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samedi 24 février 2024

Luttons contre le Ragnarok, en sciences de la nature comme ailleurs

 
 Le Ragnarok ? C’est ce moment terrible dont les géants nous menacent… mais il faut d’abord expliquer mieux toute cette affaire, avant d’expliquer le rapport avec le travail scientifique. Commençons avec les mythologies. 

Au fond, je ne suis pas certain d’aimer beaucoup les mythologies grecques, où les dieux vivent dans un palais doré sur l’Olympe, se chamaillant parce qu’ils sont oisifs. Je préfère de loin les mythologies alémaniques, dont il faut dire qu’elle sont nées en Alsace. 

Pour ces dernières, le récit mythologique est bien différent, à savoir que les dieux tels Wotan ou Freyja, etc. sont sans cesse menacées par les géants. C’est la raison pour laquelle ils vont chercher sur les champs de bataille des héros qu’ils ramènent au Valhalla, cette forteresse d’où les dieux et leurs soldats ne cessent de lutter contre les assauts des géants. Retour ligne automatique Ce que l’on doit redouter à tout instant, c’est que les géants ne submergent le monde des dieux et que ce soit la fin des temps : le Ragnarok. 

Pour cette mythologie, il n’y a donc pas d’état stationnaire merveilleux, béat, veule, idiot, mais plutôt un état de vigilance constante, de soins, d’attention, d’éveil... 

A cette description, on comprend évidemment ma préférence pour cette seconde mythologie. Et si l’on sait d’autre part que j’ai inscrit dans mon laboratoire que nous devons nous méfier du diable, qui est caché derrière tous les détails, d’expérimentation et de calcul, on comprend aussi pourquoi j’évoque le Ragnarok. Il faut lutter sans cesse contre le Ragnarok. Ce n’est pas grave, mais c’est une nécessité. Il n’y a pas à se défendre, mais à repousser sans cesse les assauts des géants, à repousser ces derniers plus loin. 

 

Luttons contre la pensée magique

Considérons maintenant la question de la pensée magique, cet état qui est dans tous les enfants, et que l’éducation doit contribuer à faire disparaître. La pensée magique commence avec l’enfant qui pleure et dont les cris font venir la mère. De là penser à ce que la pensée de la mère fait venir la mère, il n’y a qu’un pas, lequel est à la base de tous ces fantasmes de l’esprit sur la matière. Retour ligne automatique On aura beau penser que l’on peut tordre une cuiller par la pensée, on n’y parviendra pas. On aura beau penser à des préparations médicales qui guérissent tout, la panacée n’existera pas. Et ainsi de suite : je vous passe l’éventail complet de ces manifestations de la pensée magique ; il est infini, car fantasmatique. Retour ligne automatique L’enfant, donc, arrive dans nos communautés avec cette pensée magique qu’il faut déraciner, et c’est, je crois, un objet essentiel de l’éducation que de lutter contre elle. D’où l’importance de l’enseignement des sciences de la nature, qui montre les limites de la pensée, qui borde le réel. Le rapport avec le Ragnarok ? C’est que la lutte n’est jamais terminée. Ce n’est pas parce que nous aurons oeuvré pendant quelques années contre la pensée magique que nous l’aurons éradiquée pour toujours : chaque nouvelle tranche d’âge revient avec la pensée magique, et c’est donc année après année que nous devons lutter. 

Récemment, un ami d’un ministère déplorait que sa carrière n’avait pas eu le beaucoup d’effet sur la collectivité malgré des efforts importants, soutenus. Je l’ai rasséréné : en réalité, le monde aurait été bien plus mal qu’il n’est, s’il n’avait pas été aussi actif, et là encore, il y avait cette question du Ragnarok. Sans la diligence des fonctionnaires, la structure de nos collectivités irait à vau l’eau, et les efforts n’ont pas été vains : la preuve en est que le système fonctionne encore.

 

Et pour les sciences ?

Le mot « validation », que j’ai déjà évoqué, fait partie de la réponse. Pour produire des résultats de bonne qualité, il faut se préoccuper sans cesse de cette dernière ; il faut valider, il faut traquer les biais sans relâche, il ne faut jamais se satisfaire d’un résultat de mesures, il faut craindre l’erreur à chaque geste, à chaque calcul. L’erreur est tapie derrière chaque geste expérimental, chaque calcul. Même tourner un commutateur impose d’y penser puissamment, de crainte d’une erreur. Même l’emploi d’un simple thermomètre impose d’y avoir pensé, d’avoir imaginé que le thermomètre puisse être faux, ce qui nous aura conduit à des étalonnages… Et si le simple emploi d’un thermomètre impose ainsi un soin considérable, on imagine combien l’emploi de systèmes plus complexes doit s’accompagner de vérifications bien plus élaborées, bien plus poussées.

Pour le calcul, les jeunes étudiants qui font des mathématiques savent bien qu’une écriture brouillonne est source d’erreur : un g confondu avec un 9, et c’est la faute de calcul. C’est sans doute la raison pour laquelle le cahier de laboratoire du physicien Pierre Gilles de Gennes était si calligraphié : de la sorte, les possibilités d’erreur étaient réduites. 

Toutefois, avec cet exemple, on n’est qu’au tout début de la question, comme quand je considérais le thermomètre. Pour les calculs complexes, c’est comme pour les appareils d’analyse élaborés, à savoir que la complexité apporte avec elle bien plus de possibilités de se tromper, d’où les nécessaires validations, d’où le soin constant que nous devons apporter à nous assurer de nos travaux. On comprend alors qu’il n’est pas possible de publier vite des résultats scientifiques, car ceux-là ne s’obtiennent pas d’un claquement de doigt, et, au contraire, je crois que nous devons absolument considérer comme une faute la publication rapide de résultats. 

Je propose, en conséquence, que les institutions scientifiques abandonnent cette insistance qu’ils ont que les chercheurs publient beaucoup. Bien sûr, il ne faut pas laisser des idées dans des tiroirs, mais je ne crois pas bon de publier des idées insuffisamment validées, et, sans être complètement paradoxal, je propose que les institutions scientifique en viennent même à pénaliser les publications trop nombreuses de certains, car il n’est pas possible qu’elles soient de bonne qualité… sauf exception bien évidemment, car il y a des individus plus actifs que d’autres. 

