mardi 8 août 2023

Avec la gastronomie moléculaire, de la recherche scientifique pour tous

 
Avec la gastronomie moléculaire, il y a de la place pour des recherches variées, du presque appliqué, jusqu'au plus fondamental. 

Commençons par rappeler la définition de la gastronomie moléculaire  : il s'agit d'explorer les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires. Par exemple, on passe d'un morceau de tissu musculaire de boeuf et l'on en fait un steak en le faisant sauter ou griller ; par exemple, on chauffe un mélange de jaunes d'oeufs, de sucre et de lait, et la préparation épaissit, formant une sauce qui a pour nom "crème anglaise". 

La gastronomie moléculaire explore donc les phénomènes. Par exemple, dans le premier cas, le brunissement superficiel de la viande ; par exemple, l'apparition d'une fumée blanche au-dessus de la viande chauffée ; par exemple, l'apparition d'une odeur agréable. Dans le second cas, il y a l'épaississement de la solution initiale, tout d'abord ; mais il y a aussi la disparition éventuelle des bulles d'air qui ont été initialement introduites lors de la préparation du ruban (pour faire une crème anglaise, en effet, on commence par fouetter des jaunes d'oeufs avec du sucre en poudre jusqu'à un éclaircissement du jaune de la préparation, un aspect bien lisse, coulant, que l'on nomme le ruban). 

Parfois, les phénomènes explorés ne sont guère compliqués... Ou plutôt, les phénomènes sont les phénomènes, et c'est notre décision, ou nos possibilités, qui nous conduisent à les explorer en surface ou en profondeur. Considérons par exemple la fumée blanche qui s'élève au-dessus d'un steak que l'on saute. A un niveau élémentaire, il s'agit bien d'eau qui est évaporée, de vapeur d'eau qui s'élève en raison de sa densité inférieure à celle de l'air, et la formation de gouttelettes d'eau liquide, quand la vapeur se recondense, dans l'air froid. Cela, c'est une description immédiate, élémentaire, mais qui peut être poursuivie bien plus en détail. Ainsi, comment l'eau s'évapore-t-elle ? Initialement, elle se trouve sous forme liquide dans la viande, mais la chimie physique sait bien que l'ébullition est un phénomène complexe, que la formation de bulles de vapeur dans un liquide reste difficile à décrire par la thermodynamique. 

L'observation est très générale : pour les phénomènes, il y a du superficiel et du plus profond. Non que le plus profond soit accessoire, mais qu'il soit surtout de plus en plus difficile. On peut évidemment toujours donner une description rapide, mais les sciences de la nature ont ceci d'extraordinaire qu'elles ne s'en satisfont pas, et qu'elles creusent, et creusent à l'infini... 

Et c'est ainsi que j'en reviens à ma déclaration initiale : pour les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires, il y a des exploration immédiates, très nécessaires, et des explorations plus fondamentales. 

On peut commencer par chercher si ce qui a été dit est vrai, et ce sont les tests des précisions culinaires, que chacun peut faire s'il est équipé et rigoureux : est-il vrai que du jaune d'oeuf empêche les blancs de monter en neige ? est-il vrai que les os dans un bouillon lui enlèvent du goût ? est-il vrai que les blancs de volaille sont plus tendres quand on attend un peu, après la fin de la cuisson, avant de les découper ? est-il vrai que... 

D'autre part, on peut se limiter à chercher la raison de la fumée blanche au dessus d'un steak, et il s'agit déjà de recherche scientifique au sens littéral du terme, même si  cette exploration reste simple. Et l'on peut aussi aller jusqu'aux profondeurs des mécanismes intimes de la formation de la vapeur à partir d'un tissu musculaire que l'on chauffe, et l'on a quelque chose de bien plus fondamental. 

Il y en a pour tous les goûts en matière de recherche scientifique, avec la gastronomie moléculaire, et c'est d'ailleurs contenu en germe dans la définition de l'activité scientifique, qui comprend  : l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en lois synthétiques, la recherche de théories compatibles avec ces lois, la recherche de prévisions expérimentales vues comme conséquence des théories, les tests expérimentaux de ces conséquences. A chaque étape, une possibilité de travail de recherche scientifique. 

