Dans un billet récent, j'étais sur le point de parler de profession… quand je me suis arrêté, en me souvenant de cette idée merveilleuse que je dois aux Jésuites : « Il ne faut pas agir en tant que chrétien, mais en chrétien ».
Oui, il est bien faible, bien fatiguant, bien inutile de se donner en représentation, et, inversement, nous sommes si bien à être dans la vérité de nos actes. Chimico-physicien, c'est un état, certes, mais l'étiquette compte pour rien : ce qui est essentiel, c'est l'activité qui est passionnante. Bref, je crois plus à l'activité elle-même qu'à l'étiquette que nous nous donnons et que nous proposons aux autres.
Bien sûr, les mots sont importants, et nos activités sont plus claires quand elles sont bien dites : par exemple, je vois plus clairement mon activité depuis que je sais que je ne suis pas chimiste, mais chimicophysicien. Mais, cela, c'est pour notre « guidance », pour nous, pour mieux identifier des directions.
L'idée vaut pour tous : il est moins important d'être médecin que de soigner, moins important d'être architecte que de construire, moins important d'être tailleur de pierre que de tailler des pierres. Dépassons nos idées d'enfants, nos fantasmes qui accompagnent les mots qui nous sont les plus chers, et consacrons-nous à notre véritable activité, en oubliant le qu'en dira-t-on : au fond, c'est le matin, devant la glace, seuls, que nous voyons vraiment si nous sommes dignes d'être nous-mêmes, non ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 5 septembre 2017
dimanche 3 septembre 2017
Des séminaires de gastronomie moléculaire dans les lycées
Depuis maintenant 17 ans, nous avons chaque mois un "séminaire de gastronomie moléculaire", à Paris : nous sélectionnons une "précision culinaire" (truc, astuce, tour de main, proverbe, on dit...) que nous testons publiquement, le plus rigoureusement possible, en vue de diffuser les résultats de ces travaux, ainsi que l'envie de les poursuivre. En deux heures par mois, nous ne pouvons pas prétendre résoudre les questions, élucider les mécanismes des phénomènes dont nous montrons l'existence, mais, souvent, nous pouvons en tout cas réfuter des idées culinaires fausses : que l'oeuf ferait souffler en vertu d'un "principe soufflant" (c'est l'eau qui s'évapore qui fait en réalité gonfler les préparations), que laver les fraises leur ferait perdre du goût, que les navets confits absorberaient la matière grasse, etc.
Ces travaux sont consignés dans des "comptes rendus" qui sont diffusés à toute personne qui en fait la demande à icmg@agroparistech.fr.
Mais il y a mieux : après ces séminaires parisiens se sont créés des séminaires dans d'autres lieux : Nantes, Athènes, Montréal, Cuba, Poligny... Là, les collègues font le même travail. Par exemple, à Poligny, des précisions culinaires sont créées dans le cadre du Pôle Science & Culture Alimentaire de Franche Comté (voir par exemple http://www.enil.fr/recherche/culinaire).
Pourquoi n'y aurait-il pas cela dans tous les lycées hôteliers ? C'est à la fois amusant, facile à organiser (pourquoi ne pas proposer aux élèves de s'en charger), et cela contribue à la formation et à l'avancement de l'art culinaire.
Alors : à vous !
Ces travaux sont consignés dans des "comptes rendus" qui sont diffusés à toute personne qui en fait la demande à icmg@agroparistech.fr.
Mais il y a mieux : après ces séminaires parisiens se sont créés des séminaires dans d'autres lieux : Nantes, Athènes, Montréal, Cuba, Poligny... Là, les collègues font le même travail. Par exemple, à Poligny, des précisions culinaires sont créées dans le cadre du Pôle Science & Culture Alimentaire de Franche Comté (voir par exemple http://www.enil.fr/recherche/culinaire).
Pourquoi n'y aurait-il pas cela dans tous les lycées hôteliers ? C'est à la fois amusant, facile à organiser (pourquoi ne pas proposer aux élèves de s'en charger), et cela contribue à la formation et à l'avancement de l'art culinaire.
Alors : à vous !
samedi 2 septembre 2017
A propos de bonnes pratiques
Rétrospectivement je comprends bien que cette entreprise de constituer un stock de bonnes pratiques est utile, mais je crois qu'il y a plus, à savoir ne pas laisser les étudiants entre les mains d'enseignants inégalement compétents (ce n'est pas faire offense à mes collègues : comme dans tout groupe humain, il y en a de bons et de moins bons, d'attentifs et de moins attentifs). Surtout, il y a là la possibilité de transformer l'enseignement en étude, ce qui est éminemment souhaitable, comme je l'explique dans d'autres billets.
Et, d'ailleurs, je me revois, étudiant, voulant bien faire, mais placé face à une montagne de prescriptions que j'ignorais pour la plupart, et, surtout, dont j'ignorais l'existence. J'étais furieux : on me demandait de connaître des choses sans m'indiquer quoi ; on me donnait des ordres inexécutables.