 

On aura maintenant compris j’espère mon idée du Ragnarok. Pour toute activité humaine, et pour toute activité scientifique en particulier, nous ne devons pas craindre le Ragnanok, mais lutter pour qu’il ne survienne jamais. Et c’est ainsi que les sciences de la nature seront encore plus belles. Finalement, les mythologies alémaniques, disons alsaciennes, sont une invitation à faire mieux, à devenir pleinement humains.

mercredi 21 février 2024

Quelle température dans les aliments ?

Il y a des données techniques éclairantes, mais mal connues. Pourquoi ne pas les partager ? Leur prise en compte conduit à la fois à des techniques rénovées et à des changements utiles de mentalité. 

Examinons donc la question : quelle est la température dans les aliments ? 

 

Sans soutien théorique, on serait tenté de faire des expériences... bien inutiles ! De même que l'on aura raison de penser que "les calculs nous sauvent toujours", on sera avisé de croire que l'analyse théorique s'impose absolument avant toute expérimentation, même si l'on veut seulement être réfuté par l'expérience, dans un sain mouvement scientifique. 

Pour répondre à la question posée, il faut une donnée de base : tant que de l'eau est liquide à la pression atmosphérique, sa température est inférieure à 100 degrés. 

Et c'est ainsi que si l'on met une boule de pâte à pain dans un four à 250 degrés, certes la surface de la boule est rapidement portée à cette même température de 250 degrés, mais puisque l'intérieur contient de l'eau liquide, la température de l'intérieur est inférieure à 100 degrés. Après un moment, une croûte se forme : à l'extérieur de la croûte, la température est de 250 degrés, mais au niveau exact de l'intérieur de la croûte, la température n'est que de 100 degrés. Et cette croûte on n'a que quelques millimètres d'épaisseur après plusieurs dizaines de minutes. 

En effet, l'évaporation de l'eau (de la croûte) consomme beaucoup d'énergie, de sorte que cette évaporation consomme de l'eau liquide, mais maintient la température à 100 degrés. L'analyse vaut pour l'augmentation de température dans une casserole : quand on commence à chauffer, l'énergie donnée par la source de chaleur passe à la casserole, qui la transmet en partie à l'eau : la température de l'eau augmente, en même temps que l'eau commence à s'évaporer davantage.
Puis vient un moment où la température atteint 100 °C, et alors l'eau bout ; toutefois l'évaporation de l'eau consomme tant d'énergie que le flux ne suffit pas à augmenter la température de l'eau, qui reste à 100 °C tant qu'il y a de l'eau liquide. 

 

Pour en revenir à la boule de pâte à pain, il faut se représenter qu'au début de la cuisson, la température est partout égale à la température ambiante, c'est-à-dire en pratique environ 20 degrés. Quand on enfourne la boule de pâte, la température à la surface augmente progressivement et il est vrai que de la chaleur s'introduit progressivement dans la boule de pâte. Mais, pendant un long moment, la température à coeur ne change pas et reste égale à 20 degrés. Quand la température atteint les 250 degrés à la surface et que la croûte se forme, il y a donc à partir de la surface de 250° pour la surface extérieure, 100° pour la surface intérieure de la croûte et une température qui diminue jusque non pas exactement 20° mais guère plus, et c'est ainsi que après des dizaines de minutes, la température à coeur augmente péniblement de 20 à 30, 40, 50, 60 et 70° et guère plus. 

Je n'ai pas mesuré la température à coeur d'une boule de pâte à pain, mais je l'ai fait pour des soufflés d'une dizaine de centimètres de diamètre. Pour ces derniers la température à cœur atteignait à peine 65° après 45 minutes de cuisson, ce qui correspond à un intérieur très moelleux, quasi liquide, un peu comme une omelette.

mardi 20 février 2024

Impressions à propos du Troisième Concours international de cuisine note à note


Le 8 juin 2015, s’est tenu à AgroParisTech la finale du Troisième Concours international de cuisine note à note, organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra. 

Une petite centaine de concurrents s'étaient inscrits au concours et 25 ont envoyé des recettes qui faisaient usage, conformément au règlement, de protéines (végétales ou laitières), de polyphénols et d’octénol en solution dans l’huile. Ces ingrédients avaient été fournis par les organisateurs aux concurrents qui avaient évidemment le droit d'utiliser bien d'autres produits. Les critères d’évaluation étaient bien sûr la conformité aux règles techniques, c'est-à-dire l'emploi des produits envoyés, et aussi l'intelligence des travaux proposés, intelligence technique, intelligence artistique, intelligence sociale, et encore : originalité, créativité... 

Certains concurrents ont fourni des travaux absolument extraordinaires, et le jury a eu le plus grand mal à les départager. Le jury ? Il y avait des chefs, à savoir Thierry Méchinaud, chef du Balzac, le vaisseau amiral de Pierre Gagnaire, et Nicolas Fontaine, chef du Gaya de Pierre Gagnaire. Puis il y avait les représentants des partenaires, ces sociétés qui ont fourni des ingrédients aux concurrents, à savoir la société Ingredia, qui avait fourni des protéines laitières sériques (des protéines coagulantes), la société Louis François qui a remis des lots aux gagnants, le Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales (GEPV), qui a fourni des protéines de pois texturé, les éditions Belin qui ont remis des lots aux gagnants, et une société qui n’a pas voulu apparaître, mais qui a fourni l’octénol et a remis d’extraordinaires cadeaux aux gagnants. Enfin le jury comprenait les trois organisateurs : Odile Renaudin du site Enfance et nutrition, Yolanda Rigault et Hervé This. Une présélection avait été faite, et l’on avait retenu dix préparations, qui ont fait l’objet d’une exposition publique pendant cet après midi de finale. 

Certains concurrents étaient venus de loin : par exemple Tara Elliott représentait le groupe qui avait travaillé au Dublin Institute of Technology, en Irlande. Pour l’évaluation, chaque membre du jury est invité, séparément, à noter les divers candidats, et c’est la somme des notes qui a désigné le gagnant, à savoir Dao Nguyen, et son mari Pasquale, de Genève ; puis Olivier Herr et Elham Tehrani, et, enfin, Frédéric Clarembeau, de Belgique. Cette finale à été l’occasion de voir que, progressivement, les cuisiniers se familiarisent avec la cuisine note à note, au point de fournir des recettes élaborées, qui peuvent maintenant être diffusées très largement, ce qui constitue une base utile pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans cette nouvelle forme de cuisine. Selon les commentaires de Thierry Méchinaud, ces ingrédients doivent être appris, c’est-à-dire qu’il faut les tester comme on testerait d’autres ingrédients plus classiques, afin de déterminer la bonne façon de les mettre en oeuvre. 

