lundi 14 mai 2018

Des faits


Les faits
Hervé This



Introduction.
Il se dit beaucoup de choses à propos de la gastronomie moléculaire et de la cuisine moléculaire, il se publie beaucoup de choses à propos des rapports entre la science et la cuisine, et je vois une immense confusion.
Je vois surtout beaucoup d'idées erronées à partir desquels s'élaborent des discours parfaitement fumeux. Les âmes simples et honnêtes ne s'y retrouvent plus, d'autant que les « marchands » ont généralement tout intérêt à entretenir la confusion.

Par exemple, sur Internet, je vois la gastronomie moléculaire, et même mes biographies ou ma photographie, insérée au milieu de réclames pour des produits variés. Je ne dis pas que ces produits sont mauvais, mais je dis simplement que ni la gastronomie moléculaire ni moi-même n'avons notre place à ces endroits.
Je manque de temps pour combattre l'infinité des théories fausses, notamment entre cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire. Je manque de temps pour combattre efficacement les petites et grandes malhonnêtetés de ce monde : par exemple, j'ai vu des personnes organiser des conférences et annoncer que je viendrai... alors que je n'avais pas été invité ! Par exemple, je me suis vu à la télévision répondre à un journaliste (très connu) que je n'avais jamais rencontré ! Par exemple, je me suis vu affilié à un parti politique auquel je n'appartiens pas !

Je manque de temps pour envoyer des messages à toutes les personnes qui entretiennent malhonnêtement la confusion, et je crois que les rectifications seraient inutiles : l'hydre de Lerne repoussait ses têtes à mesure qu'on les coupait.

Ce qui me gêne plus, c'est que je ne peux pas non plus rectifier les confusions auprès des personnes honnêtes, ayant honnêtement cherché l'information et ayant trouvé des descriptions que je sais douteuses.

Il faut donc que je m'y mette, et que je produise ici des descriptions aussi propres que possible.


Une histoire :
Pour moi, tout a commencé le 16 mars 1980, un dimanche soir, alors que je me préparais à recevoir des amis à dîner. À l'époque, j'étais encore étudiant à l'Ecole de physique et chimie industrielle de Paris, (aujourd'hui l'ESPCI ParisTech), et nous avions pris l'habitude, avec la « bande des quatre du radiateur », de réviser nos examens chez moi tandis que je cuisinais.
Ce dimanche soir là, était-ce un de ces dîners ou bien un des innombrables autres dîners organisés avec des amis ? Je m'en souviens pas. Ce dont je me souviens, c'est que je disposais de bien peu de livres de cuisine. J'avais notamment le livre de la cocotte-minute Seb et quelques livres de poche peu coûteux comme les fiches recettes du magazine Elle. Et ce soir-là, c'est l'affiche de soufflé au roquefort que j'ai utilisée.

Cette fiche conseillait de cuire du beurre, du roquefort, de la farine, de faire ainsi un roux, et d'ajouter « les jaunes deux par deux ».
Pour un esprit rationnel et systématique, cette recommandation semblait bizarre : pourquoi l'ajout des jaunes deux par deux aurait-il été préférable à l'ajout de tous les jaunes ensemble ? Ne voyant aucune raison à ce conseil, j'ai décidé d'ajouter les jaunes tous ensembles … Et le soufflé fut raté. Pas raté complètement, évidemment, mais pas énormément gonflé. Je n'y prêtais pas une grande attention, mais il est évident que j'ai dû être vexé.
Le dimanche suivant, le 23 mars 1980, donc, de nouveaux amis sont venus dîner, et, en panne d'inspiration culinaire, je décidai de refaire ce même soufflé. A l'époque, j'avais encore besoin dont une recette, ce qui ne ni de retomber sur cette phrase bizarre : « ajouter les jaunes de deux parts de ». Comme j'avais été échaudés par le demi-succès précédent, j'y prête à une attention toute particulière, et je me vois encore me dire que si le soufflé était d'ailleurs avec des jaunes de deux par deux, alors ils devaient encore plus réussi avec des jaunes ajoutées un par un. C'est ce que je décidai de faire : à la béchamel au fromage initialement réalisé, j'ajoutais les jaunes d'oeufs un par un. Le soufflé fut meilleur ! Comme j'avais été alerté par ce point de détail, je décidai à la fois de rester chez moi le lendemain et de commencer une collection de ce que j'appelai à l'époque des dictons culinaires (je sais maintenant que le terme est inapproprié, et j'ai proposé le terme de « précision culinaire »).

