1. Aujourd'hui, des étudiants me demandent des conseils à propos d'une expérimentation qu'ils ont faite. Ils m'envoient en pièce jointe d'un courriel un graphe où des points rouges et bleus sont respectivement reliés par des segments de droite, formant deux courbes.
Malgré l'obscurité de leur message, je crois comprendre qu'ils pensent avoir mis en évidence deux comportements différents, pour des systèmes identiques traités différemment.
2. Dans un tel cas, la première des choses à faire est de pure forme : il faut se souvenir que les résultats de mesure ne valent rien sans une information précise sur les matériels et les méthodes qui ont été employées.
3. De ce fait, les points de mesures doivent nécessairement être assortis d'une indication sur les incertitudes de mesure et ce sont seulement ces indications qui permettront de savoir si les deux courbes sont effectivement différentes... ou pas.
4. On ne répétera jamais assez que deux mesures sont toujours différentes et que c'est la comparaison de ces mesures avec leur incertitude qui établit ou non une probabilité notable, ou faible, de différence. Ce qui vaut pour deux points vaut évidemment pour une courbe tout entière
5. De sorte que je suis immédiatement conduit répondre à mes correspondants que, sans toute l'information nécessaire, je suis dans incapable de les aider.
6. Cela, c'est pour le détail, mais il y a pire, qui tient dans un « de quoi s'agit-il ?». que disait notamment le maréchal Foch, ce qui fut ensuite repris par le photographe Henri Cartier-Bresson.
Pourquoi mes correspondant ont-ils fait cette expérience ? Qu'est-ce qui justifie que l'on s'intéresse à cette expérience ? Faut-il que je passe plus de temps à analyser une question qui serait complètement idiote ? Et, dans l'hypothèse où la question est pertinente, il y a lieu de se poser d'abord l'adéquation de l'expérimentation qui a été faite à la question qui a été posée. D'où le choix des matériels et des méthodes.
7. Bref, pour faire bien, il faut éviter de se lancer, et il vaut mieux avoir de vraies raisons... ce qui est précisément demandé dans la première partie de nos "documents structurants de recherche" (DSR).
Les connaissez-vous ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 21 février 2021
Une mesure ? Pas sans incertitudes... ni sans une raison de la faire
mercredi 10 février 2021
Oublions définitivement ces idées fautives de "concentration" et d' "expansion"... pour les légumes comme pour les viandes ou les poissons !
Oui, décidément oui, la "théorie culinaire" doit être révisée, quand elle est fautive. Ce matin, j'ai le bonheur de recevoir un premier message, qui me permet de donner à tous nombre de commentaires... qui permettront de réfuter une fois de plus cette classification tout à fait fautive qui parlait de "concentration" quand il n'y en a pas, et d' "expansion" quand il n'y en a pas non plus.
Je pose en préalable que les mots ont un sens défini par le dictionnaire, et non pas par nos envies individuelles. Et pour ceux qui ont besoin d'un bon dictionnaire, je recommande absolument https://www.cnrtl.fr/. J’ajoute que, pour de la transmission (ce qui prend parfois la forme d’ « enseignements »), cette question de l’inter-compréhension est évidemment essentielle : non seulement nous devons parler justement, mais, de surcroît, nous devons nous assurer que nos interlocuteurs nous comprennent bien, alors même que leur capacité à comprendre bien les mots n’est peut-être pas de beaucoup supérieure à la nôtre ( ;-) : on comprend que, même pour un sujet aussi sérieux que celui que je traite aujourd’hui, je reste souriant).
Voici donc, d'abord, le message général, que je vais reprendre ensuite, ligne à ligne, phrase à phrase, mot à mot :
Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte. En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande.
Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence
Je n’ai en tout cas pas encore trouvé d’affirmations qui montre que cette classification ne marche pas pour le végétal. Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :
Cuisson par concentration
o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution.
o Durant une friture l’aliment aqueux va « se fermer » au contact de l’huile chaude et il va se colorer.
o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide.
Cuisson par expansion
o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide.
o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments.
Et voici mes commentaires :
Pour ces commentaires, quelques indications préalables :
- je ne cherche pas à "dénoncer" quiconque, mais à diffuser de l'information juste : oui, me rendre un peu utile, aider mes amis...
- j'ai des dizaines, voire des centaines de publications scientifiques pour valider ce que j'avance : mais on comprendra que je ne les cite pas, que je ne les joins pas ici, sans quoi le texte deviendrait très indigeste ;
- je ne touche pas un centime à propos de ces questions, de sorte que je n'ai aucun "intérêt" à ne pas dire la plus stricte vérité : pas de conflit d’intérêts, pas d’intérêts… sauf peut-être les mêmes que ceux des philosophes des Lumières, car on sait mon admiration pour Denis Diderot ;
- en revanche, je reste un enfant très en colère contre certains professeurs qui ne se remettaient pas en question, ou contre ceux qui transmettent sans vouloir changer leurs pratiques quand elles sont mauvaises… et très reconnaissants envers les professeurs qui ont su se remettre en question (l'on voit que j'apprécie d'être questionné par mon interlocuteur dont je conserve l'anonymat), qui ont travaillé pour défricher le chemin de connaissance sur lequel je marchais. Oui, il y a une vraie belle responsabilité des professeurs !
