vendredi 17 décembre 2021

Du grand n'importe quoi, en jardinage comme en cuisine !



Alors que je taille des plantes dans mon jardin, je suis conduit à regarder des vidéos en ligne, afin de bien faire les tailles différentes pour chaque plante.

Et je tombe sur un état complètement désordonnée, analogue à celui que j'ai connu en cuisine dès les années 1980.

Par exemple certains disent qu'il faut tailler les branches qui vont vers le centre de l'arbre, parce que cela correspond à l'état naturel des arbres...  mais quand je suis en forêt et que je vois des arbres dans leur état naturel, je vois des tas de branches qui partent vers le centre.
À propos de boutures, je vois tout et n'importe quoi : certains me disent qu'il faut laisser une tige de 20 cm, d'autres de 10 seulement. Certains me disent qu'il faut mettre la bouture la tête en bas, et d'autres la tête en haut. Certains préconisent l'hormone de bouturage et d'autres disent qu'elle est inutile. Certains proposent de couper toutes les feuilles par la moitié, et d'autres disent de les laisser entière.

Il y a tout et n'importe quoi, mais surtout du n'importe quoi, puisque si un des conseils était bon (vous voyez : je suis prudent), alors tous les autres, contradictoires, seraient mauvais.

Cela me fait penser à la cuisine où, par exemple à propos de soufflés, des chefs triplement étoilés ont écrit que les blancs d'oeufs doivent être très fermes, tandis que d'autres chef, également triplement étoilés, disent que les blancs ne doivent pas être fermes.

J'ai peur que pour nombre de champs techniques, et pas seulement la cuisine, les explorations rigoureuses n'aient pas été faites :  on se contente de retransmettre des idées qui viennent de la nuit des temps, des hypothèses rapidement proposées à la suite d'échecs ou de réussites.

Quand j'avais publié mon livre Les secrets de la casserole, en 1992, j'avais immédiatement imaginé que l'on puisse faire pareil à propos des plantes, du jardinage, mais je me désole de voir que cela n'a pas été fait, alors qu'il y aurait un immense service à rendre à tous. 



Décidément le café du commerce est beaucoup trop "encombré ", et laboratoire est malheureusement vide.

Travaillons, donc,  sous peine que nos propos ne soient rapidement réfutés et que nous ayons la honte d'avoir propagé des idées fausses.




jeudi 16 décembre 2021

La science, la raison et la foi



Discutant avec un prêtre, je me fais reprocher de séparer la raison et la foi. Pourtant, ce n'est pas cela que j'ai dit : la difficulté que je voyais était la littéralité de la Bible, et les rapports de la science et de la foi.

Oui, ce qui m'étonne depuis longtemps, c'est que des scientifiques de talent tels que Michael Faraday aient adhérés à l'idée d'une lecture littérale de la Bible.
Et, presque évidemment, je  ne vois pas d'opposition entre la raison et la foi, car j'imagine bien -et ce serait une injure que de ne pas le faire- que les théologiens font usage de leur raison.

Lisant un texte qui traite de cette question, j'ai retrouvé cette idée, que j'avais oublié, selon laquelle Eddington, professeur auprès de qui l'abbé Georges Lemaître avait appris la physique, considérait que les notions, en sciences, formaient des "cycles" qui ne parvenaient jamais à atteindre la question fondamentale de la création. Lemaître ne partageait pas cette idée, mais il faisait une nette séparation entre ses travaux de physique relativiste et ses interrogations théologiques ; il évoquait "deux chemins".

Ce que je vois aussi à la lecture du texte que j'évoque, c'est que l'on ne devient pas plus bête à s'interroger un peu sur de grandes questions philosophiques, car on n'oubliera pas que même si la terminologie de "philosophie naturelle" est oubliée, il y a lieu de se souvenir qu'il y avait le mot "philosophie" dans cette dénomination

Oui, les sciences de la nature ne sont pas une simple exploration "technique" du monde, car, comme disait Rabelais, science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Certes, il faisait l'hypothèse de l'âme, mais on pourrait mettre à la place le mot "esprit".

