments, que l'on identifie des mécanismes que l'on peut ultérieurement mettre à l’œuvre lors de la constructions d'aliments par des méthodes qui ne sont plus empiriques.
Oui, la gastronomie moléculaire est une sous-partie de la science des aliments, et oui, elle nécessite des recherches de physique et de chimie. Mais on a plus de discernement, plus de clairvoyance, si l'on ne fait pas un grand sac et si, au contraire, on cherche plus spécifiquement de quelle partie il s'agit. L'ayant expliqué ailleurs, je n'y reviens pas, mais je conclus en répétant combien nos étudiants ont besoin d'une formation de physico-chimie !
Tu lis trop vite !
A propos d'étude...
Dans notre groupe de gastronomie moléculaire, nous avons de nombreux documents à l'attention des étudiants. Ces documents sont tous rédigés de façon très détaillée, très précise, et les calculs sont tous expliqués pas à pas : on prend les étudiants par la main, et l'on avance lentement, parce que l'objectif est absolument que les étudiants comprennent bien les tâches qu'ils feront. Certains de ces textes sont méthodologiques, mais d'autres expliquent la théorie (souvent physique ou chimique) qui sous-tend ces tâches. Par exemple, pour calculer un écart-type, il faut savoir ce que c'est, s'être demandé si c'est l'écart-type d'une population ou d'un échantillon que l'on cherche, etc. Par exemple, pour enregistrer un spectre UV-visible, il faut connaître la loi de Beer-Lambert, et pour traiter des spectres de résonance magnétique nucléaire, il faut connaître l'équation des lorentziennes, savoir ce que c'est qu'une intégrale…
Comme nous voulons produire des résultats scientifiques de qualité, il est absolument essentiel que nous parvenions à bien faire comprendre à tous les étudiants les matières théoriques, support des gestes expérimentaux. Nous passons donc beaucoup de temps à confectionner nos textes, et il y a même une emphase excessive en vue d'une bonne compréhension.
Pourtant, malgré nos efforts considérables, nous recevons en stage des étudiants intelligents qui ne comprennent pas nos textes. Pourquoi ?
En raison du climat de confiance qui règne dans notre groupe, nous pouvons analyser individuellement les causes des difficultés. La première est évidemment une insuffisance des connaissances. Par exemple, si la racine cubique est inconnue d'un étudiant (cas rencontré récemment pour des étudiants en licence de chimie venant d'une université de la région parisienne), il aura beaucoup de mal à l'utiliser pour calculer le rayon d'une sphère à partir de son volume. Mais comme nos documents sont très détaillés, les difficultés de ce type peuvent être résolues. Une autre cause essentielle de difficultés, c'est une lecture trop rapide de nos documents, ce qui m'a conduit à faire l'hypothèse que s'il faut apprendre sept fois pour savoir, c'est que, en moyenne, nous sautons un mot sur sept quand nous lisons. Oui, j'identifie clairement que beaucoup d'étudiants lisent trop vite, raison pour laquelle recopier ce qu'on lit est parfois utile. Bien sûr, lire ou écrire mécaniquement, sans s'intéresser au sens des mots que l'on écrit ou qu'on lit, c'est bien inutile… mais c'est là un défaut que j'ai souvent observé. Et, à ce propos, il faut rappeler que le mathématicien français Laurent Schwartz, lauréat de la Médaille Field, a écrit dans ses mémoires qu'il était un élève très lent parce qu'il lui fallait beaucoup de temps pour mettre les nouvelles notions au milieu des anciennes, faire de la place pour ces idées nouvelles avant de faire des connexions entre l'idée nouvelle et les idées anciennes environnantes, comme une pièce dans un puzzle.
Dans d'autres billets, j'ai discuté la différence entre les connaissances et les compétences, et je crois pouvoir proposer ici qu'il vaut mieux que les compétences sont fondées sur les connaissances, de sorte qu'il faut d'abord ces dernières. Ce que je viens de dire au début de ce texte s'applique aux connaissances, et pas aux compétences, pour lesquelles il faudra une discussion différente.
En tout cas, on ne saurait trop répéter qu'un texte scientifique n'est pas compris si chacun de ses aspects n'est pas parfaitement clair, parfaitement compris. Il y a des roues dans les roues, des engrenages dans les engrenages, disait le prophète Ezéchiel, et, oui, l'apprentissage est long parce que la découverte d'un texte nous conduit à des notions que nous devons explorer parce que nous les connaissons trop mal, c'est-à-dire en pratique que vouloir comprendre le texte initial conduit à d'autres textes pour lesquels il y aura des notions que nous devrons explorer davantage, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'ensemble tienne parfaitement debout.
C'est ce que j'ai nommé la méthode du pitbull intellectuel : il faut planter les dents dans un morceau et ne pas le lâcher. Ainsi nous aurons « compris » et nous pourrons partir vers la transformation des connaissances en compétences.
lundi 17 juillet 2017
Pourquoi un texte déjà publié dans une revue scientifique ne peut pas être soumis à une autre revue, dans une langue différente.
