mardi 6 février 2024

Forcer l'adhésion ?

Je me souviens d'une conférence devant une académie des sciences où j'avais - naïvement, je le concède- exposé mes travaux (j'avais été invité pour ce but) avec beaucoup d'enthousiasme. A la pause, le vice-président était venu me voir et m'avait dit "Je vous ai détesté dès que je vous ai entendu parler". Comment cela était-il possible ? Interrogé, notre homme me répondit que je "forçais l'adhésion", et qu'il n'aimait pas qu'on lui dise comment penser, s'il fallait aimer une matière ou pas... Bref, il aurait fallu que je garde mon feu pour moi, et -sans doute- que j'expose mes travaux avec beaucoup de froideur, sans enthousiasme. 

Que l'on ne compte pas sur moi pour cela, car l'enthousiasme est une maladie qui se gagne, et je ne désespère pas convaincre la terre entière que les sciences de la nature, la rationalité, sont choses merveilleuses ! 

 

De même, je me souviens de comités où, ayant proposé une expertise avec aplomb, mes amis qui siégeaient avec moi avec repoussé ma proposition... pour la même raison : je ne les laissais pas juger par eux-mêmes. 

 

A propos de la cuisine note à note, j'observe le même phénomène : quand je la présente en disant "que vous la vouliez ou pas, vous l'aurez, parce qu'il faudra bien nourrir dix milliards d'êtres humains", j'ai à coup sûr le résultat attendu, à savoir que mes interlocuteurs se raidissent, refusent l'idée. Inversement, si je leur dis que nous avons là une possibilité (j'insiste sur le mot), et que cette possibilité est merveilleuse, et qu'ils ont le choix d'aller plus loin dans la découverte de la chose, alors l'acceptation est plus facile. 

On observera que, dans ces discussions (inutiles, me dit un ami maçons "Ils causent, je bétonne"), ce n'est pas l'objet discuté qui compte, mais seulement la façon dont on le présente à nos amis. C'est un peu dommage, mais cela est ainsi depuis longtemps. On n'oublie pas le Gorgias, de Platon, et je vous invite à ne pas manquer la belle leçon d'éloquence de Marc Bonnant : https://www.youtube.com/watch?v=PslBw8QyK1I. 

Evidemment, certains détesteront ses blasphèmes, ses provocations... mais quel est l'objet ? L'importance de la parole, notamment dans les questions de conviction. Finalement, je ne suis pas certain de vouloir passer beaucoup de temps à vouloir proposer à mes amis de l'eau tiède... puisque Dieu, dit-on, vomit ceux qui ont la même température.

Des actualités

 Une personnalité... compliquée et pas nécessairement amicale ;-) m'écrit que ma signature automatique contient trop d'informations, notamment parce qu'il y a l'image de la couverture de mon dernier livre et que cela prendrait de la place informatique. 

Je ne tiens évidemment aucun compte de ce type d'avis. 

 

La personne en question me demande de supprimer ces informations et je viens de lui répondre qu'il n'en est pas question mais que j'éviterai de lui écrire dans le futur.
 

Cela étant, cet épisode me donne une idée en observant que cette image est présente dans ma signature automatique depuis un certain temps, et que ce n'est donc plus une actualité. 

Mais si j'ai des activités à donner, pourquoi effectivement ne pas changer cette image... et donner des actualités ? Voilà une idée que je vais m'empresser de mettre en œuvre. 

Parfois il y aura des images, parfois il y aura des textes, parfois il y aura des liens vers des vidéos... 

 

Et c'est ainsi qu'il y aura de l'actualité qui sera donc  signalée comme telle.

lundi 5 février 2024

Faire une mousse

Les mousses sont à la mode, en cuisine, au point qu'un fabriquant de matériel de cuisine vient de produire un système pour en produire : il s'agit d'un mixer dont l'extrémité n'est pas une double lame, mais une sorte de pale qui brasse les liquides pour y introduire de l'air. 

Certains nomment « écume » une telle mousse, parce qu'elle est très légère, faite de grosses bulles d'air, mais il s'agit bien d'une mousse, et, à la réflexion, ce sont plutôt les mousses classiques (de poisson, par exemple) qu'il faudrait renommer, tant elles sont peu foisonnées. 

Quel nom trouver à ces dernières pour les distinguer des mousses « normales », que l'enfant obtient en agitant l'eau savonneuse de son bain, que le cuisinier obtient en battant des blancs en neige ? Souvent, ce sont des pâtes, faites de chair broyée, un peu foisonnées. Ce sont donc très peu des mousses. 