Les sciences de la nature ne peuvent être très intelligentes si elles n'ont pas pour socle une réflexion méthodologique.

Admettons les deux chemis de Lemaître  : on peut faire  des sciences de la nature quelle que soit la foi que l'on a ou que l'on n'a pas. Et je reste avec mon interrogation : comment Faraday pouvait-il croire à la littéralité de la Bible ?

mercredi 15 décembre 2021

Obituary: Christian Ducauze

 Christian Ducauze (June 15, 1943, Sainte-Livrade-sur-Lot - August 22, 2021, Paris), a life of teaching analytical chemistry



Hervé This,
International Center for Molecular Gastronomy INRAE-AgroParisTech.




The card that friends of Christian Ducauze sent to his widow on the occasion of his death showed an Asian master handing a book to a student. A representation of North Africa would also have been appropriate, as Christian Ducauze began his career with several years in Tunis, but it did emphasize one of the main aspects of his career, dedicated to transmission. Unfortunately we did not find a card that would expression that, for Christian Ducauze as for us, chemistry is a central science, essential - he repeated - for the initiation of agronomy students to the handling of complex systems, such as those found in food and the environment.


From Strasbourg to Tunis, then to Paris

Christian Ducauze was proud to owe his training as a chemist to the École Nationale Supérieure de Chimie in Strasbourg, starting in 1963. Graduating as a chemical engineer in 1966, he continued his training with a Master's degree in electrochemistry, then with a PhD at the CEA, still in Strasbourg, during which he developed an electroanalysis method -differential oscillographic voltammetry- for the determination of trace elements in solution (cadmium and copper in particular).
In 1970, he left France to do his military service as an Assistant Professor at the National Agronomic Institute of Tunisia, which, created in 1898, is the oldest school of agronomy in Africa. He stayed there for six years, learning the profession of professor and laboratory director, as well as the implementation of statistical methods for the determination of traces of magnesium. It was in Tunis that he met Larbi Bouguerra, a specialist in environmental chemistry, who became one of his friends.
In 1976, he passed the competitive examination to become a professor of analytical chemistry at what was then the Institut National Agronomique Paris-Grignon (INA-PG): among the friends who helped him for the preparation of his selection lesson were Jean-Yves Le Déaut, assistant professor of biochemistry at the University Louis Pasteur in Strasbourg, whom he had known in Tunis, where he was also teaching, and who would shortly afterwards become president of the Parliamentary Office for the Evaluation of Scientific and Technological Choices, but also Charles Kappenstein (today professor emeritus at Poitiers, who had shared Christian Ducauze's office at the end of the 1960's on the 10th floor of the "Chemistry Tower", in Strasbourg).
Christian Ducauze knew very well that he was arriving in a « grande école » (i.e., a university with a strong selection) that, from its inception, had been teaching analytical chemistry at the highest level: the first « Institut National Agronomique », created in Versailles in 1848, included a chair of general chemistry and analysis, whose incumbent was Charles Adolphe Würtz, member of the French academy of sciences, Dean of the faculty of medicine, and professor at the Sorbonne. After the second Institut National Agronomique was transferred in 1890 to 16 rue Claude Bernard, the chemistry professorships went to Émile Péligot, Jean-Baptiste Boussingault, Achille Müntz,  Antoine-Charles Girard, Maurice Lemoigne, most of them members of the French Academy of sciences or of the French Academy of agriculture.
So many great names! However, when Christian Ducauze arrived at what had become INA P-G, there were above all the premises and the wish of the Institute's administration to see chemistry well taught, but no research laboratory, no competent personnel, and no equipment: Christian Ducauze inherited only a pH-meter and a UV-visible spectrometer, moreover without a recorder. Everything had to be done, while the financial means could only be obtained if a certain level of credibility was first achieved.
However, Christian Ducauze was active and found support from the Ministry of the Environment, the CNRS, the Compagnie Générale des Eaux and, finally, the Ministry of Research, while he created original teaching programs to adapt a course of analytical chemistry to the very specific training needs of agricultural students, different from those of students in chemistry schools or university analytical chemistry departments.
In 1978, having understood the importance of continuing education, he organized advanced training sessions entitled "Current techniques in the service of chemical analysis": these three-day courses were oriented, the first towards elementary analysis and the second towards structural organic analysis. At the time, this continuing education activity was both a source of income for the laboratory and a showcase for the strengths of the teaching and research, but it was also an opportunity to measure, with engineers from the public and private sectors, the adequacy of the teaching to the problems that agricultural engineers would soon encounter. It was also an opportunity to see the considerable national needs for training in analytical chemistry, as the universities had not fully met these needs.
The European School of Analytical Chemistry (EECA) was therefore created with, at its head, an international scientific committee of about forty members, chaired by Christian Ducauze, to define the major training programs. Five disciplinary fields were considered: separative methods (all chromatography and capillary electrophoresis); spectrometric methods (essentially atomic absorption spectroscopy and nuclear magnetic resonance); quality, data processing and management (chemometrics, quality assurance, etc.); sensory analysis (all aspects); specific applications (characterization of materials, environment, food, pharmaceutical products, etc.). The success of the EECA is then attested by numerous requests from industry, in particular the food industry, and also by the European Economic Community, which entrusts training courses to help the scientific and technological development of Eastern European countries.
Then, from 1982, the co-habilitation for a new master program, followed by the educational reform set up at the INA P-G, obliged to rethink the whole training in analytical chemistry at the School, so that this time a training of engineers by apprenticeship and a tutoring of students of this new training were set up.