La finale à été l’occasion de montrer repas effectué par Pierre Ganaire lors de la visite de journalistes du New York Times, à partir de composés isolés tels le 1-cis-hexèn-3-ol, le gaïacol ou la piperine. Pierre Gagnaire a produit des plats en utilisant des ingrédients de toutes provenances. Les goûts étaient d’inouïe nouveauté, et, surtout, les plats préparés n'auraient pu exister sans les composés qui en ont constitué l'épine dorsale. Décidément, cette troisième édition du Concours international de cuisine note à note aura été un moment très important dans le développement de la cuisine, tant il est vrai qu'une nouvelle forme de cuisine apparaît maintenant, et s'établit plus fermement, jour après jour. 

Récepteurs et métabolisme

 
Ce matin, au cours d'une conférence, alors que j'évoquais la découverte récente de récepteurs des ions calcium dans la bouche, un des auditeurs m'a demandé si ces récepteurs étaient chez tous les individus ; il pensait à une distribution géographique, avec certaines populations qui auraient eu le récepteur du calcium, et d'autres qui ne l'auraient pas eues. 

La découverte des récepteurs gustatifs du calcium est si récente que l'on ne sait pas répondre à sa question pour l'instant, mais on peut raisonnablement supposer que ces récepteurs sont chez tous les êtres humains, car nous avons tous besoin de calcium pour construire nos os ; cela est une caractéristique constitutive de l'être humain, quelle que soit son origine génétique, géographique, culturelle, etc. 

Il en va différemment du métabolisme du lactose, par exemple. Le lactose est un sucre (pas le sucre habituel, qui, lui, est le saccharose) présent dans le lait et que les adultes humains ne métabolisaient plus (on verra plus loin pourquoi je mets la chose au passé). C'est un sucre, ce qui signifie qu'il contient beaucoup d'énergie sous forme chimique, potentiellement utilisable par l'organisme. Toutefois, il y a plus de 6000 ans, les adultes humains ne métabolisaient généralement pas le calcium, et c'est sans doute la raison pour laquelle notre espèce en est venue à consommer des produits laitiers fermentés, notamment par les bactéries lactiques qui, partant du lactose, produisent de l'acide lactique, lequel a l'avantage supplémentaire d'acidifier les milieux et de prévenir sa contamination par des micro-organismes qui ne supportent pas l'acidité. Il y a très longtemps, l'être humain n'avait pas de besoin biologique de métaboliser le lactose après l'adolescence, et c'est le développement de l'agriculture et de l'élevage qui ont conduit à la disponibilité de lait.
On a découvert, il y a peu, que, sans doute au nord de l'Europe, une mutation génétique est apparue dans l'espèce humaine, donnant aux individus qui avaient cette mutation la possibilité de métaboliser le lactose. Etre capable de métaboliser aussi bien le lactose que l'acide lactique est un avantage biologique, et le gène du métabolisme du lactose s'est rapidement répandu en Europe. On voit que c'est là une capacité nouvelle, qui n'est pas constitutive de l'être humain, qui pourrait vivre sans métaboliser le lactose à l'âge adulte. 

Ces deux exemples ne sont que des exemples, mais je trouve qu'ils montrent bien comment la biologie de l'évolution permet de mieux comprendre les caractéristiques « alimentaires » de l'espèce humaine. Je sais qu'il faut éviter d'utiliser la biologie de l'évolution pour justifier des faits, mais j'espère ne pas avoir été trop téléologique dans ma description. 

La téléologie ? C'était la faute de Pangloss, ce philosophe mis en scène par Voltaire dans sa nouvelle intitulée Candide et qui proposait que Dieu nous ait équipé d'un nez pour que nous puissions porter des lunettes. C'est évidemment une naïveté terrible, mais je l'évoque, car une certaine vulgarisation de la biologie de l'évolution conduit à des discours analogues. 

Terminons plus positivement en reconnaissant que les études scientifiques, qu'elles soient de physiologie sensorielle ou de sciences nutritionnelles, conduisent à plus d'intelligence, et apprenons seulement à ne pas confondre la vulgarisation avec la science.

lundi 19 février 2024

Température de cuisson des financiers et des gâteaux

Une question : 

Lors d'un de mes cours en pâtisserie nous devions réaliser des financiers et autres cakes lorsqu'un de mes apprentis me posa une "colle" : quelle est la température à laquelle le cake est il cuit ? Je lui demandais pourquoi il cherchait une température précise, il me répondit que c'était pour limiter l'évaporation de l'eau et donc d'optimiser le moelleux. D'où mes questions : quelle est la température idéale pour la cuisson à coeur d'un cake, peut on cuire un cake façon "basse température" ? Est il préférable de cuire un cake : 40 minutes à 175 ° ou à 140 pendant 1 heures par exemple ? Après cuisson quel est l'attitude la mieux adaptée: mettre le cake sur grille (sorte de ressuage) mais perte d'eau, ou mettre directement les cake en cellule de refroidissement afin de limiter l'évaporation ?

 

 Je propose la réponse suivante : 

 

Un cake, c'est : 

- de l'oeuf 

- de la farine 

- du beurre 

- du sucre. 

Le sucre, tout d'abord, reste stable environ jusqu'à 140 degrés, après quoi il caramélise. 

Le beurre, ensuite, finit de fondre vers 55 degrés, et, ensuite, ses protéines peuvent se dégrader, quand la température augmente considérablement (pensons au beurre noisette). 

La farine est faite de grains d'amidon, qui évoluent quand ils sont chauffés en présence d'eau. D'abord, de l'eau est absorbée entre les espaces amorphes des grains, ce qui conduit à un gonflement. Puis l'eau entre dans les zones où l'amylopectine est concentrée. Les molécules d'amylose passent alors en solution ; la fraction cristalline diminue jusqu'à ce que les grains perdent leur biréfringence en lumière polarisée. Enfin les molécules d'amylose sont relâchées dans l'eau environnante. Au total, selon la nature des amidons, la température de gélatinisation est comprise entre 55 et 85 degrés, ce qui signifie, en pratique, que la température de 85 degrés est la température maximale à considérer, du point de vue qui nous intéresse. 

