jeudi 6 juillet 2017

Plus de papier dans les environnements professionnels modernes, plus de papier dans les universités !

Nous sommes bien d'accord : l'université ne doit pas pérenniser des pratiques périmées, mais donner à de jeunes citoyens des compétences qui leur assureront une vie sereine.
Derrière cette déclaration lénifiante, on peut voir une réalité économique plus cruelle, à savoir que les employeurs (pour ceux des étudiants qui seront employés, parce qu'ils n'auront pas eu le courage, la possibilité,  l'idée, etc. d'être leur propre maître) préfèrent des personnels compétents à des personnels incompétents. En corollaire inévitable, il y a le fait que les étudiants sortant des études supérieures doivent avoir des compétences modernes, si modernes même que les sociétés susceptibles de les employer doivent voir un intérêt à les embaucher, au lieu d'avoir le sentiment qu'elles devront former des jeunes employés insuffisamment formés.
Je récapitule : les étudiants diplômés des études supérieures doivent être en avance sur le monde de l'entreprise, et pas en retard.

Or le monde de l'entreprise est déjà numérique. Les sociétés les plus avancées, au moins, ont des méthodes d'organisation qui ne sont plus celles du siècle passé, et le numérique s'est imposé : pour l'administtration, pour la production, pour les ventes... Plus de papier, mais du numérique. Une saisie par un membre de la société, sur un clavier d'un terminal numérique, est immédiatement répercutée dans l'ensemble de l'entreprise, sans relais, et l'information est immédiatement traitée, parce que l'on a bien compris que cette rapidité était un gage d'efficacité, de rapidité, de compétitivité.
La conséquence ? Nos étudiants doivent apprendre à ne plus avoir de papier. Plus de cahier, plus d'agenda tels qu'ils en avaient au lycée, plus de carnetsa... D'ailleurs, ils ont des téléphones portables ; ils doivent donc avoir des ordinateurs portables pour leurs travaux, des tablettes, peu importe, mais plus de papier.
 Et c'est donc un scandale que quelques institutions d'enseignement continuent de demander des rapports de stage imprimés ! Un pdf fait l'affaire. Non seulement, la transmission sera plus fluide, mais, de surcroît, on aura bien montré à nos étudiants que le monde est numérique... et que l'université n'est pas en retard. Je ne parle pas de l'intérêt économique  et environnemental de la suppression du papier.

 Pour autant, la partie n'est pas gagnée : je sors du bureau où quatre étudiants avancés travaillaient, et j'ai vu trois cahier et des post-it !

 Sans relâche, banissons le papier !

Quelle différence entre un composé et une molécule ?


Je serais naïf de croire que, parce que j'ai fait un jour un bon podcast sur le site AgroParisTech, j'ai résolu la question. Et je m'aperçois, jour près jour, que la difficulté demeure... qui est celle qui empêtrait mes condisciples quand, au temps des maths modernes, nous étudiions les classes d'équivalence. La question est celle des "types", des "catégories", des "classes", des ensembles. Et j'analyse que s'il y a une difficulté, c'est que l'objet est concret, alors que la catégorie est abstraite. La difficulté, pour certains de mes amis, c'est donc l'abstraction.
Mais ne baissons pas les bras, ne manquons pas une occasion de montrer à nos amis qu'ils ont -évidemment- toute la tête qu'il faut pour maîtriser ces notions  : souvent, l'exemple est éclairant.
Et commençons donc par le concret. Prenons deux objets identiques (pensons à deux boules rouges) que nous nommons atomes d'hydrogène et un objet d'une autre sorte (pensons  à une boule blanche) que nous nommons atome d'oxygène. En les "collant", nous formons un objet en forme générale de V, que nous nommons "molécule d'eau".
Puis, avec d'autres "atomes", nous formons d'autres "molécules d'eau" : elles sont identiques à la première. Et la réunion (dans un récipient) de beaucoup de molécules d'eau fait une matière que l'on nomme de l'eau.
Dit à l'envers, si nous partons d'un verre de ce liquide que nous connaissons tous sous le nom d'eau et que nous regardons à l'aide d'un très puissant microscope, nous voyons des objets tous identiques, que nous nommons "molécules d'eau". Chacun des objets est une molécule d'eau.
L'eau ? C'est une matière, mais, en l'occurrence, c'est aussi un "composé", c'est-à-dire une catégorie de molécules. Une sorte de molécules. Et peu importe qu'il y en ait beaucoup ou peu dans un récipient, le composé présent est toujours l'eau. Peu importe que l'eau soit à l'état liquide, solide, gazeux : la catégorie est celle des molécules d'eau. Et "catégorie de molécules" est synonyme de "composé".

