samedi 16 mars 2019

Le carré de Pasteur : ne gardez aucun souvenir de cette image pernicieuse, et voyez plutôt celle que je produis en fin de bille

Ce matin, je retrouve cette image, dont je ne sais plus d'où elle sort, en tout cas pour la version française, et j'en suis très mécontent. Mais, écrivant un terme négatif, je m'en veux aussitôt, non pas de mon jugement, mais de ne pas avoir présenté du positif à mes amis... de sorte que, en fin de billet, l'analyse étant faite, je donnerai un carré plus juste. Entre temps, j'aurai expliqué pourquoi Louis Pasteur lui-même n'aurait guère apprécié l'idée transmise derrière l'image que voici :



Il s'agit de "financer la recherche". Dont acte... mais quand même, cela vaut sans doute la peine que nous nous arrêtions sur le mot "recherche", qui est une porte ouverte à toutes les âneries, toutes les confusions. Non pas que la "recherche" n'existe pas, mais surtout que c'est la possibilité de confondre science et technologie, et pourquoi pas ingénierie, ou génie, tant que nous y sommes. Chaque terme renvoie à une entité bien particulière, qui ne se confond pas avec les autres.
Commençons par éclaircir les choses :
- sciences de la nature : la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode expliquée moult fois ici, mais dont je redonne pour mémoire les grandes lignes :



- technologie : l'amélioration des techniques, souvent avec l'aide des résultats des sciences
- ingénierie : ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle
- génie : ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions, puis par extension, la mise en œuvre de transformations moléculaires, par exemple.
Pour toutes ces activités, il peut y avoir de la "recherche", puisqu'on ne se contente pas de faire (sauf peut-être dans le génie), et qu'on cherche des moyens nouveaux de faire. D'ailleurs, un artiste aussi fait de la "recherche", mais pas de la recherche scientifique, bien sûr !
Puis, il y a la question du financement. Cette fois, on comprend que cela concerne soit des individus, soit des institutions, soit l’État. Ici, il s'agissait clairement d'une référence à l’État, et la question est de savoir où bien placer les financements donnés par l’État : à la science, ou à la technologie ?
"Choisir le bon carré" : rien que cette expression est minable... parce que cela me fait penser à ces questions d'enfant, à savoir "tu préfères la fraise ou la banane?", pour lesquelles ma réponse est invariablement "le cassis" ! Pourquoi l’État choisirait-il un seul carré ? Et pourquoi les quatre carrés ne s'imposeraient-ils pas ?
Recherche appliquée : si c'est appliqué, ce n'est pas de la science ! Et Pasteur lui-même a hurlé de rage une bonne partie de sa vie, s'évertuant à expliquer qu'il avait été initialement scientifique, quand il a fait ses travaux sur la chiralité (de l'acide tartrique, pour commencer), puis qu'il avait été conduit à quitter la science pour la technologie, la "recherche appliquée", avec la microbiologie, les vaccins... Oui, c'est Pasteur lui-même qui a bien distingué science et technologie, et aussi technique, tout comme le faisait bien Claude Bernard à la même époque (reconnaissant que la médecine est une technique, tandis que la recherche clinique est de la technologie, et la physiologie une science de la nature).
Mais ici, dans cette figure idiote, la "recherche appliquée" renvoie à la "recherche fondamentale"... et cette terminologie est détestable. En effet, la science n'est pas "fondamentale ; c'est la science. Et il n'y a pas d'opposition recherche appliquée-recherche fondamentale, mais une différence entre science et technologie. D'ailleurs, tant que nous y sommes, il faut signaler que la science et la technologie ne peuvent pas être mises sur un axe continu, car il y a solution de continuité entre les deux !
De ce fait, les travaux technologiques de Pasteur ne sont pas de plus grande "qualité" que ceux de Niels Bohr, et ceux de Pasteur ne sont pas plus "scientifiques" que ceux d'Edison.
Faut-il éviter une "zone" ? Comme l'organisation proposée ici est idiote, le "carré à éviter" n'est pas à éviter... puisqu'il n'existe pas.
Et, enfin, Pasteur n'est pas un "carré magique", parce qu'il conduirait à exclure les travaux scientifiques, dont on ne répétera pas assez qu'ils n'ont pas seulement la technique comme champ d'applications, mais aussi l’École (de la Maternelle à l'Université, et au-delà), la Culture, qui est l'honneur de l'esprit humain.