Pour l'oeuf, enfin, il y a des températures de coagulation différentes, entre 61 et 100 degrés : plus la température est élevée, plus la coagulation est "ferme" (parce que le nombre de protéines qui ont coagulé est alors maximum). 

De ce fait, on pourrait considérer qu'une température de 85 degrés serait parfaite pour conserver du moelleux... mais la petite croûte de surface ? Et puis, si l'on veut limiter l'évaporation de l'eau, pourquoi ne pas ajouter de l'eau avant la cuisson, pour que l'évaporation en laisse autant que l'on veut ? En tout cas, il faut effectivement considérer les temps : dans ce qui précède, j'ai considéré que les températures indiquées étaient les températures à coeur... et l'on pourrait imaginer de cuire plusieurs heures à 85 degrés (par exemple), avec un coup de chalumeau (pas de flamme qui dépose des benzopyrènes cancérogènes : privilégiez un pistolet décape peinture) pour faire la croûte brune (quelques réactions de Maillard, mais surtout de la pyrolyse et de la caramélisation, sans compter les diverses oxydations, déshydratation intramoléculaires, hydrolyses...) et croustillante.

dimanche 18 février 2024

Comment être un bon convive ?

Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant pour être un bon convive ? La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question. 

Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble. 

Etre heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive... 

A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement. Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun. 

Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. 

Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ? 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poème. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée !

Le parallèle entre le règne animal et le règne végétal peut-il nous aider à cuisiner ?



 Les ressemblances -et les différences- physico-chimiques des règnes animal et végétal sont fascinantes, surtout quand on se souvient qu'elles résultent de la longue évolution qui a conduit à ces deux règnes du vivant. 

Les ressemblances ? Dans le sang, par exemple, nous avons des pigments nommés hémoglobine, dont le centre est un groupe « hème ».
Pour les végétaux, de même, les chlorophylles sont des pigments dont le coeur est un noyau tétrapyrrolique, tout à fait apparenté au groupe hème. 

La ressemblance étant établie, les différences peuvent s'étudier, et notamment le fait que l'atome de fer des animaux corresponde à l'atome de magnésium des végétaux. Pourquoi l'un ? Pourquoi l'autre ? En tout cas, ils conduisent tous les deux à l'apparition d'une couleur brune, quand les tissus des deux sortes sont cuits ! 

Autre exemple : celui du matériau qui entoure les cellules vivantes. Pour les animaux, c'est le tissu collagénique qui, comme son nom l'indique, est fait d'une protéine nommée collagène. Pour les végétaux, la membrane est entourée par la paroi cellulaire, laquelle est faite de molécules de celluloses et de pectines. Quoi de commun ? La cuisine rapproche les deux tissus, de ce point de vue, car la cuisson des végétaux, tout comme celle des viandes, conduit à un attendrissage.
Dans le premier cas, les pectines sont dégradées par une réaction nommée « bêta élimination », qui n'est en réalité qu'une hydrolyse, et, dans le second cas, ce sont les protéines qui sont dissociées, également par une hydrolyse. D'ailleurs, cette cuisson conduit à des gels dans les deux cas… quand on s'y prend bien. Lors de la cuisson d'une confiture, si l'on extrait les pectines sans trop les dégrader, elles forment ensuite les gelées ou les confitures.
Pour la cuisson des viandes, aussi, on obtient des protéines (qui prennent alors le nom de gélatines), qui, si l'on s'y prend bien, forment un gel, au refroidissement. Dans les deux cas, la cuisson prolongée ne permet plus la formation du gel, parce que la dégradation des « polymères » que sont les pectines ou la gélatine a été excessive. La cuisine peut-elle gagner à poursuivre le parallèle ?

samedi 17 février 2024

Les bases : quelles bases ?

La cuisine n'est pas épargnée par les débats sur sa pratique, son évolution, son enseignement. 

Evidemment, il y a un lien important entre les trois champs. L'enseignement, notamment, doit former des jeunes cuisiniers qui ne soient pas "à la traîne" des établissements où ils vont travailler. Et l'ensemble doit évoluer, parce que la "nouveauté" est toujours un avantage concurrentiel. 

Autrement dit, l'enseignement doit être constamment réformé, parce que la technique évolue. Et comme l'éventail des possibilités est immenses, on ne peut pas tout enseigner, et il faut choisir. Que choisir ? 

Souvent, on me parle des « bases » de la cuisine, et l'on me dit qu'il faut que les jeunes aient des « bases ». Pourquoi pas, mais quelles sont ces bases ? Le rôtissage, sur le feu (ou, plus exactement, à côté) est-il une base ? Le fait que ce mode de cuisson ait quasiment disparu des cuisines a conduit à en supprimer l'enseignement, pour le remplacer, judicieusement je crois, par un enseignement de la "cuisson", en général. On est passé à la technologie, plutôt qu'à la technique. 

Cela dit, j'observe que certains cuisiniers rôtissent. La proportion de ces cuisiniers est minime, de sorte que nous sommes conduits à conclure que le "référentiel" (ce qui est exigible à l'examen) se fonde sur la fréquence des opérations. Et c'est notamment ce type de raisonnement qui a conduit à supprimer l'enseignement des opérations non pas périmées (le fait qu'elles existent montre que l’obsolescence n'est qu'en termes de fréquence, pas en terme de technique proprement dite). 

Autrement dit, c'est en termes de fréquences, d'une part, mais aussi de volonté de conserver un patrimoine, d'autre part, que nous devons réformer l'enseignement de la cuisine. De sorte que, selon cette ligne de raisonnement, nous devrions panacher un enseignement des techniques modernes et des techniques anciennes. 

La confection de quenelles est ancienne et patrimoniale : gardons-en l'enseignement... surtout qu'elles peuvent être faites par un robot. L'utilisation des siphons est moderne (et fréquente) : introduisons-la. Certains professionnels font observer que le siphon est une fioriture, et qu'un bon fouet à l'ancienne permet de s'en tirer, en toutes circonstances. Oui, mais on pourrait également dire que quatre fourchettes permettent de remplacer un fouet. Ou encore, on me dit que l'emploi de l'alginate de sodium est secondaire, et que la confection de gels de gélatine à partir du pied de veau permet de s'en tirer... à quoi je réponds qu'il est plus facile de trouver dans les commerce de la gélatine et de l'alginate de sodium que du pied de veau. Et que l'alginate se trouve, avec l'agar-agar, dans toutes les cuisines. On me dit que les appareils pour cuire à basse température ne sont pas partout... à quoi je réponds qu'il suffit d'une cocotte et d'un four bien réglable pour cuire à basse température. De toute façon, ce type d'argument ne tient pas : oui, de même, on pourrait dire que l'ordinateur ne s'impose pas à l'école, puisque, en cas de panne d'électricité, un crayon fait l'affaire. Certes, mais l'expérience prouve que nous avons tous des ordinateurs. 

