lundi 7 août 2023

Les épinards et les mathématiques : un encouragement à l'attention des collégien

Pardon d'un peu d'introspection... mais j'essaie d'être utile à nos jeunes amis. 

Pardon aussi, il y a plusieurs idées dans le même billet. 

Et pardon d'un usage étrange de la typographie, mais j'ai un nouveau jeu qui consiste à utiliser le gras à ma manière, ce qui, pour quelqu'un qui explore la cuisine, n'est pas étonnant. Il suffit que mes essais ne sentent pas le graillon ;-) 

 

Amusant de se regarder avec le recul des années. Quand j'étais "petit" (disons : à certains moments de mes études du Second Degré), j'adorais la chimie, j'aimais la physique, j'adorais les mathématiques... et je n'aimais pas le calcul que l'on mettait en chimie et en physique. 

Pourquoi ?  Rétrospectivement, tout m'étonne. 

 

Ainsi, voici un souvenir à distribuer aux collégiens : alors que j'aimais les mathématiques quand j'étais écolier, puis collégien, puis lycéen, alors qu'elles ne me posaient guère de problème (quand elles étaient raisonnablement expliquées, par un professeur ou par un livre compétents ; il faut quand même dire qu'il existe aussi des gens qui enseignent alors qu'ils n'ont pas compris eux-mêmes, ou qui ne savent pas expliquer, tout comme il existe de mauvais livres), je me vois encore, un de ces jours tristes de décembre, sans doute  en 1967, dans une triste salle d'un lycée caserne, avec une lumière dépressive, des murs jaunes, un parquet de bois usé et poussiéreux, faisant un "contrôle" ; il s'agissait de calculer la somme de deux fractions polynômiales, quelque chose d'élémentaire, donc... et je n'y arrivais pas. Les modifications hormonales m'abrutissaient. Je me vois encore me dire "Ce n'est pas difficile, je sais le faire"... et ne parvenir à rien, hébété par l'adolescence. 

Chers jeunes amis, courage, cette période finit par passer.  Ainsi, je me souviens de mon refus de mettre des "mathématiques" en chimie, un peu plus tard. Comme beaucoup d'étudiants que je vois maintenant, il y avait cette attitude qui consiste à dire "Laissons les mathématiques en mathématiques, et faisons de la chimie". A la réflexion, il y avait du juste et du moins juste. D'abord, il y avait du faux à nommer "mathématiques" ce qui n'était que du calcul.Je propose de nous faisions la distinction : les mathématiques sont cette activité merveilleuse qui invente (ou explore... pour certains : c'est une option philosophique) un monde où le calcul est roi. Ce n'est pas une science de la nature, sauf pour d'autres qui voient, par option philosophique, les mathématiques comme découverte de structures données par avance. Je fais une digression en rappelant ici la phrase de Leopold Kronecker  "Dieu a fait les nombres entiers, tout le reste est l'oeuvre de l'homme". 

 

Fin de la digression ; revenons à notre "chimie". Ce que je n'avais pas compris -parce que je vois que le monde, aujourd'hui encore, reste confus-, c'est que le calcul, maniement d'outils courant dans les "échoppes des mathématiciens", se distingue des mathématique ; or, au collège, au lycée, on ne fait guère de mathématiques, et l'on apprend seulement le maniement de ces outils. Ou du moins, il en était majoritairement ainsi quand j'étais lycéen. 

Ce que je n'avais pas compris -parce que je vois que le monde, encore aujourd'hui, reste confus-, c'est que la "chimie" n'était pas une activité clarifiée. Si la chimie avait été clairement l'activité technique qu'elle est (la production de composés, la mise en oeuvre de réactions pour la production de composés), alors oui, le calcul n'aurait pas été nécessaire. En revanche, pour une activité scientifique, alors le calcul s'impose absolument, puisque c'est là la caractéristique fondamentale des sciences de la nature ! Ici, une autre digression, mais plus brève, à propos de la chimie, puisque j'ai déjà évoqué la question : je propose (pour nos jeunes amis ; cessons de penser à nous, puisque notre place est au soleil, et pensons à faire un monde meilleur pour nos enfants) de bien distinguer la chimie et la chimie physique, la première étant l'activité technique, merveilleuse, de production de composés, et la seconde étant la science quantitative qui explore les phénomènes mis en oeuvre par la technique qu'est la chimie.

 

 Deux activités différentes, deux noms différents : n'est-ce pas plus clair ? Fin de la digression, et j'en arrive maintenant à la séparation de la chimie et de la physique, que beaucoup de mes amis et moi-même voyions alors (j'insiste : voyions, pas voyons) comme des activités séparées. 

Encore aujourd'hui, d'ailleurs, certains voient deux mondes séparés... mais n'est-ce pas une conséquence de la confusion à propos du statut de la chimie, technique chimique et chimie physique ? Avec la terminologie "chimie physique", la vision scientifique, au sens des sciences de la nature, est claire, et l'écartèlement que je ressentais tombe. Pour la chimie physique, comme pour la physique quantique, comme pour la géophysique,  il s'agit de science de la nature (physis signifie "nature" en grec), de sorte que le calcul est intimement ancré dans cette activité, pour des raisons que j'ai déjà exposées de nombreuses fois, et notamment dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations?(Quae/belin). J'ai foi que nous pouvons changer les mots, notamment dans l'enseignement, afin d'aider nos jeunes amis. Luttons contre la confusion, plus de Lumière ! 

 

Et les épinards ? Je ne les ai pas oubliés : si certains enfants n'aiment pas les épinards (le calcul, la chimie, la physique, la chimie physique, les mathématiques), ce n'est pas que les épinards soient "mauvais"... ou plutôt, si, c'est pour cette raison ! J'explique : quand un enfant dit "C'est mauvais", cela signifie qu'il n'aime pas, mais le "mauvais" est personnel. Or l'épinard étant comestible, le fait de le trouver mauvais est simplement la preuve que l'enfant n'a pas compris que l'épinard pouvait être bon : soit parce qu'on lui a mal cuit, mal assaisonné, soit parce que l'enfant n'a pas compris qu'il pouvait prendre son destin en main, et assaisonner à son goût, afin, progressivement, de devenir capable de dire "J'aime les épinards". Les épinards ? Le prototype à bien penser quand on entend "Je n'aime pas les mathématiques", ou "Je ne veux pas de mathématiques en chimie". L'assaisonnement ? Bien comprendre, à l'aide de mots justes, la nature des activités merveilleuses que sont les sciences de la nature, les mathématiques, la technologie, la technique...

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