1. "Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte."
Oui, effectivement, j'ai combattu de toutes mes forces la théorie fautive des cuissons qui étaient dites « par concentration », « par expansion » ou « mixtes », précisément parce que cette théorie était très fautive et qu’il me semblait tout à fait déplacé de l'enseigner depuis des décennies. Quelle honte de l'avoir transmise à des jeunes ! Quelle paresse de l'avoir acceptée sans esprit critique !
Mais qu'importe, l'affaire est faite : grâce au soutien de l'inspection générale de l'Education nationale, grâce au soutien du ministre, nous avons réussi à changer les référentiels du CAP du BEP, après un passage par la Commission paritaire. Cela a pris plusieurs années, mais c'est fait : quel bonheur !
Pour expliquer la chose à ceux qui ne sont pas au courant, disons d'abord que l'on parlait (fautivement, donc) de "cuisson par concentration" pour évoquer les cuissons de type rôtissage au four. Et certains ajoutaient même que "les jus se réfugiaient à coeur".
Pourtant, il n’est pas possible que le jus migrent vers l’intérieur de la viande, parce qu’il n’y a pas de place pour cela. Une viande, c'est de l'eau prise dans la structure fibrillée de la viande. Où les jus (de l'eau, essentiellement) seraient-ils allés ? D’autant que l’eau est incompressible : la meilleure indication de ce fait, c’est que les garagistes parviennent à lever des voitures avec leur vérins hydrauliques, ce que l’on apprend dans les cours de physique du Collège, à condition de les suivre, bien sûr
D'autres disaient que les goûts se concentraient... mais ce n'est pas vrai : dans les rôtissages, les composés odorants ou sapides (et autres) qui sont formés par des transformations moléculaires (que certains nomment des « réactions chimiques ») sont à l'extérieur, cet extérieur brun qui est atteint par la forte chaleur du four (à l'intérieur des viandes ainsi cuites, la température est partout inférieure à 100 °C).
Enfin, pour mettre l’estocade finale à cette théorie fautive, il suffit de peser une viande que l'on rôtit : elle perd jusqu’à un tiers de sa masse (plus de 300 grammes pour un kilogramme initial)… parce qu’elle se contracte. Si l'on était de très mauvaise foi, on pourrait dire, vu que les jus sont exclus de la masse par la contraction du tissu collagénique, que la viande se concentre en viande... mais on verra plus loin que cela n'est pas une caractéristique du rôtissage et des autres types de cuisson qui étaient fautivement désignés par « concentration »... puisque l'on mesure la même contraction dans un pot-au-feu ;-)
J’y pense : avez-vous déjà regardé ce que signifie le mot « concentration » ?
La même théorie fautive faisait état de l’également fautive dénomination de "cuisson par expansion", pour les cuissons de type pot-au-feu.
Et là encore, c'était une erreur... puisque la viande se contracte quand on la chauffe, dans l’eau comme dans un four ! Et, comme précédemment, c’est le « collagène » qui fait cette contraction, laquelle presse la viande comme si l’on pressait une éponge, ce qui fait sortir les « jus ».
On le voit, donc, il n'y a pas d' « expansion » (de la viande), mais une sortir de certains composés en phase aqueuse, qui correspond à cette même expulsion des jus par la viande que la chaleur contracte.
D'ailleurs, dans un pot-au-feu, il n'y a pas seulement une contraction de la viande et une expulsion des jus : dans le bouillon, il y a des réactions, tout comme dans le fond du plat de cuisson au four (ce qui fait le résidu brun que l'on déglace parfois). J'ajoute que ces réactions ne sont pas les mêmes pour la viande rôtie et dans le bouillon, ce qui est évident quand on compare, à la dégustation, une viande bouillie et une viande rôtie... et j'ajoute que je propose que l'on considère qu'il y a nombre de réactions pour expliquer ce brunissement :
- des réactions de glycation (oubliez s'il vous plaît la terminologie « réactions de Maillard » qui est bien trop souvent enseignée de façon erronée)
- des déshydratations intramoléculaires des hexoses
- des thermolyses et pyrolyses variées.
Bref, s'il n'y a pas de concentration de quoi que ce soit dans les cuissons au four, dans les rôtissages, et s'il n'y a pas d'expansion dans la cuisson des viandes quand on fait un pot-au-feu, par exemple, alors, il n'y a rien de mixte, et toute cette théorie entièrement fantasmagorique doit être oubliée... et elle l'est, puisque l'Education nationale y a merveilleusement mis bon ordre. Ce qui appelle deux commentaires :
1. la France est pionnière de ce point de vue
2. si un professeur continuait (pourquoi, au fond ?) à l'enseigner ou à le faire dire à un examen ou à un concours, il pourrait être attaqué, et l’examen ou le concours annulé.