The birth of French chemometrics

Statistical methods were used in many of the laboratory's research projects, and a new discipline was soon created, called "chemometrics", which is now defined as the use of statistical methods to process chemical analysis data. It allows to re-analyze the notion of analytical chemistry, which will be, much later, the subject of a reference book published by Lavoisier Tec et Doc (C. Ducauze, Chimie analytique, analyse chimique et chimiométrie). The development of these methods has been fundamental for both research and teaching (Rutledge and Ducauze, 1991; Ducauze and Bermond, 1992; Eveleigh, 1994; etc.).
The idea of chemometrics has led to renovations in laboratory practices and quality assurance, providing effective tools to deal with a wide variety of applications: studies of animal products (Gerbanowski et al., 1997) or plants (Maalouly et al., 2004), analytical methodology and valorization of chemical analysis data (Feinberg et al., 1991; Guesnier et al., 1993; Hernandez et al. 1994), etc. These contributions led the European Economic Community to provide financial support to the Analytical Chemistry Laboratory in the framework of a European project for the teaching of chemometrics: Applied information technology for the chemical, pharmaceutical and agrofood industry (COMETT project - leader: D.L. Massart, VUB, Belgium).
For research at the Analytical Chemistry Laboratory of INA P-G, new application topics were chosen, with, obviously, overlaps between fields.
First of all, the analytical studies of metals (lead, cadmium, mercury, in particular) concerned various matrices, such as soils or waters, for example (in particular with Alain Bermond, then Valérie Camel and Nastaran Manoucheri), notably with the support of the Ministry of the Environment: speciation of mercury (Ireland-Ripert et al,  1982; Ireland-Ripert, 1982; Besson, 1981), modelling of pollution (Godin et al., 1985), migration towards the water table and passage in plants (Feinberg et al., 1987; Heuillet et al., 1988; Heuillet et al., 1988)...
In this field of the environment, the media imposed the implementation of analytical techniques different from atomic absorption or electrochemistry: HPLC (El Din et al., 1984), GC-MS, infrared spectroscopy (Maalouly et al., 2004), fluorescence spectroscopy ... always in the various media (Jarret et al., 1985; Jan et al., 1988; Jarret et al., 1983):
At the same time, environmental concerns led to studies of agri-food matrices, first for metals, but then for many other compounds. Initially, the complexity of the matrices to be analyzed led to an interest in the problem of sample preparation and, initially, the laboratory developed a rapid and efficient high-temperature calcination method for the determination of lead, cadmium and copper in foods (Feinberg and Ducauze, 1980). For the same reason, it was necessary at the same time to learn how to control the interferences occurring at the time of measurement (Feinberg and Ducauze, Analusis, 1980). Overcoming these difficulties again required the use of statistical methods. And we should not forget the studies of wines, with works often presented at the congresses In Vino Analytica Sciencia (Cheynier et al., 1983; Rutledge et al., 1993; Belaiche et al., 1996; Delgadillo et al., 2001; Delgadillo, 2004), as well as the studies of glycation reactions (Birlouez-Aragon et al., 2004)