Bien sûr, on aurait pu me répondre qu'il y a une sélection par l’intelligence et le travail, mais internet n'existait pas, et il aurait fallu des heures en bibliothèque pour dénicher toutes ces règles, dont, a posteriori, je ne suis d'ailleurs pas certain que mes enseignants avaient toujours une parfaite maîtrise. Aujourd'hui, je comprends que ceux qui nous invitaient à bien faire sans nous en donner la possibilité étaient des paresseux qui n'avaient pas fait le travail de constituer ce stock d’informations. D'ailleurs, je vois le même type de conduite inconvenante dans ces cours que nous ne comprenions pas, mais dont je sais maintenant que certains dispensent sans les comprendre. Accusation gratuite ? Non : comment expliquer autrement que les questions que nous posions à certains de nos enseignants n'avaient pas de réponse ? Là encore, je sais que certains collègues justifient des cours trop difficiles en disant que les étudiants devront par eux-mêmes, qu'ils seront conduits à travailler, mais alors, il faut que ces difficultés soient savamment pas orchestrées, et pas qu'elles soient des excuses . à la paresse ou à l'incompétence des enseignants.
Bref, je crois que nous avons une obligation, de constituer ces répertoires de bonnes pratiques… qui déclenchera une obligation pour les étudiants d'intégrer ces prescriptions. Ils ne pourront pas tout faire d'un coup, de sorte que nous les professeurs devront hiérarchiser, afin d'aider nos jeunes amis à monter les marches une après l'autre. Un beau travail en perspective !
Et, d'ailleurs, je me revois, étudiant, voulant bien faire, mais placé face à une montagne de prescriptions que j'ignorais pour la plupart, et, surtout, dont j'ignorais l'existence. J'étais furieux : on me demandait de connaître des choses sans m'indiquer quoi ; on me donnait des ordres inexécutables.
Bien sûr, on aurait pu me répondre qu'il y a une sélection par l’intelligence et le travail, mais internet n'existait pas, et il aurait fallu des heures en bibliothèque pour dénicher toutes ces règles, dont, a posteriori, je ne suis d'ailleurs pas certain que mes enseignants avaient toujours une parfaite maîtrise. Aujourd'hui, je comprends que ceux qui nous invitaient à bien faire sans nous en donner la possibilité étaient des paresseux qui n'avaient pas fait le travail de constituer ce stock d’informations. D'ailleurs, je vois le même type de conduite inconvenante dans ces cours que nous ne comprenions pas, mais dont je sais maintenant que certains dispensent sans les comprendre. Accusation gratuite ? Non : comment expliquer autrement que les questions que nous posions à certains de nos enseignants n'avaient pas de réponse ? Là encore, je sais que certains collègues justifient des cours trop difficiles en disant que les étudiants devront par eux-mêmes, qu'ils seront conduits à travailler, mais alors, il faut que ces difficultés soient savamment pas orchestrées, et pas qu'elles soient des excuses . à la paresse ou à l'incompétence des enseignants.
Bref, je crois que nous avons une obligation, de constituer ces répertoires de bonnes pratiques… qui déclenchera une obligation pour les étudiants d'intégrer ces prescriptions. Ils ne pourront pas tout faire d'un coup, de sorte que nous les professeurs devront hiérarchiser, afin d'aider nos jeunes amis à monter les marches une après l'autre. Un beau travail en perspective !
La question des fautes d'orthographe
Bon élève, ne souffrant pas de dyslexie ni de disorthographie, j'ai quand même (évidemment) fait des fautes d'orthographe. Pis encore, à mes débuts à la revue Pour la Science, alors que j'étais fier de l'orthographe qu'une passion pour la littérature m'avait donnée, depuis tant d'années, je me suis parfois fait reprendre du point de vue orthographique. Par exemple, pour le mot "échalote", que j'avais lu avec deux t, et que l'usage moderne écrivait avec un seul t. Ou pour des participes passés d'accord difficile (en écrivant tout cela, je tremble évidemment à l'idée de faire des fautes).
Bref, c'est en me souvenant de mes petites incuries que je vois les fautes d'orthographes des étudiants qui me font l'honneur de vouloir apprendre à mes côtés. Certains font l'effort de passer les correcteurs orthographiques, mais ces derniers laissent des fautes : si l'on veut parler de la mesure d'une surface, l'aire, le correcteur ne dépistera pas que l'on ait écrit "air".
Comment faire ? Je compte sur mes amis de la Toile pour des commentaires qui aideront nos jeunes amis... et moi même, puisque, même parfois quand je me relis abondamment, il reste des scories dans mes textes.
Militantisme
Alors que l'on me propose de signer une pétition (pour une cause juste) et que je refuse, en raison d'une décision que j'ai prise il y a de nombreuses années, je vois que je me suis rarement exprimé "politiquement" : on n'a pas vu ma signature dans des pétitions, on ne m'a pas vu dans des manifestations, on ne m'a pas vu porter des causes... autres que les très nombreuses que je porte déjà (au point que je crains chaque seconde que la collectivité ne finisse par me faire boire la ciguë ; -)) ! Pourquoi ?
D'abord, parce que je ne cesse de militer, donc, mais pour des causes que j'ai décidé d'avoir : la promotion de la connaissance (les sciences, les arts, les lettres, la culture...), la rénovation des études en vue d'aider les jeunes citoyens à devenir compétents, dans le respect de valeurs humanistes... C'est pour cette raison que, pendant vingt ans, j'ai utilisé mon temps à faire la revue Pour la Science, avec autant d'énergie que possible, dans l'hypothèse que la connaissance est le meilleur des remparts contre l'obscurantisme et l'intolérance.
Et c'est pour cette raison que j'utilise une bonne partie de mon temps (que le contribuable se rassure : c'est une litote que de dire que je ne me limite pas à 35 heures et que la recherche n'y perd pas) pour réfléchir (efficacement, surtout efficacement) aux questions de transmission. C'est pour cette raison que j'ai ces blogs trop nombreux, à AgroParisTech, sur Google, dans Scilogs, sur le site national de l'Inra...