Enfin, pensons à la cuisine en terme de ces fameuses "bases". Si l'on met de côté la cuisine note à note, qui reste très novatrice, il est exact que nous mangeons surtout des tissus animaux et végétaux traités thermiquement. C'est une base. D'autre part, il y a des sauces (salées ou sucrées : le sucre est l'élément différenciant essentiel), qui sont toutes fondées sur les mousses, les émulsions, les gels, les suspensions... Ce sont donc des bases. Plus exactement, les diverses sauces ne sont pas des bases, et ce sont les systèmes physico-chimiques que sont mousses, émulsions, gels, suspensions... qui sont des bases. Ne devrions-nous pas les enseigner en priorité ?

vendredi 16 février 2024

Affaires de bobos ?

 
Depuis quelque temps, une certaine presse fait frémir le bourgeois à l'idée qu'il puisse manger des insectes. Rarement un sujet aussi anecdotique n'a attiré tant de presse... avec aussi peu de raison. 

La consommation d’insectes connaît un certain engouement (encore très modeste…) dans les régions du monde où on découvre cette source alimentaire. Mais si les insectes sont vantés pour leur richesse en protéines et en vitamines, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a émis son premier avis sur le sujet : elle appelle à la vigilance, après avoir dressé un état de lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires liés à l’entomophagie (consommation d’insectes), ainsi que sur l’élevage et la production de ces animaux pour l’alimentation. 

L’Anses souligne notamment les dangers associés aux substances chimiques (comme les venins), physiques (les dards, les rostres), aux allergènes, parasites, virus et autres, peu explorés mais possiblement présents dans ces aliments. 

En attendant la mise en place de normes spécifiques et d’un encadrement adapté, l’Anses recommande la prudence aux consommateurs, en particulier ceux présentant des prédispositions aux allergies. Elle rappelle ainsi que certains insectes partagent avec les mollusques, les crustacés et les acariens, des substances allergisantes auxquelles de nombreuses personnes sont sensibles. 

Bref, il est quand même étonnant qu'un certain public soit si chatouilleux à propos de composés phytosanitaires, et si audacieux à propos de bestioles que je ne trouve pas spécifiquement ragoûtantes. Les derniers grillons que j'ai consommés, en provenance du Mexique, étaient... salés, parce que, frits, on y avait ajouté du sel.

mercredi 14 février 2024

Pour enseigner, pensons stratégie didactique

Hier, j'ai été invité à rapporter un manuscrit soumis à une revue scientifique, et plus exactement un texte didactique, présentant une méthode générale statistique. 

Au-delà de toutes les imperfections du manuscrit, qui étaient d'ailleurs nombreuses puisque j'en ai relevé presque une par ligne du texte, il y avait une faute didactique essentielle à savoir que l'auteur donnait d'abord une idée générale incompréhensible, puisqu'elle était à la fois générale, abstraite, et que l'on ignorait tout de son application particulière, et ensuite seulement, il prenait un exemple seulement à moitié pratique, à moitié concret, de sorte que l'on n'avait pas vraiment idée de ce dont il s'agissait.


Mais supposons que les exemples donnés aient été  mieux explicités, je crois de toute façon que les auteurs faisaient une erreur en les donnant après la loi générale,  parce que l'idée générale incompréhensible mettait les lecteurs dans la désagrable position de ne pas comprendre. Bien sûr, si l'exemple avait été bon, les lecteurs auraient pu ensuite éventuellement se raccrocher aux branches mais pourquoi au fond les mettre dans un état de déséquilibre et d'incompréhension ?
 

À l'inverse, si l'auteur avait commencé par un exemple pratique, simple et concret, alors les lecteurs auraient bien compris ce dont il s'agissait. Et s'il avait ensuite donné l'idée générale, les lecteurs ayant bien compris auraient interprété correctement l'idée générale donnée,  de sorte que je conclus que la seconde méthode est certainement meilleure que la méthode utilisée par les auteurs. 

 

Je m'étonne que des enseignants en soient encore à devoir découvrir ce genre de phénomènes, et je plains leurs élèves de tout mon cœur.

mardi 13 février 2024

Du travail acharné pour venir à bout de tout

 Un groupe d'étudiants d'AgroParisTech a organisé la visite de l'école par des classes venues de lycée en zone prioritaire, et ils m'ont demandé si j'accepterais de parler à ces élèves. Comment refuser de prendre 20 minutes pour expliquer mon passionnant métier ? 

Plus précisément, ces 20 minutes étaient divisées en deux fois dix minutes, pour des groupes successifs, et il s'agissait donc de donner de l'espoir. 

Mais il s'agissait aussi d'expliquer mon métier et, suivant l'exemple du merveilleux Michael Faraday, j'ai décidé de faire une expérience, en l'occurrence de chercher à savoir si la vitamine C a effectivement des propriétés antioxydantes, ce qui se met facilement en évidence à l'aide de permanganate de potassium : il suffit d'observer la décoloration. 

Cette expérience étant faite, il fallait quand même expliquer ce qu'est mon métier et à cette fin, il y avait lieu d'expliquer ce qu'est la science et quelle est sa méthode. 

Or il n'y a pas de science sans calcul, sans équation, sans théorie, et là, le temps était trop court pour bien le montrer, de sorte qu'il était logique de se limiter à le dire, mais  le dire de façon positive, en disant  aussi qu'il s'agit de quelque chose de très simple... pour ceux qui apprennent. 

Dans mon discours d'hier, il y avait ce "quelqu'un qui sait (connaissances), c'est quelqu'un qui a appris", qui a travaillé pour apprendre, et quelqu'un qui sait faire (compétences), c'est quelqu'un qui a appris à faire, qui a passé du temps à apprendre.

