dimanche 13 janvier 2019

Je vous présente l'acide oxalique

Wikipedia est la meilleure et la pire des choses. Dans certains cas, les informations, qui ont bénéficié de la contribution d'internautes parfois très savants, sont merveilleuses, et parfois, on trouve des trucs pourris... qu'il faut se hâter de corriger.
Ici, puisque je dois présenter l'acide oxalique, je propose de commenter l'article wikipedia français.

L'acide oxalique de structure HOOC-COOH, est  l'acide éthanedioïque d'après la nomenclature officielle.
Oui, il existe une organisation internationale de nomenclature, avec un "Gold book", que l'on trouve en ligne : l'IUPAC. N'hésitez pas à le consulter, en cas de doute.
 
C'est le plus simple des acides dicarboxyliques aliphatiques : oui.

Le produit commercial est un dihydrate, HOOC-COOH,2H2O. 
Pas de problème, mais cela doit alerter les élèves et étudiants qui doivent calculer, dans des exercices où figurent l'acide oxalique : il faut tenir compte de la masse de l'eau.

Grâce à la liaison entre les deux groupes carboxyles, il est l'un des acides organiques les plus utilisés (pKA1 = 1,27 et pKA2 = 4,27) car il se décompose facilement en gaz (CO2, CO). Les anions de l'acide oxalique ainsi que les sels et esters sont connus sous le nom d'oxalates.


Moi, j'aurais dit "groupes acide carboxylique", mais j'observe avec intérêt et approbation que cet article parle de groupe (ce qui est juste) et non de "groupement" (ce qui serait mauvais).

 Encore appelé sel d'oseille, on le trouve à l'état naturel sous forme d'oxalate de potassium ou de calcium dans les racines et rhizomes de nombreuses plantes telles que l'oseille, la rhubarbe, la betterave et les plantes de la famille des oxalis. 
Absolument. Et il est alors "naturel".
 
 Le terme oxalis, d'origine grecque, signifie oseille.  
Le composé chimique pur est isolé en 1776 par le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele à partir d'oseille ou de rhubarbe, par une méthode analogue à celle qu'il a déjà utilisée pour extraire d'autres acides. En 1784 il démontre qu'il s'agit du même acide que celui qu'on appelait alors acide du sucre ou acide saccharin.
Et là, c'est merveilleux, on a même des références !

Friedrich Wöhler synthétise l'acide oxalique en 1824. Cette première synthèse chimique d'un produit naturel (j'aurais écrit reproduction d'un produit naturel par synthèse chimique), est une étape essentielle vers l'abandon des doctrines vitalistes, qui séparaient autrefois le règne minéral du règne végétal ou animal.
Hélas, ces théories ont encore largement cours ! Et je ne crois pas que nous soyons si près de les éradiquer !
 
L'oxydation des glucides les plus communs, en particulier l'amidon, voire la sciure de bois, donne l'acide oxalique, qui était souvent transformé autrefois sous forme de sels de potassium, d'où le nom de sel d'oseille. Les différents procédés d'autrefois comportaient la fusion alcaline de la cellulose. On pouvait aussi obtenir l'acide oxalique avec le monoxyde de carbone et la soude à 300 °C. Un autre procédé équivalent consiste à chauffer le formiate de sodium.
RAS

L'acide oxalique et les oxalates sont des substances toxiques au-delà d'une certaine dose, mais présentes dans de nombreuses plantes (produit terminal du métabolisme de l'acide ascorbique et de l'acide glyoxylique)18,19, dont :
#     le cacao et donc le chocolat
#     les noix
#     les noisettes
#     les baies
#     les fraises
#     les agrumes
#     la carambole
#     la rhubarbe
#     les épinards
#     le céleri
#     la carotte
#     les blettes
#     certaines salades, comme la roquette
#     d'autres chénopodiacées
#     les figues sèches
#     les groseilles
#     les framboises
#     les prunes
#     quelques produits à base de soja
#     le thé
#     le café lyophilisé
#     le son (dans le pain gris)
#     certaines graines dont :
#     les haricots verts
#     les haricots secs
#     l'oseille
#
# Plante     Acide oxalique
# (mg/100 g, masse sèche)
# cladodes de platyopuntia     13 000
# Feuilles de betterave     >12 000
# Cacao     4500
# Thé     3700
# Épinards     460 – 3200
# Rhubarbe     500 – 2400
# Blette     690
# Oseille     300 – 500
# Betterave     340
# Persil     190


L'acide oxalique est un solide cristallin, incolore et inodore. La forme dihydratée translucide (poudre blanche) est soluble dans l'eau, soit 12,5 % en masse à 25 °C. Il présente une faible solubilité dans les solvants organiques. La forme anhydre est très soluble dans l'alcool, très peu dans l'éther, et insoluble dans le benzène et le chloroforme.
Tout cela va bien, avec références

Toxicité et biologie
L'acide oxalique provoque des irritations locales importantes : l'absorption aisée par les muqueuses et la peau provoque des troubles de la circulation sanguine et des dommages rénaux.
Oui, mais tout est une question de dose ! Ne nous effrayons pas inutilement !