Tiens, faisons un peu plus difficile, à "titre d'exercice". Dans le vin, il y a de l'eau : des dizaines de millions de milliards de milliards de molécules d'eau. Il y a aussi un autre composé, nommé l'éthanol, qui est l'alcool du vin et des eaux de vie : environ 10 à 15 pour cent, soit des millions de milliards de milliards de molécules d'éthanol, des molécules différentes de celles des molécules d'eau, parce que construites avec des atomes de carbone (deux par molécule), des atomes d'hydrogène (cinq par molécules) et un atome d'oxygène.
Mais, dans le vin, il y  a beaucoup d'autres composés : cela signifie "beaucoup d'autres sortes de molécules". Par exemple, pour les molécules odorantes, il y en a des milliards de milliards, mais de "seulement" quelques centaines de catégories. Il y a donc quelques centaines de composés odorants, mais un très très grand nombre de molécules odorantes. Idem pour les composés sapides, colorés, etc.

On le voit, une molécule n'est pas plus un composé qu'un individu n'est une population !

mercredi 5 juillet 2017

La question de l’autonomie des étudiants : pourquoi la sigmoïde s’impose



Combien d'heures de cours les étudiants doivent-ils recevoir ?
Je propose de montrer un raisonnement sain... qui semble à reprendre de fond en comble.
Le raisonnement sain est le suivant :
 - on commence l'école vers 6 ans, et l'on sort de l'université en fin de Master 2
 - quand on arrive, on n'est pas autonome pour ce qui est de l'étude, et quand on sort, on doit l'être, puisque, ensuite, on n'est pas payé pour apprendre (bien qu'il soit conseillé de le faire), mais pour produire
 - autrement dit, le pourcentage d'autonomie est compris entre 0 et 100
Sur cette base,  à quel rythme devons-nous devenir autonome ?
Ce serait une erreur de lancer trop vite les enfants dans l'autonomie : il faut donc que le rythme soit lent, au début. D'autre part, ce serait une erreur de conserver des étudiants de Master très peu autonomes, car ils seraient exposés à le devenir brusquement en trop peu de temps.
Conclusion inévitable : la courbe de l'autonomie en fonction de l'âge est nécessairement une sigmoïde.

 Sur la base de cette conclusion, tirons des conséquences. La première, l plus importante, à mon sens, c'est que, en début de master, les étudiants doivent apprendre avec environ 90 pour cent d'autonomie, ce qui, en pratique, signifie que pour une heure de "cours", il doit y avoir 9 heures de travail personnel. Un emploi du temps, sur une semaine de 40 heures (par exemple, mais on sait que je propose bien plus), ne doit comporter que 4 heures de cours ! Le reste, c'est du travail personnel, qui doit être guidé, évalué... non pas en termes de temps passé, de présence, mais de résultats : pour que le diplôme de Master, je propose de cesser de jouer à l'obligation de moyens, et que nous allions clairement à l'obligation de résultats... même si cette proposition n'est pas dans l'air du temps, même si elle peut sembler politiquement incorrecte (et cela me semble grave qu'elle puisse sembler ainsi).
En réalité, ma proposition n'est pas si iconoclaste... car, dans le système des "crédits", qui est je le rappelle un système mondialement retenu, l'idée que je propose est explicitement donnée.

