mercredi 6 septembre 2023

A propos de gomme xanthane

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On m'interroge à propos de "xanthane" : qu'est-ce? comment l'utilise-t-on ?

Au fond, pourquoi répondre sachant qu'il y a des cours, des vidéos, des documents innombrables sur internet ? Et que j'ai déjà expliqué tout cela dans mon livre "Mon histoire de cuisine".

La gomme xanthane ? Un produit fabriqué par une fermentation, et qui est un excellent épaississant. Mais je préfère renvoyer à : https://www.academie-agriculture.fr/mots-clefs-encyclopedie/colloide

Prenons donc un peu de recul : il y a donc des gélifiants et des épaississants, qui sont des additifs acceptés par la réglementation en raison de leur innocuité.
Parmi les épaississants et les gélifiants, il y en a donc qui sont épaississants, et qui épaississent les liquides, et d'autres qui sont gélifiants, et qui font gélifier les liquides, ce qui n'est pas la même chose.
Par exemple, avec de la farine que l'on chauffe dans de l'eau on obtient un épaississement. En revanche avec de la gélatine, on obtient un gel.
Dans un cas il y a une possibilité d'écoulement et dans l'autre cas l'écoulement ne se fait que s'il y a rupture du gel, de cette sorte d'échafaudage où l'eau est piégée.

Epaissir et gélifier sont donc deux choses bien différentes et, selon les utilisations, on pourra vouloir un épaississement ou une gélification.

Pour compliquer un peu les choses, il faut savoir que si l'on a gélifié de l'eau ou un autre liquide, avec un agent gélifiant, alors si l'on mixe cette préparation, dans un liquide, on obtient ce que j'ai nommé un "debye", et qui est une solution épaissie, une "suspension" : le gel a été brisé en de très fines particules de gel,  ce qui épaissit le liquide où ces particules sont dispersées. Et l'on peut faire des debyes à l'huile ou à l'eau (en broyant dans de l'huile, ou dans de l'eau) : on obtient des sortes de pommades très différentes selon les cas.

Pour les épaississants, les grammages sont... ce que l'on veut : avec peu d'épaississant, on a peu d'épaississement, mais avec plus d'épaississant, on a plus de viscosité. Comme avec de la farine dans de l'eau.

Pour les gels, l'ordre de grandeur à conserver (pour la gélatine, pour l'agar-agar, etc.), c'est  5 % en masse : en gros, voilà la limite à partir de laquelle se fait la gélification. Bien sûr c'est un ordre de grandeur et dans les détails, c'est beaucoup plus compliqué que cela, mais on peut commencer ainsi avec cette idée des 5 %.

Les épaississants et les gélifiants acceptés par la réglementation  ? Je vous renvoie à la liste des additifs, donnée dans le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout.
Dans cette liste, on trouve  bien sûr la gélatine, des pectines, des amidons qu'il soient de  de pommes de terre, de maïs, de riz, avec des comportements tous différents. Il  y a aussi des gommes  de caroube, gomme arabique, gomme de guar et cetera, et on trouvera plus de détails à ce propos dans mon livre. Et il y a des produits moins classiquement utilisés en Occident :  des gélifiants tels que l'agar-agar, l'alginate de sodium, certains caraghenanes...

Dans la plupart des cas, ces produits sont issus de produits naturels. Par exemple, les gélatines sont extraites des tissus animaux, viande, tendon, et cetera, et  les pectines sont extraites de tissu végétaux : fruits, légumes, et cetera.
Certains gélifiants sont extraits des algues tel l'agar-agar, par exemple. Et il y a des épaississants  qui sont produits par des micro-organismes... telle la la gomme xanthane.

Tous ces produits sont-ils naturels ? La réponse est NON : ils sont d'origine naturelle, mais ils ont été extraits, de sorte qu'ils sont stricto sensu artificiels, l'extraction ayant été faite par un être humain.

D'ailleurs, quand je dis l'extraction, j'ai tort et je devrais dire les extractions, car selon la manière dont, à partir d'une même matière première, on extrait ces composés, on obtient des ingrédients très différents. Par exemple, les pectines sont dégradées quand on les chauffe trop, et si quelqu'un a extrait des pectine en chauffant beaucoup, il produira des pectines dont les qualités gélifiantes diffèrent de pectine qui auraient été préparées plus précautionneusement. Il en est de même pour les gélatines : l'origine de ces produits est très différente, et les gélatines de poisson ne gélifient pas aux mêmes températures que les gélatine de d'animaux terrestres ; des gélatine de bœuf âgé de gélifient pas de la nmême façon que de  la gélatine de veau.
Et ainsi de suite   : de sorte que l'utilisateur doit prendre garde à la qualité des produits qu'il utilise.