Cet acide peut irriter la voie œsophagienne ou gastrique lors de son ingestion et provoquer des dommages rénaux (calculs, oligurie, albuminurie, hématurie).Il est mortel à forte dose ; chez l'humain, la dose orale LDLo (lowest published lethal dose) est de 600 mg/kg.
Il faut quand même observer que 600 mg/kg, c'est beaucoup ! L'eau aussi, est mortelle, à haute dose !

Les individus en bonne santé peuvent sans problème manger des aliments contenant de l'acide oxalique ou des oxalates, mais on recommande aux personnes atteintes de certains types de calcul rénaux, de goutte ou d'arthrite d'éviter leur consommation.
À cause de sa capacité à se lier à certains minéraux tels que le calcium, le fer, le sodium, le potassium ou le magnésium, la consommation d'aliments à forte dose en acide oxalique peut provoquer des carences alimentaires.
C'est exact.

Bref, beaucoup de choses excellentes, dans cet article... et des références pour aller plus loin !

L'avais-je prévu ?

Encore des amis des "travaux personnels encadrés", qui m'interrogent à propos de cuisine moléculaire et de gastronomie moléculaire.


Pour aujourd'hui, voici les questions et les réponses.




1. Pensez-vous que la cuisine pourrait exister sans la science ?  

  La cuisine existe depuis que des humains ont préparé des plats, notamment en ménageant des cuissons ou des fermentations qui contribuaient à la digestibilité ou au goût, sans compter la troisième fonction essentielle de la cuisine, à savoir tuer les micro-organismes pathogènes qui contaminaient les ingrédients alimentaires. A ces époques reculées, il n'y avait pas de sciences de la nature. 
Ce qui ne signifie pas que nos lointains ancêtres ne réfléchissaient pas sur les causes des phénomènes, mais la plupart invoquaient des "dieux", des divinités, pour expliquer le tonnerre (Zeus), la pluie, le soleil, les sources, le jour ou la nuit, les étoiles... D'où les mythes, notamment. 
Les sciences de la nature, elles, sont devenues modernes vers la Renaissance, quand Galilée a proposé que l'on marche sur deux pieds : l'expérimentation et le calcul. Il n'est pas le seul, puisque Bacon a ajouté que tout devait être mesuré... Mais j'ai évoqué tout cela plus en détail dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire 1 : science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?"





Et puis, j'en profite parce que cela sera utile à nos amis, je recommande de diffuser partout cette image essentielle à leur travail, expliquée dans le livre : 

Donc oui, mille fois oui, la cuisine peut exister sans la science ! Elle a longtemps existé sans elle, et ce n'est d'ailleurs qu'en 1988 que nous avons introduit la science nommée gastronomie moléculaire pour étudier la cuisine. On observe que pour étudier la cuisine (scientifiquement), il faut que la cuisine pré-existe !



 2. L'utilisation de cette innovation dans le monde gastronomique était-elle celle que vous envisagiez de propager après avoir inventé la cuisine moléculaire ?  

 "Cette innovation" : de quelle innovation parlez-vous ? De la gastronomie moléculaire ? Et puis, je vois évoquée la "cuisine moléculaire" : il faut bien faire la différence, que je rappelle brièvement : 

1. la cuisine moléculaire était  une volonté de rénover techniquement la cuisine en y introduisant des ustensiles qui étaient utiles, et présents dans les laboratoires de chimie (azote liquide, siphons, thermocirculateurs, sondes à ultrasons...) ; la promotion de l'usage de ces ustensiles modernes s'est faite après 1980, mais je n'ai donné le nom "cuisine moléculaire" qu'en 1999, parce que beaucoup de monde confondait la cuisine moléculaire (de la cuisine, comme son nom l'indique) et la gastronomie moléculaire, qui est bien autre chose (de la science)  ; elle est dépassée... par la "cuisine note à note".
2. la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique que j'ai commencé à pratiquer le 24 mars 1980, et qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent quand on cuisine ; c'est une science de la nature, et elle a été formalisée par moi-même et par Nicholas Kurti, et elle n'aura pas de fin. Elle se développe d'ailleurs dans les universités et laboratoires de recherche du monde entier... et nous préparons un gros Handbook of molecular gastronomy, qui sortira sans doute cette année.