Pourquoi ai-je écrit, en préambule, que ce raisonnement doit être repris de fond en comble ? Parce qu'il a été fait dans l'hypothèse d'un "enseignement", alors que j'ai dit cela impossible : il ne peut y avoir que d'études, par les étudiants, et pas d'enseignement par des enseignants.
On pourrait toutefois sauver les apparences, en disant que, puisque les étudiants deviennent autonomes, dans le système proposé, les enseignants s'effacent. Et l'on pourrait aussi dire que les "cours" ne sont pas nécessairement des enseignements.  Oui, mais ce n'est pas assez ; s'il n'y a pas d'opposition entre les deux idées, il y a un flou considérable qui subsiste. Ce qu'il faut, c'est bien analyser les études.
De quoi part-on ? D'enfants qui commencent à étudier. L'emphase, ce n'est pas l'apprentissage, mais l'étude, et ce qui est en jeu, c'est de donner à des individus une envie d'étudier, en vue d'obtenir des connaissances, mais surtout des compétences.
Les premières compétences sont évidemment la maîtrise de la lecture, de l'écriture, du calcul élémentaire... et de la vie en société démocratique. Dans le détail, comment faire ? Je ne peux certainement pas avoir la prétention de me substituer à des professionnels de talents, qui peuvent réfléchir à la chose, en connaissance -professionnelle, j'insiste- des enfants. Pour l'université, il me semble que mes billet précédents répondent à la question, avec peut-être, toutefois, trop peu d'emphase mise sur la discussion des MOOC.

A suivre, donc.

mardi 4 juillet 2017

La sauvegarde des données

Une anecdote pour commencer : il y a plusieurs années, j'avais un ordinateur... dont je faisais mollement les sauvegardes. Il est arrivé, un jour, qu'il est tombé en panne, et que les données ont été perdues... sur quinze jours ! Vous vous rendez compte : deux semaines de travail perdues ! J'étais atterré... mais je sais aussi que l'expérience est intransmissible.
Puis, j'ai eu des disques durs de sauvagegardes, et j'ai fait des sauvegardes quotidiennes. Or il est arrivé -je le jure- que j'ai eu plusieurs fois des disques durs en panne, puis, pire, que j'ai eu un jour une panne à la fois d'un ordinateur et d'un disque dur. Pour cet événement, cela n'a pas été très grave... car, par hasard, j'avais une sauvegarde sur un second disque dur externe... et je n'ai perdu qu'une journée de travail. Mais quand même, pour quelqu'un qui travaille sans relâche, une journée de travail perdu, c'est rageant.
Pis encore : il est arrivé que j'ai eu un jour un ordinateur qui me lâchait, en même temps que deux disques durs externes ! Ce joura-là, je suis tombé des nues... mais j'avais trois sauvegardes, et je n'ai perdu qu'une heure, parce que la panne s'est produite en début de journée (j'avais sauvegardé la veille, au soir).

Depuis ce temps, j'ai personnellement plus de trois sauvegardes, en plus de mon disque dur, et je synchronise mes données à des moments différents pour les différents disques durs, pour des raisons qui sont exposées abondamment sur internet.

 Mais passons à d'autres que moi.
1. Peut-on se contenter d'avoir des sauvegardes sur un dropbox ou sur le cloud ? Professionnellement, cela n'est admissible que si le serveur reconnaît la propriété des données à celui qui stocke, et non à celui qui héberge. Et, bien sûr, si l'on a plusieurs stockages différents, car on peut imaginer une panne du serveur, et la perte des données ainsi stockées.
2. Evidemment, on doit  avoir des mise à jour soit en permanence, soit à des intervalles si courts que la perte serait sans trop de gravité (mais quand même, une heure perdue d'idées intéressantes, c'est déjà beaucoup.
3. On notera que l'on peut faire une différence entre sauvegarder et synchroniser, le second étant plus rapide, surtout quand on a un volume de données important, comme n'importe quel professionnel.

Bref, combien de sauvegardes avez vous ?