 

Et l'on ne saurait terminer un tel billet sans évoquer la question de l'enseignement : puisque tant de mécanismes restent inexplorés, la cuisine ayant longtemps été considérée comme trop prosaïque, il y a de la placer  pour des chercheurs débutants que seraient des étudiants peu avancés en science. Il y a des myriades de phénomènes inexplorés : n'hésitez pas !

lundi 7 août 2023

Les épinards et les mathématiques : un encouragement à l'attention des collégien

Pardon d'un peu d'introspection... mais j'essaie d'être utile à nos jeunes amis. 

Pardon aussi, il y a plusieurs idées dans le même billet. 

Et pardon d'un usage étrange de la typographie, mais j'ai un nouveau jeu qui consiste à utiliser le gras à ma manière, ce qui, pour quelqu'un qui explore la cuisine, n'est pas étonnant. Il suffit que mes essais ne sentent pas le graillon ;-) 

 

Amusant de se regarder avec le recul des années. Quand j'étais "petit" (disons : à certains moments de mes études du Second Degré), j'adorais la chimie, j'aimais la physique, j'adorais les mathématiques... et je n'aimais pas le calcul que l'on mettait en chimie et en physique. 

Pourquoi ?  Rétrospectivement, tout m'étonne. 

 

Ainsi, voici un souvenir à distribuer aux collégiens : alors que j'aimais les mathématiques quand j'étais écolier, puis collégien, puis lycéen, alors qu'elles ne me posaient guère de problème (quand elles étaient raisonnablement expliquées, par un professeur ou par un livre compétents ; il faut quand même dire qu'il existe aussi des gens qui enseignent alors qu'ils n'ont pas compris eux-mêmes, ou qui ne savent pas expliquer, tout comme il existe de mauvais livres), je me vois encore, un de ces jours tristes de décembre, sans doute  en 1967, dans une triste salle d'un lycée caserne, avec une lumière dépressive, des murs jaunes, un parquet de bois usé et poussiéreux, faisant un "contrôle" ; il s'agissait de calculer la somme de deux fractions polynômiales, quelque chose d'élémentaire, donc... et je n'y arrivais pas. Les modifications hormonales m'abrutissaient. Je me vois encore me dire "Ce n'est pas difficile, je sais le faire"... et ne parvenir à rien, hébété par l'adolescence. 

Chers jeunes amis, courage, cette période finit par passer.  Ainsi, je me souviens de mon refus de mettre des "mathématiques" en chimie, un peu plus tard. Comme beaucoup d'étudiants que je vois maintenant, il y avait cette attitude qui consiste à dire "Laissons les mathématiques en mathématiques, et faisons de la chimie". A la réflexion, il y avait du juste et du moins juste. D'abord, il y avait du faux à nommer "mathématiques" ce qui n'était que du calcul.Je propose de nous faisions la distinction : les mathématiques sont cette activité merveilleuse qui invente (ou explore... pour certains : c'est une option philosophique) un monde où le calcul est roi. Ce n'est pas une science de la nature, sauf pour d'autres qui voient, par option philosophique, les mathématiques comme découverte de structures données par avance. Je fais une digression en rappelant ici la phrase de Leopold Kronecker  "Dieu a fait les nombres entiers, tout le reste est l'oeuvre de l'homme". 

 

Fin de la digression ; revenons à notre "chimie". Ce que je n'avais pas compris -parce que je vois que le monde, aujourd'hui encore, reste confus-, c'est que le calcul, maniement d'outils courant dans les "échoppes des mathématiciens", se distingue des mathématique ; or, au collège, au lycée, on ne fait guère de mathématiques, et l'on apprend seulement le maniement de ces outils. Ou du moins, il en était majoritairement ainsi quand j'étais lycéen. 

Ce que je n'avais pas compris -parce que je vois que le monde, encore aujourd'hui, reste confus-, c'est que la "chimie" n'était pas une activité clarifiée. Si la chimie avait été clairement l'activité technique qu'elle est (la production de composés, la mise en oeuvre de réactions pour la production de composés), alors oui, le calcul n'aurait pas été nécessaire. En revanche, pour une activité scientifique, alors le calcul s'impose absolument, puisque c'est là la caractéristique fondamentale des sciences de la nature ! Ici, une autre digression, mais plus brève, à propos de la chimie, puisque j'ai déjà évoqué la question : je propose (pour nos jeunes amis ; cessons de penser à nous, puisque notre place est au soleil, et pensons à faire un monde meilleur pour nos enfants) de bien distinguer la chimie et la chimie physique, la première étant l'activité technique, merveilleuse, de production de composés, et la seconde étant la science quantitative qui explore les phénomènes mis en oeuvre par la technique qu'est la chimie.