3. Au final, la cuisine moléculaire est-elle un nouveau style de cuisine ou une simple chimie mise en application ? 

Observons que l'expression "au final" n'est pas de bon français. 
La cuisine moléculaire, un nouveau style ? Disons un style, oui, et l'anglais fait une différence entre "molecular cooking", qui désigne une technique (l'usage d'ustensiles venus des laboratoires) et "molecular cuisine", qui est un style fondé sur cette technique. 
Un style "nouveau" ? Pas si nouveau que cela : la chose a commencé en 1980, et nos amis des TPE n'étaient pas nés ! Non, ce qui est nouveau, c'est la cuisine note à note ! 
Mais arrivons à la partie plus intéressante de la question "la cuisine moléculaire est-elle une simple chimie mise en application ?". Là, encore, il y a une confusion avec  le mot "chimie", dont je rappelle que, malgré des usages dévoyés, il s'agit de science : la chimie est la science de la nature qui s'interroge sur les transformations moléculaires, et je milite pour que l'on ne désigne pas par "chimie" les applications de la chimie ; après tout, l'arbre n'est pas le fruit, non ? Mais oui, la cuisine moléculaire fait usage d’ustensiles venus des laboratoires de chimie. Est-ce alors une "application de la chimie" ? Très indirecte, car la chimie, elle, s'intéresse moins aux ustensiles qu'aux réactions, et la cuisine moléculaire, elle, se focalise sur les réactions. 
Quant à la cuisine note à note, on pourra dire que c'est une application de la gastronomie moléculaire, mais hélas, nos jeunes amis de s'intéressent pas à cela. 

Il faut maintenant conclure en rappelant que, pour aider les étudiants qui font des travaux sur
- la gastronomie moléculaire (ce n'est pas de la cuisine, mais de la science, et il faut ajouter que la discipline, scientifique donc, se développe dans des laboratoires du monde entier),
- ou bien sur la cuisine moléculaire (c'est complètement dépassé, notamment avec le développement de la cuisine note à note),
- ou encore sur la cuisine note à note (la cuisine du futur),
et pour répondre aux questions (qui sont souvent les mêmes : si vous avez choisi la mayonnaise ou les perles d'alginate, changez rapidement), j'ai publié récemment un livre intitulé "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin, Paris).

D'autre part, j'ai construit UN TRES GROS SITE, que je viens d'ailleurs de refaire de fond en comble : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/

Il s'y trouve notamment un ESPACE TPE/TIPE :

http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre/tpe-et-tipe.

Je vous invite à aller l'explorer en détail, notamment parce qu'il explique ce que sont les travaux demandés par les institutions d'enseignement (TPE, TIPE, mémoires d'université...), et comment il faut les faire. En particulier, il dit clairement qu'il vaut mieux focaliser sur un point particulier que de faire une synthèse très générale.

Pour les QUESTIONS spécifiques sur la gastronomie moléculaire, ou sur la cuisine moléculaire (je répète : si la gastronomie moléculaire est parfaitement actuelle, la cuisine moléculaire, elle,  est bien dépassée, et si c'est votre sujet, changez vite), ou sur la cuisine note à note, ou sur des préparations culinaires variées (le soufflé, la sauce mayonnaise, le chocolat chantilly, etc.), il y a  une grosse série de pages "questions/réponses" (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses), complétées par une série de pages "questions/answers", en anglais (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-and-answers).
Les deux groupes de pages ne disent pas la même chose, et ils renvoient vers des sous rubriques que je vous invite à explorer.

Evidemment, si certaines des questions n'avaient pas de réponse, je pourrais les ajouter... mais il y a déjà des montagnes d'informations.

J'allais oublier : je réponds le plus souvent aux questions non pas par email, par sur mo  blog http://hervethis.blogspot.fr/. Il y a de nombreuses réponses à des questions posées par des élèves tels que vous.