Je considérerai un seul exemple à savoir les protéines de blanc d'oeuf. Quand elles sont bien extraites, ces protéines de blanc d'oeuf  forment une poudre blanche que l'on peut mettre dans l'eau et qui, quand on chauffe l'eau ou l'on a mis les protéines, forment comme un blanc d'œuf cuit.
Pour autant, je me souviens d'une conférence où j'avais demandé des protéines de blanc d'oeuf aux organisateurs pour faire les expériences que je présentais, et il n'y a jamais eu cette coagulation parce qu'en réalité le producteur de ces protéines avait déjà cuit les protéines avant de les broyer, de sorte qu'il n'y avait plus ensuite la possibilité de cuire.
On fera donc très attention à la qualité des produits... et j'ajoute que l'on n'a pas de règle  pour déterminer les quantités qui nous conviennent. D'autant que nous sommes bien en peine de dire quelle est la consistance que nous souhaitons, et même s'il avait une force gélifiante affichée et fiable sur le paquet, il nous reviendrait de faire  des essais pour déterminer la quantité de produits gélifiants ou épaississants que nous devons utiliser.

Espuma ? Ne soyons ni snob ni ignorant : parlons de mousse !

 

On m'interroge à propos d'une "espuma", et évidemment je hurle de rage car le mot espuma en espagnol signifie écume : or l'écume est une mousse faite à partir d'impuretés !

 Il y a une sorte de snobisme à parler d'espuma au lieu de parler de mousse, et une faiblesse intellectuelle puisque on laisse penser qu'il y a donc des impuretés.
D'autant que ce ne sont pas les Espagnols qui ont introduits cela, mais que la proposition est venue de la gastronomie moléculaire. Je rappelle que le restaurant El Bulli a été mis dans un  programme de transfert technologique nommé "Innicon", et que la science leur a transmis des idées techniques.

Parlons donc de mousse. On veut une mousse chaude ? Au fond, rien de plus simple. Une meringue italienne, c'est bien une mousse chaude.
Plus généralement,  si l'on part d'un liquide - quel qu'il soit - avec de l'eau et des protéines, si l'on fouette, on obtiendra une mousse à grosses bulles, et cette mousse sera chaude si le liquide initial est chaud.

Autre possibilité : mettre un liquide dans un siphon avec des agents foisonnants, par exemple des protéines : si l'on maintient ce liquide au chaud et que l'on fait foisonner, on obtiendra une mousse chaude.

Plus généralement, on peut souvent foisonner les sauces classiques.

Au fond,  la commande est mal passée : quelle taille de bulles veut-on : très petites au point d'être invisibles, ou très grosses au point d'être visiblement transparentes ? Il y a d'innombrables possibilités à condition de comprendre ce que l'on fait, à condition d'avoir décidé ce que l'on veut point commençons donc par définir correctement l'objectif avant de nous lancer dans des réalisations qui ne présentent aucune difficulté.

Une poudre de citron ?

 

On m'interroge à propos d'une « poudre de citron ». Comment obtenir une telle chose ?

En réalité, il y a bien des façons de produire des produits qui n'usurpent pas cette dénomination.

Par exemple, supposons que nous partions d'un aromatisant citron (il en existe d'innombrables dans les sociétés de parfums et aromatisants) et que nous le déposions sur un support pulvérulent, par exemple de l'amidon : nous obtiendrions une "poudre citron".

Mais imaginons aussi que nous partions de citron et que nous fassions une opération de lyophilisation, c'est-à-dire d'évaporation de l'eau du citron sous vide. Nous récupérerions une "poudre de citron".

Et puis on peut aussi considérer que le citron est principalement fait d'eau et d'acide citrique, auquel cas on peut considérer que de l'acide citrique, qui se présente sous forme de poudre, est une "poudre de citron".

Et ainsi de suite : la dénomination "poudre de citron" n'étant pas réglementaire, elle ouvre vers bien des solutions, avec des résultats gustatifs bien différents.