 

 Deux activités différentes, deux noms différents : n'est-ce pas plus clair ? Fin de la digression, et j'en arrive maintenant à la séparation de la chimie et de la physique, que beaucoup de mes amis et moi-même voyions alors (j'insiste : voyions, pas voyons) comme des activités séparées. 

Encore aujourd'hui, d'ailleurs, certains voient deux mondes séparés... mais n'est-ce pas une conséquence de la confusion à propos du statut de la chimie, technique chimique et chimie physique ? Avec la terminologie "chimie physique", la vision scientifique, au sens des sciences de la nature, est claire, et l'écartèlement que je ressentais tombe. Pour la chimie physique, comme pour la physique quantique, comme pour la géophysique,  il s'agit de science de la nature (physis signifie "nature" en grec), de sorte que le calcul est intimement ancré dans cette activité, pour des raisons que j'ai déjà exposées de nombreuses fois, et notamment dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations?(Quae/belin). J'ai foi que nous pouvons changer les mots, notamment dans l'enseignement, afin d'aider nos jeunes amis. Luttons contre la confusion, plus de Lumière ! 

 

Et les épinards ? Je ne les ai pas oubliés : si certains enfants n'aiment pas les épinards (le calcul, la chimie, la physique, la chimie physique, les mathématiques), ce n'est pas que les épinards soient "mauvais"... ou plutôt, si, c'est pour cette raison ! J'explique : quand un enfant dit "C'est mauvais", cela signifie qu'il n'aime pas, mais le "mauvais" est personnel. Or l'épinard étant comestible, le fait de le trouver mauvais est simplement la preuve que l'enfant n'a pas compris que l'épinard pouvait être bon : soit parce qu'on lui a mal cuit, mal assaisonné, soit parce que l'enfant n'a pas compris qu'il pouvait prendre son destin en main, et assaisonner à son goût, afin, progressivement, de devenir capable de dire "J'aime les épinards". Les épinards ? Le prototype à bien penser quand on entend "Je n'aime pas les mathématiques", ou "Je ne veux pas de mathématiques en chimie". L'assaisonnement ? Bien comprendre, à l'aide de mots justes, la nature des activités merveilleuses que sont les sciences de la nature, les mathématiques, la technologie, la technique...

dimanche 6 août 2023

Une invention ancienne : les grahams (de l'huile gélifiée).


Nous sommes bien d'accord : la gastronomie moléculaire, activité scientifique (une discipline qui fait partie du champ des sciences de la nature) n'a pas pour objectif l'invention, mais la découverte. 

Toutefois les sciences de la nature ont des applications d'au moins deux types : techniques, et pédagogique. Les inventions relèvent semble-t-il (je deviens prudent, avec l'âge) du champ technique. 

Je m'aperçois, ainsi, que j'ai oublié de nommer une vieille invention, souvent décrite et enseignée aux cuisiniers : les "gels d'huile", ou "huiles gélifiées". Evidemment, avec de tels noms, c'est peu engageant, car qui voudrait manger de l'huile ? Notre mauvaise foi gourmande veut travestir la chose (alors que le chocolat, c'est en gros 50 pour cent de matière grasse et 50 pour cent de sucre, sans que cela gêne personne), et c'est facile : il suffit de donner un plus beau nom. Un "chevreul", puisqu'il est question de matière grasse et que le chimiste français Michel Eugène Chevreul découvrit la structure des triglycérides ? Le nom a été précédemment donné à des mets qui mettent en oeuvre la transposition du "contraste simultané" en cuisine. Un de gennes, puisque Pierre-Gilles de Gennes explora la physique de la matière molle, et notamment des gels ? Le nom a déjà été donné à des perles d'alginate. 

Alors pourquoi pas des "graham", puisque Thomas Graham introduisit le mot "colloïde" en 1861 ? 