Pour me rencontrer, c'est plus difficile, car je n'ai pas assez de temps pour consacrer ne fut-ce qu'une heure aux élèves (à raison de 10 à 30 demandes par jour, cela fait 10 à 30 heures par jour !). C'est pourquoi je  propose aux élèves de venir à un des "Séminaires de gastronomie moléculaire", qui se tiennent le plus souvent (vérifiez les dates sur le site http://www.agroparistech.fr/Les-activites-de-Herve-This.html!) le troisième lundi de chaque mois, de 16 à 18 heures, à Paris. L'entrée est libre, mais il faut un laisser passer que l'on obtient  en écrivant à icmg@agroparistech.fr ; et ils peuvent prendre des photos, faire des films, poser des questions... (mais pas aux questions dont la réponse est sur mon site !). 

Voir le lien pour les conférences et séminaires : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/liste-des-conferences-prevues

Je répète enfin que si la gastronomie moléculaire (de la science, donc) est très active, la cuisine moléculaire (de la cuisine) est très dépassée par la cuisine note à note (également de la cuisine, mais celle de demain). 

Pour la cuisine note à note, voir :
- le cours 2012 podcasté sur le site AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/podcast/-Cours-2012-La-cuisine-note-a-note-.html
- les pages note à note du Centre international de gastronomie moléculaire, sur le site AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/-Centre-international-de-.html
- le podcast de la séance publique de l'Académie d'agriculture de France :  http://www.academie-agriculture.fr/seances/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques-economiques-politiques?191212
- mon livre "La cuisine note à note", aux éditions Belin
- les pages sur mon site :  https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
- à noter que, pour ceux qui veulent faire des expérimentations avec la cuisine note à note, il y a des adresses de fournisseurs de produits sur ma page https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/cuisine-note-a-note/des-produits





Groupe de Gastronomie moléculaire (Laboratoire de chimie analytique, UMR 1145 Ingénierie Procédés Aliment GENIAL)
16 rue Claude Bernard, 75005 Paris.
tel : +33 1 44 08 72 90
Courriel : herve.this@agroparistech.fr
Twitter : @Herve_This ; Skype : hervethis
site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
blogs :
http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-.html
http://hervethis.blogspot.fr/
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/
http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/
http://molecular-gastronomy-international.blogspot.fr/
http://hthisnoteanote.blogspot.fr/



Vient de paraître : Le terroir à toutes les sauces, éditions de la Nuée bleue





 

samedi 12 janvier 2019

Cuissons de viande (suite)

Dans la série des idées fausses qui traînent, on me signale celle-ci, selon laquelle, quand on sale une viande avant de la sauter, le sel mettrait entre 5 et 8 minutes à se dissoudre.
C'est faux, car le sel en présence de liquide commence  immédiatement à se dissoudre, à partir de la surface, progressivement.
Ce qui est en jeu, c'est la fin de la dissolution, la disparition du cristal de sel... et cela intervient après un temps qui dépend évidemment de la taille des cristaux. Par exemple, pour ce "sel glace" que j'avais inventé, la dissolution est quasi instantanée.


La pénétration du sel dans la viande ? Il n'y a pas de règle  générale, parce que tout dépend des viandes, et aussi de la découpe, avec les fibres parallèles ou perpendiculaires à la surface grillée. Il y a des viandes pour lesquelles le sel n'entre pas, même après plusieurs heures ou jours, et d'autre pour lesquelles le sel pénètre par capillarité entre les faisceaux de fibres musculaires (c'est surtout vrai pour les viandes très tendres, ou pour la chair de poisson, par exemple).


La meilleure solution, entre saler avant, après, pendant ? C'est celle que l'on préfère !
Je rappelle que l'art culinaire est de l'art : et le "meilleur", c'est celui que je préfère. Rien à voir avec la technique... surtout quand les conseils viennent d'incompétents.


J'entends parler de saler pour modifier la structure des protéines et éviter qu'elles se tordent à la cuisson en expulsant du jus : le collagène, qui sera désorganisé à la cuisson, se contracte en fonction de la température, et la perte en jus ne dépend pas de la viande, seulement, mais surtout de la température atteinte ! Et c'est la raison pour laquelle la cuisson à basse température donne des viandes si tendres et si juteuses : avec peu de contraction collagénique, il y a peu d'exclusion du jus.


Caramélisation et réactions de Maillard : quand une viande brunit, il n'y a pas de caramélisation, car cette réaction est un brunissement qui résulte de la désydratation intramoléculaire du saccharose, le sucre de table... qui est absent des viandes. Certains disent que le brunissement résulte de "réaction de Maillard", mais on doit parler au pluriel (les réactions de Maillard), d'une part, et, d'autre part, le brunissement des viandes grillées n'est pas un résultat de réactions de Maillard, mais  surtout de diverses pyrolyses ou thermolyses. Mais évidemment, dire "réactions de Maillard", ça impressionne (disons : il y a de l'imposture, parce que cela fait savant ; pensons : plusieurs syllabes !)