Pour ce travail de recueil des précisions culinaires, assorti de tests expérimentaux, j'étais bien équipé, puisque, depuis l'âge de six ans, quand on m'a offert une boîte de chimie, je m'étais passionné pour la chimie au point de dépenser mon argent de poche en produits et en matériel, constituant ainsi un assez beau laboratoire personnel.
Ce laboratoire ne servait plus depuis 1976, quand j'étais entré à l'Ecole supérieure de physique et chimie de la Ville de Paris, où les laboratoires étaient bien mieux équipés que le mien. Toutefois, pour ces tests expérimentaux, il retrouvait l'utilité dont je me souviens m'être réjoui.

Et c'est ainsi que, dans des cahiers que je possède encore, j'ai noté des dictons culinaires les uns après les autres, à mesure que je lisais les livres de cuisine, non plus cette fois pour y trouver des recettes, mais pour un objectif très particulier : recueillir ces étranges informations qui sont transmises par les cuisiniers ou par les livres, à propos des opérations culinaires. Pour mes tests, la verrerie était utile, mais les principaux instruments utilisés étaient le microscope, la balance, le papier pH et les thermocouples.

Vers cette même époque, j'étais embauché d'abord aux éditions Belin et ensuite à la revue Pour la science, dont je profitais pour me former une culture en sciences des aliments, au détour de la rédaction d'articles relatifs à ce type de sujet. Cette position particulière dans le monde scientifique, au contact des meilleurs scientifiques français, avec la possibilité de m'intéresser au sujet de mon choix et la quasi obligation de consulter des scientifiques parmi les meilleurs, à des fins professionnelles, me permit de mener une double vie qui fut bien fut bientôt connu publiquement. Je n'ai plus d'informations exactes, mais je crois c'est à cette époque que je fus invité à faire un séminaire des physiciens à l'École normale supérieure de Paris, c'est en tout cas certainement à cette époque que je commençais à réunir l'ensemble du matériel intellectuel nécessaire à la production d'un livre qui fut publié en 1992 sous le titre Les secrets de la casserole.

1986 : rencontre de Nicholas Kurti. La chef de publicité, Susan Mackie, venait d'Europhysics Letters, où Nicholas était rédacteur en chef. A l'époque, si je compte bien, il était déjà âgé de 78 ans. Il n'était plus au Clarendon Laboratory, qu'il avait dirigé pendant longtemps, à Oxford, mais « déplacé » à plus de 400 mètres de son lieu initial (une règle, à Oxford), dans le Department of Engineering Science. Là, il s'intéressait surtout à l'application des outils et concepts de la cuisine en physique. Observons qu'il s'agit là de technologie, même si Nicholas effectuait quelques études scientifiques des phénomènes culinaires. Quand Susan apprit que je m'intéressais à la cuisine en chimiste, elle me signala l'existence de Nicholas, et dès qu'elle m'eut donné son numéro de téléphone, je l'appelai (dans la minute même ; à l'époque, j'étais en entrant à gauche du grand bureau de Pour la Science, rédacteur en chef adjoint).
Au téléphone, Nicholas fut enthousiaste, et nous devinmes amis en quelques secondes. Un vrai coup de foudre. Il me proposa de venir à Paris la semaine d'après, et nous nous donnâmes rendez vous chez Maitre Paul, un restaurant de la rue Racine, qu'il me fit connaître.
Nous nous rencontrâmes ainsi, devant une merveilleuse poule au vin jaune et aux morilles, Chez Maître Paul, arrosant notre déjeuner de vin jaune du Jura. Je ne sais pas comment cela se fit, mais tout naturellement, nous en vinmes à collaborer, et nous nous téléphonions quotidiennement, l'un poussant l'autre chaque jour. Je me souviens que Philippe Boulanger trouvait parfois que j'exagérais, et que les coups de téléphone étaient excessifs, mais comment les éviter ? Et puis il eut la grande « qualité » de ne jamais me faire de reproche explicite. D'ailleurs, je travaillais quand même dur, pour « ma » revue (disons « notre » revue).
Quoi qu'il en soit, nous en vinmes avec Nicholas à une sorte de modus vivendi, où il répétait à Oxford mes expériences de Paris, et inversement. Evidemment, quand on me proposais de faire quelque chose, j'associais Nicholas, et inversement. Par exemple, invité à parrainer une promotion de l'ENSBANA, à Dijon, je proposais à Nicholas d'être parrain avec moi, et quand la maison d'édition BBC Books proposa à Nicholas de faire des « scientists notes » du livre Blanc Mange, il me proposa de le faire avec lui. Nous étions deux doigts d'une main.
Il faudrait, ici, que je fasse un état de tous nos travaux communs. A venir.