The international influence

When the laboratory was attached to the Food Industry Sector of INRA (Department of Consumer Sciences), in 1984, Christian Ducauze wanted to find a better balance of research activities between the environmental and food industry fields. As early as 1986, a team from the laboratory sought to reduce the time needed to prepare samples by implementing low resolution impulse nuclear magnetic resonance (IR-NMR). This method was already used in the fat industry, but its considerable potential had been little explored. The NMR-IBR allowed, at first, to develop fast control methods, useful in margarine industry (Rutledge et al., 1988; El Khaloui et al., 1990). This initial work led the laboratory, and in particular Douglas Rutledge, to be invited to join the Coordinating Committee of Concerted Action No. 1 of the FLAIR program. Having acquired a good command of the apparatus, the team then embarked on more difficult studies on the states and dynamics of water in food (Monteiro-Marques et al., 1991; Monteiro Marques et al., 2007),
Christian Ducauze was well aware that NMR was an essential tool for chemical analysis: was he not close to Gérard and Maryonne Martin, who had invented the SNIF-RMN natural isotope fractionation method, at the University of Nantes, to verify the origin and purity of many foods and beverages, in cases where traditional analytical methods fail to detect counterfeits? These relationships continued with Eurofins, the company created in 1987 by Gilles Martin, the inventors' son.
And, above all, all this research, with the use of NMR or other analytical techniques, was widely disseminated: by the EECA, as we have seen, but also by the international journal of analytical chemistry Analusis , of which Christian Ducauze was editor-in-chief for several years, and by the participation in various European working groups (Working Party on Food Chemistry and Division of Analytical Chemistry of the Federation of the European Chemical Societies, now EuChemS), where he created relationships with foreign universities and colleagues. Through these relationships with colleagues from all over the world, students came in great numbers: from 25 countries! Moreover, the Analytical Chemistry Laboratory organized international scientific conferences such as EuroAnalysis, EuroFoodChem, GAMS, In Vino Analytica Scientia...
But to enumerate, one risks to forget some actions, so much they were numerous! How can we not mention the theses that Christian Ducauze personally directed, in relation with Lebanon, Vietnam? How can we forget the joint teaching activities with the University of Nantes, where analytical chemistry was already present, but where the INA-PG team was important for the chemometric contributions? How can we forget the master "Research and development in analytical strategy", which was born from the collaboration with Arlette Baillet, at the Faculty of Pharmacy of Chatenay-Malabry?

Strategic analyses

As we have seen, Christian Ducauze has constantly sought to adapt the development of the laboratory to training needs, taking into account the pedagogical reform carried out at the INA P-G. The latter led him to examine in greater depth the specificity of the agricultural engineer and to conclude that his essential characteristic was his ability to apprehend problems at different scales: molecular, organized being, macro-system (economy, environment).
For the first two, the teaching that had been created responded well to this training objective, whether it was the atomic and molecular approach or the study of agri-food matrices and complex environments. On the other hand, macro-systems were less studied. In addition to the first and third year options introduced by Alain Bermond in the field of the environment, a need was felt, through quality control, on production in the field of the agro-food industries. In 1990, Christian Ducauze predicted that, in the future, the industrial control laboratory would no longer be considered as a means of repression, but would become the real pilot of the production units. In retrospect, we can see that the question of "control" in companies is complex, but that, in any case, the questions of regulations, in relation to analysis, have become essential, so much so that the industry has understood that sanitary errors must be absolutely avoided.
Christian Ducauze had other "political" convictions: he was convinced that the acceptance of an innovation by society is the condition for its diffusion. Innovation in agriculture illustrates the increasing divorce between the perception of citizens and the word of scientists. He was convinced that it was necessary to better organize the debate between the scientific world, the political world and the citizens: it seemed to him to be essential "to imagine new means, methods and places of debate to train and inform the public in a transparent way".
He analyzed that one of the worrying evolutions of our society was based on the increasingly marked confusion between what comes from a rigorous scientific approach and what comes from beliefs or manipulations. He was convinced that in the field of agriculture, innovation can give society a vision for the future and shed light on the issues of tomorrow. He participated in the establishment of this dialogue by transmitting his knowledge. And this is how he had ongoing discussions, notably with Jean-Yves Le Déaut, or with the journalist Olivier Lesgourgues, known in particular to science lovers on M6.
To conclude, I can testify, on the basis of numerous discussions with Christian Ducauze, that his actions in what became AgroParisTech from the National Agronomic Institute, did not forget that the School was born with an essential place for chemistry, born of the needs of agronomy at the time of the founders: for Würtz or Boussaingault, as for Justus von Liebig and many of his students, the question of synthetic fertilizers was of prime importance. Today, at a time when questions of sustainability, the environment, food safety (particularly with molecular biology methods), food safety and nutrition are being raised, knowledge of chemistry, its contribution and its dissemination have never been so essential.