Et je m'arrête là, parce que l'éventail des élucubrations ou des inventions est infini. Ne lisons que les bons auteurs !



vendredi 11 janvier 2019

Je réponds à des questions

Bonjour et merci du message.

Je réponds point à point à un message (en me souvenant que le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture, et aussi qu'il n'est pas nécessaire d'être luguble pour être sérieux ; pensez que je vous souris souvent en écrivant... des choses justes, puisque je n'ai rien à vendre)

1.
Bonjour M. THIS.
Je suis un peu perdu dans les dénominations et donc dans les compositions des différents arômes.


Et vous avez des raisons de l'être : la législation ne marche pas parallèlement  à la langue française. Je me bats depuis des décennies contre le syndicat des parfumeurs et "arômes" pour que l'on rectifie cela. A noter que la France, qui se targue de bien penser + parler est plutôt moins bien que le monde anglo-saxon. Aidez moi svp.

2.
Quand peut-on dire que l'on mange des composants naturels et quand peut-on dire que l'on ingurgite des produits chimiques?

Le dictionnaire le dit : un objet est "naturel" s'il n'a fait l'objet d'aucune intervention humaine. Par conséquent, rien en cuisine n'est naturel, sauf des champignons sauvages ou des poissons sauvages consommés crus ! Le reste : il y a le travail du cuisinier, de l'artiste. Artiste, artificiel !

Maintenant, la question du "chimique" : il y a là une faute qui menace, parce que le sel, par exemple, est le même qu'il soit synthétisé ou extrait d'une mine ou de la mer. Tout comme le sucre, etc.
La question, c'est de savoir si c'est extrait ou synthétisé, pas si c'est artificiel (cela l'est toujours).
Mais, là encore, l'extrait n'est pas nécessairement meilleur que le synthétisé. IL y a une question de loyauté sur l'origine des ingrédients (ce sont des ingrédients, pas les "produits", puisque les produits sont... ce qui est produit par le cuisinier, donc les mets.
Mais il existe des composés qui sont fabriqués par l'industrie dite chimique. A noter qu'il faut regarder cas par cas. Par exemple, le dioxyde de titane a le même statut que le sel. Et le caramel est le résultat d'une terrible synthèse. Tout cela est expliqué dans mon livre "Mon histoire de cuisine".



3.
Par exemple, j'ai acheté chez un grossiste en pâtisserie une pâte assez liquide (!) blanche intitulée "AROME BIGAFLOR PÂTE".
Sur l'étiquette est inscrit : " Eau osmosée, arômes.
Plus bas: "Géraniol, d-limonene, Citral, alpha-pinene.
À la lecture, tout semble faire croire que c'est de la chimie pure et dure que nous allons avaler.


Oui, le géraniol, le limonène, le citral et le pinène sont des composés qui sont dans les produits aromatiques ou dans divers végétaux. Par exemple, le limonène est extrait des écorces de citron ou d'orange par simple pressage. On en achète même du "kasher". Et ces ingrédients sont ceux de l'industrie des parfums et "arômes".
Je mets des guillemets à arômes, parce que le mot est déloyal, malhonnête : un arôme, en français, c'est l'odeur d'une plante aromatique, un point c'est tout. La législation ne devrait jamais reconnaitre sous le nom d'arômes des composés odorants.
J'ai proposé "compositions odorantes", ou "extraits odorants". Une composition, c'est quand c'est assemblé à partir de ces composés odorants ; un extrait, c'est quand c'est extrait. Simple, non ?
Et j'ajoute qu'il a fallu batailler pour que la réglementation n'admette pas l'expression "aliments naturels", ce qui aurait été un mensonge honteux !

Cela dit, la chimie est une science, et on ne mangera jamais une science.


4.
Or, les éléments cités ci-dessus sont des molécules

Non, des composés. Un composé, c'est une espèce moléculaire, avec toutes les molécules identiques. Par exemple, l'eau est un composé, une espèce moléculaire, et un verre d'eau est fait de très très nombreux objets tous identiques que l'on nomme des molécules (d'eau en l'occurrence).


