Un bon
enseignant ?
On se
souvient que je me donne surtout comme mission de poser des questions
et que j'attends de mes amis qu'ils m'aident à établir un corpus de
connaissances un peu solides, au lieu de me laisser avec des pensées
idiosyncratiques et sans doute de piètre qualité. C'est ainsi que,
aujourd'hui, je m'interroge sur ce qu'est un bon enseignant… en
faisant la faute de caractériser ce qui n'existe pas, tout comme se
demander si un carré rond était rouge ou bleu.
La
question est arrivée hier, alors que notre groupe de recherche
accueillait un étudiant venu faire un stage. Ce dernier évoquait un
« enseignant-chercheur » (son terme) de son université
et semblait porter celui-ci aux nues, en le disait très bon
« enseignant ». Mais qu'est-ce qu'un bon enseignant ?
On doit se souvenir d'un remarquable rapport, préparé il y a
plusieurs années par la Fondation Kastler sur l'évaluation des
enseignants d'université, et qui avait bien établi que les
enseignants ne sont pas évalués de la même façon juste après les
examens qui sanctionnent des études ou quelques années plus tard,
quand les étudiants ont eu le temps de se rendre compte de
l'importance réelle, pratique, de ce qui leur avait été transmis.
Tel enseignant un peu raide sur le moment, pas démagogue, est jugé
plus tard comme remarquable, parce que les conseils qu'il a donnés,
parfois, avec moins de grâce et de sourires qu'un enseignant plus
démagogue, auront été parfaitement utiles dans la poursuite des
études ou dans l'exercice professionnel. Alors ?
Qui dit
« bon enseignant » dit aussi évaluation par les
universités, et, là, c'est essentiellement le travail de recherche
qui est évalué. L’étudiant que nous recevions hier s'en
offusquait, mais il ignorait qu'un enseignant chercheur n'a pas pour
mission d'aller le border dans son lit, mais plutôt de le porter le
plus haut possible.
J'explique
les deux métaphores. Le border dans on lit, cela signifie excuser
ses insuffisances, l'aider personnellement, pallier gentiment ses
insuffisances, en prenant du temps… Porter au sommet : cela
renvoie à l'idée que je propose depuis déjà longtemps, et qui est
de considérer le savoir comme une montagne accumulée au cours des
siècles : à la base les savoirs scientifiques du début de la
science : chez les Grecs, à la Renaissance, puis aux 18e, 19e, 20e
siècles, avec, tout au sommet, les connaissances du 21e
siècle. Pour que les étudiants puissent être de bons ingénieurs
ou de bon scientifiques, il faut qu'ils ne restent pas à des
connaissances périmées. La science du 19e siècle, par
exemple, a été déjà largement exploitée par l'industrie, et
quelqu’un qui se limiterait à ces connaissances pour faire de
l'innovation manquerait certainement son objectif. D'autre part, un
scientifique qui se serait arrêté aux connaissances du 19 e siècle
serait en retard de deux siècles sur ses collègues qui auraient des
connaissance du 21e siècle. Or, pour donner des
connaissances modernes, il faut les connaître et les comprendre ;
il faut savoir s'y repérer parmi l'immensité des données modernes.
Cela, c'est le premier travail de l'enseignant chercheur, un travail
qui impose des compétences scientifiques essentielles… Ce qui
justifie que l'université évalue les enseignants chercheurs sur les
compétences scientifiques, et non pas sur des compétences
pédagogiques plus molles.
Alors,
qu'est-ce qu'un bon enseignant ? C'est donc quelqu'un qui
connaît parfaitement la science ou la technologie, selon le cursus
concerné. Évidemment, entre deux individus ayant des compétences
scientifiques ou technologiques égales, semble être meilleur
« enseignant » celui qui permet le mieux aux étudiants
d'apprendre. Et j'en arrive à une idée fausse qui m'est venue alors
que je me posait la question du bon enseignant. J'étais prêt à
penser que, si l'on met donc les compétences scientifiques ou
technologiques à part, un bon enseignant est quelqu'un qui donne
envie d'apprendre. J'avais même testé l'idée auprès de quelques
amis enseignants chercheurs, qui n'avaient pas critiqué l'idée…
mais je me suis finalement aperçu que j'étais en désaccord total
avec ma proposition initiale. En effet, notre monde est gorgé de
gens qui disent et ne font rien pour atteindre l'objectif qu'ils
prétendent s'être fixés. Il s'agit de prétention ou de paresse,
parfois, de sorte que je ne crois pas que le bon « enseignant »
soit celui qui s’arrête à l'envie. Bien sûr, pour apprendre,
l'étudiant a besoin de motivation, d'envie, mais toute cette envie
ne remplacera pas le travail effectif que l'étudiant aura fait !
Le bon « enseignant » n’est donc pas celui qui donne
envie d'apprendre, mais celui qui conduit l'étudiant à apprendre.
Arrivons
enfin à ces guillemets que je traîne à propos du mot
« enseignant », ce qui correspond à ce carré rond qu'il
est fautif de vouloir caractériser. Nombre de billets précédents
ont expliqué pourquoi je me refuse à parler d'enseignant,
d'enseignement… N'en déplaise à des collègues qui aiment
enseigner (et je n'ai pas dit que cela m'était désagréable
personnellement), je maintiens que la question est pour les étudiants
d'apprendre, et pas pour des « enseignants »
d'enseigner : aucun enseignant ne pourra se substituer à
l'étudiant qui doit apprendre, aucun « enseignant » ne
pourra enseigner, et c'est ainsi qu'il faut interpréter à la fois
la réponse d’Ambroise Paré au roi Philippe V et celle d’Archimède
au roi Hiéron de Syracuse : au roi de France qui demandait
qu’on le soigne particulièrement bien, Ambroise Paré avait
répondu qu'il ne pourrait pas faire mieux qu'à son habitude,
puisqu'il s’efforçait de soigner les pauvres comme des rois ;
d'autre part au roi Hiéron de Syracuse, qui demandait de lui
apprendre les mathématiques, Archimède répondait qu'il n'y a pas
de voie royale.
L'apprentissage
est un acte intérieur, personnel, et il n'est pas certain que les
idées collaboratives ou participatives, même si elles sont
chatoyantes, puissent être efficaces. De plus, on ne confondra pas
connaissances et compétences, car l'étudiant qui sait n'est pas
celui qui a appris à répéter comme un perroquet, mais celui qui a
appris à mettre en œuvre les notions nouvelles qu'il a découvertes
lors de ses apprentissages.
Mais je
reviens à la question : qu'est-ce qu'un bon « enseignant »,
et j'en arrive à conclure que cela n' existe pas, mais qu'il
existe des « professeurs » qui, parfaitement compétents
du point de vue scientifique ou technologique, parviennent à mettre
les étudiants dans une position active d'apprentissage. Faut-il
faire acte de tutorat, répondre à des questions sur des points mal
compris, par exemple ? Cela n'est pas certain. Peut-être que
l'on aurait intérêt, au contraire, à souligner les
incompréhensions dans le savoir que les étudiants auront trouvé
eux-mêmes. S'il faut peut-être encourager (bien que la vertu soit
sa propre récompense), le professeur doit diriger vers des manques
dans le tableau intellectuel que les étudiants se sont construits…
En tout
cas, la réponse de notre étudiant était donc extrêmement naïve...
et ma réponse initiale fautive.
Je
maintiens qu'il y a lieu d'organiser rapidement des discussions
visant à mieux répondre à la question essentielle de
l'université : qu'est ce qu'un bon professeur ?
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