Bref, ce schéma est bête, pernicieux, à combattre. Faisons donc bien plus positif :


Ici, il y a la technique, qui produit nos biens et services, et dont l'Etat aurait intérêt à encadrer les productions de façon éclairée, avec encouragement.  Il y a la technologie, qui prend les résultats des sciences, pour les faire passer en technique. L’État ne doit pas faire le travail lui-même, mais encourager le transfert, par des industriels (petits ou grands) qui s'enrichiront, produiront de l'emploi et de la richesse nationale. Là encore, de l'encouragement.
Enfin, il y a la science, qui n'est pas de la technologie, et qui est une activité d'appoint de l’État à la nation... et c'est donc seulement la case Bohr qui devrait être financée, en matière de production directe de l’État (par opposition à l'encouragement que j'évoquais précédemment).  On observera que les trois activités représentées ici le sont au même niveau : je maintiens qu'un bon technicien est mieux qu'un mauvais scientifique, mais qu'un bon scientifique est mieux qu'un mauvais technicien. En réalité, on ne peut pas comparer des activités différentes !

samedi 9 mars 2019

Egalement en français

Quand vient le printemps, tout fleurit... même les dénominations les plus absurdes. Il n'est pas inutile de rappeler clairement et honnêtement que :
1. les sciences de la nature sont des activités où l'on cherche les mécanismes des phénomènes, par une méthode que j'ai déjà exposée mille fois, mais que nous pouvons résumer dans l'image jointe
2. la technologie est l'activité qui consiste à améliorer les techniques (souvent en utilisant les résultats produits par les sciences de la nature
3. il n'existe pas de "sciences appliquées" (horrible expression disait déjà Louis Pasteur) : il y a la science, qui n'est pas "appliquée", et les applications de la science ; l'activité qui cherche des application a pour nom technologie

Plus focalisé, maintenant :
4. les sciences des aliments explorent scientifiquement les aliments
5. la technologie alimentaire améliore l'aliment, sa production, souvent avec les résultats des sciences des aliments
6. parmi les sciences des aliments, certaines se consacrent aux ingrédients (qui ne sont donc pas des aliments)
7. la science qui cherche les mécanismes des phénomènes qui ont lieu pendant la préparation des aliments a pour nom "gastronomie moléculaire et physique", ce que l'on nomme aussi, plus brièvement, "gastronomie moléculaire"
Se tiendra à Paris, en juin, le neuvième "International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy". Le thème est :  Flavour through Cooking.
inscriptions : icmg@agroparistech.fr




Dear Friends

When spring comes, new words flourish, but indeed, it is perhaps not unnecessary to say clearly that :
1. Sciences of nature (sometimes called natural sciences) are activities where you look for phenomena using the scientific method (observing a phenomenon, measuring it, grouping the data into equations, looking for a theory, trying to refute the theory)
2. Technologies are activities of improving the technique (often using the results of sciences of nature).
3. "Applied sciences" cannot exist : the tree is not the fruit. If it is a science, it is not "applied", and if it is applied, this is technique or technology (and there, whereas applied sciences don't exist, there are applications of sciences)
More focused, now :
4. Food sciences are activities about studying food scientifically.
2. Food technology is the activity of improving food (often using the  result of food sciences)
3. Among food sciences, there are sciences for ingredients (finding new compounds in food ingredients),
4. The science for looking for mechanisms occuring during cooking is called "molecular and physical gastronomy", shortened in "molecular gastronomy".
And this is why I invite you to distribute the announcement of the next "International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy", in Paris (France), June  5-7.
The topic will be :  Flavour through Cooking.
application to : icmg@agroparistech.fr


The new workshop on Molecular Gastronomy

Dear Friends

When spring comes, new words flourish, but indeed, it is perhaps not unnecessary to say clearly that :

1. Sciences of nature (sometimes called natural sciences) are activities where you look for phenomena using the scientific method (observing a phenomenon, measuring it, grouping the data into equations, looking for a theory, trying to refute the theory)

2. Technologies are activities of improving the technique (often using the results of sciences of nature).

3. "Applied sciences" cannot exist : the tree is not the fruit. If it is a science, it is not "applied", and if it is applied, this is technique or technology (and there, whereas applied sciences don't exist, there are applications of sciences)

More focused, now :

4. Food sciences are activities about studying food scientifically.

2. Food technology is the activity of improving food (often using the  result of food sciences)

3. Among food sciences, there are sciences for ingredients (finding new compounds in food ingredients),

4. The science for looking for mechanisms occuring during cooking is called "molecular and physical gastronomy", shortened in "molecular gastronomy".