Conseil à mes amis : organiser un disque dur

Je m'étonne de voir des ordinateurs avec des bureaux encombrés de fichiers, et des disques durs où le désordre règne. Interrogés, mes "amis" me répondent qu'ils s'y retrouvent, mais s'y retrouveront-ils encore quand ils auront 300 000 fichiers, comme on en a rapidement, quand on est un professionnel en activité ?
Je n'ai pas à me mêler des affaires des autres, mais je crois qu'il n'est pas honteux de conseiller à tous une division des documents en trois parties : administration, communication, travail.
Le travail, c'est le travail, ce pour quoi on est payé. L'administration, c'est l'ensemble des travaux qui visent à permettre le travail, ce qui va de l'administration personnelle à l'administration professionnelle. La communication, c'est la présentation du travail à d'autres.
On entrevoit, à cette description, des subdivisions. Si les données du travail peuvent être séparées, selon les types d'activités, la communication peut être divisée en communication orale (conférence, discours, correspondances...) et la communication écrite (rapports, articles...), avec un troisième partie pour des données générales de communication. Enfin, l'administration peut se diviser en administration personnelle, administration du travail, administration de la communication.

Et l'on voit ainsi s'esquisser un arbre, où chaque noeud conduit à un nombre d'autres noeuds assez petit, mais suffisamment grand pour que, comme dans la pâte feuilletée, un nombre réduit de clics permette de retrouver rationnellement n'importe quel fichier, parmi un grand nombre. Par exemple, avec des subdivisions en trois (mais on répète que ce nombre n'a pas de sens en toute généralité ; je ne le prends que pour l'exemple), il suffit de huit clics pour atteindre n'importe lequel de plus de 6500 fichiers. Sans avoir autre chose à faire qu'à se poser des questions simples, la première étant donc : s'agit-il d'administration, de communication, ou de travail ?

Conseil à mes jeunes amis : deux fichiers


J'ai hésité à parler de "bonnes pratiques", pour ce billet, mais le fait est que les bons étudiants sont ceux qui savent s'organiser, et qui, en conséquence 
 - n'oublient pas ce qu'ils ont à faire
- prennent des notes, en vue d'explorations ultérieures, de valorisations, d'approfondissements...
Comment s'organiser, pour ne rien oublier ? Evidemment, prendre des notes : cela peut se faire en dictant ou en écrivant, et le support est évidemment ceux qui sera le plus efficace : un fichier nommé "à faire" dans un ordinateur que l'on a avec soi, des notes sur OneNote ou un logiciel libre équivalent sur une tablette, des mémos sur un téléphone... Dicter, ou écrire ? Dicter a l'inconvénient que l'on perturbe le dialogue, alors que l'on peut écrire pendant que l'on écoute. Ecrire en dactylographiant ou en écrivant ? A ce jour, les stylets électroniques permettent de noter sur de petits écrans tactiles, ce qui prend moins de place qu'un clavier... quoi que je connaisse des claviers repliables, gros comme une carte de crédit quand ils sont repliés.
Mais ce n'est pas à moi de décider : seul le résultat compte. La seule chose que je sache de façon sûre : c'est qu'aucun étudiant n'a réussi à se souvenir de tout ce que je l'invitais à faire quand il ne notait pas. Mieux encore, ce sont les moins "avancés" (on voit que je manie la litote) qui résistaient le plus à l'idée de bien noter.

Le cahier, d'autre part, se distingue un peu du fichier où l'on note, parce que la fonction n'est pas la même. Pour le "à faire", il s'agit de s'inviter personnellement à faire des actes dans un délai assez court. Pour le cahier, il s'agit de poser les notes, mais aussi le résultat des travaux effectués ensuite, notamment des "soliloques" (voir ce concept) que l'on aura fait, si possible de façon structurée.
Là, il y a évidemment le choix entre un cahier informatique (un ordinateur, une tablette) ou un cahier en papier... mais on verra dans un autre billet que, au 21e siècle, le papier doit disparaître, parce qu'il engendre des pollutions excessives, sans compte que c'est une mauvaise réponse, une réponse périmée, à un besoin, qui est celui de prendre des notes. De surcroît, le papier ne permet pas de se corriger facilement, et, à ce propos, à l'attention des historiens nostalgiques qui voudraient que nous conservions toutes nos hésitations (si nous nous appelons Gauss ou Flaubert), je rappelle que les brouillons ont été jetés, d'une part, et, d'autre part, je tiens à faire part de mon émerveillement quand j'ai eu ma première machine à écrire qui permettait de corriger les quatre ou cinq dernières lettres tapées, au lieu d'avoir des feuilles si raturées qu'elles en devenaient illisibles, sans compte le "blanc" dont on chargeait les feuilles, et dont on se souillait ! Décidément, je ne suis pas de ces nostalgiques qui regrettent la peau de bête que l'on devait racler avant d'écrire !

