Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 21 mai 2019
A propos du séminaire de gastronomie moléculaire de mai 2019 : cuisson des artichauts et des asperges.
Lors de ce séminaire, nous sommes partis, comme d'habitude, de précisions culinaires, c'est-à-dire de données techniques qui s'ajoutent aux "définitions", dans les recettes. Par exemple, à propos des artichauts, la "définition" est la suivante : plonger des artichauts dans l'eau chaude. À cette définition s'ajoutent donc des précisions, par exemple la durée de cuisson, le fait que l'eau doit être salée, ou bien encore que l'on doive attacher un demi citron sur la partie où l'on a enlevé la queue...
Lors de notre séminaire, nous avons voulu tester expérimentalement la précision qui stipulait que la queue devrait toujours être arrachée, et non coupée, sans quoi le fond d'artichaut aurait été plus amer.
La question essentielle, pour ce type de tests, c'est la variabilité des ingrédients, de sorte que nous avons décidé de couper en deux des artichauts, selon leur axe, afin d'avoir des moitiés qui seraient donc plus semblables que des artichauts différents. Pour certaines moitiés, la demi queues a été arrachée, et pour les autres moitiés, la queue a été coupée au couteau. Puis les demi artichauts on été mis ensemble, dans la même casserole, donc à la même température et dans la même eau... Ils ont été cuits pendant le même temps, puis on refroidis et préparés de la qu'on ait prépare de la même façon encore et même façon, avant que l'on fasse goûter les fonds, par une méthodologie précise évidemment.
J'ai déjà décrit ailleurs cette méthodologie que nous utilisons constamment et qui a pour nom "test triangulaire" : il s'agit essentiellement de soumettre trois échantillons aux dégustateurs, deux échantillons étant identiques et le troisième étant différent. Les dégustateurs doivent seulement dire quels sont les deux échantillons identiques.
Le résultat a été sans appel : les trois dégustateurs, qui ont dégusté chacun plusieurs fois, ont été incapables de voir une différence d'amertume pour les artichaut à queue coupée ou à queue arrachée, de sorte que nous pouvons assez correctement réfuter la précision culinaire qui nous avait été donnée !
Lors de notre dernier séminaire, nous avons également considéré la cuisson des asperges vertes ou blanches. Nous disposions d'une précision culinaire qui stipulait que les asperges vertes allaient jaunir si on les laissait cuire plus longtemps, et nous avions également une précision culinaire disant que les asperges blanches serait plus fermes si, une fois cuites, nous les replongions dans l'eau chaude.
À noter qu'une des deux précisions datait du 4e siècle de notre ère tandis que l'autre provenait d'un cuisinier contemporain. Et les deux précisions ont été expérimentalement réfutées ! Il est amusant d'observer que sur des millénaires donc, la fiabilité des prescriptions culinaires a peu changé et l'on pourra donc s'en étonner. Comment est-il possible que l'on puisse ainsi transmettre des idées fausses sans vergogne, et jusque dans l'enseignement culinaire ? Il y a encore du travail devant nous pour améliorer tout cela !
samedi 18 mai 2019
De la fissuration des petits choux
Les choux ?
Il y a le petit chou, la chouquette, le chou, le chou de religieuse, le chou de Paris-Brest, la gougère... Il a la particularité de gonfler à la cuisson... mais, parfois, son gonflement est irrégulier, et il y a des fissurations, et la formation de boursouflures.
Comment interpréter tout cela ? Comment éviter les catastrophes ? La chose est simple : la pâte à choux contient de l'eau, soit apporté lors de la préparation de l'appareil par de l'eau pure, soit qu'elle soit apportée par du lait. Or les choux sont cuits dans un four qui est souvent à une température comprise entre 150 et 200 degrés, en tout cas supérieure à la température d'ébullition de l'eau, qui est de 100 degrés.
Pour analyser la cuisson, on distinguera deux parties, à savoir la base, qui est la partie de pâte au contact du support de cuisson, et la partie supérieure, au contact de l'air chaud. Quand le chou est chauffé par la base, la chaleur commence par faire évaporer l'eau de la base. Or il est utile de savoir qu'une toute petite quantité d'eau liquide engendre un gros volume de vapeur d'eau : par exemple, un gramme d'eau liquide fait un litre de vapeur.