Mais il y a aussi le refus d'être un "gourou" ; d'ailleurs, on a souvent lu sous ma plume cette réponse de Frère Jean des Entommeures, à qui l'on proposait de diriger une abbaye : comment dirigerais autruy moi qui ne me gouverne pas moi-même ? Pour diriger, il faut une sagesse particulière, mais comment prétendre l'avoir ?
Surtout, quand une personne est "reconnue", elle l'est pour une compétence particulière. Autrement dit, pour tout champ extérieur à cette compétence, cette personne n'a pas a priori de compétence, et c'est un usage abusif de sa notoriété qu'elle ferait si elle prétendait intervenir dans ce champ extérieur. D'autre part, le nombre de causes (possiblement) justes est immense, et je crois que l'on n'intervient bien que si l'on intervient en connaissance de cause, de façon focalisée.
Signer une pétition ? A condition d'être certain d'être parfaitement d'accord avec tous les faits recouverts par les mots qui figurent dans la pétition : cela impose une connaissance du monde que je n'ai pas... puisque j'ai décidé il y a maintenant presque quarante ans que je ne suivrai aucune actualité, connaissant trop bien les biais des medias, et me doutant évidemment de l'état de ce monde, qui n'a guère changé depuis des siècles (le panem et circenses n'est pas périmé, par exemple). Manifester ? Je n'ai pas l'esprit revanchard, et je veux de l'enthousiasme, de la proposition positive, de l'action !
On aurait tort de croire que je reste confortablement dans ma tour d'ivoire : mon engagement est constant, de chaque seconde, pour des causes que je crois justes et pour lesquelles je milite chaque seconde, comme je l'ai dit. Là, j'essaie d'être vraiment efficace, socialement et politiquement utile.
Oui, militons pour des causes justes, mais militons efficacement : au lieu de se débarrasser d'un problème à l'aide d'une signature vite faite en bas d'une lettre, cherchons des moyens efficaces de résoudre les problèmes que nous avons décidé de nous poser.
Mais je me reprends : là, j'ai des phrases de tribun, moralisatrices. Je sais ce que je fais, moi, et je n'ai pas vocation ni compétence à dire aux autres ce qu'ils doivent faire, eux : chacun ses choix.
Pour moi, c'est clair : il s'agit de promouvoir la Connaissance, bien produite et bien partagée, puisque c'est notre meilleur rempart contre l'obscurantisme et l'intolérance !
D'abord, parce que je ne cesse de militer, donc, mais pour des causes que j'ai décidé d'avoir : la promotion de la connaissance (les sciences, les arts, les lettres, la culture...), la rénovation des études en vue d'aider les jeunes citoyens à devenir compétents, dans le respect de valeurs humanistes... C'est pour cette raison que, pendant vingt ans, j'ai utilisé mon temps à faire la revue Pour la Science, avec autant d'énergie que possible, dans l'hypothèse que la connaissance est le meilleur des remparts contre l'obscurantisme et l'intolérance.
Et c'est pour cette raison que j'utilise une bonne partie de mon temps (que le contribuable se rassure : c'est une litote que de dire que je ne me limite pas à 35 heures et que la recherche n'y perd pas) pour réfléchir (efficacement, surtout efficacement) aux questions de transmission. C'est pour cette raison que j'ai ces blogs trop nombreux, à AgroParisTech, sur Google, dans Scilogs, sur le site national de l'Inra...
Mais il y a aussi le refus d'être un "gourou" ; d'ailleurs, on a souvent lu sous ma plume cette réponse de Frère Jean des Entommeures, à qui l'on proposait de diriger une abbaye : comment dirigerais autruy moi qui ne me gouverne pas moi-même ? Pour diriger, il faut une sagesse particulière, mais comment prétendre l'avoir ?
Surtout, quand une personne est "reconnue", elle l'est pour une compétence particulière. Autrement dit, pour tout champ extérieur à cette compétence, cette personne n'a pas a priori de compétence, et c'est un usage abusif de sa notoriété qu'elle ferait si elle prétendait intervenir dans ce champ extérieur. D'autre part, le nombre de causes (possiblement) justes est immense, et je crois que l'on n'intervient bien que si l'on intervient en connaissance de cause, de façon focalisée.
Signer une pétition ? A condition d'être certain d'être parfaitement d'accord avec tous les faits recouverts par les mots qui figurent dans la pétition : cela impose une connaissance du monde que je n'ai pas... puisque j'ai décidé il y a maintenant presque quarante ans que je ne suivrai aucune actualité, connaissant trop bien les biais des medias, et me doutant évidemment de l'état de ce monde, qui n'a guère changé depuis des siècles (le panem et circenses n'est pas périmé, par exemple). Manifester ? Je n'ai pas l'esprit revanchard, et je veux de l'enthousiasme, de la proposition positive, de l'action !
On aurait tort de croire que je reste confortablement dans ma tour d'ivoire : mon engagement est constant, de chaque seconde, pour des causes que je crois justes et pour lesquelles je milite chaque seconde, comme je l'ai dit. Là, j'essaie d'être vraiment efficace, socialement et politiquement utile.
Oui, militons pour des causes justes, mais militons efficacement : au lieu de se débarrasser d'un problème à l'aide d'une signature vite faite en bas d'une lettre, cherchons des moyens efficaces de résoudre les problèmes que nous avons décidé de nous poser.
Mais je me reprends : là, j'ai des phrases de tribun, moralisatrices. Je sais ce que je fais, moi, et je n'ai pas vocation ni compétence à dire aux autres ce qu'ils doivent faire, eux : chacun ses choix.