Notamment, parce qu'un "aromatisant citron" (ce qui est parfois fautivement nommé "arômes"), qu'il soit d'origine naturelle ou entièrement composé, peut être formulé de bien des manières, sans compter que ce produit peut exister sous des formes très différentes.

Ce n'est pas du citron mais je me souviens avoir visité une de ces belles entreprises d'aromatisants et avoir vu, sur l'orgue du parfumeur, des mètres d'aromatisants "fraise" différents : certains donnaient le goût de fraise cuite, d'autres des goûts de fraises des bois, des fraises très mûres, et cetera.

Bref, le terme "poudre au citron" n'est guère défini, et cela donne beaucoup de latitude pour produire de tels produits.


Une "mousse tomate dattes" ?

 On m'interroge à propos d'une "mousse tomate datte". Comment produire un tel plat ?

En réalité, il y a d'innombrables façons d'y arriver, la première étant, par exemple, de cuire des tomates avec des dattes, de broyer le tout, d'ajouter des protéines (par exemple de la poudre de blancs d'œufs) et de fouetter : on obtient une mousse.

Une autre technique consisterait à commencer par broyer les tomates avec les dates, éventuellement en cuisant, de filtrer pour récupérer un liquide, d'ajouter des protéines d'œufs ou bien un œuf entier, de mettre le liquide dans un siphon et de produire la mousse... car par parenthèse je rappelle que les siphons produisent des mousses et non pas des émulsions.

Il y a aussi la possibilité de faire une mousse, de blanc d'oeuf, de meringue italienne, de crème fouettée, par exemple, et d'ajouter ensuite les tomates et les dates.
Bien sûr, dans cet ordre de choses, on peut aussi bien faire un sabayon par exemple  : bref il y a vraiment de très nombreuses façons de faire.

Car dans l'intitulé du plat, il y a seulement trois contraintes : avoir des tomates, qui en réalité sont constitués essentiellement d'eau, des dattes, qui sont un peu analogues, et des bulles de gaz, à savoir soit de l'air, soit du protoxyde d'azote (pour la majorité des cartouches de siphon)... soit du  dioxyde de carbone (une autre cartouche d'un type particulier) auquel cas on peut avoir un petit pétillant agréable.

Dans tous les cas, il y a lieu d'utiliser des molécules qui vont stabiliser les bulles : les protéines de l'œuf par exemple, mais pourquoi pas des protéines extraites de la viande, ou de végétaux, ou du lait ? Et puis il y a aussi d'autres agents foisonnants de la famille des additifs.

Bref il y a d'innombrables façons d'obtenir une "mousse tomate datte".

Des "perles aux herbes" ?

 

On me demande comment réaliser des perles aux herbes. Je ne sais pas ce à quoi pense la personne qui m'interroge, mais il y a de nombreuses façons d'obtenir des "perles aux herbes", la première étant d'utiliser des perles du Japon que l'on fait cuire dans une sauce avec des herbes : là, c'est le goût des herbes qui migrera dans les perles, qui prendront sans doute une légère couleur.

Mais quand on prononce devant moi le mot "perle", je pense évidemment à ces "perles d'alginate avec un cœur liquide" que j'avais introduite dans les années 1980 et que j'ai nommées des "degennes". Là, l'idée est de d'encapsuler le liquide qui contient les herbes éventuellement broyées dans des espèces de petites sphères analogues à des oeufs de saumon.
A cette fin,  il faut utiliser de l'alginate de sodium et des ions calcium, car la réunion des deux produits engendre une gélification qui peut faire la peau des perles.
Il y a deux façons de faire, la façon directe ou la façon inverse. C'est-à-dire que l'on met soit le calcium dans une grande bassine d'eau et l'on met de l'alginate de sodium dans la sauce aux herbes,  auquel cas on obtient  des perles à coeur liquide qui risquent d'évoluer en billes gélifiées. Ou bien on dissout l'alginate de sodium dans l'eau, et l'on y ajoute des gouttes du liquide aux herbes additionné d'ions calcium. Et là, la structure est plus durable.

Bref tout ce n'est pas difficile, tout cela est bien classique, et la recette se trouve en ligne partout mais aussi dans le Handbook of Molecular Gastronomy, ainsi que sur mon site  : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/.