This tribute to Christian Ducauze benefited from the testimonies of Douglas Rutledge and Luc Eveleigh, Jean-Yves Le Déaut, Charles Kappenstein.

mardi 14 décembre 2021

Promis, je vais me corriger

Décidément, il y a des travers, chez les autres, qui nous montrent mieux nos insuffisances.

Là, par exemple, je tombe sur un texte "intéressant" (http://mycoventures.com/MycoVentures (http://mycoventures.com/MycoVentures/Home.html) qui dit le danger des champignons crus.
L'auteur donne un nombre important d'indications... mais d'où les sort-il ?
Certes, pour chaque champignon, il donne un lien internet, mais ce lien ne va que vers une description du champignon, et non pas vers des articles scientifiques qui disent spécifiquement le danger. La référence est donc mauvaise, et même trompeuse, en quelque sorte.

Or je m'aperçois que, dans des communications publiques, pas scientifiques donc, je me laisse aller, pour des raisons de place ou de temps, à donner des informations sans les justifier par des références. Je les ai, ces références, mais je ne les donne pas, et c'est un mauvais exemple.
Au fond, je suis reconnaissant à l'auteur du mauvais texte que j'ai cité, de m'avoir bien fait comprendre qu'il y avait lieu de faire mieux que je ne faisais.

Promis, je vais me corriger.

lundi 13 décembre 2021

La publication scientifique mérite un soin immense !

 La vie est courte, alors que l' "art" est difficile

Il existe peut-être des personnes extraordinaires, mais je n'en suis hélas pas : je dois avouer que je  suis toujours étonné de mes insuffisances en matière de rédaction.

Bien sûr, je connais l'orthographe et la grammaire, un peu de rhétorique, un peu de littérature, mais là n'est pas la question :  discute ici la rédaction d'articles scientifiques.

Je veux d'abord témoigner de l'expérience de l'édition des articles scientifiques dans un journal scientifique dont je suis un des principaux responsables : pour ces textes, qui sont écrits par des spécialistes parmi les meilleurs de leur discipline, pour ces textes qui ont été évalués par des experts, qui ont fait l'objet d'un nombre très grand de relectures du point de vue scientifique, mais aussi du point de vue de la mise en page, de l'orthographe, de la typographie, et caetera, nous nous apercevons, à l'issue d'un processus d'édition très long et qui met des dizaines de personnes en action,  qu'il reste des imperfections. Une coquille, un caractère fautif, un mot qui manque, et cetera.

Cela me ramène 40 ans en arrière quand je travaillais à la revue Pour la science et que nous avions 11 réécritures complètes de chaque article, nous étions toujours effarés de voir que, dans la revue finalement publiée, il restait  des imperfections.

Voilà les faits. Et j'en arrive à nos propres articles scientifiques. On les écrit, on les construit, on les révise, on les corrige, et vient le moment où on les soumet à une revue.
Là, l'éditeur de la revue demande une expertise du manuscrit, généralement à deux spécialistes... et l'on constate alors que,  malgré les efforts considérables de conception des articles, rédaction, préparation, il y a encore souvent un nombre notable d'imperfections.
Pas seulement des imperfections de détails, mais, souvent, des imperfections de fond, car, en réalité, il y a tant de choses à considérer qu'il est bien rare que nous pensions à tout. Et cela impose des passages répétés, des check-list bien faites, suivies scrupuleusement...