 

Mais le temps était écoulé de sorte que dans les 30 secondes qui restaient, j'ai pu seulement leur donner deux cadeaux  : 

1.  le premier, qui faisait suite à l'idée précédente, était la devise de mon père : labor improbus omnia vincit, à savoir qu'un travail acharné vient à bout de tout. Nos compétences, nous nous les forgeons... Si nous décidons de le faire. 

2. Et le deuxième cadeau, était ma propre devise,  à savoir que nous sommes ce que nous faisons. 

 

J'invitais ainsi nos jeunes amis à faire quelque chose dont il seraient fiers.

lundi 12 février 2024

Peut-il exister de bonnes pratiques à propos de la première étape du travail scientifiques, à savoir le choix des phénomènes que l'on décide d'explorer ?

 Dans notre quête des bonnes pratiques en science, nous avons proposé de considérer séparément les divers temps du travail scientifique, à savoir : 

- identifier un phénomène que l'on décide d'explorer -

 le quantifier - réunir les données en lois synthétiques 

- chercher des mécanismes compatibles avec les lois trouvées 

- tirer une conséquence de la théorie établie, en vue de faire un test expérimental 

- faire ce test expérimental. 

 

Ici, nous considérons la première étape. On veut identifier un phénomène... mais lequel ? Et pourquoi le choisit-on ? La pratique scientifique, qui refuse l'arbitraire, doit identifier des raisons du choix effectué. Toutefois, souvent, nos collègues et nous-mêmes faisons des choix par "goût" : certains décident d'explorer le vivant, d'autres la matière... Cela, c'est pour le champ général, mais pour les phénomènes particuliers qui sont l'objet des études ? Deux attitudes (au moins) sont possibles : soit on considère que ce choix n'a aucune importance et que c'est en chemin que l'on fera la découverte, soit on pense au contraire que ce choix est crucial, puisque c'est celui qui conduira à la découverte. 

Commençons par une métaphore : supposons que nous soyons dans une contrée qui comporte des collines, des vallées, des montagnes, et que les découvertes soient les montagnes. Si nous regardons derrière nous, nous voyons parfaitement les montagnes : ce sont les grandes découvertes du passé, la mécanique quantique, la relativité générale, le graphène, le brome, le chlore, l'électrolyse, l'induction électromagnétique... Toutefois, regarder en arrière, c'est faire de l'histoire des sciences et non pas de la science elle-même. Notre ambition est de faire des découvertes, c'est-à-dire trouver des montagnes qui n'ont pas encore été trouvées. Ces montagnes, nous ne les voyons pas, sans quoi la question serait facile : nous nous dirigerions vers les montagnes, et le tour serait joué ; il n'y aurait pas de "découverte". Non, au contraire, nous devons identifier des montagnes que nous ne voyons pas, parce qu'une large brume couvre le paysage. Et là, c'est bien compliqué, car il n'est pas dit que progresser dans le sens de la plus grande pente, le sens du gradient, nous conduise vers une montagne à coup sûr : il se peut très bien qu'après quelques pas, le relief se mette à descendre, au lieu de monter. 

Autrement dit, nous ignorons quelle direction prendre pour faire des découvertes ! D'autant que nous avons une infinité de possibilités devant nous. Quelle direction prendre ? Cette comparaison nous montre, même si une comparaison n'est qu'une comparaison, qu'il y a une difficulté à choisir le type de travail que nous nous proposons de faire en vue de cet objectif final qui est de faire des découvertes. 

Ce point établi, observons qu'il y a des manières de faire. · Par exemple, certains se reposent sur la mise au point d'outils d'observation nouveau pour voir ce que leurs prédécesseurs ne voyaient pas. Toutefois, c'est souvent le cadre théorique qui conduit à discerner des objets en quelque sorte nouveaux, et que tout le monde voyait déjà… sans les voir ! Par exemple, les fullérènes (des molécules en forme de sphères ou de cylindres, faites entièrement d'atomes de carbone) étaient sous nos yeux, et il n'y a pas eu besoin de microscope puissant pour les voir. ·

D'autres se donnent pour mission d'affiner les mesures, et c'est ainsi que furent découverts les gaz rares de l'air, par exemple : en 1893, le physicien William Ramsay (1852-1916) fit réagir du calcium avec un échantillon de diazote isolé de l'air, et il constata que près d’un pour cent (en volume) du gaz ne donnait lieu à aucune réaction ; si le diazote avait été pur, il aurait réagi complètement. En raison de l’inertie de ce gaz, Ramsay lui donna le nom d’argon, du mot grec signifiant "paresseux". En outre, il découvrit que le gaz résiduel était constitué de cinq composants : à côté de l’argon, il y avait aussi, mais en quantités beaucoup plus faibles, de l’hélium, du néon, du krypton et du xénon. · 

D'autres proposent de "résoudre des problèmes" : j'ai des textes où Jean-Marie Lehn propose la méthode. · 

A propos de ce même Jean-Marie Lehn, il n'est pas certain que la résolution de problèmes soit son unique méthode. Souvent, il pratique ce que les logiciens désignaient par "abstraire et généraliser". C'est plus ou moins ce qu'il a fait quand il a été conduit aux dynamères, ou polymères dynamiques, dont la réorganisation est fondée sur des forces faibles et de la chimie supramoléculaire. Pour cette méthode, que je désigne par "Identifier des catégories générales dont les objets d'étude particuliers sont des projections", la "mécanique" de la découverte est la suivante : on observe un objet, on en cherche des catégories générales dont il est un représentant, et muni des propriétés générales des catégories, on repart explorer le monde à la recherche d'objets qui correspondraient à ces catégories. · I

l y a aussi la méthode que Louis Pasteur résumait par la formule "La chance sourit aux esprits préparés". Peu importerait le phénomène d'étude, et c'est l'attention que l'on met dans le travail qui permet découverte. Il faut alors garder les yeux bien ouverts pour identifier les saillances du monde, saillances auxquelles nous nous accrocherons en vue d'identifier des incohérences scientifiques, et, de ce fait, de trouver de meilleures théories. Dans cette vision, il y a, au coeur du travail, au coeur de la stratégie scientifique, la focalisation sur ce que je nomme des symptômes, à savoir des incompréhensions théoriques, des résultats qui ne collent pas au cadre théorique par lequel on voudrait les décrire. C'est de ce point de vue que je reprends volontiers l'idée selon laquelle, si on fait une expérience et que l'on obtient le résultat attendu, on a fait une vérification, mais si on obtient un autre résultat, on a peut-être fait une découverte. Ce "peut-être" est important, et je vois dans cette idée la même stratégie que celle des esprits préparés. · 

Proche de cette vision, la réfutation des hypothèses et des théories : tout notre savoir s'énonce en phrases ou en équations qui sont insuffisantes, de sorte que l'on peut se donner pour travail de savoir en quoi ces phrases ou équations sont fausses. Aucune difficulté, sauf à choisir la phrase ou équation particulières que l'on veut réfuter. 