Avons-nous vraiment changé ?

Récemment, j'ai lu l'annonce d'une réunion merveilleuse : des enseignants s'interrogeaient pour savoir pourquoi les étudiants font leurs travaux au dernier moment. 

 

Chacun sait que c'est une mauvaise méthode, qui conduit l'individu a manquer de temps, à faire l'impasse sur les matières pourtant importantes... Comment donc aider les étudiants à ne pas se retrouver à faire les travaux au dernier moment ? 

Il y a évidemment plusieurs façons de répondre à cette question, mais il faut surtout se demander comment l'enseignement est organisé. Faut-il vraiment accumuler les heures de cours, afin de remplir les emplois du temps ? J'ai expliqué ailleurs pourquoi je crois que cette méthode est mauvaise, et pourquoi il vaut mieux des objectifs (compétences) bien identifiés, et je n'y reviens pas ici. 

Toutefois,  pardonnez-moi cette question impertinente : pourquoi les enseignants chercheurs eux-mêmes rendent-ils le plus souvent leurs travaux bien tardivement ? Pourquoi sont-ils « débordés » ? 

Je n'arrive pas à penser que la question des étudiants soit entièrement déconnectée de celle des enseignants chercheurs, de sorte que, finalement, ce qui semblait être une bonne initiative paraît plutôt, à l'analyse, une façon de voir la paille dans l'oeil du voisin. 

Chers collègues, pardonnez mon impertinence : j'ai du mal à oublier que les enseignants ont été des étudiants, d'autant que le chimiste Michel Eugène Chevreul, le père de la chimie des lipides, déclarait à l'âge de 100 ans qu'il était le doyen des étudiants de France !

mardi 5 septembre 2023

On m'interroge à propos d'une "émulsion vanille"

 

On m'interroge à propos d'une émulsion vanille  : de quoi s'agirait-il ?

Je suis bien en peine de répondre... parce que je peux confectionner des milliards d'émulsions différentes, à la vanille.

Commençons simplement... pour lever une ambiguïté, ou, plus exactement, une confusion qui traîne dans beaucoup trop de cuisine : une émulsion, c'est une émulsion, et pas une mousse !
Oui, car une mousse, c'est la dispersion de bulles de gaz dans un liquide, tandis qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans une solution aqueuse également liquide ; ou l'inverse, à savoir une dispersion de gouttelettes d'une solution aqueuse dans une matière grasse liquide.

Pour faire cette dispersion, dans tous les  cas, il faut des composer dits tensioactifs, qui vont entourer les gouttelettes dispersées.

Un exemple ? Partons de blanc d'oeuf, qui est fait de molécules d'eau parmi lesquels sont dispersées des protéines du blanc d'oeuf. Ces protéines sont comme des pelotes et, quand les fouettes, elles se déroulent et elles font des fils.
Si l'on ajoute de l'huile tandis que l'on fouette du blanc d'oeuf, alors il y a certainement des bulles d'air qui s'introduisent dans le liquide, lequel mousse, foisonne,  mais l'huile est simultanément émulsionnée, dispersée sous forme de gouttelettes dans le blanc d'oeuf, de sorte que l'on obtient un double système émulsion et mousse.
Si l'on ajoute beaucoup d'huile, la mousse va disparaître et il ne restera que l'émulsion, comme une crème, comme une mayonnaise, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau. La préparation est très lisse, elle est blanche, elle n'a aucun goût... et c'est donc la possibilité de lui en donner !

Par exemple, si vous partez d'huile neutre, sans goût, que vous dans du blanc d'oeuf en fouettant, que vous obtenez donc cette émulsion que j'ai nommé un "geoffroy", vous pourrez ensuite ajouter du sucre, qui ira se dissoudre dans l'eau du blanc d'oeuf, et de la vanille qui ira parfumer le résultat :  on aura donc fait ici un Geoffroy sucré à la vanille.

J'en profite pour dire que si vous passez ce produit au four à micro-ondes, les protéines du blanc d'oeuf vont assurer la coagulation et vous récupérez une sorte de flan sucré, avec un goût de vanille : c'est ce que j'ai nommé un gibbs, quand je l'ai inventé il y a fort longtemps.

On peut donc faire des geoffroy, on peut faire des gibbs, on peut faire ce que l'on veut à condition de comprendre ce que l'on fait.