dimanche 19 février 2017

Ne faut-il pas avoir l'esprit clair pour bien enseigner ?

Dans un document pédagogique, je lis :

"Les sciences expérimentales -notamment la physique-chimie-  au travers de leur enseignement, sont un domaine privilégié au sein duquel l'enseignant et les élèves ont la possibilité d'interpeller les valeurs de la république".

Commençons à lire calmement. On nous parle de "sciences expérimentales", mais cela pose une question épistémologique essentielle, car cela reviendrait à considérer que l'expérience est le critère de démarcation entre les sciences classiquement -et internationalement- dites "de la nature", et des sciences de l'humain et de la société.
En l'occurrence, Galilée, qui n'était pas moins grand que nos pédagogues modernes, disait justement que les sciences de la nature ont deux pieds : l'expérience et le calcul. Ne conserver que l'expérience pour désigner ces sciences, c'est appauvrir considérablement le champ... et aller dans une direction qui n'est pas souhaitable : ne vaut-il pas mieux être honnête avec les élèves, et leurs faire comprendre :
- que les sciences de la nature imposent du calcul ("le monde est écrit en langage mathématique", disait Galilée)
 -  que ce calcul est merveilleux, facile ?

Puis on nous parle d'une science qui serait la "physique-chimie". Quelle confusion ! Il y a la physique, qui est une science de la nature (physis signifie "nature", en grec), et il y a la "chimie" qui est... une science de la nature aussi, qui s'intéresse aux assemblages d'atomes, et, notamment, aux réorganisations de ces derniers assemblages, ce qui se nomme des réactions. Cette science se distingue de la préparation de composés nouveaux (les "produits") à partir de composés initiaux, que l'on nomme les "réactifs". La cosmétique, la cuisine, la métallurgie, la préparation de médicaments, de peinture, de bougies...


Mais vient maintenant "au travers de leur enseignement" : au travers ? Que veulent dire nos amis ? Par leur enseignement ? Au cours de leur apprentissage ? On sent le jargon pas bien pensé, et donc pas bien dit.

Mais vient le meilleur : les élèves et les enseignants peuvent interpeller les valeurs de la République... Je m'interroge : il y a donc les valeurs de la République, qui sont l'égalité, la fraternité, la liberté. Les interpeller ? Vite, le recours au (bon) dictionnaire : je n'y trouve pas d'usage du mot qui convienne. En effet, on interpelle quelqu'un, et pas quelque chose. Interpeller quelqu'un ? Appeler quelqu'un ; lui adresser la parole (d'une manière brusque) pour attirer son attention, lui demander quelque chose ou l'insulter. Décidément, je vois mal les valeurs de la République là-dedans.

Moralité : les didacticiens qui ont produit le document qui commence par le paragraphe que je cite  sont des ânes ! Et pire, ils sont dangereux, car on leur confie des enfants.

Ca y est !

Ce matin, je vois un billet qui s'assortit d'une question. Pas une seconde n'est perdue : je fais la réponse, et un billet plus long qui argumente en même temps qu'il combat des usages terminologiques dévoyés, donc malhonnêtes.

Tout cela est sur le blog où j'évoque des questions de cuisine : http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/02/mousseline.html

samedi 18 février 2017

Et là, je me suis laissé aller...

Un correspondant agite un torchon rouge devant le taureau : peut-on faire des soufflés aux fruits rouges ? Pourquoi ne trouve-t-on pas de recettes de soufflés aux fruits rouges en ligne ?
Pour la seconde question, je ne sais pas, mais pour la première, oui, mille fois oui, on peut faire des soufflés au goût que l'on veut. Aux fruits rouges comme au fromage ou à la vanille, ou au poisson, ou à la viande, ou... à tout !
L'essentiel : ne pas oublier les "trois règles de Hervé", et voir http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/02/des-souffles-aux-fruits-rouges.html

J'ai encore oublié !

Pardon, j'ai oublié de signaler ici que j'ai fait mon billet quotidien sur le site http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/02/pourquoi-les-liebigs-ne-sont-pas-des.html

jeudi 16 février 2017

Les professeurs de l'Institut des Hautes Etudes du Goût (1)

Lors de la dernière réunion du Comité pédagogique, il m'est apparu bien clairement que notre politique pédagogique de l'Institut des Hautes Etudes du Goût méritait d'être explicitée... et les enseignants présentés au public.

Allons-y.