1988 : Rapidement, nos discussions nous conduisirent à évoquer l'activité qui était la nôtre. Un jour, quand je lui proposais de faire une Société internationale de … quelque chose à définir (j'occupais alors mon bureau du premier étage), il me répondit qu'il était trop tôt. Mais nous fûmes d'accord pour dire qu'il fallait que les quelques personnes qui, comme nous, s'intéressaient au thème « science et cuisine », pourraient utilement se rencontrer. Nicholas avait -semble-t-il, mais je n'en ai pas de preuve personnelle- déjà discuté de ce type de choses avec diverses personnes, comme Elizabeth Thomas, aux USA, mais c'est dans mon bureau que prit naissance l'idée d'un International Workshop. Il fallait un nom. Je proposais « molecular gastronomy », pour faire comme pour « molecular biology », mais Nicholas, physicien, avait le sentiment que le nom serait trop « chimique », et il insista pour que nous ajoutions « et physical ». Je respectais sa demande, et ce fut les « International Workshop on Molecular Gastronomy ».
Où les tenir ? Nicholas connaissait Antonino Zichichi, qui dirigeait le Centre de culture scientifique d'Erice, en Sicile. Nous l'appelâmes, et Zichichi nous demanda de montrer l'intérêt de la chose. Je proposais à Nicholas d'inviter des lauréats du prix Nobel, tels que Jean-Marie Lehn et Pierre Gilles de Gennes. Pierre-Gilles nous donna son accord, de sorte que Zichichi nous donna le sien. C'était lancé.
De ce point là, il fallut tout composer. Nous savions qu'il s'agissait de sciences, que nous définissions une nouvelle discipline scientifique, et nous prévoyons de réunir des cuisiniers (qui apportent des faits) et des scientifiques. Nous pensons attirer les cuisiniers en leur donnant de nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes. De la technologie afin : (1) d'être utiles ; (2) de faire une réunion bien vivante ; (3) de disposer de savoirs culinaires que nous pourrions explorer.
Nous voulûmes avoir des gens du monde entier, et il nous parut opportun de demander à Harold McGee d'être un « directeur  invité » pour le premier congrès. Harold accepta.
Le plus souvent, tout cela se fit par téléphone, par lettre ou par fax. J'ai encore bien des courriers, souvent sur des papiers thermosensibles qui ont mal vieilli.
Nous cherchâmes également des sponsors. Par exemple, Nicholas nous fit envoyer des biscuits, tandis que LVMH nous procurait du champagne (il y en avait à toutes les pauses!).

1992 : premier colloque, un succès, la presse s'en fit un large écho

1992 : Les secrets de la casseroles est publié au retour du congrès. Immédiatement le livre fut un succès de librairie, tout l'été présent dans les meilleures ventes.

1993 : pour mes dix ans de mariage, je décidais de tester une précision culinaire relative à la cuisson des cochons de lait, devant une centaine de personnes. Jeffrey Steingarten, de Vogue New York, était présent pour le reportage.