And this is why I invite you to distribute the announcement of the next "International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy", in Paris (France), June  5-7.

The topic will be :  Flavour through Cooking.


application to : icmg@agroparistech.fr


vendredi 8 mars 2019

Science et cuisine... Drôle de terminologie fourre tout

Je vois des congrès "science et cuisine"... et cela me fait penser instantanément à ces rencontres "sciences et art", ou  "femme et santé"... Dans chaque cas, de quoi d'agit-il ?
Avec "science et cuisine", je comprends bien que les organisateurs veulent attirer des cuisiniers en leur faisant miroiter de la science, et attirer des scientifiques en faisant miroiter de la cuisine. Mais , en réalité, les cuisiniers ne sont pas intéressés par la science, même s'ils ont parfaitement le droit de ne pas être ignorants. Notamment, certains sont souvent intéressés par nos travaux de gastronomie moléculaire. Mais en pratique (professionnelle), ils sont  en réalité plus intéressés par la technologie, c'est-à-dire par les applications de la science à la cuisine, et, de fait, les congrès intitulés "science et cuisine" ont souvent un nom usurpé, car ce ne sont pas des congrès où l'on parle de science, mais des congrès de  technologie culinaire.
Invité dans un tel congrès, récemment, je n'ai évidemment parlé que de ce que je fais,  c'est-à-dire de la science, et plus exactement une science qui a pour nom la gastronomie moléculaire. Bien sûr,  j'ai parlé aussi d'applications,  mais en les distinguant bien des questions scientifiques. La science est une chose, la technologie en est une autre  !

J'ajoute enfin que, dans ce congrès, des collègues physiciens me faisaient observer que le nom "gastronomie moléculaire" était restrictif, parce que, la physique, la biologie...  En réalité, le titre  complet de la discipline est « gastronomie moléculaire et physique », et cela inclut tout aussi bien de la biologie, par exemple.

 Certains diront qu’il faut aussi des sciences de l’humain et de la société… proposant « gastronomie scientifique », mais je ne suis jamais bien certain qu’il faille mêler les sciences de l’humain et de la société avec les sciences de la nature… sans quoi le mot « science » verse dans une acception mollassonne, où l’on trouve tout et n’importe quoi.  Bref, science et cuisine : j’y vois de la gastronomie moléculaire et physique, ce que nous avons raccourci en « gastronomie moléculaire ».

Et je termine en observant que, sous le terme de science se cache beaucoup de technologie, ce qui n’est pas la même chose. Il y a des milliers d’articles prétendus scientifiques qui sont en réalité de la technologie… au point que dans un numéro récent dde la revue Food Chemistry, je n’ai vu que très peu de science, et toute cette science là  visait l’élucidation de la composition des ingrédients… et non des aliments. En réalité, le titre du journal était donc usurpé, puisque la chimie est une science, et non une application de la science, laquelle a pour nom la technologie chimique (éventuellement).
En tout cas, rien sur la science qui explore les mécanismes des transformations des ingrédients en aliments (gastronomie moléculaire), et rien non plus sur l’analyse des véritables aliments… mais en vue de quoi, d’ailleurs, d’un point de vue scientifique, ferait-on ces analyses ? Au fond, la question se pose : quelle est cette prétendue science des aliments dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles ?

jeudi 28 février 2019

Dangers et risques

Dans les discussions sur la sécurité sanitaire des aliments, il y a deux mots essentiels, qui sont hélas trop souvent confondus, tout comme dans les cuisine, à propos de la méthode "HACCP", qui vise à produire dans des conditions de sécurité... qui éviteront que, comme aux Etats-Unis en 2017, la moitié des toxi-infections alimentaires résultent d'un passage au restaurant, où le lavage des mains est la première mesure à prendre.

Bref, les deux mots sont "danger" et "risque". 

Le danger est inhérent à la chose. Une chaise est dangereuse, par exemple, parce que si elle lâche, on peut tomber et se blesser. Une voiture est dangereuse, un couteau est dangereux, mais aussi une fourchette, une cuiller, une assiette, le sel, le poivre, l'eau : je vous laisse jouer au jeu d'imaginer dans quelles circonstances, mais voici des pistes.
La fourchette peut crever un oeil.
L'assiette peut, mal lavée, apporter des micro-organismes pathogènes.
L'eau trop pure (neige fondue, par exemple) peut provoquer des chocs osmotiques.