Pour moi, c'est clair : il s'agit de promouvoir la Connaissance, bien produite et bien partagée, puisque c'est notre meilleur rempart contre l'obscurantisme et l'intolérance !
Le plaisir de l'expérience bien faite
C'est amusant comme tout change lorsque l'on passe d'un contexte où l'enseignant contraint les étudiants à un système où chaque étudiant est personnellement en charge de sa propre destinée.
Ainsi, moi qui adorait la physique chimique depuis l'âge de six ans, je me suis étonné, pendant mes études supérieures, de voir que je n'avais pas d'intérêt pour faire spécialement bien ce que l'on me demandait, notamment les travaux pratiques. Et pourtant, ces manipulations étaient de celles que je m'amusais à faire chez moi ! A l'analyse, je crois que je n'avais pas envie de faire plaisir aux enseignants qui me demandaient ces travaux... preuve que le système était mal conçu, puisque j'aurais dû me faire plaisir à moi même.
Certes, les travaux pratiques proposés manquaient de sens, de contexte, notamment parce que les enseignants s'étaient arrêtés à produire des protocoles sans grâce, qui nous étaient transmis sans justification, un peu anonymement, et, je le répète, sans que le sens de tout cela n'apparaisse.
On me fera observer que j'aurais dû y mettre mon intelligence (voir les billets où j'explique que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister), mais, à l'époque, je ne voyais pas l'intérêt de ce qui m'était proposé : je ne voyait ni la difficulté de ces travaux pratiques, sans le piquant de la difficulté, donc, ni leur intérêt réel, parce qu'aucun autre objectif que local n'apparaissait : il s'agissait de simples travaux conventionnels, utiles pour ceux qui ne les avaient pas faits, mais inutiles pour ceux qui étaient un peu en avance. Or cela faisait des années que je savais déjà faire les manipulations proposées ! Oui, il manquait au minimum cet aiguillon qu'est la difficulté, la sensation d'apprendre vraiment, et, je le répète, je manquais de l'intelligence qui m'aurait permit de mettre du passionnant dans du banal.
A l'inverse, aujourd'hui, au laboratoire, je trouve nos expérimentations passionnantes, et pour plusieurs raisons. L'une des premières, c'est que ces expériences ont un objectif très clair : il ne s'agit pas moins que de répondre à des questions scientifiques réelles, plutôt que de répéter des protocoles en vue d'obtenir des produits qui seront jetés. Nous avons des interrogations, et nous comprenons que chaque pas vers le sommet de la montagne nous en rapproche. Chaque pas doit être bien fait, sans quoi nous ne nous rapprochons pas. Nous y mettons donc tout notre soin, notre intelligence, car il y a cet objectif supérieur qui nous guide.
Mais il y a mieux : dans les expérimentations de laboratoire de nos études actuelles, je trouve (parce que je l'y mets) surtout ce bonheur du travail bien fait. Quand il y a une pesée, par exemple, il m'apparaît clairement qu'il vaut mieux ne pas la faire que de la faire mal, parce que je veux vraiment savoir la masse que je pèse, et non pas seulement faire la pesée. Et puis, le plaisir d'avoir un beau résultat, un belle "construction" !
D'ailleurs, cette observation me conduit à reprendre une discussion ancienne : depuis des années, je demande aux étudiants comment ils feront pour ne pas s'ennuyer à la millième pesée. Je leur dis que l'ennui ne naît pas de l'uniformité, mais de la désinvolture, et je les invite aussi à s'interroger sur chaque geste. En fait, la série de manipulations que je viens de terminer moi-même (quel bonheur que ces expérimentations, je me répète parce que je sors encore émerveillé) m'a montré que cette question que je posais n'a pas de sens : si je pèse, j'ai une raison de le faire, à savoir que je veux la valeur la plus précise possible, et je ne m'ennuie pas, puisque je suis à la recherche de cette bonne valeur.
D'ailleurs à propos de pesées, je conseillai aux étudiants venus en stage de toujours peser trois fois, afin de calculer une moyenne et un écart-type. Toutefois, en pratique, je pèse personnellement bien plus que trois fois, et pour mille raisons, mais, surtout, parce que je veux vraiment cette meilleure valeur. Et quand on fait ainsi très bien, alors on arrive toujours aux trois mêmes valeurs, de sorte que la moyenne des valeurs est la valeur trouvée trois fois de suite, et que l'écart type est nul. Allons-nous alors supprimer de nos protocoles cette prescription de peser trois fois, puis de calculer moyenne et écart-type ? Je crois que non, car ces protocoles permettent aux étudiants en stage d'apprendre, et, en l'occurrence, je les sais souvent désarçonnés par les écart-types nul. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'incertitude sur la mesure ? Évidemment non (je ne termine pas la discussion pour vous laisser le plaisir de réfléchir). Sans compter que c'est une bonne pratique que de répéter une mesure !
Mais la pesée n'est évidemment qu'un des milles actes que l'on fait lors d'une expérimentation, d'une préparation d'échantillons ou d'une analyse de ces derniers. Ce que je veux faire partager ici, c'est ce bonheur de l'expérimentation bien faite. Oui, il y a un immense bonheur à réaliser une expérience aussi parfaitement que possible, à tout penser, tout préméditer, tout bien exécuter et tout bien interpréter enfin. Chaque moment d'une expérience a ses plaisirs, jusqu'au lavage des verreries, que j'ai discuté dans d'autres billets.