Partons d'un sain
principe : au vingt-et-unième siècle, les scientifiques sont
payés par les contribuables, et ils ont l'obligation de mettre à la
disposition de la communauté les résultats de leurs travaux. Ils
doivent donc publier des articles scientifiques. Mieux encore, on
comprend que leur travail sera d'autant plus efficace que leurs
publications seront plus lues : ils doivent donc privilégier
des revues où leurs publications ne passeront pas inaperçues. Et
cela quelle que soit la discipline : science de la nature, ou
science de l'humain et de la société, il faut que les publications
permettent l'avancée des sciences. Bref, c'est une bonne pratique
que de faire des choix de publications qui valorisent le plus
possible les travaux.
En quelle langue
publier ? La langue anglaise étant à ce jour la langue de la
communauté scientifique, il y a lieu de privilégier l'anglais.
Peut-on publier le même travail deux fois en anglais ?
Certainement pas, car cela impose une double charge sur la
communauté, à qui il revient d'organiser et de mettre en œuvre le
processus d'évaluation et d'édition : les auteurs qui n'ont pas été
éditeurs sous-estiment le temps d'édition, et tous ceux qui ont été
rapporteurs savent combien cela prend de temps de faire correctement
le travail. Il faut donc économiser les forces, les énergie,
l'argent de la communauté ;
Pourrait-on imaginer
de publier le même travail en français et en anglais dans deux
revues scientifiques différentes ? Pour ce qui serait du même
texte, cela n'est pas possible, car l'auteur cède à la revue qui
publie son article les droits de reproduction de ce texte ; une
fois le texte publié, il n'en est plus le propriétaire, de sorte
qu'il n'a plus la possibilité de céder les droits une seconde fois.
Et dans une revue « open », où l'auteur paye pour être
publié ? Cette fois, je me refuse à considérer ce cas, car je
déteste en réalité cette formule, dans laquelle se sont engouffrés
des sociétés d'édition assez malhonnêtes, qui deviennent juges et
parties : on comprends que, si l'auteur paye, la revue ait moins
de scrupules à lui refuser son texte. Et puis, le foisonnement des
publications fait peser une charge sur la communauté, dans la mesure
où les recherches bibliographiques sont alors compliquées. Il y a
une sorte d'irrespect des collègues à multiplier la publication
d'un texte.
Pour en revenir à
la question, d'une publication d'un même travail, en français et en
anglais, il y aurait un argument qui serait que la version anglaise
s'adresse à une communauté internationale et que la version
française touche mieux le public français. Toutefois, à cet
argument, il faut répondre que la communauté scientifique française
lit les textes en anglais, et que, quand même, ce choix fait peser
une double charge éditoriale sur les mêmes personnes, les
rapporteurs d'une bonne revue -qu'elle soit en français ou en
anglais- étant choisis internationalement.
Et puis, pourquoi
l'auteur d'un texte publié initialement en français, après
évaluation, édition, publication, ne se contenterait-il pas de
traduire le texte en anglais et de le mettre en ligre sur un site
personnel, avec une mention qui signalerait l'origine du texte
traduit ? Inversement il est parfaitement possible qu'un texte
publié en anglais soit traduit en français dans les mêmes
conditions… et toujours dans le respect des règles du droit
d'auteur, qui veulent, pour beaucoup de revues scientifiques à
l'ancienne, que l'auteur ne puisse en faire qu'un usage privé, à
savoir transmettre des tirés à part (aujourd'hui, des documents
pdf) à des collègues qui les demandent.
Reste le cas d'un
texte qui serait publié dans une langue minoritaire, et que l'auteur
voudrait publier dans une autre langue également minoritaire. Le bon
principe précédent (il faut publier aussi efficacement que
possible) montre qu'un auteur qui est dans ce cas fait deux fois un
choix malheureux : or perservare diabolicum ! Et
puis, cela impose à nouveau une double charge sur la communauté,
car je répète que les rapporteurs nationaux sont en réalités des
rapporteurs internationaux. Au nom de quel argument imposer une
double évaluation ? Je trouve que cela n'est pas respecter les
collègues, et j'invite tous mes collègues qui font un travail
d'édition scientifique à refuser de tels textes. Pour ce qui
concerne les auteurs, je propose que nous considérions commue une
bonne pratique ne pas se mettre dans cette position défavorable.
Enfin, il faut
signaler que la traduction automatique, qui nous vient de la
révolution numérique, change les choses : un texte en
n'importe quelle langue est aujourd'hui accessible. L'argument qui
consistait à dire que l'on ferait une diffusion plus efficace en
publiant en plusieurs langues ne tient plus.
samedi 15 juillet 2017
cuisson de carottes
Aujourd'hui, je discute la cuisson des carottes sur http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/07/cuire-des-carottes.html
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