5. 
que l'on trouve dans diverses plantes et fruits (si je ne m'abuse).
Oui pour ceux que vous avez indiqués


6.
Et la société qui commercialise, en Tunisie (http://www.bigaflor.online.fr/spip.php?article1), est spécialisée dans la cueillette de fleurs d'oranger.
Je pense qu'il est moins couteux d'extraire, à partir d'autres fruits et plantes que la fleur d'oranger, les principales molécules qui entrent dans l'arôme de celui de la fleur d'oranger.


Non, on peut très bien synthétiser une composition "odeur de fleur d'oranger" à partir de plein d'autres sources, et même, c'est sans doute bien moins couteux. 
Par exemple, la vanilline de la vanille se produit à partir de pâte à papier pour trois fois rien, et très facilement.


7.
Et ensuite, de les assembler pour obtenir l'arôme recherché.
C'est le métier des parfumeurs et "aromaticiens"



8.
Dans ces cas-là, nous avons bien de la "chimie" mais réalisée avec des molécules naturelles.

Vous comprenez maintenant que votre phrase est compliquée, parce que vous n'aviez pas les bons termes : chimie, molécules, naturel.




9.
Ce qui est de l'assemblage (synthèse) de ....produits naturels.
Me trompé-je ?


Il y a une différence, en chimie, entre un assemblage (ou mélange) et une synthèse.
Par exemple, à partir d'oxygène et d'hydrogène, on peut synthétiser des molécules d'eau. Et avec de l'eau et du sucre, on fait du sirop par assemblage.


10.
Pourriez-vous m'éclairer, s'il vous plait, ou m'indiquer où trouver des éléments de réponse ?
Je m'empresse de vous dire que je ne suis pas chimiste, ni même cuisinier.
Juste un amateur et passionné de cuisine et de produits naturels.


Des éléments de réponse : je fais une explication par jour sur mon blog https://hervethis.blogspot.com/
Et il y a mes livres, notamment celui que j'évoquais précédemment, où j'ai plus la place d'expliquer qu'ici.

Pardonnez moi de vous ennuyer, ;-)... mais vous avez le droit d'être passionné de cuisine... mais l'êtes vous vraiment de produits naturels ? Si vous aimez la cuisine, vous n'aimez donc pas les produits naturels, en vertu de tout ce que j'ai expliqué plus haut.


11.
Merci pour votre aide.

De rien, un plaisir !
Rendez vous sur mes blogs pour d'autres explications :

 Une présentation des travaux : http://www.canalc2.tv/video/13472

Site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
Blogs :
https://hervethis.blogspot.com/
http://www2.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-connaissance-.html
http://blogs.inra.fr/herve_this_cuisine
http://www.scilogs.fr/

Podcasts :
http://www2.agroparistech.fr/podcast/-Gastronomie-Moleculaire-.html

Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

   

A propos de viande grillée

Un cousin m'interroge à propos de grillades, et il fait bien parce qu'il traîne, dans des livres ou sur internet, des idées complètement ahurissantes (et fausses !) , énoncées par des individus qui se font passer pour les spécialistes qu'ils ne sont pas : je rappelle que n'importe qui sachant écrire peut publier des livres, et que l'on a ainsi vu, par le passé le "baron Brisse" écrire des tissus d'âneries. Pas de raison que nous n'ayons pas l'équivalent aujourd'hui. 
Bref, voici le message :

Je te contacte pour savoir si tu as fait des expériences sur le salage et le "poivrage" des viandes (avant cuisson ou pas) ?
Il y a beaucoup de recettes qui circulent et il est difficile de faire sa religion.
J'ai pour habitude de saler les viandes à griller après la réaction de Maillard afin d'éviter avant cuisson la perte de jus et aussi pour ne pas faire brûler le sel. Un soi disant boucher m'affirme qu'il faut saler 24 h 00 avant si l'on veut que cela pénètre les fibres et que le sel puisse se dissoudre (ce qui se ferait  difficilement lors de la cuisson).


 Ma réponse est facile à faire, parce que j'ai étudié cette question il y a bien longtemps, et que nous en avons même fait plusieurs "séminaires de gastronomie moléculaire". Où, je le rappelle, nous faisons des expériences publiques, dont les résultats sont visibles par tous ! Enfin, j'ai fait état de résultats plus récents dans mon livre "Mon histoire de cuisine" (éditions Belin, Paris).