La partie théorique ? Plus je pratique les sciences quantitatives, plus je m'aperçois que cette partie ressemble absolument à la partie expérimentale, avec ces mêmes chausse-trappes, ces mêmes difficultés… Il n'y a guère de différence entre la maîtrise du niveau d'un liquide dans une burette, avec le ménisque qui doit affleurer un trait, et le calcul d'une concentration, par exemple, avec l'emploi raisonné du nombre de décimales que l'on calcule, les fameux « chiffres significatifs ». Il n'y a guère de différence entre la planification d'un protocole et la planification d'un calcul, et de ce fait il y a ce même plaisir à faire soigneusement une interprétation, structurée, et à faire une expérimentation bien planifiée, bien exécutée.
Au fond, pour toutes les tâches des sciences quantitatives, il y a la même question du soin. Pour mémoire, je rappelle que ces taches sont l'identification d'un phénomène, sa caractérisation quantitative, avec la planification des expériences, la préparation des échantillons, leur analyse, l'analyse des donnés, les interprétations, la réunion des données de mesure en équations, la recherche de mécanismes, les tests expérimentaux des théories … Et bien, pour toutes ces tâches, il y a ce même bonheur inouï de faire bien… au point que je ne comprends plus aujourd'hui comment, étudiant, je n'ai pas su dépasser le cadre scolaire pour arriver à retrouver ce bonheur de l'expérimentation, du travail scientifique bien fait que j'avais depuis l'âge de six ans.
Oui, il est bien vrai que la vertu doit être sa propre récompense, mais je n'ai eu idée, exprimée par cette phrase, que tardivement. Je suis convaincu que le renversement que je propose pour les études supérieures doit se fonder sur cette idée. D'ailleurs, j'ai bon espoir, car je sais que les étudiants sont friands de travaux personnels, de projets. Ave cette façon d'étudier, ils sont en situation de responsabilité, heureux de construire leur savoir et leurs compétences.
Oui, la vertu est sa propre récompense.
Ainsi, moi qui adorait la physique chimique depuis l'âge de six ans, je me suis étonné, pendant mes études supérieures, de voir que je n'avais pas d'intérêt pour faire spécialement bien ce que l'on me demandait, notamment les travaux pratiques. Et pourtant, ces manipulations étaient de celles que je m'amusais à faire chez moi ! A l'analyse, je crois que je n'avais pas envie de faire plaisir aux enseignants qui me demandaient ces travaux... preuve que le système était mal conçu, puisque j'aurais dû me faire plaisir à moi même.
Certes, les travaux pratiques proposés manquaient de sens, de contexte, notamment parce que les enseignants s'étaient arrêtés à produire des protocoles sans grâce, qui nous étaient transmis sans justification, un peu anonymement, et, je le répète, sans que le sens de tout cela n'apparaisse.
On me fera observer que j'aurais dû y mettre mon intelligence (voir les billets où j'explique que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister), mais, à l'époque, je ne voyais pas l'intérêt de ce qui m'était proposé : je ne voyait ni la difficulté de ces travaux pratiques, sans le piquant de la difficulté, donc, ni leur intérêt réel, parce qu'aucun autre objectif que local n'apparaissait : il s'agissait de simples travaux conventionnels, utiles pour ceux qui ne les avaient pas faits, mais inutiles pour ceux qui étaient un peu en avance. Or cela faisait des années que je savais déjà faire les manipulations proposées ! Oui, il manquait au minimum cet aiguillon qu'est la difficulté, la sensation d'apprendre vraiment, et, je le répète, je manquais de l'intelligence qui m'aurait permit de mettre du passionnant dans du banal.
A l'inverse, aujourd'hui, au laboratoire, je trouve nos expérimentations passionnantes, et pour plusieurs raisons. L'une des premières, c'est que ces expériences ont un objectif très clair : il ne s'agit pas moins que de répondre à des questions scientifiques réelles, plutôt que de répéter des protocoles en vue d'obtenir des produits qui seront jetés. Nous avons des interrogations, et nous comprenons que chaque pas vers le sommet de la montagne nous en rapproche. Chaque pas doit être bien fait, sans quoi nous ne nous rapprochons pas. Nous y mettons donc tout notre soin, notre intelligence, car il y a cet objectif supérieur qui nous guide.
Mais il y a mieux : dans les expérimentations de laboratoire de nos études actuelles, je trouve (parce que je l'y mets) surtout ce bonheur du travail bien fait. Quand il y a une pesée, par exemple, il m'apparaît clairement qu'il vaut mieux ne pas la faire que de la faire mal, parce que je veux vraiment savoir la masse que je pèse, et non pas seulement faire la pesée. Et puis, le plaisir d'avoir un beau résultat, un belle "construction" !
D'ailleurs, cette observation me conduit à reprendre une discussion ancienne : depuis des années, je demande aux étudiants comment ils feront pour ne pas s'ennuyer à la millième pesée. Je leur dis que l'ennui ne naît pas de l'uniformité, mais de la désinvolture, et je les invite aussi à s'interroger sur chaque geste. En fait, la série de manipulations que je viens de terminer moi-même (quel bonheur que ces expérimentations, je me répète parce que je sors encore émerveillé) m'a montré que cette question que je posais n'a pas de sens : si je pèse, j'ai une raison de le faire, à savoir que je veux la valeur la plus précise possible, et je ne m'ennuie pas, puisque je suis à la recherche de cette bonne valeur.