lundi 3 juillet 2017

Qu'est-ce qu'un bon enseignant ? La question est mal posée

Un bon enseignant ?
On se souvient que je me donne surtout comme mission de poser des questions et que j'attends de mes amis qu'ils m'aident à établir un corpus de connaissances un peu solides, au lieu de me laisser avec des pensées idiosyncratiques et sans doute de piètre qualité. C'est ainsi que, aujourd'hui, je m'interroge sur ce qu'est un bon enseignant… en faisant la faute de caractériser ce qui n'existe pas, tout comme se demander si un carré rond était rouge ou bleu.

La question est arrivée hier, alors que notre groupe de recherche accueillait un étudiant venu faire un stage. Ce dernier évoquait un « enseignant-chercheur » (son terme) de son université et semblait porter celui-ci aux nues, en le disait très bon « enseignant ». Mais qu'est-ce qu'un bon enseignant ? On doit se souvenir d'un remarquable rapport, préparé il y a plusieurs années par la Fondation Kastler sur l'évaluation des enseignants d'université, et qui avait bien établi que les enseignants ne sont pas évalués de la même façon juste après les examens qui sanctionnent des études ou quelques années plus tard, quand les étudiants ont eu le temps de se rendre compte de l'importance réelle, pratique, de ce qui leur avait été transmis. Tel enseignant un peu raide sur le moment, pas démagogue, est jugé plus tard comme remarquable, parce que les conseils qu'il a donnés, parfois, avec moins de grâce et de sourires qu'un enseignant plus démagogue, auront été parfaitement utiles dans la poursuite des études ou dans l'exercice professionnel. Alors ?
Qui dit « bon enseignant » dit aussi évaluation par les universités, et, là, c'est essentiellement le travail de recherche qui est évalué. L’étudiant que nous recevions hier s'en offusquait, mais il ignorait qu'un enseignant chercheur n'a pas pour mission d'aller le border dans son lit, mais plutôt de le porter le plus haut possible.
J'explique les deux métaphores. Le border dans on lit, cela signifie excuser ses insuffisances, l'aider personnellement, pallier gentiment ses insuffisances, en prenant du temps… Porter au sommet : cela renvoie à l'idée que je propose depuis déjà longtemps, et qui est de considérer le savoir comme une montagne accumulée au cours des siècles : à la base les savoirs scientifiques du début de la science : chez les Grecs, à la Renaissance, puis aux 18e, 19e, 20e siècles, avec, tout au sommet, les connaissances du 21e siècle. Pour que les étudiants puissent être de bons ingénieurs ou de bon scientifiques, il faut qu'ils ne restent pas à des connaissances périmées. La science du 19e siècle, par exemple, a été déjà largement exploitée par l'industrie, et quelqu’un qui se limiterait à ces connaissances pour faire de l'innovation manquerait certainement son objectif. D'autre part, un scientifique qui se serait arrêté aux connaissances du 19 e siècle serait en retard de deux siècles sur ses collègues qui auraient des connaissance du 21e siècle. Or, pour donner des connaissances modernes, il faut les connaître et les comprendre ; il faut savoir s'y repérer parmi l'immensité des données modernes. Cela, c'est le premier travail de l'enseignant chercheur, un travail qui impose des compétences scientifiques essentielles… Ce qui justifie que l'université évalue les enseignants chercheurs sur les compétences scientifiques, et non pas sur des compétences pédagogiques plus molles.
Alors, qu'est-ce qu'un bon enseignant ? C'est donc quelqu'un qui connaît parfaitement la science ou la technologie, selon le cursus concerné. Évidemment, entre deux individus ayant des compétences scientifiques ou technologiques égales, semble être meilleur « enseignant » celui qui permet le mieux aux étudiants d'apprendre. Et j'en arrive à une idée fausse qui m'est venue alors que je me posait la question du bon enseignant. J'étais prêt à penser que, si l'on met donc les compétences scientifiques ou technologiques à part, un bon enseignant est quelqu'un qui donne envie d'apprendre. J'avais même testé l'idée auprès de quelques amis enseignants chercheurs, qui n'avaient pas critiqué l'idée… mais je me suis finalement aperçu que j'étais en désaccord total avec ma proposition initiale. En effet, notre monde est gorgé de gens qui disent et ne font rien pour atteindre l'objectif qu'ils prétendent s'être fixés. Il s'agit de prétention ou de paresse, parfois, de sorte que je ne crois pas que le bon « enseignant » soit celui qui s’arrête à l'envie. Bien sûr, pour apprendre, l'étudiant a besoin de motivation, d'envie, mais toute cette envie ne remplacera pas le travail effectif que l'étudiant aura fait ! Le bon « enseignant » n’est donc pas celui qui donne envie d'apprendre, mais celui qui conduit l'étudiant à apprendre.