Lors du premier séminaire consacré à la question, il y avait donc des cuisiniers professionnels, et nous avons eu l'occasion de voir que toutes les "théories" étaient représentées : ceux qui salaient avant la cuisson, ceux qui salaient pendant et ceux qui salaient après. Evidemment, chaque école avait ses "raisons", mais personne n'avait fait de comparaison. La comparaison, c'est nous qui l'avons faite, et il n'y avait pas de différences.
On trouvera notamment cela exposé dans les comptes rendus des séminaires : 
http://www2.agroparistech.fr/-Le-Groupe-d-etude-des-precisions-.html

Tout cela étant dit, je signale que nous avons fait des expériences poussées, telle l'utilisation de microscopie électronique à balayage X, et nous n'avons pas vu de sel entrer dans les viandes, au cours d'une cuisson ordinaire où le sel est placé avant, que la viande soit de type entrecôte ou bavette (sens des fibres par rapport à la surface exposée à la chaleur).
D'autre part, j'ai fait des expériences de mesure de la masse sur des semaines.
Enfin, on verra dans le livre cité que le type de viande détermine le résultat.

A propos de "réactions de Maillard", maintenant : je crois qu'il serait temps de cesser d'évoquer ces réactions, qui existent bien, mais qui sont secondaires, quand même.
Le brunissement des viandes que l'on cuit résulte d'une foule de réactions, dont les réactions de Maillard -que j'ai popularisées- ne sont qu'un exemple... toujours cité par ceux qui n'en connaissent pas d'autres.
Mais que l'on pense surtout à la déshydratation intramoléculaire des hexoses et à mille autres pyrolyses ou thermolyses. Je signale, par exemple, que des protéines brunissent à la chaleur sans présence de sucres réducteurs (obligatoires pour les réactions de Maillard).

Et c'est pour cette raison que j'avais proposé, lors de la rénovation du CAP, que l'on parle de cuisson avec ou sans brunissement, proposition qui a  été retenue.

Brûler le sel : le sel ne brûle pas, et l'on aurait beau le chauffer dans une poêle chauffée au rouge qu'il resterait sous forme de sel. Certes, il perdrait son eau de cristallisation... mais la regagnerait aussitôt, au refroidissement. Pensons que le sel est le sel, et le reste lors des cuissons.


Bref, je suis heureux que mon cousin m'ait consulté  : cela me donne l'occasion, ici, de rectifier des erreurs qui ont trop souvent cours.
Et pour saler : quand on veut ! Pour poivrer : plutôt après la cuisson si l'on ne veut pas perdre les fraîches notes odorantes et piquantes du poivre.


Les Hautes Etudes de la Gastronomie


Je m'en veux un peu de ne pas avoir fait état, ici, de l'Institut des Hautes Etudes de la Gastronomie, que j'ai contribué à créer il y a quinze ans.
L'idée est simple : s'il y a des intellectuels français qui attirent des auditeurs étrangers, nous gagnons tous, intellectuels ou auditeurs, à ce que les "enseignements" soient regroupés, car un bouquet peut être plus beau qu'une fleur isolée.
Contrairement à d'autres institutions d'enseignement gastronomique, nous ne voulons pas "remplir des cases d'un programme", avec des matières à traiter, fut-ce par des moins bons, mais seulement livrer la quintessence de la réflexion en matière gastronomique... dont je rappelle la définition : la gastronomie est la connaissance de tout ce qui se rapporte à l'être  humain qui se nourrit. Et à ce titre, sont convoquées les sciences de la nature, les sciences de l'humain et de la société, la technologie, la technique, l'art...
De fait, c'est un extraordinaire bouquet que nous ne cessons de perfectionner, année après  année.

En pratique : les auditeurs s'inscrivent (petites promotions d'une trentaine de personne maximum) et ils viennent deux semaines en  France (une semaine à Paris, une semaine à Reims), pour une série de cours à la pédagogie modernisée, mêlant du pratique au théorique. Cela coûte de l'argent, bien sûr, mais les auditeurs sont nourris, logés, et surtout, ils sont exposés à des esprits parmi les plus beaux.
Pour avoir une idée du programme, mis en oeuvre par l'Université de Reims Champagne Ardennes et le Cordon bleu, voir :
http://www.heg-gastronomy.com/en/

Mais ces Hautes Etudes de la Gastronomie ont évidemment une relation avec le Centre International de Gastronomie moléculaire, puisque je suis le président du Comité pédagogique de l'Institut... et que vous pouvez compter sur  moi pour que je me préoccupe très précisément de tout ce qui s'y passe !