Cela, c’était pour les viandes, mais nous allons voir que, pour les légumes aussi, ces théories sont fausses, et d'ailleurs, elles n'ont jamais été établies par personne... puisque l'on serait bien incapable de les établir, étant donné qu'elles sont fausses.
Mais avant de passer à cela, j'ajoute -bien plus positivement- que l'on a recommandé, pour ceux qui veulent faire des catégories (mais faut-il vraiment en faire ?), de parler de cuissons avec brunissement ou sans brunissement.
2 "En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande."
Il ne s'agit pas qu'une théorie "marche" ou qu'elle ne marche pas... et d'ailleurs une théorie ne marche jamais, puisqu'elle n'a pas de jambes.
Une théorie décrit correctement ou non les phénomènes, et, dans le cas des viandes, notamment, elle ne les décrit pas du tout.
3. "Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence ?"
Commençons par observer que l'expression "cuisine végétale" est fautive : cuisiner des végétaux, ce n'est pas faire une "cuisine végétale" (c'est ce que l’on nomme la faute du partitif, en français).
Mais surtout, non, désolé, mais la théorie de la concentration et de l'expansion (dont je rappelle qu'on ne sait pas d'où elle sort, puisque personne ne l'a établie, ce qui aurait été impossible) n'a aucune pertinence, ni pour les viandes, ni pour les végétaux, comme on va le voir plus loin.
Et évidemment, je ne connais aucune publication scientifique qui montrerait que cette classification s'appliquerait aux ingrédients culinaires végétaux… puisqu’elle ne s’applique pas.
4. "Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :"
Je répète que, moi qui fait mes études bibliographiques tous les matins, je n'ai encore trouvé aucune indication que la classification fautive qui a été abandonnée pour les viandes puisse s'appliquer végétaux.
Et pourtant, je cherche : je passe mes journées à cela !
J'ajoute que "se baser sur" est un anglicisme, à prohiber, donc, devant des élèves.
Et je pose à nouveau la question : faut-il vraiment une classification, pour évoquer un nombre de procédés de cuisson qui tient sur les doigts des deux mains ? Et en quoi une telle classification aidera-t-elle les élèves ?
Et si l'on veut une classification, alors je recommande celle que j'ai évoquée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes", ou dans "Mon histoire de cuisine". Elle est toute simple (et juste), puisqu’elle considère la manière dont on transmet la chaleur à l’aliment, viande ou légume.
Mais surtout, pourquoi conserver cette théorie, si elle est douteuse ? Quelle indication pourrait nous la faire conserver ?
Le fait qu’on nous l’a enseignée ? Ne répétons surtout pas les erreurs de nos prédécesseurs : nos élèves seraient en droit de nous le reprocher.
J'entends bien que mon interlocuteur va énoncer des "faits"... mais a-t-il fait des mesures ? des analyses ? des observations au microscope ? Non, non et non. Donc il ne devrait certainement pas adhérer à une idée qui traîne... d'autant qu'elle est ancienne et que, en science comme en médecine, ce qui est ancien est périmé, et pas emprunt d'une grande sagesse : nos anciens n'avaient aucune des bases intellectuelles que nous avons aujourd'hui. Ils ignoraient l’existence des protéines, de la structure de la viande, des réactions de glycation, ils avaient des idées fausses à la pelle, que nous réfutons expérimentalement une à une depuis vingt ans dans les Séminaires de gastronomie moléculaire. N’ai-je pas vu des chefs triplement étoilés qui écrivaient que l’on pouvait atteindre 130 °C dans une casserole avec un couvercle ? Ou que le fait masser une viande avec du beurre aurait fait entrer le beurre dans la viande ? Ou que des bouchons de liège auraient attendri les poulpes ? Ou que les mayonnaises rateraient si les jaunes et l’huile n’étaient pas à la même température ? Ou que l’on cesserait de pleurer en épluchant des oignons si l’on mordait une cuiller en bois ?
Et, pour revenir aux « anciens », n’oublions pas trop vite qu’ils s'éclairaient à la bougie, mouraient quand des micro-organismes pathogènes les attaquaient, que les femmes mouraient en couches d'infections, et les enfants n’atteignaient pas souvent l’âge adulte, que l’on vivait dans des espaces sans autre chauffage que du feu de bois... Ce n'est pas un monde que j'envie !
5. "Cuisson par concentration"
Ah, débarrassons-nous vite de cette expression détestable ! Vite ! Pour les légumes comme pour les viandes !
6. "o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution."
Mon interlocuteur écrit que la cuisson dans un milieu sec concentrerait les goûts. Mais que veut-il dire par "concentrer les goûts" ?
Veut-il dire que les goûts sont plus puissants ? D'ailleurs est-ce quelque chose qu'il a mesuré ? Il faut surtout observer que le goût change : une carotte revenue, brunie par le caramel qui s’est formé par réaction de ses sucres (glucose, fructose, saccharose) a plus de goût de caramel à l’extérieur, et moins de goût de caramel à l’intérieur, mais elle a évidemment plus de goût (faible!) de carotte à l’intérieur qu’ à l’extérieur. .