D'ailleurs à propos de pesées, je conseillai aux étudiants venus en stage de toujours peser trois fois, afin de calculer une moyenne et un écart-type. Toutefois, en pratique, je pèse personnellement bien plus que trois fois, et pour mille raisons, mais, surtout, parce que je veux vraiment cette meilleure valeur. Et quand on fait ainsi très bien, alors on arrive toujours aux trois mêmes valeurs, de sorte que la moyenne des valeurs est la valeur trouvée trois fois de suite, et que l'écart type est nul. Allons-nous alors supprimer de nos protocoles cette prescription de peser trois fois, puis de calculer moyenne et écart-type ? Je crois que non, car ces protocoles permettent aux étudiants en stage d'apprendre, et, en l'occurrence, je les sais souvent désarçonnés par les écart-types nul. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'incertitude sur la mesure ? Évidemment non (je ne termine pas la discussion pour vous laisser le plaisir de réfléchir). Sans compter que c'est une bonne pratique que de répéter une mesure !
Mais la pesée n'est évidemment qu'un des milles actes que l'on fait lors d'une expérimentation, d'une préparation d'échantillons ou d'une analyse de ces derniers. Ce que je veux faire partager ici, c'est ce bonheur de l'expérimentation bien faite. Oui, il y a un immense bonheur à réaliser une expérience aussi parfaitement que possible, à tout penser, tout préméditer, tout bien exécuter et tout bien interpréter enfin. Chaque moment d'une expérience a ses plaisirs, jusqu'au lavage des verreries, que j'ai discuté dans d'autres billets.
La partie théorique ? Plus je pratique les sciences quantitatives, plus je m'aperçois que cette partie ressemble absolument à la partie expérimentale, avec ces mêmes chausse-trappes, ces mêmes difficultés… Il n'y a guère de différence entre la maîtrise du niveau d'un liquide dans une burette, avec le ménisque qui doit affleurer un trait, et le calcul d'une concentration, par exemple, avec l'emploi raisonné du nombre de décimales que l'on calcule, les fameux « chiffres significatifs ». Il n'y a guère de différence entre la planification d'un protocole et la planification d'un calcul, et de ce fait il y a ce même plaisir à faire soigneusement une interprétation, structurée, et à faire une expérimentation bien planifiée, bien exécutée.
Au fond, pour toutes les tâches des sciences quantitatives, il y a la même question du soin. Pour mémoire, je rappelle que ces taches sont l'identification d'un phénomène, sa caractérisation quantitative, avec la planification des expériences, la préparation des échantillons, leur analyse, l'analyse des donnés, les interprétations, la réunion des données de mesure en équations, la recherche de mécanismes, les tests expérimentaux des théories … Et bien, pour toutes ces tâches, il y a ce même bonheur inouï de faire bien… au point que je ne comprends plus aujourd'hui comment, étudiant, je n'ai pas su dépasser le cadre scolaire pour arriver à retrouver ce bonheur de l'expérimentation, du travail scientifique bien fait que j'avais depuis l'âge de six ans.
Oui, il est bien vrai que la vertu doit être sa propre récompense, mais je n'ai eu idée, exprimée par cette phrase, que tardivement. Je suis convaincu que le renversement que je propose pour les études supérieures doit se fonder sur cette idée. D'ailleurs, j'ai bon espoir, car je sais que les étudiants sont friands de travaux personnels, de projets. Ave cette façon d'étudier, ils sont en situation de responsabilité, heureux de construire leur savoir et leurs compétences.
Oui, la vertu est sa propre récompense.
vendredi 1 septembre 2017
Pourquoi j'aime tant les sciences de la nature ?
Pourquoi j'aime tant les sciences de la nature ? La question m'est posée ce matin par un étudiant qui cherche à déterminer l'activité professionnelle vers laquelle il se dirigera. Il se trouve que, après que nous avons en commun analysé ses goûts personnels, ses inclinaisons, nous en sommes venus à lui proposer de choisir une direction parfaitement différente de la mienne.
Mais avant d'en arriver à cette dernière, j'ajoute que nous avons évoqué à la fois les activités proprement dites, et les circonstances de leur exercice, selon le bon principe qu'une activité professionnelle s'analyse en termes d'intérêt intrinsèque (l'intérêt du travail, pour une personne particulière), extrinsèque (combien l'on gagne, par exemple) et concommitant (la reconnaissance sociale par exemple).
Ainsi, dans les grosses sociétés, la loi et les possibilités financières procurent des comités d'entreprises bien dotés, des formations, des tas d'avantages que l'on n'a pas quand on travaille dans de petites sociétés, ou en libéral, ou quand on est fonctionnaire… Inversement, il y a une organisation bien plus lourde, une stratégie qui dépasse tous ceux qui sont en bas de l'échelle, par exemple.
Dans les petites sociétés, d'autres avantages, et d'autres inconvénients. Par exemple, dans une activité précédente, dans une petite société, je n'ai pu avoir que deux semaines de vacances par an pendant de très nombreuses années. Certes, les vacances que je ne prenais pas étaient payées, mais, la société étant petite, nous n'avions pas la possibilité de faire différemment, et nous n'étions pas en phase avec un environnement où les amis, familles, relations étaient plus disponibles. Il n'y avait pas de comité d'entreprise, nous n'avions pas besoin de représentation syndicale, par exemple, mais nous avions bien des avantages. Par exemple, une hiérarchie réduite, une plus grande responsabilité, et une action plus directe sur la marche de l'entreprise.
En libéral, que je connais pour d'autres raisons, on est son propre maître, et il y a une liberté absolue… dans les limites d'une activité suffisante… Evidemment, on doit alors tout faire, au lieu de confier à d'autres le soin de faire fonctionner la structure.