Oui, j'insiste parce que je suis frappé de voir combien cela est juste : on ne dira jamais assez combien la rédaction d'articles scientifiques est une chose difficile si l'on veut arriver à produire des textes qui méritent de rester comme des pierres solides sur lesquelles se fonde l'édifice de la science. 




dimanche 12 décembre 2021

Il y a lieu d'être simple et explicite ; non pas une fois, mais sans cesse, chaque fois, répétitivement...



Quand on explique un point scientifique, il y a lieu d'être simple et explicite, mais non pas une fois seulement. Non, sans cesse, chaque fois, répétitivement, et j'insiste parce que ce "répétitivement" nous oblige à nous... répéter. Or nous avons souvent le sentiment que nous perdons notre temps à cela. Pourtant nos efforts d'explication sont vains si nous oublions précisément de nous répéter, pour donner les "bases" sans lesquelles nous ne serons pas compris.

Je refais, pour moi,  aujourd'hui, l'analyse de quelques épisodes récents, soit de séminaires, soit de cours à l'université, soit de présentations plus grand public, et je comprends que j'ai souvent tenu un discours trop compliqué, parce qu'il manquait ce qu'on peut nommer les bases.
Parfois, c'était simplement l'existence des molécules que mes interlocuteurs ignoraient.
Parfois c'était la constitution atomique des molécules. Et là, je faisais l'hypothèse implicite et erronée que cette constitution était sue dès le collège ; or si le collège a bien eu pour mission d'enseigner cette constitution, ce n'est pas une certitude que cet enseignement ait été reçu !
Parfois mes interlocuteurs ignoraient la composition chimique de certaines matières, alors cette composition me semblait  "évidente" parce que je la connais depuis longtemps. Par exemple, je trouve "élémentaire"  que le blanc d' œuf soit fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines... mais pourquoi d'autres que moi le sauraient-ils ?
Parfois les données de base qui manquaient à mes interlocuteurs étaient plus "avancées", qu'il s'agisse de la loi d'Ohm, de l'expression du potentiel chimique, de la valeur de l'intégrale d'une gaussienne...

Bref, je faisais des hypothèses mal ajustées, à propos des connaissances de base des personnes auxquelles je voulais expliquer quelque chose.
Or, pour nous adresser efficacement à nos interlocuteurs, il faut que nous soyons clairs, et ce mot me fait aussitôt revenir en mémoire cette phrase de l'astronome François Arago : "La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".

Cela a comme conséquence que chaque fois que nous expliquons un point scientifique, ce qui est constant pour un scientifique (avec des articles, avec des enseignements, et cætera), nous devons redonner ce que nous nommons les bases, car nous devons faire l'hypothèse qu'elle ne sont pas connues.

Bien sûr, redonner les bases allonge considérablement le discours et oblige à concevoir un long chemin explicatif avant d'arriver au point précis auquel nous voulons parvenir avec nos interlocuteurs.

Cela a aussi pour conséquence qu'il faut d'abord présenter clairement ce chemin, et l'on se souvient peut-être  des cartes que j'avais proposées (https://hervethis.blogspot.com/2019/07/la-cartographie-mission-du-professeur.html). 




Puis, le chemin présenté, il faudra le parcourir correctement avec nos interlocuteurs : assez lentement pour qu'ils puissent nous suivre, sans sauter une étape...

Sans quoi, nos entreprises explicatives sont inutiles.

Bref, je (me) propose de ne jamais oublier que nous risquons,  à chaque explication que nous donnons, de faire l'impasse sur des informations sans lesquelles tout notre discours sera incompréhensible.

Plus positivement : parcourons lentement et régulièrement les chemins explicatifs... sans oublier de cueillir des fleurs en chemin, et de les offrir à nos amis qui nous accompagnent.

samedi 11 décembre 2021

Un pot-au-feu de poisson ?