Cela étant établi, il faut questionner les mots "goûts" et "parfums".
Un goût, c'est la sensation qui résulte de très nombreuses perceptions :
- les saveurs (et il y a plus que quatre saveurs, car la théorie ancienne, à nouveau, est tout à faire erronée!)
- les odeurs (perçues quand des molécules odorantes passent dans le nez, quand on met l’aliment en bouche, puis à nouveau perçues quand on mastique l’aliment, ce qui libère les molécules odorantes au rythme de la mastication, leur permettant de passer de la bouche au nez par les fosses rétronasales, en arrière de la bouche)
- des perceptions "trigéminales" (les piquants, les frais...)
- des perceptions des acides gras insaturés à longue chaîne (découvertes par des physiologistes de Dijon il y a une vingtaine d’années)
- des perceptions des ions calcium
- la température
- la consistance
- et ainsi de suite.
Oui, le goût change quand on cuit... mais que signifie "concentrer les goûts" ? Imaginons que la saveur soit réduite et l'odeur augmentée (cela m'arrache la bouche de parler ainsi, mais c'est pour expliquer) : le « goût » serait-il « concentré » ?
Et entre une carotte crue ou une carotte rôtie : le goût de carotte crue est moindre, dans la carotte rôtie... Alors, quel goût est « concentré » ?
Le mot « parfum », maintenant. C’est une appréciation « agréable », donc qui n’a rien à faire ici, puisque le bon des uns n’est pas le bon des autres. Parlons éventuellement d’odeur… qui ne se concentre pas. Et évitons de parler d'arôme, puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate, ce que ne sont pas un poireau, un artichaut ou une pomme de terre. Il y a des odeurs (anténasales) et des odeurs rétronasales.
D'autre part, si mon interlocuteur avait disposé de moyens de mesure, il aurait observé qu'il y a des goûts qui disparaissent, et des goûts qui apparaissent.
Par exemple (un parmi mille !), une étude a bien établi que certains composés importants pour le goût de tomate disparaissent entièrement lors de la production de concentrés de tomate, en même temps que l'eau. Est-ce une "concentration", cela ?
Et puis, mettons simplement notre nez au dessus d'un plat de carottes que l'on fait sauter : oui, il y a des "jus" qui sont éliminés, notamment de l'eau avec les trois sucres principaux des végétaux que sont D-glucose, D-fructose et saccharose (et ces sucres caramélisent : j'utilise le mot dans une acception parfaitement juste, dans ce cas tout particulier), mais il y a aussi des composés odorants, des composés à action trigéminale, etc.
D'ailleurs, ce cas est intéressant, puisqu'il me permet d'ajouter que la « bioaccessibilité » de certains composés est modifiée : par exemple, le carotène bêta est plus assimilable, plus "libre", dans une carotte cuite que dans une carotte crue... et cela n'a rien à voir avec les jus, mais seulement avec la modification de la consistance.
J'ajoute à ce propos que la cuisson des tissus végétaux amollit ces derniers (parfois) en modifiant les pectines, ce qui forme de nouveaux composés, qui ont « du goût » : les pectines sont des polysaccharides, et des sucres sont libérés.
Tout cela étant dit, mon interlocuteur me donne aussi la possibilité d'évoquer le phénomène nommé « entraînement à la vapeur d'eau », avec lequel les sociétés de parfumerie extraient des composés odorants des matières végétales. Pour ne pas me répéter, je renvoie à mon livre Mon histoire de cuisine, où j'ai expliqué la chose en détail.
Oui, une partie de l'eau des légumes est évaporée quand les légumes sont chauffés... mais, cette fois, pas de contraction, puisqu'il n'y a pas de tissu collagénique. Seulement l'eau des cellules (je rappelle qu'un tissu végétal est fait de petits « sacs vivants » agrégés, les « cellules ») qui s'évapore des zones où la température est supérieure à 100 °C. D'où la formation d'une croûte... qui a une couleur et un goût qui résulte des transformations moléculaires associées à cette formation de croûte.
J'insiste : dans les cuisson, il y a les composés qui restent, les composés qui partent, et les composés qui se forment. Il serait simpliste de raisonner seulement en terme des deux premières catégories... puisque les composés nouvellement formés sont essentiels, surtout dans les cuissons avec brunissement.
7. "o Durant une friture l’aliment aqueux va se fermer au contact de l’huile chaude et il va se colorer."
Un « aliment aqueux » ? Qu'est-ce que cela signifie ? Les aliments ne sont pas « aqueux », mais ils renferment de l'eau. J'insiste un peu sur la correction du langage, surtout dans l'enseignement : si nous voulons nous faire comprendre des apprenants, ne nommons pas « chien » un animal qui fait « miaou ».
D'autre part, une information : les tissus végétaux, comme les tissus animaux, sont tous faits de beaucoup d'eau... puisqu'ils sont faits de cellules, et que ces dernières sont pleines d'eau.
Posons donc la question plus justement : un tissu végétal se « fermerait »-il au contact de l'huile chaude ? Et là, notre interlocuteur le dit... mais j'aimerais bien qu'il puisse en apporter la preuve... parce que cela n'est sans doute pas vrai !