Au fait, comment les préparer ? 

Il suffit de repenser aux "gibbs", que j'avais proposés il y a des décennies : ce sont des émulsions piégées dans des gels chimiques, que l'on obtient de la façon suivante : à de l'eau, on ajoute un composé tensioactif (par exemple, des protéines), puis on émulsionne de l'huile, ce qui produit une émulsion ; on chauffe, afin de coaguler les protéines, et l'on obtient les gibbs, du nom du physico-chimiste américain Josiah Willard Gibbs. 

Peu appétissant ? Imaginez que vous infusiez de la vanille dans l'eau, que vous la sucriez, et que votre huile soit une belle huile d'olive vierge : si vous produisez le met dans une jolie tasse, avec un objet un peu croustillant, bien doré, vous aurez un dessert remarquable. Ou si vous émulsionnez du chocolat fondu dans un blanc d'oeuf, avant de cuire votre émulsion, vous aurez un gibbs de chocolat délicieux (à servir chaud). Bref, plein de possibilités : je passe les gibbs au fromage, au fois gras, au beurre noisette...

 

Passons maintenant aux graham : c'est tout simple, puisqu'il s'agit de faire sécher les gibbs : si l'eau s'évapore, le réseau reste intouché, et l'huile demeure. Finalement, on récupère une huile dans un solide, un gel d'huile, un "graham". 

Quel goût lui donner ? Celui du chocolat ? Du foie gras ? De l'huile d'olive ? Du beurre noisette ? La question est artistique, de sorte que c'est aux artistes (les cuisiniers) de répondre !

Etonnant... mais je vais me reprendre, faites-moi confiance

 
Ce matin, je m'aperçois que, malgré des décennies de rubrique "science et gastronomie" dans la revue Pour la Science, malgré des billets de blog nombreux, malgré des articles, malgré des livres, je prononce peu le nom de la discipline merveilleuse qu'est la "gastronomie moléculaire". 

C'est une erreur, car cette discipline ne se "dissout" pas dans la science des aliments, et encore moins dans la technologie des aliments. 

 

Expliquons. 

Dans les années 1980, les livres de science ou de technologie des aliments décrivaient essentiellement les ingrédients culinaires (fruits, légumes, huiles, farines, etc.) ou les procédés industriels (la bière, le fromage, la saucisse), mais ils oubliaient complètement les vrais aliments : le cassoulet, le coq au vin, le pot-au-feu, le soufflé...  

Pourtant il est important de répéter, même de façon litanique, que nous ne mangeons pas des ingrédients, mais des mets, de sorte que la transformation qui fait passer des ingrédients aux aliments est clairement une étape essentielle de la connaissance des aliments. 

Cette transformation est l'objet de la gastronomie moléculaire, de sorte que la gastronomie moléculaire est centrale, en sciences des aliments. C'est la raison pour laquelle, en mars 1988, avec mon vieil ami Nicholas Kurti (il avait 50 ans de plus que moi), nous avons décidé de la création de la gastronomie moléculaire et physique, nom abrégé ultérieurement en "gastronomie moléculaire". 

A l'époque, le programme de la discipline n'était pas clair, et nous faisions insuffisamment la différence entre science et technologie, alors même que nous la pensions bien. Cela étant, l'évolution des travaux a montré que la distinction entre science de la nature, technologie (application des résultats des sciences de la nature, mais pas seulement : pensons à l'ingéniérie) ou cuisine (technique doublée d'art et de lien social), bien que nécessaire, ne péremptait pas une discussion du degré de fondamentalisme des travaux.
Par exemple, l'étude du gonflement d'un soufflé, ou la recherche de croustillances différentes d'une volaille selon qu'elle est arrosée de graisse ou d'une solution aqueuse, sont clairement très proches du phénomène : il s'agit de gastronomie moléculaire, mais elle est peu conceptuelle.
Inversement, la recherche des caractéristiques quantiques du mouvement de molécules d'eau placées dans une cellule unité d'un gel dynamique semble être plus "fondamentale", et l'objectif est alors moins la compréhension d'un phénomène immédiatement perceptible que la découverte de phénomènes inédits, de mécanismes inenvisagés. Dans le premier cas, on y arrivera sans beaucoup de difficultés, alors que l'on serait bien en peine de savoir ce qui nous attend derrière des calculs de mécaniques quantiques dans le second cas. 