Tout d'abord, cet Institut, que nous avons créé en 2004, vise à réunir des intellectuels français parmi les plus remarquables, pour leur permettre de dispenser leur savoir à des auditeurs venus du monde entier (voir http://www.heg-gastronomy.com/fr/).
Il ne s'agit pas, comme dans n'importe quel cursus universitaire, de définir des matières et de trouver des enseignants pour les enseigner, mais, au contraire, de convaincre des personnalités admirables de s'associer pour faire un bouquet intellectuel extraordinaire (au sens littéral du terme).

Bref, nous parvenons à ce résultat depuis plus de dix ans, et le succès est au rendez vous. Les auditeurs viennent du monde entier, chaque année pour deux semaines, la première à Paris, puis à Reims, puisque le programme est porté universitairement par l'Université de Reims Champagne Ardennes.

Des personnalités

Tout cela étant posé, lors de la dernière réunion de notre institut, il m'a semblé que nos enseignants méritaient d'être mieux connus, et j'ai donc décidé de les présenter, un chaque semaine.
Pour commencer, permettez-moi  de vous parler de Sylvie Lortal, qui nous a rejoint l'an passé :




Sylvie Lortal est Directrice de recherches à l’Inra. Elle conduit depuis 25 ans des recherches fondamentales et appliquées sur les mécanismes d’affinage des fromages, sur l’activité in situ des micro-organismes et de leurs enzymes, et sur la biodiversité des propriétés technologiques d’intérêt des levains lactiques et propioniques. L’ensemble de ces travaux lui ont valu en 2011 l’Award de l’American Dairy Science Association.
Elle a dirigé pendant 8 ans l’UMR Science et Technologie du Lait et de l’œuf à l’Inra de Rennes (https://www6.rennes.inra.fr/stlo) et a été récemment co-éditeur de l'Oxford Companion to cheese (2016-Oxford Univ. press), un ouvrage encyclopédique unique autour du fromage.
Passionnée par les aliments fermentés, leur place unique dans la diète de l’homme et par la biodiversité des écosystèmes microbiens impliqués, elle a fondée en 2006 à Rennes un Centre de Ressources Biologiques « Bactéries d’intérêt alimentaire » (CIRM-BIA), collection de micro-organismes certifiée ISO 9001 (4000 souches) – membre du réseau national Biobanque, CRB dont elle est aujourd'hui conseillère scientifique.
Toujours dans le champ des collections microbiennes, elle a coordonné pour l’Inra le projet Européen d’infrastructure EMbaRC (FP7 – 2009-2012).
Elle est actuellement Chargée de mission au Département Microbiologie et Chaine alimentaire de l’Inra. Sa mission principale est de monter un réseau européen, qui porterait une réflexion collective sur la place et notamment les bénéfices nutritionnels des aliments fermentés dans la diète européenne. Parallèlement, elle continue des travaux de recherche sur les biofilms positifs présents sur les ustensiles traditionnels de transformation laitière (cuves de fromagerie en bois , calebasses africaines, etc...). Ces systèmes représentent en effet un conservatoire ex-situ de biodiversité microbienne d'un grand intérêt technologique et un système simple et durable d'ensemencement.




Impressionnant, non ?





Pour un jeune ami que je ne connais pas

Ce matin, je reçois un message me disant "Si tu ne peux pas venir à la réception, un de tes fervents admirateurs va être très déçu, il espérait échanger avec toi ! Peut-être as tu un truc à la "Mélenchon" pour te dédoubler ?".

Oui, j'ai un truc, mais pas un truc à la Mélanchon ; un truc à la Hervé This, et qui consiste précisément à discuter d'abord la question de l'admiration. Ce sera ma première façon d'interagir avec mon ami que je ne connais pas.

L'admiration, donc ? Le seul dictionnaire qui vaille, le Trésor de la langue française informatisé, nous dit : "Sentiment complexe d'étonnement, le plus souvent mêlé de plaisir exalté et d'approbation devant ce qui est estimé supérieurement beau, bon ou grand."
On voit que je ne mérite pas d'admirateur, ou, du moins, que mes éventuels admirateurs se trompent en m'estimant "supérieurement beau, bon ou grand". Ce n'est pas de la fausse modestie, mais du réalisme. Je me lamente de ne pas savoir assez bien calculer, de ne pas être assez méthodique, pas assez précis, trop hâtif, pas assez concentré... Jusqu'en classe de Mathématiques spéciales, les professeurs marquaient sur mon bulletin "Peut mieux faire". Oui, peut mieux faire.