Lors de la cuisson par la base, les bulles de vapeur n'ont d'autre solution que de monter dans l'intérieur du chou, d'où le gonflement. Mais vient un moment où l'eau s'est largement évaporée de la partie supérieure, ce qui fait une croûte. Or si croûte il y a, l'eau et la vapeur ne peuvent plus s'échapper, de sorte que la pression augmente dans le choux... et vient un moment où cette pression est supérieure à la résistance de la croûte... qui se fissure.
A ce stade, le choux boursoufle, parce que le gonflement se fait alors latéralement, de part et d'autre de la fissure, tandis que de la préparation de l'intérieur peut gonfler, venir faire un boursouflure centrale.
Comment, donc, éviter les boursouflures ? On comprend que l'on aura intérêt à éviter des gonflements qui interviendraient après que la croue se soit formée. Autrement dit, il ne faut pas un four trop chaud, qui croûterait rapidement. Préférons un four pas trop chaud.
Mais aussi, privilégions un contact de la base qui se fasse bien d'emblée, soit que les choux ont été posés sur une plaque bien conductrice, soit même que la plaque ait été rapidement chauffée, parce qu'elle a été placée sur la "sole" (la partie inférieure) du four, laquelle sole aura été chauffée.
Et c'est ainsi que nos choux seront réguliers !
vendredi 17 mai 2019
Some explanations about science, technology, molecular gastronomy, food pairing (bad theory), honesty in general
I was recently invited in a programme mixing science and... I don't understand exactly what, but it included "food pairing".
I
am publishing again and again that the theory of food pairing is not
scientific, and I also observe that this "theory" is promoted by people selling advices to chefs, often trying to convince that there is science behind.
You will see why I am strongly opposed to this way of doing on other posts of this blog, but it's enough to know that "good" means "beautiful to eat", and this is not a question of technique, but of art... and art escapes the rules : the Diabolus in musica is appreciated today ; no science about that.
You will see why I am strongly opposed to this way of doing on other posts of this blog, but it's enough to know that "good" means "beautiful to eat", and this is not a question of technique, but of art... and art escapes the rules : the Diabolus in musica is appreciated today ; no science about that.
So that I don't want to
participate to something where this wrong theory is promoted.
By
the way, in the proposed programme, I could see that there is question of "aromas", and
frequently, there is a confusion between aromas and odors.
But
more generally, I see too often people speaking of science, when indeed
they are doing technology or technique, and this is not fair.
Engineers
are engineers, technologists are technologists, technicians are
technicians, and scientists are scientists. All these people are
different, with different goals and different methods.
Another point: since the creation of molecular gastronomy, by me and Nicholas Kurti, there has been many people
- confusing molecular gastronomy and molecular cooking/ molecular cuisine (and this is bad for the public)
- confusing science and technology (and this is bad for students)
- confusing everything about "science and cooking" (and this is bad for everybody
- giving ( or trying to give) new names to the science called molecular and physical gastronomy (and this not very honest)
Here are some explanations :
1.
molecular and physical gastronomy is sometimes named " molecular
gastronomy" for short ; it is a scientific activity, done in
laboratories, by chemists or physicists, or biologists. This is science,
not technology, and not technique
2.
molecular cooking is the technique of cooking with modern tools that
were transferred from laboratories to kitchens (thermocirculators,
liquid nitrogen, siphons, pumps, centrifuge, rotary evaportaors...)
3. molecular cuisine is a culinary trend (chefs using molecular cooking for making new kind of dishes)
4.
science (sciences of nature) is an activity of "looking for the
mechanisms of phenomena using a specific method using experiments and
calculation"; it has nothing to do with technique and technology
5. technique means "to do something". For example, cooking includes a technical component
6. technology means using the results of science for improving technique
7.
and finally, there is art, and one of my book explains well that
cooking includes a social component, an art component, a technical
component.