Bref, il y a de la place pour tous, dans cette "recherche en gastronomie moléculaire" que j'ai trop oublié de discuter. Je vais donc reprendre mon bâton de pèlerin, dans ces pages.

samedi 5 août 2023

Quel est le statut d'une expérience qui rate ?

 Quel est le statut d'une expérience qui rate ?  La question a été rarement posée, alors qu'elle est sur toutes les lèvres, dans les laboratoires : certains se plaignent que les collègues qui publient aillent jusqu'à indiquer des expériences qui "ne marchent pas", incriminant souvent la malhonnêteté des auteurs. 

On trouvera dans l'article Célébrons Diderot (L'Actualité chimique, janvier 2014, pp. 7-10) une discussion de cette question, inspirée du livre Cours de gastronomie moléculaire N°2 : les précisions culinaires (Editions Quae/Belin, 2012). 

Toutefois, ici, cela vaut la peine de raconter une histoire vraie, éclairante... et qui ne résout évidemment pas la question. Cela s'est passé dans les années 1980, lors d'un séminaire que j'avais été invité à faire dans le Laboratoire de physique thermique de l'ESPCI. Je présentais alors la gastronomie moléculaire, en même temps que je faisais des expériences illustratives. Notamment je discutai ce jour-là la question de "comment faire un oeuf dur à la sauce mayonnaise avec un seul oeuf" : l'idée était de prélever une goutte de jaune d'oeuf à la seringue, à cuire le reste de l'oeuf, tandis que l'on faisait une sauce mayonnaise à partir de la goutte de jaune, laquelle contient assez de composés tensioactifs pour faire la sauce. 

Plus exactement, sachant qu'il est toujours bon de ne jamais être en position de faire en public une expérience qui peut rater, je faisais faire les expériences à des auditeurs, me réservant le soin de discuter les opérations... et de rattraper les expériences éventuellement ratées. 

Or c'est un fait que, ce jour-là, mon collègue qui avait accepté de faire l'expérience la rata. Qu'à cela ne tienne : j'analysais publiquement la chose, et, repartant de la sauce ratée, je la fis réussir, en décantant d'abord l'huile qui surnageait dans un autre récipient, avant de l'ajouter à nouveau au culot, en fouettant vigoureusement. 

Je ne dis pas cela pour apparaître tel un Sauveur, mais seulement pour donner les circonstances exactes de l'événement... et faire comprendre pourquoi son souvenir est si proche : dans ces cas-là, on ne se sent pas bien. 

La sauce rattrapée, il fallut discuter ce qui s'était passé : la plupart du temps, c'est que l'on met trop d'huile au début, ce qui contrarie la géométrie de l'émulsion qui se fait bien avec les tensioactifs présents, à savoir que ces derniers, qui courbent l'interface eau/huile vers une émulsion huile dans eau, ne stabilisent que mal une émulsion eau dans huile. 

Bref, l'émoi passé, je proposais une discussion sur le statut des expériences qui ratent : une expérience qui rate n'est rien d'autre qu'une expérience qu'on n'a  pas réussi ! De même, un château de cartes qui s'écroule ne condamne pas le principe des châteaux de carte, mais seulement le doigté insuffisant de l'exécutant.

On peut continuer à gloser à l'infini, mais voici en tout cas un sain début : il y a des recettes qui ratent parce que la latitude expérimentale n'est pas grande. Ce n'est pas une question de méconnaissance théorique, mais simplement d'organisation du monde : parfois, il y a des chemins de crête, et non de larges avenues. Pour les emprunter, il faut éviter d'aller trop sur les côtés.

Qu'est-ce qu'une thèse ?

 
Qu'est-ce qu'une thèse ? C'est une proposition ou théorie que l'on tient pour vraie et que l'on soutient par une argumentation pour la défendre contre d'éventuelles objections. 