Que penser des programmes dits mobilisateurs ou fédérateurs de nos institution scientifiques ? Pardon d'être iconoclaste... mais je m'interroge : avant de faire ce que l'on nous demande de faire, avant d'investir du temps dans des travaux, il faut discuter les propositions, n'est-ce pas ? Tout d'abord, ces programmes sont-ils une garantie que nous ferons des découvertes ? Sont-ils de la communication, une façon de montrer clairement au public où vont ses impôts, ou de la véritable stratégie scientifique ? 

Je propose de commencer par observer que l'on peut faire quelque confiance à un individu qui a déjà à son actif plusieurs découvertes, mais qu'il y a lieu de résister aux envies des autres. Bien sûr, on peut mettre en oeuvre les idées précédentes, lors de l'implémentation de tels programmes... mais qui nous garantit de leur utilité réelle, en termes scientifiques, et non de communication ? 

Plus positivement, nous avons vu plusieurs stratégies possibles, et l'on peut se demander s'il en existe d'autres ? 

Je rêve de l'organisation d'une rencontre entre des gens honnêtes et intelligents, qui oublieront leur ego, leur respectabilité, leur envie d'argent ou de pouvoir, et qui viendront étaler sincèrement leur stratégie personnelle, afin que nous puissions enrichir ce tout petit catalogue de stratégies scientifiques. Observons que nous sommes encore loin de l'identification d'un phénomène en particulier ! Mais il y a peut-être lieu de considérer que les êtres humains ont bien le droit d'avoir des goûts différents : pour les grandes synthèses théoriques, pour le détail des mécanismes, pour les systèmes vivants, pour la production d'objets utiles à la collectivité… Cela, c'est pour la détermination du champ général où les phénomènes seront identifiés. 

Mais il reste, et je me répète, la question du choix particulier des phénomènes qui seront le point de départ du travail scientifique. Dans notre colloque honnête sur cette première étape de la recherche, il y aurait donc lieu de distinguer une première partie de stratégie, puis une deuxième partie consacrée aux champs d'étude, et une troisième partie sur l'identification particulière des phénomènes à considérer. Bien sûr, on peut continuer de faire comme toujours , à savoir que les jeunes scientifiques arrivent un peu au hasard dans un laboratoire, y sont formés, s'accrochent à une activité qui leur donne des compétences particulières, poursuivent dans cette direction, acquièrent des compétences complémentaires lors de travaux post-doctoraux, et suivent une voie très conjecturelle. 

Ce type de formation est-il efficace ? Voilà la question à laquelle j'aimerais que les institutions scientifiques répondent honnêtement, en oubliant les monitions du ministre, lequel passe et est remplacé par un autre ministre, en oubliant l'inertie du paquebot de la recherche scientifique, avec les grands programmes dont il n'a toujours pas été démontré qu'ils sont efficaces. 

J'attends de la sincérité et de la réflexion partagée, notamment avec les meilleurs d'entre nous. Pas les meilleurs en termes de publications, car on détourne facilement les critères d'évaluation en déclinant une bonne idée à l'infini, mais plutôt ceux qui ont à leur actif plusieurs réussites exemplaires ; la collectivité leur sera à jamais reconnaissante de l'avoir aidée.

samedi 10 février 2024

Les rillettes

 
Les rillettes sont un système physique ou chimique vraiment merveilleux.

Pour faire les rillettes de canard, par exemple, prenons une cuisse et cuisons-la longuement avec de la matière grasse, par exemple de la graisse de canard.
Allons-y doucement, en agitant régulièrement la préparation. Le muscle se défait progressivement parce que la chaleur dégrade le tissu collagénique, cette espèce de ciment qui lie les fibres musculaires.
De la sorte, les fibres musculaires, dont l'intérieur a coagulé à la chaleur, se dispersent dans la matière grasse fondue.

A cette étape, on a un système physico-chimique nommé suspension, car il correspond à la dispersion d'objets solides (les fibres coagulées) dans un liquide.

Mais la graisse de canard, comme le saindoux pour des rillettes de porc, est une matière très intéressante parce qu'elle liquide à une certaine température mais solide à basse température plus basse. Aux températures intermédiaires, il y a une certaine proportion de cette graisse qui est à l'état liquide, emprisonnée dans le reste à l'état solide, ce que l'on nomme formellement un gel.
Plus la graisse est chaude, plus la proportion de liquide est élevée, évidemment.

Mais la température ambiante, quand les rillettes sont faites, alors on a une dispersion des particules solides dans un gel de matière grasse. Où se trouvent les fibres musculaires ? Elles sont sans doute beaucoup plus grosses, plus longues que les parties respectives de liquide ou de solide et c'est donc un étonnant système que nous pouvons alors déguster.

vendredi 9 février 2024

Les endives rendent de l'eau ?


Vous accusez les endives de rendre de l'eau ? C'est la capillarité qui est en jeu.

Commençons par cet épisode -complètement inventé par Jean-Anthelme Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût - qui raconte qu'un chanoine ne mangeait des épinards que s'ils avaient été cuits pendant une semaine dans du beurre, laissant penser que les épinards se seraient gorgés de ce bon beurre de cuisson. 

En réalité, le beurre ne peut pas entrer dans le tissu végétal,  mais il peut venir entre les feuilles amollies par la cuisson. Et le phénomène qui l'y fait venir est nommé "capillarité" : ce même phénomène fait monter l'encre entre les poils d'un pinceau, il fait monter l'eau contre le bord du verre, et cetera. 