« Pâte foisonnée » ? L'expression est aussi laide qu'encombrante, et, en tout cas, elle n'est pas alléchante. Souvent, ces préparations sont obtenues par mélange de crème fouettée et de chair broyée (avec d'autres ingrédients secondaires), de sorte qu'il s'agirait de « mousses au poisson », plutôt que de « mousses de poisson ». De sorte que la distinction serait faite. 

Et, si ces préparations sont cuites dans une mousseline, ce seront des mousselines, tout comme elles seraient des terrines si elles étaient cuites en terrine, et des quenelles si elles avaient la forme appropriée. 

 

La question étant environ réglée, concentrons-nous sur la question posée en titre : faire une mousse. 

A cette fin, il faut un liquide, un gaz, des composés qui permettent de disperser le gaz dans le liquide. De tels composés sont dits « tensioactifs », et la cuisine en regorge : les protéines du blanc d'oeuf sont parfaites pour cet usage. La différence entre un émulsifiant et un tensioactif ? Elle est souvent faible, mais le mot « tensioactif » est plus général, car il désigne tout composé dont les molécules ont une partie soluble dans l'eau et une autre partie insoluble : ces molécules se disposent à l'interface (la limite) entre de l'eau et une phase qui ne soit pas de l'eau : huile ou air, par exemple. 

Les émulsifiants, eux, sont des tensioactifs renommés pour désigner leur utilisation dans des émulsions, mais, avec leur constitution de tensioactifs, ces composés peuvent souvent produire des mousses. Les lécithines, par exemple, peuvent tout aussi bien faire une mayonnaise qu'une mousse : dans le premier cas, on les ajoute à de l'eau, avant de battre de l'huile ; dans le second, on les dissout dans de l'eau que l'on fouette, sans matière grasse. Autrement dit, pour obtenir une mousse à partir d'un liquide, c'est tout simple : ajoutons des protéines dans le liquide. 

C'est ainsi que tient la mousse de la bière, et c'est ainsi que nous ferons tenir nos mousses de cuisine.

On peut faire du beurre à partir de la crème mais peut-on faire l'inverse ?

Un internaute m'interroge : 

On peut faire du beurre à partir de la crème, mais peut-on faire l'inverse, à savoir de la crème à partir du beurre ? 

Pour répondre à la question je crois que le mieux, c'est de partir du lait. 

Le lait est une émulsion,  à savoir que c'est de l'eau dans laquelle sont dispersées des gouttelettes de matière grasse. 

Cette matière grasse et celle dont on fera le beurre, et l'on sait qu'elle est entièrement solidifiée à des températures inférieures à moins de -10 °C et entièrement liquide à des températures supérieures à +50 °C.
Aux températures intermédiaires, il y a une partie de liquide et une partie de solide pour chacune des gouttelettes. 

Quand on laisse reposer le lait, les gouttelettes de matière grasse, de densité inférieure à celle de l'eau, montent progressivement vers la surface du lait, et cette couche enrichie en gouttelettes de matière grasse, mais qui est toujours une émulsion, est ce que l'on nomme la crème.
Dessous, il y a le lait écrémé, ce qui signifie qu'il contient encore un peu de matière grasse mais moins. 

 

Si l'on bat la crème en la refroidissant, ce qui constitue le "barattage", alors les gouttelettes de matière grasse finissent par se souder et faire une espèce d'échafaudage de matière grasse solide et liquide, qui emprisonne un peu d'eau, tandis que le reste de l'eau est exclu sous la forme de petit lait. Le produit obtenu par le barattage produit le beurre. 

Et le beurre et donc une sorte de gel, avec une structure solide qui comprend un peu de liquide. 

Et l'on comprend aussi que si l'on refroidit du beurre en dessous de -10 °C, l'eau qui subsiste congèle, tandis que la matière grasse liquide se solidifie entièrement, de sorte que le beurre est alors un solide complet.
Inversement, si on chauffe le beurre à plus de 50 °C environ, alors on obtient du beurre fondu c'est-à-dire un liquide à deux phases, une phase aqueuse dessous et une phase de beurre fond (on dit "huile") dessus. 

 

Abordons maintenant la question de savoir si l'on peut refaire de la crème à partir du beurre. 

Comment s'y prendrait-on ? Si l'on bat du beurre en ajoutant de l'eau, on réussit effectivement à introduire l'eau dans le beurre,  et ce dernier devient de plus en plus mou, parce qu'il comprend de plus en plus d'eau. 

Ajoutons sans tarder que cette pratique est évidemment autorisée à des fins culinaires, surtout quand l'eau a du goût comme quand c'est du café, du thé, du jus de fruits, et cetera,  mais que, pour les produits commercialisés, le beurre ne doit jamais contenir plus de 16 % d'eau selon la réglementation française.
Et cette limite est utile sans quoi des fabricants malhonnêtes vendraient du beurre plein d'eau, au prix du beurre et non au prix de l'eau. 