Ce que je sais, moi, c'est qu'un tissu végétal est fait de cellules groupées en différentes zones. Par exemple, pour la carotte, une rondelle est faite d'une partie corticale (autour), d'un parenchyme, d'un cambium, d'un coeur. Pour certaines zones, les cellules sont simplement agrégées, mais pour d'autres zones, il y a des « canaux » qui montent la sève brute (principalement de l'eau et des ions minéraux) et d'autres qui descendent la sève élaborée (de l'eau, des sucres, des acides aminés). Ces canaux ont pour nom xylème et phloème.
Pour les carottes, les canaux sont ouverts, quand on coupe des rondelles, et pour les « feuilles », il y a aussi des stomates. Mais ces ouvertures se ferment-elles ? Je n’en ai aucune indication.
Et puis, le fait que l'on récupère un caramel ou un corps gras qui a beaucoup de goût quand on sue des légumes montre que des échanges se font. S'il y a « fermeture », il n'y a en tout cas pas d'étanchéité... d'autant que, si l'on met un échantillon de tissu végétal dans une friture, on voit des bulles : c'est de l'eau, sous forme de vapeur, qui traverse la surface : rien d'étanche, donc.
Pour la coloration, enfin, c'est une réaction qu'il a rien à voir avec les canaux ; elle se fait partout et la surface et non pas seulement à l'endroit des canaux.
8. "o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide."
Mon interlocuteur nous dit que jeter un aliment dans l'eau chaude a tendance à le « saisir »... mais, au fait, à quoi voit-il cela ? A quoi correspond ce prétendu saisissement ? J'aimerais bien qu'il me le dise, parce que je n'ai rien vu de tel.
Il nous répète que cela « ferme » l'aliment, mais quelle preuve a-t-il ? Quant aux « bien sûr », j’aurais tendance à être prudent, non ?
« Freiner » la sortie de ses composés chimiques : là, le mot « freiner » devrait être remplacé par « ralentir », mais passons sur ce détail. Ce qui m'arrête surtout, ici, c'est « composés chimiques ». Un composé est un composé, et il n'est « chimique » que s'il est étudié par un chimiste. Donc pas de composés chimiques (ne pas confondre avec « composé de synthèse », ni avec « composé artificiel ») dans les tissus végétaux : seulement de l'eau, des pectines, des celluloses, des hémicelluloses, des sucres, des acides aminés, des protéines, des lipides, etc. De quels composés notre interlocuteur parle-t-il ?
Et puis, comment peut-il affirmer que jeter un aliment dans l'eau chaude ralentirait la sortie de composés ? Et puis, ralentir par rapport à quoi ?
De toute façon, au contraire l'eau chaude favorise la sortie des composés qui peuvent sortir : sucres, acides aminés, etc. Nous avons eu, dans mon groupe de recherche, une thèse qui explore précisément cela, et j'invite chacun à comparer les sorties de sucres aux différentes températures. D'ailleurs, on sait bien que les extractions se font mieux à chaud qu'à froid. Tiens, essayez donc de préparer du thé à l’eau froide, et vous verrez.
D'autant que, à chaud, les parois végétales (celluloses, pectines, hémicelluloses) sont dégradées, comme je l’ai indiqué plus haut.
9. "Cuisson par expansion"
Allons, oublions maintenant cette terminologie ! La carotte ne s'expand pas, quand on la cuit, et, d'ailleurs, sa masse ne change pas notablement.
Et si l'on parle des composés extraits, ce n'est pas une expansion, mais une extraction.
10. "o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide."
Il y a maintenant une « cuisson longue » : oui, plus on cuit longuement, plus on extrait : voir la thèse sur le bouillon de carotte dont j'ai parlé précédemment.
Mais à nouveau : ne parlons pas de composés chimiques, mais seulement de composés.
11. "o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments."
Une « cuisson du froid vers le chaud » ? Notre interlocuteur veut sans doute parler de cuisson dans l'eau avec départ à froid ?
Observons d'ailleurs qu'une telle cuisson n'est pas un pochage, terme qui désigne classiquement l'inverse d'une « infusion » (pensons aux feuilles de thé, dans l'eau bouillante dont la température diminue).
Le départ à froid favoriserait la sortie des composés ? Où notre ami a-t-il vu cela ? Quelle preuve en a-t-il ? Quelles mesures a-t-il faites pour l'établir ? J’ajoute que ces questions peuvent être posées pour bien des idées culinaires, et, mieux, que l’on aurait raison de les poser plus que cela n’a été fait.
Puis, une suite à ma réponse
En substance, j'ai dit une partie de ce qui précède à mon interlocuteur par oral, en lui promettant de mettre tout cela par écrit... ce qui me prend un temps précieux, mais que je fais parce que je pense à tous les élèves qui veulent apprendre des choses justes.
Cela étant, avant même que je puisse faire ce billet, mon interlocuteur m'a envoyé un nouvel email, avec ce qui suit :
Pour être sûr d’avoir bien compris notre échange téléphonique :
Extraction en milieu humide
Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?