By
the way, I hope that my friends know about "note by note cooking"?
This IS the future, the next new technique, and already some "note by
note cuisine" is appearing all over the world.
La (grave !) question des acras de morue
J'ai fait une petite exploration des recettes de d’acras de morue, car je cherchais à me retrouver dans l'ensemble des possibilités données les recettes : parfois il y a de l'oeuf, parfois il y a de la fécule de maïs, parfois il y a de la farine, parfois il y a de la pomme de terre... Évidemment les proportions sont extrêmement variables d'une recette à une autre, et la seule constante est peut-être la présence de morue, de cive, de persil, d'oignons, d'ail, de piment.
Prenons un peu de recul et observons qu'il s'agit surtout de poisson émietté, éventuellement additionné d'amidon et d'oeuf que l'on assaisonne, que l'on forme en boulettes que l'on frit. Autrement dit, il s'agit de préparations en tout point analogues à des boulettes frites de poisson, ce que l'on pourrait nommer des croquettes aussi, et l'on voit bien que l'on pourrait varier le poisson, que la morue n'est indispensable que dans des acras de morue. Les croquettes et les boulettes de poisson ont été largement explorées par les cuisiniers professionnels occidentaux (français surtout), et l'on peut chercher dans leurs productions des indications pour varier la recette d’acras des îles.
Mais on peut aussi raisonner, et observer que le poisson contient des protéines susceptibles de coaguler, comme dans les terrines évoqués dans un billet précédent (https://hervethis.blogspot.com/2019/05/les-terrines.html). Bien sûr, on peut ajouter de l'oeuf, le blanc apportant des protéines qui aideront à tenir les masses, tandis que le jaune apportera également des protéines, mais surtout du goût.
La farine, la fécule, l'amidon, quand ils seront chauffés en présence d'eau, absorberont cette dernière et feront une préparation pâteuse comme une sauce blanche, qui donnera un peu plus de souplesse qu'avec le seul poisson, surtout s'il a été salé comme c'est le cas pour la morue.
L'ail, l'oignon, le piment, la cive ou le persil contribueront au goût, et, si l'on n'a pas mixé les ingrédients, ils pourront également donner un peu de variété dans la consistance de la pâte. Certaines recettes indique de les broyer, mais je me demande si l'on n'aurait pas intérêt à ne broyer que la moitié, et a conserver l'autre, en brunoise, pour faire ces variations de consistance.
Enfin il y a ce que certaines recettes nomment de la "levure", ou de la levure chimique, ou du bicarbonate. Tout cela n'est pas la même chose. La levure, c'est pour obtenir une fermentation assez longue, comme dans le pain : ce n'est pas souhaitable ici. En revanche, la poudre levante, fautivement nommée "levure chimique", produit un dégagement de gaz rapide quand elle est chauffée en présence d'eau. Ce qui est le cas pour les acras.
Le bicarbonate ? Personnellement, je trouve qu'il donne un goût savonneux désagréable, mais, surtout je vois qu'il est contre-indiqué dans les recettes qui contiennent du jus de citron ou du jus de citron vert, parce que parce que la réunion du bicarbonate et de l'acide provoque aussitôt une effervescence qui sera perdue si l'on laisse la pâte reposer avant la friture. Il vaut bien mieux la poudre levante, donc.
Et c'est ainsi que je n'ai guère besoin de recette pour faire la préparation.
Mais je ne veux pas terminer ce billet sans évoquer la cuisine note à note, cette cuisine de synthèse qui fait usage de composés purs au lieu des ingrédients classiques que sont les poisson, légumes, viande ou fruits.
Pour une recette note à note, apparentée aux acras de morue, on partira d'eau, de protéines thermocoagulables, d'amidon, on ajoutera de la poudre levante et des composés qui donneront de la saveur, de la couleur, de l'odeur, du piquant et du frais... On formera de petites masses de cette pâte, et, en faisant une friture classique, on obtiendra des objets qui s'apparenteront en tous poins à des acras de morue, à cela après que le goût sera tout à fait original et sur-mesure.
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