1994 : Scientific American me demande (j'associe Nicholas, évidemment) un article, et nous publions « Chemistry and Physics in the Kitchen ». Dans la conclusion, je pose les bases de la « cuisine note à note ».

1995 : Révélations gastronomiques, autre colloque à Erice ; laboratoire au Collège de France à l'invitation de Jean-Marie Lehn
J'invente le chocolat chantilly.

1996 : Thèse « La gastronomie moléculaire et physique » (voir fichier spécifique, car croustillant!)

1997 : publication du Traité élémentaire de cuisine

1998 : Libération fait un numéro de Noël où nous faisons le reportage chez Pierre Gagnaire. Passant devant Ledoyen, je pense à la bière, et j'en viens à proposer à Pierre, la première fois que je le rencontre, de faire une émulsion de bière, qui marche parfaitement.

1999 : voyant que mes conférences, où je parle de cuisine note à note, sont moins sollicitées (la chimie faisait peur, à l'aube de l'an 2000), je fais machine arrière, et j'introduis le constructivisme culinaire.
Chantal, deuxième épouse de Pierre Gagnaire, le pousse à me demander une collaboration... la même semaine où Guy Ourisson me demande une conférence pour le Cercle de l'Académie des sciences. Nous décidons de faire un repas pendant la conférence. C'est le début d'une collaboration amicale merveilleuse.

2000 : Le diner fait, nous décidons de faire un site, pour continuer à « jouer » ensemble.
Habilitation à diriger des recherches, à l'Université Paris Sud, Orsay, à la demande de Guy Ourisson, alors président de l'Académie des sciences. Au jury, Pierre Gagnaire, Etienne Guyon (alors directeur de l'Ecole normale supérieure), Xavier Chapuisat, président de l'université, mon ami Georges Bram et Alain Fuchs, aujourd'hui président du CNRS.
J'entre à l'INRA à plein temps, en quittant la revue Pour la Science.
Heston Blumenthal passe un jour au laboratoire, au Collège de France, et je lui montre plein de choses

2000 : projet européen Innicon, construit autour de mon groupe du Collège de France. Heston et sa famille viennent dans le Tarn, où nous faisons une expérience sur la couleur verte des haricots verts.

2001 : lors d'une réunion d'Innicon, à Paris, je dis à Heston qu'il ne fait pas de gastronomie moléculaire, mais de la cuisine moléculaire. Publication d'un texte pour expliquer la différence dans Les sciences des aliments.

2004 :
Création de la Fondation science et culture alimentaire
Création de l'Institut des Hautes Etudes du goût, de la gastronomie et des arts de la table
Création des Cours de gastronomie moléculaire d'AgroParisTech : publics, gratuits, non diplômants, à l'image de ceux du Collège de France.

2006 : Qualification de professeur des universités, déménagement du laboratoire à l'INA P-G (devenu AgroParisTech)

2011 : Chaire Francqui, au titre national belge, élu professeur consultant à AgroParisTech, élu membre de l'Académie d'agriculture de France et président de la Section VIII (alimentation humaine).


jeudi 10 mai 2018

Il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre



Je citais naguère, jusqu'en exergue d'un de mes livres, la devise du chimiste Michel-Eugène Chevreul : "Il faut tendre avec effort vers la perfection sans y prétendre". J'aimais cette idée d'un travail qui n'a pas de prétention, mais qui veut seulement - au fond, comme les séances d'amélioration de l'esprit de Michael Faraday- un petit mieux de la pensée. Et puis, j'aimais aussi cette idée qu'un travail acharné vient à bout de tout... ce qui est humain, sachant par ailleurs que la perfection n'est pas de ce monde, de sorte que l'on aurait été dans l'erreur de penser que l'on puisse atteindre la perfection. D'ailleurs, qui dit que l'imperfection n'est pas une caractéristique de la beauté ?


Tout cela était bien... mais je trouve, dans le livre Chevreul, un savant des couleurs, que cette devise que j'attribuais à Chevreul est prise à Malebranche, avec une variante : "On doit tendre avec effort à l'infaillabilité sans y prétendre".