Mais revenons à notre  expérience qui consistait à ajouter de l'eau. On peut en mettre beaucoup, jusque 200 ou 300 % environ, mais à partir d'un moment, la matière se divise en espèces de gros grumeaux mous, et cela n'est pas de la crème ! Car la crème, c'est cette matière qui s'obtient par crémage du lait (voir la réglementation, et notamment, dans le Glossaire des métiers du goût  https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/lettre-b


Il y a une autre possibilité, qui consiste à fondre entièrement le beurre, doucement, à le "clarifier" comme il est dit en cuisine, et à décanter la matière grasse d'un côté et le petit lait de l'autre.
Si maintenant on ajoute la matière grasse en fouettant dans le petit lait, auquel on a ajouté de l'eau pour retrouver des proportions de la crème, ou du lait, alors on parvient, en s'y prenant comme quand on fait une mayonnaise, à émulsionner la matière grasse qui avait été décantée dans l'eau.
On obtient alors une sorte de reproduction de lait. Bien sûr, ce n'est pas du lait, car la structure n'est pas exactement la même, la taille et la répartition des gouttelettes de matière grasse diffèrent, par exemple... et la réglementation interdit de nommer cela du lait. 

Mais on obtient une émulsion avec les mêmes types d'ingrédients. Et si on laisse crêmer cette émulsion, alors on récupérera en surface une émulsion plus concentrée qui s'apparente à la crème... mais qui n'est pas la crème puisque cette dernière est définie  réglementairement.

 

Il y a d'autres solutions plus compliquées mais voici les principales idées que j'ai pour répondre à la question de notre ami.

dimanche 4 février 2024

Relisons Poincaré

A l'heure où de petits marquis disent les sciences de la nature égales à n'importe quel autre savoir, je relis Henri Poincaré (une autre pointure !) et je trouve : 

Quelques personnes ont exagéré le rôle de la convention dans la science ; elles sont allées jusqu' à dire que la loi, que le fait scientifique lui-même étaient créés par le savant. 

C'est là aller beaucoup trop loin dans la voie du nominalisme. Non, les lois scientifiques ne sont pas des créations artificielles ; nous n' avons aucune raison de les regarder comme contingentes, bien qu' il nous soit impossible de démontrer qu'elles ne le sont pas.

 

Ce n'est qu'un extrait... mais bien pensé !

samedi 3 février 2024

Faire de la bonne choucroute ? Raisonnons

 
Je dois avouer ici que j'ai très longtemps mal cuit la choucroute parce que je suivais des recettes au lieu de chercher à comprendre comment faire. Raisonnons, plutôt.

La choucroute, c'est-à-dire le chou fermenté, c'est d'abord du chou cru, détaillé en filaments. De sorte que la choucroute crue a la fermeté d'un chou cru, même si la fermentation a conduit à quelques modifications.
De ce fait, il faut cuire la choucroute comme on cuit du chou cru.

On n'oubliera pas que souvent, la choucroute est acide et salée, de sorte que, avant la cuisson, il faut  faire tremper la choucroute crue dans de l'eau, voire la cuire ainsi dans de l'eau (la "blanchir"), afin d'éliminer une partie de l'acidité et du sel. On jette cette première eau de cuisson.

Puis vient la cuisson proprement dite, qui va permettre d'obtenir un chou de consistance appropriée, et de goût bien "composé". Là, on peut ajouter un liquide qui s'évaporera, se concentrant, tel du bouillon de volaille, ou du vin (sans excès sans quoi on risque de renforcer l'acidité). C'est à ce moment-là que l'on pourrait ajouter des baies de genièvre, du cumin, et certainement aussi une matière grasse bien choisie pour son goût et non pas seulement pour assurer un contact entre la casserole et l'aliment à cuire.

Les pommes de terre éventuelles que l'on ajouterait pour agrémenter la choucroute finale ? Elles pourront cuire lors des deux phases de cuisson précédentes, parce que leur cuisson est un peu longue et que, de toute façon, il n'est pas vrai qu'elles s'imprègnent de quoi que ce soit (voir les expériences de nos séminaires de gastronomie moléculaire).

La viande et les saucisses ? S'il y a un goût de fumée, alors il sera bon de réserver viande, lard, saucisses  et boudins blancs ou noirs pour la deuxième phase de cuisson, la cuisson proprement dite, afin que l'ensemble prenne ce goût merveilleux.