Du coup concrètement :
- Le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes (cf image en pièce-jointe) de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?
- La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?
Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?
Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?
Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?
Choix Nouvelles Classification
Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :
- Cuissons Humides (pocher, étuver...)
- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)
- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)
Sel
Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?
Et là, il y a encore beaucoup à dire.
Oui, là encore, j'ai matière à donner des explications supplémentaires, et cela par écrit afin que chacun puisse lire lentement, à son rythme, mieux que dans une rapide conversation téléphonique.
1'. "Extraction en milieu humide"
Une extraction en milieu humide ? Je salue d'abord mon interlocuteur qui parle maintenant d'extraction, plutôt que d'expansion. Je le félicite vivement d'avoir su changer, au vu des arguments qui lui ont été donnés.
Cela dit, mon interlocuteur fait encore une confusion car une solution aqueuse n'est pas un "milieu humide" : l'humidité, c'est quand il y a peu d'eau dans un gaz, comme dans un poêlage (dans un poêlon, pas dans une poêle), par exemple. Mais ici, je vois bien à la suite de son texte qu'il parle de cuisson dans l'eau. On pourrait parler d' « extraction dans l’eau ».
2'. "Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?"
Là, je retrouve le mot "pocher", qui n'est pas juste. Mettons le de côté, puisque j'en ai déjà parlé.
En reformulant, je n'ai certainement pas dit qu'il n'y avait pas de différence d'extraction selon que l'on extrait dans l'eau à partir d'eau froide ou à partir d'eau chaude... parce que je ne sais pas ce que l'on compare. Les ingrédients séjournent-ils, par exemple, le même temps ? Et la quantité de chaleur transmise est-elle la même ?
Mais, surtout, la cuisson dans l'eau départ a froid fait des résultats très différents de la cuisson dans l'eau départ à chaud... comme on peut l'observer en mettant des rondelles de carottes dans l'eau froide ou tiède : les rondelles durcissent au point qu'on ne peut plus, ensuite, les amollir ! En effet, les températures chaudes mais douces activent des enzymes qui font libérer des ions calcium, lesquels sont importants pour "ponter" les pectines", et durcir les légumes.
C'est essentiel, notamment pour durcir des cornichons que l'on veut conserver longtemps dans le vinaigre sans qu'ils se défassent... et important aussi pour la moderne "cuisson à basse température", surtout quand la température est inférieure à 80 °C environ... mais c'est une autre histoire.
Quant aux effets sur les composés sapides ou odorants, il y a donc la question de la durée de la cuisson.
Mais à ce stade, je vois surtout qu'il me manque une discussion préalable des « objectifs ». Au fond, de quoi parlons-nous ? Que voulons nous ? Cuire des légumes ? Leur donner du goût ? Les attendrir ? Les faire changer de couleur ? Les faire changer de goût ? C'est seulement quand on aura répondu à ces questions que l'on pourra se préoccuper des molécules sapides, odorantes, à action trigéminale, des ions calcium, etc. Et l'on n'oubliera pas qu'il n'y a pas seulement des extractions, mais également des réactions.
Et cela me fait penser à inviter mon interlocuteur à aller voir les « 14 commandements de la cuisine » que j'avais donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine. S’il y a enseignement, je recommande de commencer ainsi.
3'. "Du coup concrètement : le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes, de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?"
A propos d'amertume et d'âcreté, je renvoie mon interlocuteur à un séminaire où nous avons exploré ces questions. Tout est en ligne sur le site d’AgroParisTech.
4'. "La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?"
Je ne sais pas d'où mon interlocuteur tire sa recette « traditionnelle », mais moi, j'ai une recette « traditionnelle » (un livre ancien) qui me dit de mettre les gousses d'ail cinq fois de suite dans l'eau bouillante.
De toute façon, comme je l'ai expliqué, c'est surtout le fait d'extraire bien les composés qui donnent le goût d'ail qui compte, et cela se fait plus à chaud qu'à froid (nouvelle preuve qu'il n'y a pas de « fermeture »).
5'. "Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?"
Je n'ai pas dit cela. Mais j'y reviens, quel est l'objectif ? Et là, c'est un trop gros morceau pour répondre.
6'. "Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?"
Dans quel cas partir à froid ou partir à chaud ? J'ai expliqué que le départ à froid avait l' "inconvénient" de durcir les légumes... quand on n revanche,
Mais pensons plutôt à des objectifs, encore des objectifs, toujours des objectifs. Pour prendre une comparaison, c'est seulement après que j'ai décidé d'aller à Colmar que je peux choisir le chemin qui m'y mène... sinon je risque d'arriver à Brest !
7'. "Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?"
C'est fait : commencez par les deux livres cités précédemment.
8. "Choix Nouvelles Classification
Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :
- Cuissons Humides (pocher, étuver...)
- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)
- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)".