Arrivons enfin à ces guillemets que je traîne à propos du mot « enseignant », ce qui correspond à ce carré rond qu'il est fautif de vouloir caractériser. Nombre de billets précédents ont expliqué pourquoi je me refuse à parler d'enseignant, d'enseignement… N'en déplaise à des collègues qui aiment enseigner (et je n'ai pas dit que cela m'était désagréable personnellement), je maintiens que la question est pour les étudiants d'apprendre, et pas pour des « enseignants » d'enseigner : aucun enseignant ne pourra se substituer à l'étudiant qui doit apprendre, aucun « enseignant » ne pourra enseigner, et c'est ainsi qu'il faut interpréter à la fois la réponse d’Ambroise Paré au roi Philippe V et celle d’Archimède au roi Hiéron de Syracuse : au roi de France qui demandait qu’on le soigne particulièrement bien, Ambroise Paré avait répondu qu'il ne pourrait pas faire mieux qu'à son habitude, puisqu'il s’efforçait de soigner les pauvres comme des rois ; d'autre part au roi Hiéron de Syracuse, qui demandait de lui apprendre les mathématiques, Archimède répondait qu'il n'y a pas de voie royale.
L'apprentissage est un acte intérieur, personnel, et il n'est pas certain que les idées collaboratives ou participatives, même si elles sont chatoyantes, puissent être efficaces. De plus, on ne confondra pas connaissances et compétences, car l'étudiant qui sait n'est pas celui qui a appris à répéter comme un perroquet, mais celui qui a appris à mettre en œuvre les notions nouvelles qu'il a découvertes lors de ses apprentissages.
Mais je reviens à la question : qu'est-ce qu'un bon « enseignant », et j'en arrive à conclure que cela n' existe pas, mais qu'il existe des « professeurs » qui, parfaitement compétents du point de vue scientifique ou technologique, parviennent à mettre les étudiants dans une position active d'apprentissage. Faut-il faire acte de tutorat, répondre à des questions sur des points mal compris, par exemple ? Cela n'est pas certain. Peut-être que l'on aurait intérêt, au contraire, à souligner les incompréhensions dans le savoir que les étudiants auront trouvé eux-mêmes. S'il faut peut-être encourager (bien que la vertu soit sa propre récompense), le professeur doit diriger vers des manques dans le tableau intellectuel que les étudiants se sont construits…
En tout cas, la réponse de notre étudiant était donc extrêmement naïve... et ma réponse initiale fautive.

Je maintiens qu'il y a lieu d'organiser rapidement des discussions visant à mieux répondre à la question essentielle de l'université : qu'est ce qu'un bon professeur ?