Le fonctionnariat, lui, a d'autres avantages et d'autres inconvénients, et, pour ce qui me concerne, ayant connu les deux types d'activités, industrielles et publiques, je peux dire que je ne supporte mon statut de fonctionnaire que parce qu'il me donne la possibilité d'une action véritablement politique, au sens quotidien du terme, et non pas de la politique politisante.
Mais revenons à notre jeune homme. Nous avons donc conclu pour lui une direction qui était différente de la mienne, et qui, pour lui, sera bien préférable. Alors pourquoi, pour ce qui me concerne, fais-je tant de sacrifices pour mon activité actuelle, scientifique ?
En réalité, je suis exactement à ma place, parce que je ne suis pas remis des deux caractéristiques qui fondent la science, et, plus particulièrement, la physique chimique.
Ainsi, j'ai raconté dans un livre (La Sagesse du Chimiste, Editions L'oeil neuf) comment l'expérience de l'eau de chaux qui se trouble m'avait émerveillé à l'âge de six ans, et, en en parlant, je retrouve cet éblouissement intérieur, qui, au fond, ne m'a jamais quitté. Je revois le moment exactoù j'ai fait cette expérience, les circonstances, le lieu où je me trouvais, l'heure du jour où j'ai vu la première fois la matière se transformer, comme on pourrait dire un peu hâtivement.
Mais peu après il y a eu cette compréhension complémentaire que l'on peut exprimer par cette phrase de Galilée : « Le monde est écrit en langage mathématique ». Oui, il y a là, peut être encore plus que pour le premier cas, quelque chose d'extraordinaire. J'ai d'ailleurs bien choisi mes mots : dans le premier cas, il y avait un émerveillement, mais dans le second, il y avait quelque chose de quasi surnaturel, de littéralement miraculeux. De ces miracles quotidiens qui sont comme des paillettes d'or emportées par le flot, et que nous ne voyons que si nous décidons d'aller y voir.
L'expérimentation, d'une part, et la théorie, de l'autre. Nous sommes solidement campés sur ces deux pieds. L'un ne se conçoit pas sans l'autre, et, contrairement à une idée fausse, les sciences de la nature ne sont donc pas des nébulosités et les scientifiques des farfelus échevelés ; au contraire, leur activité est profondément enracinée dans le travail expérimental, dans les « faits ».
A ce mot, je tressaillis évidemment, car j'entends bruire une certaine épistémologie un peu faible, qui ne manquera pas de nous dire, suivant quelques arguments d'autorité qui méritent d'être renversés, que les faits n'existent pas… mais Alexandre a tranché le nœud gordien, et nous devons faire ainsi pour ce qui concerne l'épistémologie. Que l'on ne me prenne pas pour un perdreau de l'année : je connais les discussions qui ont eu lieu à propos de la mécanique quantique, je connais les discussions épistémologiques autour des faits… mais j'invite mes amis à se souvenir que nous avançons quand nous bougeons les jambes, que nous sommes essoufflés quand nous courons, que nous avons chaud quand le soleil brille, froid quand la neige tombe… Quand je plonge un thermomètre dans de l'eau qui me brûle la main, je vois le niveau du mercure s'élever dans le canal central de l'appareil ; quand je branche un fil conducteur aux bornes d'une pile, ce dernier chauffe et je me brûle. On le voit, je ne parle pas de vérité, mais de faits expérimentaux.
Allons, dépassons ces discussions dont l'intérêt est plus que limité, en vue de mieux identifier ces enthousiasmes qui nous font lever le matin. Oui, je crois que les sciences de la nature sont merveilleuses, et notamment parce qu'elles sont l'honneur de l'esprit humain.
Et oui, j'ai ce bonheur inouï d'avoir une passion pour l'expériemntation et le calcul, c'est-à-dire eexactement ce qui constitue la science. J'ai donc cette chance sublime d'être parfaitement à ma place, et cette possibilité extraordinaire de n'avoir qu'une envie quand je me lève le matin : aller au laboratoire. Et non pas aller au laboratoire pour voir les collègues, les étudiants, mais bien plutôt pour me régaler des difficultés des expériences bien faites et des subtilités des théories, de leur merveilleuse adéquation aux expérimentations : quel bonheur !
PS. Pour le jeune ami qui est venu me consulter, il est apparu qu'il aurait été malheureux, au long cours, d'avoir cette activité activité qui me passionne tant, mais nous sommes convenus qu'il serait très heureux d'avoir une activité technique, puisque cela est plus dans ses goûts. Je lui souhaite beaucoup de réussite... laquelle découlera logiquement de son engagement et de son activité soutenue, dans cette voie.
Mais avant d'en arriver à cette dernière, j'ajoute que nous avons évoqué à la fois les activités proprement dites, et les circonstances de leur exercice, selon le bon principe qu'une activité professionnelle s'analyse en termes d'intérêt intrinsèque (l'intérêt du travail, pour une personne particulière), extrinsèque (combien l'on gagne, par exemple) et concommitant (la reconnaissance sociale par exemple).
Ainsi, dans les grosses sociétés, la loi et les possibilités financières procurent des comités d'entreprises bien dotés, des formations, des tas d'avantages que l'on n'a pas quand on travaille dans de petites sociétés, ou en libéral, ou quand on est fonctionnaire… Inversement, il y a une organisation bien plus lourde, une stratégie qui dépasse tous ceux qui sont en bas de l'échelle, par exemple.