Enfin, pour la nouvelle classification, puisque j'ai critiqué l'expression « cuisson humide », au sens de « cuisson dans l'eau », je propose plutôt la classification qui figure dans mon livre « Casseroles et éprouvettes », mais aussi dans mon livre « Cours de gastronomie moléculaire N°1 », et, enfin, dans mon livre « Mon histoire de cuisine ». Je ne dis pas la même chose dans les trois livres.
9. "Sel. Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?"
Aucun. Enfin, plus exactement, je ne sais ce que signifie « ralentir la cuisson ». Si la « cuisson » est synonyme d’attendrir, alors le calcium n’est pas bon.
Mais commençons simplement : le sel de table, quand il est très pur, est quasiment limité à du chlorure de sodium. Mais le sel moins raffiné contient du calcium... qui durcit les légumes. Une autre histoire, à nouveau.
Tout cela étant posé, je prie mon interlocuteur de ne pas se vexer d'être ainsi réfuté : qu'il considère surtout que j'ai passé BEAUCOUP de temps à préparer cette réponse, pour l'aider, et pour aider les élèves.
Et je le félicite d’oser m’interroger, au risque que j’abatte ses idées initiales : c’est la marque d’un esprit ouvert, que j’encourage vivement, et que je remercie au nom des élèves qu’il aura.
mardi 9 février 2021
Qui a la charge de la preuve ? Celui qui soutient une thèse !
science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude
Au fond, il y a quand même un peu lieu de s'étonner à propos des indications techniques que donnent certains cuisiniers, ar exemple à propos du fait que la viande serait cautérisée quand elle est saisie. En réalité, on sait bien qu'il n'en n'est rien, car quand on soulève un steak qui était grillé, après qu'on l'a posé sur une assiette, à la sortie de la poêle, on voit bien qu'il repose sur sur une mare de jus : je ne sais pas bien ce qu'est une "cautérisation" (mais mes amis qui utilisent ce mot le savent-ils mieux que moi ?), mais nous voyons tous parfaitement que, cautérisation ou pas, nous avons la preuve que les liquides sont sortis et que cette sortie n'a pas été évitée par le fait de saisir la viande.
La question que je pose aujourd'hui est savoir pourquoi on nous serine de telles erreurs avec autant d'imprudence ou d'impudence. Et je m'étonne aussi que l'on doive aujourd'hui faire tout notre possible pour réfuter ces erreurs, alors qu'il aurait été plus naturel que ceux qui prétendent l'existence de la cautérisation des viandes saisies en apportent la preuve (et ils n'auraient alors pas pu le faire). Bref, pourquoi, dans un milieu pourtant techniques, dit-on parfois n'importe quoi ? Pourquoi cause-t-on ainsi dans le vide depuis des siècles ? Pourquoi n'a-t-on pas établi les faits auparavant ?
Bien sûr, les anciens avaient des excuses, puisqu'ils n'avaient pas la notion de molécules que nous avons aujourd'hui, ils ignoraient les vrais mécanisme de la capillarité ou de l'osmose, ils ignoraient la constitution des viandes... Mais quand même, il y en a eu beaucoup, qui, plus récemment, alors que ces connaissances sont disponibles (mais il faut reconnaître que c'est du "travail" d'aller les chercher) ont raconté n'importe quoi avec un aplomb extraordinaire.
Oui, il nous faut détester l'argument d'autorité ! Il faut détester ceux qui, réputés compétents par une communauté ou par eux-mêmes, se sont laissés aller à dire plus qu'ils ne savaient, car cela est de la prétention.
Après vingt ans de séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons eu très fréquemment l'occasion de voir que le milieu culinaire n'a qu'exceptionnellement fait des expériences de comparaison, avec un seul facteur changé, et des procédés rigoureux : pesée, mesures de temps, de température, de pH, observations au microscopes.
Les cuisiniers sont pour certains des artistes, et leur question est le bon, donc le beau à manger, pour lequel il n'y a rien à discuter, mais quand ils vont sur le terrain technique, ils ont intérêt à être prudents, car que peut penser leur entourage s'ils se mettent à divaguer ?
Mais il y a des raison d'être optimistes : depuis une dizaine d'années, les professeurs de cuisine sont formés à la technologie. On leur apprend à faire des expériences, et ils apprennent cela à leur élèves. Oui, ayons confiance : la prochaine génération de cuisiniers français sera techniquement plus assurée que la précédente !
Restera la question de l'Art !
dimanche 7 février 2021
De la... facilité ? Méfions-nous de ceux qui en parlent, car ils dénigrent en réalité nos efforts
Alors que j'évoquais un week-end de travail, avec trois articles à écrire, j'entends que l'on me dit que j'ai, pour cela, de la "facilité". Je suis outré !
Oui, je suis outré, parce que non, je n'ai pas plus de facilité que les autres... mais je travaille ! Ce week-end, pour faire ces articles, j'ai peu dormi, et au lieu d'aller me promener, de me comporter en oie que gave le monde, au lieu de paresser, je suis devant mon ordinateur, à poser chacun des mots de mes articles, à calculer des valeurs que j'utiliseent dans ces textes, à rechercher des références pour justifier tout ce que j'avance.