Ce matin, une question :


Une question : ma femme ne voulant plus manger de viande et ayant la passion des pots-au-feu,  je me suis mis à remplacer les pièces de bœuf par du poisson (l’arrête centrale de la raie, les têtes de congres et de crevettes sont ce que j’utilise le plus fréquemment).
Je me demandais si vous pouviez m’indiquer si la chimie d’un pot-au-feu de poisson est similaire à celle d’un pot-au-feu traditionnel? Je ne retrouve pas complètement le côté gélatineux dans mes pots-au-feu compatible “pescatarien”.


J' aperçois que souvent, des particularités diététiques de certains conduisent à l'obervation selon laquelle la seule cuisine classique ne permet pas de répondre bien à la question ; s'impose la connaissance chimique et physique des ingrédients, d'une part, et celle des transformations culinaires, d'autre part. C'est à dire : s'impose la gastronomie moléculaire. 

 

En l'occurrence, la question est "intéressante" : et là, je ne suis pas en train, hautainement, de distribuer des bons points, mais, plutôt, de m'apercevoir que je dois réfléchir pour répondre de façon aussi fiable et utile que possible. 

 

Voici une réponse

Le pot-au-feu est une préparation classiquement introduite (empiriquement ; même si nos aïeux n'étaient pas plus bête que nous, ils n'avaient pas nos connaissances modernes) pour optimiser les nutriments de la viande. Autrement dit, le pot-au-feu est une préparation essentielle depuis des siècles, pour cette raison. 

 En effet, une viande que l'on chauffe se contracte, ce qui exclut des jus, lesquels contiennent des nutriments.
Nos ancêtres n'étaient pas fous, et, alors que les aliments étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, ils ont bien vu que le rôtissage fait perdre des jus : jusqu'à un tiers de la masse initiale de la viande  !
Et c'est pour cette raison qu'ils faisaient cuire la viande dans l'eau, ce qui permet d'avoir à la fois la viande et le bouillon, lequel contient des nutriments. 

D'ailleurs, à ce stade, je crois me souvenir que j'ai évoqué cette question, différemment, dans deux livres :

1. Les précisions culinaires, pour la partie historique

 


2. Mon histoire de cuisine, pour la partie technique
 


De surcroît, un pot-au-feu bien conduit, pour lequel on évite le "coup de feu", permet de valoriser des viandes dures, parce que la cuisson lente, à basse température, dissout progressivement le collagène, enrichissant le bouillon en protéines, peptides, acides aminés, tandis qu'il évite la contraction de la viande. Finalement, on récupère une viande tendre et juteuse, mais aussi un bouillon qui a beaucoup de saveurs, notamment en raison des acides aminés et des peptides.

 

Pour le poisson

 

Évidemment, pour du poisson, on peut cuire dans de l'eau et l'on récupérera de même du poisson cuit et du bouillon. 


Toutefois, le problème, avec le poisson, c'est que les chairs contiennent bien moins de tissu collagénique que les viandes, raison pour laquelle le poisson est si tendre.
On n'aura donc pas intérêt à cuire longtemps les tissus musculaire dans l'eau, sans quoi ils se déferaient.
 

Si l'on veut un équivalent du pot-au-feu, je crois qu'il faut séparer les opérations  :

1. Constituer par avance un bon bouillon, bien gélatineux, notamment en cuisant des arêtes et des têtes dans de l'eau avec une bonne garniture aromatique. Il faudra  charger le bouillon de matières susceptibles de libérer de la gélatine... ou utiliser de la gélatine de poisson... ou de viande.
La cuisson devra être longue, car c'est cette longue cuisson qui non seulement fait l'extraction de la gélatine, mais, aussi, l'hydrolyse de cette dernière, en peptides et acides aminés.  

2. Puis on se limitera à pocher  le poisson dans le bouillon frémissant.

Sans oublier de bien cuire la garniture aromatique.
Et de confectionner tous les merveilleux à côtés du pot-au-feu : par exemple, en Alsace, on broie des carottes cuites avec moutarde et oeuf dur, on dispose des mirabelles au vinaigre, etc.