J'y suis allé voir de plus près, et j'ai trouvé, dans Nicolas Malebranche (La Recherche de la Vérité, Livre Premier : Des Sens. https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_recherche_de_la_v%C3%A9rit%C3%A9/Livre_I) :
"S’il est donc vrai que l’erreur soit l’origine de la misère des hommes, il est bien juste que les hommes fassent effort pour s’en délivrer. Certainement leur effort ne sera point inutile et sans récompense, quoiqu’il n’ait pas tout l’effet qu’ils pourraient souhaiter. Si les hommes ne deviennent pas infaillibles, ils se tromperont beaucoup moins, et s’ils ne se délivrent pas entièrement de leurs maux ils en éviteront au moins quelques-uns. On ne doit pas en cette vie espérer une entière félicité, parce qu’ici-bas on ne doit pas prétendre à l’infaillibilité ; mais on doit travailler sans cesse à ne se point tromper, puisqu’on souhaite sans cesse de se délivrer de ses misères. En un mot, comme on désire avec ardeur un bonheur sans l’espérer, on doit tendre avec effort à l’infaillibilité sans y prétendre.
"Il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait beaucoup à souffrir dans la recherche de la vérité ; il ne faut que se rendre attentif aux idées claires que chacun trouve en soi-même, et suivre exactement quelques règles que nous donnerons dans la suite. L’exactitude de l’esprit n’a presque rien de pénible ; ce n’est point une servitude comme l’imagination la représente ; et si nous y trouvons d’abord quelque difficulté, nous en recevons bientôt des satisfactions qui nous récompensent abondamment de nos peines ; car enfin il n’y a qu’elle qui produise la lumière et qui nous découvre la vérité."

Il est donc question ici d'infaillibilité, et non de perfection. C'est bien plus intéressant, car l'infaillibilité est accessible ; disons plus accessible que la perfection. Mais nos efforts, dit Malebranche, ne doivent pas nous rendre présomptueux, prétentieux...
D'ailleurs, il n'est pas anodin que cette discussion soit d'un prêtre, et qu'il soit en réalité question non pas de sciences de la nature, mais sans doute bien plus de position théologique ou morale.


mercredi 9 mai 2018

Il y a les protéines thermocoagulantes, et les autres

Les protéines sont variées. Toutes ont des molécules faites par des successions de résidus d'acides aminés, mais leurs "activités biologiques" sont variées.
Ainsi, il y a les enzymes,  qui sont comme des "ouvriers moléculaires", capables de modifier d'autres composés ; pensons aux enzymes polyphénoloxydases qui, libérées en présence polyphénols quand on coupe un végétal, conduisent à l'apparition de produits brun foncés.  Mais il y a aussi des "canaux membranaires" : dans les membranes des cellules vivantes, des protéines s'associent pour ne laisser entrer ou sortir que certains composés. Récemment, par exemple,  des chimistes ont exploré les aquaporines qui permettent aux molécules d'eau d'entrer ou de sortir des cellules vivantes. Et puis il y a aussi des protéines de stockage, des protéines antibactériennes, tel le lysozyme du blanc d'oeuf, ou encore des protéines "constitutives", tel le collagène, qui fait les tissus conjonctifs, ce ciment des cellules animales des tissus musculaire.

Mais ces différentes catégories sont  fonctionnelles au sens de la biologie, pas de la cuisine. En cuisine, c'est en quelque sorte plus simple : il y a des protéines capables de coaguler à la chaleur, et d'autres qui ne coagulent pas.
Par exemple, l'ovalbumine, dans le blanc d'oeuf, est "thermocoagulante", alors que la gélatine, qui est la forme un peu dégradée du collagène, ne coagule pas à la chaleur... mais peut s'associer en un réseau de gel, à froid.
D'ailleurs on doit ajouter que certaines protéines qui ne coagulent pas à la chaleur (pensons à des caséines, par exemple) peuvent néanmoins "cailler", par exemple, en milieu acide, ou bien en présence d'enzymes telles que la chymiosine de la présure (pour la confection des fromages).