Bref, puisque le danger est partout, il serait imbécile de légiférer sur le danger, et, heureusement, certains de nos élus ont compris qu'il faut plutôt légiférer ou réglementer sur le risque.
Par exemple, le couteau ne pouvant être interdit, ce que la loi peut faire, c'est d'interdire des couteaux trop dangereux (pointus, à cran d'arrêt, plus long que la paume de la main) dans certains lieux publics. Ou encore, puisque la voiture est dangereuse, on réglementera ou on légiférera sur la vitesse maximale.
Et tout cela avec doigté, sans excès, sans prudence excessive qui immobiliserait toute notre société.

Donc il faut s'assurer des risques.

Ce qui vient d'être dit des voitures ou des couteaux vaut pour les composés variés que nous utilisons : les pesticides, les conservateurs des aliments, les additifs variés que nous utilisons.
Et cette législation, cette réglementation doit se faire, pour les aliments, dans le cadre de la loi sur le commerce des denrées alimentaires, dont on rappelle qu'elles doivent être saines, loyales et marchandes.

Bref, considérons moins les dangers que les risques !


mercredi 27 février 2019

Sécurité alimentaire et sécurité sanitaire des aliments

 Un dieu jaloux a voulu éviter la collaboration qui visait, à Babel, à construire une tour qui atteindrait le ciel. De même, aujourd'hui, l'emploi de mots à acception réservée conduit à des confusions. Ainsi, certains désignent pas "sécurité alimentaire" ce qui est en réalité une sécurité sanitaire des aliments.

C'est toujours cette difficulté du partitif, selon laquel le "cortège présidentiel" se distingue du "cortège du président". Expliquons dans l'ordre inverse :
- le cortège du président, c'est l'ensemble des personnes qui accompagnent le président
- le cortège présidentiel, ce serait un cortège qui serait le président !

De même, la sécurité alimentaire se rapporte à la question de produire assez d'aliments pour nourrir les populations.
La sécurité sanitaire des aliments désigne le fait que les aliments soient sains.

Et nos débats publics seraient plus apaisés si tous les protagonistes partageaient ces définitions. Soyez prosélytes !




mardi 26 février 2019

Je vous présente le chlorure de sodium

Aujourd'hui, des amis m'interrogent à propos de chlorure de sodium. De quoi s'agit-il ?

Pour expliquer la chose, et pour expliquer pourquoi le chlorure de sodium n'est pas exactement le sel de table, il est bon de reprendre les choses d'un point de vue historique et technique.

Partons donc de la mer, qui est de l'eau salée. Si on évapore l'eau (dans une poêle ou dans un marais salants), on récupère des cristaux plus ou moins blancs, et que l'on a nommés cristaux de sel. On peut aussi extraire des cristaux de sel de mines, et c'est alors du "sel gemme".
Si l'on s'y prend bien, on peut recristallier ces matières et obtenir des cristaux très blancs, qui sont alors du chlorure de sodium quasiment pur. Cette fois, ces cristaux sont des assemblages  réguliers de deux types d'atomes : des atomes de sodium, et des atomes de chlore. Et comme ces atomes s'échangent des électrons, on les nomme des ions.

Mais le monde est imparfait, et quand on cristallise le sel à partir de la mer, les cristaux ne sont pas exclusivement composés d'atomes de chlore et de sodium. Il y a des atomes d'iode, de potassium, et plein d'autres ions que l'on pourrait nommer impuretés, non pas que ces atomes soit moins bien que ceux de chlore et sodium (il y a même de l'or, dans le lot), mais qu'il ne font pas partie du chlorure de sodium.
 Autrement dit, le sel marin stricto sensu n'est pas stricto sensu du chlorure de sodium puisqu'il contient des impuretés , et il en va de même pour le sel gemme. La différence n'est pas grande quand les sels sont raffinés mais elle peut le devenir pour le sel gris, pour le sel de mer non raffiné, et là, le contenu en ions autre que chlore et sodium peut-être important, ce qui explique d'ailleurs que le sel puisse parfois être non seulement salé, mais aussi un peu amer : les ions calcium confèrent une certaine amertume, quand ils sont abondants, ce qui doit nous conduire d'ailleurs à observer que notre appareil sensoriel détecte parfaitement ce calcium essentiel pour la constitution de notre organisme. La découverte n'est pas très ancienne, et elle préfigure sans doute d'autres découvertes du même type.