Dans les petites sociétés, d'autres avantages, et d'autres inconvénients. Par exemple, dans une activité précédente, dans une petite société, je n'ai pu avoir que deux semaines de vacances par an pendant de très nombreuses années. Certes, les vacances que je ne prenais pas étaient payées, mais, la société étant petite, nous n'avions pas la possibilité de faire différemment, et nous n'étions pas en phase avec un environnement où les amis, familles, relations étaient plus disponibles. Il n'y avait pas de comité d'entreprise, nous n'avions pas besoin de représentation syndicale, par exemple, mais nous avions bien des avantages. Par exemple, une hiérarchie réduite, une plus grande responsabilité, et une action plus directe sur la marche de l'entreprise.
En libéral, que je connais pour d'autres raisons, on est son propre maître, et il y a une liberté absolue… dans les limites d'une activité suffisante… Evidemment, on doit alors tout faire, au lieu de confier à d'autres le soin de faire fonctionner la structure.
Le fonctionnariat, lui, a d'autres avantages et d'autres inconvénients, et, pour ce qui me concerne, ayant connu les deux types d'activités, industrielles et publiques, je peux dire que je ne supporte mon statut de fonctionnaire que parce qu'il me donne la possibilité d'une action véritablement politique, au sens quotidien du terme, et non pas de la politique politisante.
Mais revenons à notre jeune homme. Nous avons donc conclu pour lui une direction qui était différente de la mienne, et qui, pour lui, sera bien préférable. Alors pourquoi, pour ce qui me concerne, fais-je tant de sacrifices pour mon activité actuelle, scientifique ?
En réalité, je suis exactement à ma place, parce que je ne suis pas remis des deux caractéristiques qui fondent la science, et, plus particulièrement, la physique chimique.
Ainsi, j'ai raconté dans un livre (La Sagesse du Chimiste, Editions L'oeil neuf) comment l'expérience de l'eau de chaux qui se trouble m'avait émerveillé à l'âge de six ans, et, en en parlant, je retrouve cet éblouissement intérieur, qui, au fond, ne m'a jamais quitté. Je revois le moment exactoù j'ai fait cette expérience, les circonstances, le lieu où je me trouvais, l'heure du jour où j'ai vu la première fois la matière se transformer, comme on pourrait dire un peu hâtivement.
Mais peu après il y a eu cette compréhension complémentaire que l'on peut exprimer par cette phrase de Galilée : « Le monde est écrit en langage mathématique ». Oui, il y a là, peut être encore plus que pour le premier cas, quelque chose d'extraordinaire. J'ai d'ailleurs bien choisi mes mots : dans le premier cas, il y avait un émerveillement, mais dans le second, il y avait quelque chose de quasi surnaturel, de littéralement miraculeux. De ces miracles quotidiens qui sont comme des paillettes d'or emportées par le flot, et que nous ne voyons que si nous décidons d'aller y voir.
L'expérimentation, d'une part, et la théorie, de l'autre. Nous sommes solidement campés sur ces deux pieds. L'un ne se conçoit pas sans l'autre, et, contrairement à une idée fausse, les sciences de la nature ne sont donc pas des nébulosités et les scientifiques des farfelus échevelés ; au contraire, leur activité est profondément enracinée dans le travail expérimental, dans les « faits ».
A ce mot, je tressaillis évidemment, car j'entends bruire une certaine épistémologie un peu faible, qui ne manquera pas de nous dire, suivant quelques arguments d'autorité qui méritent d'être renversés, que les faits n'existent pas… mais Alexandre a tranché le nœud gordien, et nous devons faire ainsi pour ce qui concerne l'épistémologie. Que l'on ne me prenne pas pour un perdreau de l'année : je connais les discussions qui ont eu lieu à propos de la mécanique quantique, je connais les discussions épistémologiques autour des faits… mais j'invite mes amis à se souvenir que nous avançons quand nous bougeons les jambes, que nous sommes essoufflés quand nous courons, que nous avons chaud quand le soleil brille, froid quand la neige tombe… Quand je plonge un thermomètre dans de l'eau qui me brûle la main, je vois le niveau du mercure s'élever dans le canal central de l'appareil ; quand je branche un fil conducteur aux bornes d'une pile, ce dernier chauffe et je me brûle. On le voit, je ne parle pas de vérité, mais de faits expérimentaux.
Allons, dépassons ces discussions dont l'intérêt est plus que limité, en vue de mieux identifier ces enthousiasmes qui nous font lever le matin. Oui, je crois que les sciences de la nature sont merveilleuses, et notamment parce qu'elles sont l'honneur de l'esprit humain.
Et oui, j'ai ce bonheur inouï d'avoir une passion pour l'expériemntation et le calcul, c'est-à-dire eexactement ce qui constitue la science. J'ai donc cette chance sublime d'être parfaitement à ma place, et cette possibilité extraordinaire de n'avoir qu'une envie quand je me lève le matin : aller au laboratoire. Et non pas aller au laboratoire pour voir les collègues, les étudiants, mais bien plutôt pour me régaler des difficultés des expériences bien faites et des subtilités des théories, de leur merveilleuse adéquation aux expérimentations : quel bonheur !
PS. Pour le jeune ami qui est venu me consulter, il est apparu qu'il aurait été malheureux, au long cours, d'avoir cette activité activité qui me passionne tant, mais nous sommes convenus qu'il serait très heureux d'avoir une activité technique, puisque cela est plus dans ses goûts. Je lui souhaite beaucoup de réussite... laquelle découlera logiquement de son engagement et de son activité soutenue, dans cette voie.
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