Finalement, il aura lieu de dresser la choucroute, ce qui se fait classiquement en la déposant joliment dans un plat, en l'entourant d'un cordon de pomme de terre, et en la surmontant des viandes et des saucisses, de boudins, blancs ou noirs, de lard...
Il faut observer, que cette construction traditionnelle est bien rudimentaire, et l'on peut s'interroger sur des façons plus élaborées de faire. Pourquoi ne pas organiser la choucroute comme des lasagnes, avec des rondelles de pommes de terre et du chou  alternés ? Ou même avec les trois éléments que sont pommes de terre, chou et viande ? Certes, on n'ira pas jusqu'à l'extrémité de Pierre Gagnaire qui avait tressé les filaments de chou, mais il y a lieu de penser à dire à nos amis ce "je t'aime" culinaire qui s'impose absolument.


vendredi 2 février 2024

C'est la Chandeleur : vite des mécanismes !

Des phénomènes pour maîtriser la confection des crêpes

Bien sûr, pour faire des crêpes, on peut se référer à des recettes, mais rien ne vaut la compréhension des mécanismes des phénomènes qui sont mis à l'oeuvre si l'on veut réussir à tout coup et mieux maîtriser que ce qui est proposé.

Pour les phénomènes qui ont lieu lors de la cuisson d'une crêpe, il y a l'échauffement de l'eau, qui conduit progressivement à son évaporation, ce qui s'accompagne de la production de beaucoup de vapeur  : 1 g d'eau fait environ un litre et demi de vapeur.
Ce phénomène explique que les crêpes se soulèvent parfois de la poêle et, de ce fait, que la cuisson soit irrégulière, puisqu'elle n'a pas lieu de la même façon au contact de la poêle et dans la partie soulevée :  au contact de la poêle la température est parfois très élevée, d'où le brunissement des crêpes, tandis que, dans la partie soulevée, la température sera de 100 degrés seulement, ce qui fait là une sorte de cuisson à la vapeur.

D'autre part, il y a ce très important phénomène qu'est l'empesage de l'amidon.
En effet, la farine contient des petits grains blancs d'amidon, qui sont faits de couches concentriques de deux sortes de molécules nommées molécules d'amylose et molécules d'amylopectine. Quand ces granules sont chauffés en présence d'eau, alors les molécules d'amylose peuvent sortir des grains, tandis que les molécules d'eau y entrent, faisant considérablement gonfler les grains d'amidon. Ces derniers finissent par occuper tout le volume de liquide et vont jusqu'à s'interpénétrer, faisant une couche continue, dite empesée, qui contribue évidemment à la cohérence de la crêpe.
D'ailleurs, l'évaporation de l'eau préalablement discutée transforme cette couche empesée molle en une couche sèche et croustillante, d'où les crêpes dentelles.

Un autre phénomène est la coagulation des protéines de l'œuf quand elles sont présentes. Oui, quand elles sont présentes... car il n'y a pas toujours de l'œuf dans les pâtes à crêpes, et notamment dans les pâtes à galette de blé noir ou sarrasin. Pour ces dernières, l'empesage de l'amidon et le séchage de la couche empesée suffisent à donner la cohérence. Mais il est vrai que l'ajout d'oeufs, dont les protéines coagulent à la cuisson, permet de mieux tenir les crêpes... en même temps que l'on ajoute du goût, notamment parce que les protéines de l'œuf sont dégradés à la cuisson, libérant notamment un gaz nommé hydrogène sulfuré qui a précisément cette odeur d'oeuf cuit.

On disposant maintenant de ces informations, comment faire des crêpes ? On part d'une farine et on ajoute un liquide et, éventuellement,  des protéines susceptibles de coaguler.
Je prends volontairement une description très abstraite car il est vrai que la farine peut-être celle de blé, de riz, de châtaigne, de blé noir, de maïs, etc., mais on peut aussi la remplacer par de l'amidon ou par de la fécule... Tous les goûts sont possibles et toutes les farines sont utilisables.
Pour le liquide aussi on peut varier à l'infini :  du lait, de la bière, mais pourquoi pas du jus de fruit, un chocolat chaud, du thé, du café, du bouillon, du vin... ?
Pour les protéines, ce sont classiquement celles de l'œuf qui sont utilisées, mais, là encore, on peut varier et utiliser par exemple des protéines qui viendraient de la viande ou du poisson broyé.

Ainsi, tout est possible pour qui connaît les mécanismes de la de la cuisson des crêpes.
Ah, j'oubliais d'insister : pour avoir du croustillant, il faut évaporer de l'eau. Or  j'observe que trop souvent, crêpiers  et crêpières cuisent peut-être trop peu.