Pour la cuisine note à note, ces dernières distinctions sont celles dont on aura besoin, par exemple pour faire des "diracs" (voir les billets qui leur sont consacrés).
Pour les émulsions ou les mousses, en revanche, la question  est plus facile, comme le montre l'exemple des "würtz", ces mousses que l'on obtient en fouettant un liquide où l'on a ajouté de la gélatine. Certes, toutes les protéines n'ont pas les mêmes propriétés de moussabilitié, mais je répète que la question se pose moins.

Vive la cuisine note à note !

mardi 8 mai 2018

Pourquoi il faut l'Europe et plus

Alors que l'on commémore non pas l'armistice, mais la capitulation de l'Allemagne nazie, il est bon de se souvenir avec un peu de précision.
Ainsi entend-on souvent parler de "Malgré-Nous" pour des Alsaciens incorporés de force et, souvent, envoyés sur le front russe, où ce fut l'hécatombe.
En réalité, ces incorporés de force ne sont pas de Malgré-Nous, mais des "Incorporés de force", et il est bon de savoir que cette incorporation de force a été considérée comme un crime de guerre.

L'expression "Malgré-Nous", elle, est née en Moselle en 1920. Elle désignait les Mosellans, légalement allemands, ayant combattu dans l'armée allemande en 14-18.
Elle a été adoptée par leurs camarades alsaciens, puis par la génération suivante qui a été enrôlée, illégalement, par les nazis. C'est une expression qui ne rend pas compte de la contrainte exercée par une dictature sur le vaincu. C'est pour cette raison que l'Etat français utilisait l'expression de "déportés militaires" pour désigner les incorporés de force.
Cette désignation se retrouve encore sur des documents dans les années 1950 pour être oubliée ensuite, notamment par les intéressés eux-mêmes. Ils ignoraient alors qu'ils auraient dû se battre pour la conserver : on ne considère pas de la même manière un déporté et un  Malgré-Nous.

Quelle folie que celle des hommes, quoi qu'il en soit !

dimanche 6 mai 2018

On ne perçoit jamais les saveurs, la consistance, les odeurs rétronasales...

Régulièrement juré dans des concours de produits alimentaires (cuisine, charcuterie, etc.), je vois régulièrement des grilles d'évaluations très... disons insuffisantes. Je passe sur les confusions entre saveurs et goût, entre odeur et arôme, entre sensations trigéminales et saveurs, sans compter sur l'ignorance des modalités sensorielles récemment découvertes, et je m'interroge ici sur la conception de grilles plus justes : comment les réaliser ?

1. Pour répondre à la question il faut répéter que nous pouvons percevoir l'aspect visuel sans trop de difficultés. Certes, le nom qui est donné à l'objet nous conditionne un peu, mais il reste que du jaune n'est pas bleu, par exemple.  On pourra donc questionner les jurés sur la couleur, la texture visuelle, ou diverses caractéristiques spécifiques, telle la fleur d'un saucisson.

2. Puis il y a l'odeur anténasale : celle que l'on a quand on approche le produit du nez. Ce n'est pas un arôme, sauf si le produit que l'on teste est une plante aromatique. Et la grille peut donc porter une case "odeur anténasale", éventuellement subdivisée, afin de tenir compte de particularités de la catégorie de produits évalués. Par exemple, un munster ne devra pas avoir la même odeur qu'un camembert.

3. Le produit vient en bouche, et il est vrai que l'on perçoit assez bien la consistance. Enfin... En réalité, c'est plutôt la texture que l'on perçoit : le même carré de chocolat que l'on croque est croquant, alors qu'il est fondant quand on le mange lentement. De sorte qu'il serait parfois judicieux de donner des indications sur la manière de consommer le produit, afin que les divers jurés soient en accord sur la perception à décrire.

4. Toujours en bouche, on sent le "goût" : c'est une sensation synthétique qu'il est bien difficile de séparer en ses différentes composantes que seraient la saveur, l'odeur rétronasale, la perception trigéminale (frais, piquant...), d'autant que tout s'influence.
On pourrait donc se limiter à interroger les jurés sur le goût, ou bien, s'ils se bouchent le nez avant de commencer à mastiquer, ils pourraient percevoir la saveur, avant d'ajouter la composante d'odeur rétronasale quand ils ouvriront les doigts.