Les ministres et leurs administrations auront beau édicter des lois, qui encadrent les moments de recherche nommés thèse (et qui ne sont que des préparations de thèse, ou travaux en vue d'une soutenance de thèse), il n'en restera pas moins que l'on aura raison de se raccrocher à la définition de la thèse, définition que l'on peut expliciter ainsi : soit on a une idée initiale que l'on passe trois ans à étayer, soit on obtient une telle idée après trois ans de travail ; peu importe, ce qui compte, c'est que l'on fasse état d'un travail, sous la forme d'une « thèse que l'on soutient ». 

Tout en découle naturellement : ayant cette idée, il s'agira de montrer en quoi les travaux l'ont étayée, par exemple. Cela se fera par écrit, et par oral. 

Par écrit, tout d'abord : le document de thèse est une façon de démontrer à l'Université que l'impétrant est capable d'accéder à l'enseignement supérieur, qu'il sait écrire un document d'un peu d'ampleur, un livre. 

Par oral : il s'agit cette fois de faire une « leçon », en soutenant oralement la thèse, c'est-à-dire en la présentant clairement, et en sachant répondre aux questions que le jury posera. Là encore, il y a clairement une relation avec l'enseignement supérieur, avec l'université. 

 

Vous soutenez bientôt votre thèse : quelle est cette thèse ?

vendredi 4 août 2023

Des questions de daube.

 
C'est de la daube. » Le mot « daube » est souvent utilisé pour désigner de mauvais produits, alors que la cuisson à l'étouffée peut devenir une extraordinaire opération culinaire, à condition d'être bien comprise. 

 

Comme souvent, c'est le pire qui est éclairant : ici, le pire consiste à mettre de la viande et de l'eau dans un récipient fermé et à chauffer très fort, et peu de temps. Avec cette manière, on obtient une viande bouillie et dure, un liquide bien triste, bref un désastre.

Analysons : on comprend d'abord que le liquide ajouté ne doit certainement pas être de l'eau pure, et, d'ailleurs, dans le passé, il s'agissait plutôt de vin rouge. Evidemment, il y a vin et vin... mais c'est une question de goût, souvent, et ne voulant pas empiéter sur vos choix esthétiques, je vous laisse décider lequel vous utiliserez. Cela dit, le vin n'est pas suffisant, et il vaut mieux lui ajouter nombre d'ingrédients qui corseront l'affaire, tels l'ail, le laurier... 

Le cas du liquide étant considéré, passons à la viande : si c'est une viande un peu dure, à braiser, il faudra la braiser, en quelque sorte. Même si la cuisson à l'étouffée n'est pas exactement un braisage, il y a lieu de reprendre les mêmes idées, à savoir que la cuisson à basse température (entre 60 et 100 degrés) permet l'attendrissement de la viande quand la cuisson est prolongée, parce que, alors, le tissu collagénique qui fait les viandes dures se désagrège, libérant des acides aminés sapides, qui donnent beaucoup de saveurs au plat. 

Autrement dit, il faudra cuire non pas la viande complètement immergée dans le liquide mais juste les pieds dans l'eau, et cuire longuement, à basse température. 

Reste la question du « pot » que l'on utilise pour cette cuisson. Les cuisiniers savent bien que la réduction donne souvent de bons résultats, en termes gustatifs, parce que, alors, les concentrations en composés sapides et odorants, notamment, sont augmentées. Or, dans un récipient parfaitement hermétique, la réduction n'aurait pas lieu. En revanche, dans un pot en terre pas très bien fermé, il y aura juste la bonne réduction, correspondant à une cuisson très longue. Et c'est ainsi que l'on récupérera une sauce courte, avec beaucoup de goût. 

Comment faire si la sauce est trop longue en fin de cuisson ? Pas de drame : versons la sauce dans une autre casserole et terminons la réduction sur feu vif. D'ailleurs, il y aurait lieu de poursuivre les expériences pour savoir si les réductions à feu vif ou à feu lent donnent des résultats différents : malgré des annotations de certains cuisiniers, tel Jules Gouffé, les résultats à ce jour manquent de certitude. 

Un mot pour terminer au cas où vous utiliseriez de l'eau pour votre daube, plutôt que du vin rouge. Des expériences sur l'influence de la qualité de l'eau sur la confection du bouillon de viande ont montré que les résultats étaient gustativement différents. Autrement dit, quand on parle d'eau, et puisque cette eau n'est jamais pure, mais chargée de sels minéraux sapides, il vaut mieux bien la choisir.