D'autre part, pour écrire, je me fonde sur tout le travail que j'ai effectué par avance, dans les mêmes conditions : pas un répit, pas de repos, pas de paresse, mais une activité incessante, pour apprendre à calculer, apprendre à écrire... Je relis régulièrement le dictionnaire pour savoir le sens et l'étymologie des mots, je relis régulièrement les livres de grammaire, pour organiser mon écriture, je relis régulièrement des livres de rhétorique afin de mieux manier la langue... et je me lamente d'être un foetus littéraire par rapport à Rabelais ou Flaubert. D'ailleurs, je récuse le terme d' "écrivain" que me donnent certains, parce que je suis vraiment nul, littérairement parlant, mettant plus d'emphase sur mon travail scientifique que sur ce travail littéraire. D'ailleurs, je ne m'intéresse en quelque sorte aux mots que dans la mesure où ils me servent pour la science (de la nature).
Bref, non, je n'ai pas de facilité, et je propose plutôt de nous interroger sur la raisons pour laquelle certains le disent. Est-ce pour justifier qu'ils n'écrivent pas eux-mêmes, parce qu'ils n'ont pas le courage de travailler pour y parvenir ? Est-ce parce que, ne travaillant pas assez, ils n'ont pas de matière à présenter aux autres ?
Pour ne pas terminer sur cette note négative, je propose de revenir à cette idée des "belles personnes" que j'ai proposée : ce sont des individus qui "creusent la mine" afin d'en rapporter, pour leur entourage (proche ou lointain) des pépites. Un poême que l'on récipe, une musique que l'on joue, une peinture que l'on fait, des idées que l'on transmet, un article que l'on donne à lire, un calcul que l'on tend à des amis, une lecture intéressante que l'on partage avec tous.
Voilà un de mes mille objectifs (et, hélas, je sais bien que je suis loin d'être comme les quelques "belles personnes" que j'admire).
mercredi 3 février 2021
À propos de la parution imminente du "Handbook of molecular gastronomy"
Depuis quelques jours et pour plusieurs jours encore, nous relisons les épreuves des quelque 150 chapitres du Handbook of molecular gastronomy. De quoi s'agit-il ?
En pratique, environ 150 personnes réparties dans le monde ont écrit des chapitres pour ce livre qui paraît fin avril 2021. Il s'agit d'un "handbook", c'est-à-dire d'un livre de référence, qui discute les divers aspects de ce sujet passionnant qu'est la gastronomie moléculaire, cette discipline scientifique qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des opérations culinaires.
Ces chapitres sont écrits par des spécialistes, qui font état de leur recherche en s'adressant à un public un peu "savant" : il faut que le livre soit un livre de référence, où l'on trouve plus que ce qui traîne sur les divers sites.
Mais, à côté de ces chapitres de "synthèse, il y a une partie consacrée aux applications de la gastronomie moléculaire à l'enseignement, et une partie consacrée aux applications de la gastronomie moléculaire à la "cuisine". Les sujets sont parfaitement variés : émulsions, gels, cuisson, filtration, expansion, fermentations...
Pour la partie 2, nous nous intéressons à tous les niveaux d'étude, de la maternelle à l'université. Car c'est un fait que la cuisine est à la mode, et que les élèves ou étudiants sont heureux d'explorer l'activité culinaire... en apprenant les sciences de base que sont chimie, physique, biologie... Pour la partie 3, nous considérons aussi bien l'artisanat que l'art, en distinguant donc la cuisine moléculaire et la cuisine note à note.
samedi 23 janvier 2021
Il faut donc que je m'explique mieux ; j'essaye.
Ce matin, un commentaire sur mon blog de la revue Pour la Science :
Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !
Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.
Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.
Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc.
Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires".
Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).
La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur.
Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine. Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ? On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement. Mais il s'agissait toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique. D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science.
Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie. Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative de ce dernier
- réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
- production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts
- recherche de conséquences testables de la théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
- et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".
Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?". Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?
En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second.
Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?
mardi 19 janvier 2021
Les échaudés
Les échaudés ? Il s'agit de préparation farineuses qui sont cuites dans l'eau bouillante. Cela existe depuis le moyen-âge où, à Paris, sur des ponts, des marchands ambulants avaient de grosses bassines d'eau où ils faisaient tomber de petits tas de pâte, par exemple.
On reconnaît là un ancêtre des gnocchis, et d'ailleurs, nombre de ces derniers devraient être plutôt nommé des échaudés.
Il y a de nombreux échaudé possible : toujours avec de la farine, mais, selon les cas, avec ou sans matière grasse, avec ou sans œufs, avec ou sans farce...
Si les beignets, rissoles ou pets de putain sont frits, les échaudés, eux, sont bouillis... mais le mécanisme par lequel les échaudés obtiennent de la cohésion est analogue à celui qui est à l'oeuvre dans les beignets : les grains d'amidon de la partie externe, chauffés dans de l'eau, gonflent et se soudent, formant un gel nommé "empois", ici souples tandis que celui des beignets et consorts est séché, et forme une croûte.