La validation, un état d'esprit

La validation est un état d'esprit

Je suis étonné a posteriori de ne jamais avoir entendu le mot "validation" lors de mes études de physico-chimie point, car c'est  la chose la plus essentielle de la science.
Et d'ailleurs dire le mot validation et bien insuffisant parce que très abstrait ; avec ce mot, c'est d'un état d'esprit tout entier dont il est question. En effet, ill ne s'agit pas seulement de vérifier un calcul, mais de douter de tout ce que nous produisons. Ou, plus exactement,  de "remettre en cause" tout ce que nous produisons.

Hier, par exemple, lors d'une discussion de laboratoire, j'ai entendu un de mes jeunes collègues dire que il était "sûr" que deux valeurs étaient identiques. Sûr, vraiment ? Rien que prononcer ce mot "sûr" est un symptôme qui révèle que l'état d'esprit de la validation n'est pas suffisamment implanté. En réalité, à l'analyse, il y avait la production de deux valeurs pour une même quantité, et notre notre jeune collègue voyait une égalité de ces deux valeurs obtenues à la suite de  longues expériences qui se répétaient. Or les deux valeurs n'étaient évidemment pas identiques, mais seulement très proches.
Une incise rapide : les deux valeurs ne pouvaient pas être identiques, car à l'aide d'un instrument de mesure très précis, on aurait une infinité de décimales. Or la probabilité que deux mesures tombent sur les mêmes décimales (à l'infini) est nulle, stricto sensu ! C'est là un résultat élémentaire de la théorie de la mesure.
Et la question était donc plutôt, étant données deux valeurs différentes, de savoir si, connaissant les incertitudes expérimentales, on peut considérer raisonnablement qu'elles correspondent à une même grandeur, ou bien à des grandeurs différentes.
C'est  ici que s'introduisent les méthodes statistiques, qui permettent de dire quelle est la probabilité que les deux résultats correspondent à une même grandeur ou, inversement,  que ces deux résultats correspondent à des grandeurs différentes. Il y a une question de probabilité, ce qui exclut absolument la certitude, le "je suis sûr que". Et l'on se référa à d'autres billets qui expliquaient que tout résultat expérimental doit obligatoirement être associée à des incertitude de mesure, à des estimations des incertitudes, à des  déterminations expérimentales de ces  incertitudes,  et l'on retiendra ici que s'impose donc une comparaison statistiques... sans oublier qu'une pièce de monnaie qu'on lance en l'air peut parfaitement tomber 100 fois sur pile.



Mais cette question est bien élémentaire et nous devons revenir à la validation. La validation, cela consiste à répéter les expériences, ce qui conduit donc à comparer les résultats de ces expériences.
Mais, la validation, cela consiste aussi à douter du résultat des comparaisons, à imaginer et mettre en œuvre des façons différentes d'attaquer la question par des méthodes différentes. Dans un autre billet, j'ai évoqué le diable qui est caché derrière tout les calculs, derrière tous les  résultats d'expériences, derrière tous les gestes expérimentaux.
Mais je veux ici évoquer les exemples. Ainsi quelqu'un qui utilise une balance de précision pour peser un objet dont la température n'est pas exactement celle de la pièce s'expose à ce que des échanges de chaleur engendrent des courants d'air par convection, ce qui faussera résultat de la mesure. Plus élaboré, quelqu'un qui enregistre des spectre de résonance magnétique nucléaire en ignorant que le pH a un effet sur la résonance de certains protons s'expose à confondre les protons lors de l'interprétation ;  de même pour la présence d'ions paramagnétique, par exemple.
Notre culture scientifique toujours insuffisante et donc une menace virgule qui justifie que ce soit une bonne pratique d'être très au courant de la science qui se publie chaque jour

Le diable est tapi

Mais cette observation a des conséquences bien plus grave, quand on se souvient que le ou la scientifique moderne  est loin de tout savoir, et que, par conséquent, même si nous savions tout ce qui a été publié, nous serions ignorant de tout ce qui reste à découvrir.
Et c'est cela qui nous menace véritablement !
Les rapporteurs, les pairs à qui nous soumettons nos manuscrits en vue de leur publication sont là pour nous aider à voir les écueils inconnus, mais il y a les autres ! Et c'est une bonne métaphore d'imaginer que les scientifiques sont comme les marins qui naviguent près des côtes, donc ils ignorent tout de la topographie des fonds.


Bien sûr il y a les rochers qui émergent, mais il y a aussi ceux qui sont à une profondeur inférieure au tirant d'eau du navire. C'est cela, le diable qui nous menace à chaque instant. C'est cela qui justifie que nous qu'on servions en tête sans cesse ce mot de "validation".