Cette question de l'admiration ne se pose pas à moi pour la première fois : lors d'une mission à l'étranger, le doyen d'une grande université avait un discours élogieux, prononçant le mot "fierté". Fierté ? Je ne suis fier de rien, et j'ai seulement envie de faire beaucoup (ou, plutôt, je ne cesse de faire... car l'envie n'est rien sans la réalisation, n'est-ce pas ?). Car c'est l'étendue de mes insuffisances qui m'atterre. A l'époque, j'avais fait l'observation au doyen élogieux, et il m'avait répondu qu'il était important de montrer à la fois une personne et son travail, afin de montrer aux suivants qu'il était humain d'arriver à des réalisations qui paraissent notables.

Convaincant ? Pas sûr. Je préfère reprendre l'analyse de cette difficile question... avec mes propres "admirations".
Enfant, j'ai été ébloui par Antoine Laurent de Lavoisier. Mais ébloui au point que je suis tombé dans le panneau de quelques unes de ses erreurs ; et progressivement, j'ai découvert certaines de ses faiblesses humaines... au point qu'une analyse récente d'un de ses articles a été jugé "cruel" par des historiens des sciences (H. This, N3AF, https://www.academie-agriculture.fr/publications/les-academiciens-ecrivent/n3af/n3af-2016-8-methodological-advances-scientific).
Puis, plus tard, j'ai trouvé Michael Faraday très remarquable. Là, la personne humaine  était effectivement remarquable, parce que Faraday fut un autodidacte sauvé par quelques principes intellectuels à propager absolument.
J'ai la chance d'avoir ou d'avoir eu quelques amis merveilleux, ce que je nomme de "belles personnes"... Ce sont toutes des personnes qui sont passionnées de leur travail, qui ne se posent pas la question de la réputation, mais de l'action effectuée ou à effectuer. Ai-je pour elles de l'admiration ? Je ne crois pas : de l'amitié, certainement, et de la reconnaissance de faire ce que font de belles personnes, à savoir nous surprendre à chaque instant par des idées neuves.
Quelques peintres ? Je passe rapidement devant, car je suis un imbécile. Quelques musiciens remarquables ? Alors je préfère jouer de la musique, dans l'espoir d'une amélioration. Pas grande place pour l'admiration, chez moi ; pas le temps !

Cela étant, à quoi bon admirer ? On ne refera jamais l'histoire, et je préfère que mes amis occupent mieux leur temps qu'avec l'admiration : pourquoi n'utiliseraient-ils pas plutôt ce temps contemplatif pour faire grandir ou entretenir dans leur coeur des brasiers qui les conduiront à faire demain mieux qu'ils n'ont fait hier ? 
Certainement la fréquentation de certains permet d'en retirer quelque chose, et j'espère tendre à mes amis de la méthodologie. Si je peux être crédité de quelque chose, c'est peut-être seulement de cela : dans mes cours de Master, par exemple pour le Master Erasmus Mundus Plus "Food Innovation and Product Design" (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS), je ne cesse de discuter la question de la méthode. Et toujours en améliorant (obsessionnellement?) ce qui a déjà été fait !

Bref, l'admiration m'est un sentiment d'autant plus étranger que je suis dans l'action, et pas dans la contemplation. Mais, surtout, à quoi bon ?
En revanche, je suis très soucieux d'avoir beaucoup d' "amis", c'est-à-dire de personnes qui partagent le goût de la connaissance, qui dénichent pour moi des pépites de connaissance, qui m'aident à grandir. J'espère vivement que  mon ami inconnu "échangera" librement avec moi : je réponds à tous les emails.

vendredi 10 février 2017

CV

Des élèves qui font un TPE me demandent un cv à jour. J'en mets un sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/ 


Cela dit, s'il est à jour, il est bien incomplet, parce que je ne parviens pas à suivre tout ce que je fais... et que cela ne m'intéresse pas : moi, c'est ce que je fais qui me passionne, pas ce que j'ai fait.
Dit autrement, j'utilise bien sûr mes erreurs pour m'améliorer, mais la question est plutôt : comment faire toujours mieux ? Dans un de mes livres, je cite Michel Eugène Chevreul, qui disait "tendre avec effort vers la perfection sans y prétendre"... mais l'idée de la perfection nous empêtre : ne pouvons-nous nous contenter de faire de mieux en mieux ?