Au delà, c'est du baratin.

samedi 5 mai 2018

Comment faire des ganaches avec un goût sur mesure, en vue de faire des bonbons de chocolat ?

Comment faire des ganaches avec un goût sur mesure, en vue de faire des bonbons de chocolat ?

Classiquement, les ganaches s'obtiennent de la façon suivante :
 - on fait bouillir de la crème
 - on fait fondre du chocolat
- on mélange les deux masses, en prenant soin de faire venir le chocolat fondu dans la crème.


La façon la plus classique de donner du goût à une ganache consiste à infuser la crème ou le chocolat avec un produit (café, thé, etc.).

Mais il y a bien plus simple... quand on n'oublie pas que, au premier ordre :
 - la crème est émulsion, avec de la matière grasse dispersée dans de l'eau
 - le chocolat, c'est environ moitié sucre et moitié matière grasse

Autrement dit, pourquoi ne pas remplacer la crème para une émulsion faite avec une solution aqueuse (thé, café, jus de fruit, infusion...) et la matière grasse de la crème, à savoir le beurre ?

Le chocolat, aussi, aura pu être macéré ou infusé avec un produit qui lui aura donné son goût (une partie : la partie "hydrophobe"), tandis que le sucre pourra être oublié.

Bref, s'il s'agit de faire une émulsion de beurre de cacao, tout est possible à qui comprends les mécanismes.

Vive, donc, la gastronomie moléculaire !

Faut-il ajouter de la pectine à des fraises dont on veut faire des confitures


La question m'arrive ce matin : avec les fraises que l'on trouve ces jours-ci, plus mûres qu'il y a quelques semaines, faut-il ajouter de la pectine pour être certain que les confitures vont prendre ?
La vraie question, derrière celle-ci, c'est que certains fruits contiennent peu de pectine... mais que cela n'apparaît pas sur les fruits eux-mêmes. En conséquence, comme on ne va pas se lancer dans des analyses très longues, j'ai immédiatement répondu de faire un essai sur une petite quantité sans pectine, pour voir si la prise se fait, avant de se lancer sur tout le lot.
On n'oubliera pas de se placer dans les conditions qui favorisent la prise en gel, à savoir charger en sucre (sans dépasser 65 pour cent), cuire longuement (pour être sûr d'avoir extrait les pectines des fruits) et ajouter du jus de citron (ou de l'acide citrique).  Plus la possibilité d'ajouter un sel de calcium, puisque les ions calcium, comme ceux de cuivre mais sans la toxicité de ces derniers, renforcent les confiture : vous obtenez cela en attaquant une coquille d'oeuf lavée avec du jus de citron.

Mais, à la réflexion, il y a une autre possibilité... pour ceux qui veulent le goût frais des fruits pas trop cuits. Prenons une pomme que nous coupons en petit morceau, avec peau et pépins dans un linge), puis ajoutons un peu d'eau et tout le sucre dont on aura besoin, voire un peu plus. Chauffons pour extraire toutes les pectines de la pomme : si l'on s'arrêtait là, on aurait alors tout ce qu'il faut pour avoir une confiture qui prend (on n'oublie pas le citron, le calcium...).
Puis, dans cette super confiture, on verse les fraises, on fait un tour de bouillon, et l'on met en pots ! Goût de fraises fraîches assuré, et consistance sur mesure.

Mais, j'y pense : pourquoi ne pas utiliser de pectine ? Après tout, la pectine du commerce, c'est de la pectine qui vient des fruits. Alors on prend une partie des fraises, on met la pectine, on cuit, puis en fin de cuisson on ajoute citron et calcium, puis des fraises fraîches qui n'auront qu'un tour de bouillon.
Moi, je ne sais pas pourquoi, mais j'ajouterais volontiers un peu d'arôme violette ou fleur d'oranger, et un grain de sel et un tour de moulin à poivre... mais je sors de mon rôle.