Ce phénomène physique s'explique évidemment par de la chimie : les molécules de l'eau, par exemple, établissent des liaisons avec les atomes qui composent la paroi du verre, et ces forces permettent, sur des petites distances, de faire monter l'eau contre la paroi.
C'est la même chose dès qu'il y a une crevasse, un trou et les deux lèvres d'une fente, par exemple, attirent des molécules d'un liquide. Parfois c'est bénéfique et parfois on s'en passerait bien, comme quand l'eau s'infiltre dans les fissures de la route et brise la chaussée lors des gels et des dégels. Je profite pour justifier une erreur commune : il n'est pas vrai en toute rigueur que la glace prenne plus de place (à masse constante) que l'eau liquide, mais il est exact que la densité de l'eau présente un minimum à 4 degrés.

Mais revenons à nos épinards :  par capillarité, la matière grasse fondue, le beurre fondu se place entre les feuilles, et il les fait d'ailleurs coller nouvelle preuve de l'existence des forces inter-moléculaires dont je parlais.

Et nous pouvons revenir maintenant aux endives qui sont faites de feuilles. Quand on les braise dans du liquide, l'eau vient se mettre entre les feuilles, et même des endives très bien égouttées ont leurs feuilles solidarisées par cette eau.
De sorte que, par la suite, les endives risquent de relâcher leur eau de capillarité, par exemple dans une sauce qu'on ajouterait.

Comment éviter tout cela ? Par exemple en cuisant dans autre chose que de l'eau  : directement dans la sauce, car la sauce, c'est de l'eau au premier ordre, mais de l'eau qui a du goût, de l'eau qui peut avoir de la consistance...

Dans la Cuisine du marché (mais je doute que Bocuse ait vraiment écrit lui-même ce livre), Paul Bocuse recommande une première cuisson des endives à l'eau afin d'enlever ensuite les composés amers qui auront été extraits, mais les sélectionneur d'aujourd'hui nous font des endives qui n'ont plus cette amertume que l'on devait t'enlever, ou combattre avec du sucre. C'est peut-être dommage, car le goût des endives s'en est trouvé réduit... mais notre cuisine simplifiée : le premier étuvage n'est plus nécessaire, et l'on peut cuire dans la sauce, comme je le propose plus haut.

jeudi 8 février 2024

Les symptômes sont des pistes pour nous améliorer

Épisode amusant récemment : un stagiaire de notre groupe de recherche arrive après l'heure convenue, parce que dit-il son réveil n'a pas sonné. 

Je lui explique que, pour mes rendez-vous importants, je mets deux réveils afin que le second pallie le premier le cas échéant. 

En réalité, cette stratégie que j'ai est très générale. Pour un calcul, il y a lieu de faire une validation, pour une mesure, il y a lieu de faire des répétitions, et ainsi de suite : pour que mon pantalon ne tombe pas, je mets une ceinture et des bretelles. 

En réalité, l'épisode est tout à fait bienvenu, parce qu'il permet d'expliquer à cet étudiant un point méthodologique qu'il avait négligé. Je me moque complètement que l'étudiant arrive à 8h ou à 9h ou à 10h et cetera, et c'est simplement pour lui que je vois, grâce à cet épisode, la possibilité de changer quelque chose dans sa vie, de grandir en quelque sorte. 

Le réveil qui ne sonne pas est une métaphore du calcul faux, de l'expérience biaisée, et cetera. Très généralement, je propose à mes jeunes amis, en fin de journée, d'identifier les "symptômes", à savoir tous ces petits moments où ils ont défailli. Cela peut aller d'un mot qu'on n'a pas lu dans une phrase,  à trébucher dans les escaliers parce qu'on était insuffisamment attentif, à un lapsus dans une discussion scientifique, à la confusion de deux notions scientifiques voisines, à la détection d'une connaissance que nous n'avons pas et que nous nous aurions dû avoir, une compétence que nous avons insuffisamment... 

Pour tout cela, il est question d'être de bonne foi, et d'être à l'affût de tous ces petits symptômes car leur analyse permet ensuite de mettre en œuvre des soins, et remèdes, des corrections, des améliorations. 

 

Très généralement, je préfère observer que je suis insuffisant et trouver des moyens de supprimer mes insuffisances les unes après les autres. Je ne prétends pas pouvoir les supprimer toutes, mais je j'aime assez faire mienne la phrase que le chimiste Michel-Eugène Chevreul disait : il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre.

Soyons clairs, expliquons

Un médecin se plain à moi qu'un patient qu'il ne connaissait pas, mais qui avait pris rendez-vous plusieurs semaines plus tôt, lui demande une ordonnance pour un examen complémentaire, et je lui explique que la personne n'est peut-être pas en tort, et qu'il y a lieu de lui expliquer pourquoi cela n'est pas possible.
La raison en est que la prescription d'un examen complémentaire imposerait un décryptage des résultats lors d'une consultation qui devrait être peut-être très proche et qui n'a pas été programmée. 

Le même médecin m'explique qu'un autre patient a abusivement demandé une ordonnance pour un médicament  : abusivement puisqu'il n'a pas vu la personne en consultation depuis 2 ans.
Je lui demande de m'expliquer la difficulté et je reçois l'explication suivante, parfaitement juste :   prescrire un médicament nécessite de connaître l'état présent de la personne.
Le médecin a donc parfaitement raison de refuser cette ordonnance ou, plus exactement, de la conditionner à une consultation 

Mais dans les deux cas, le médecin a tort s'il n'explique pas les raisons de son refus. Car il ne s'agit pas de  refus arbitraires,  mais d'impossibilités médicales. En revanche,  du côté des patients, il n'y a pas de raison que cela soit connu, que cela soit su, et la réponse du médecin nécessite donc une explication. 

 

Je prends cet exemple médecin parce qu'il en va de même pour les enseignements de physico-chimie et plus généralement de méthodologie universitaire. Quand nous demandons aux étudiants de faire des synthèses bibliographiques, nous avons l'obligation de leur expliquer comment faire de telles synthèses, et une obligation de l'expliquer de façon pratique, concrète, détaillée. De même, quand nous demandons aux étudiants de rédiger un rapport, nous avons l'obligation de leur expliquer comment rédiger un rapport. Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur ces explications détaillées... ce qui évidemment nous conduit nous-même à disposer d'une méthodologie bien claire, explicite, et maîtrisée.


J'ajoute en souriant que nombre de mes collègues ne sont pas parfaitement aguerris à la rédaction et j'en prends pour preuve des décennies de rédaction en chef ancienne de la revue Pour la science, où les textes que nous recevions de scientifiques pourtant parmi les meilleurs étaient étaient souvent bien insuffisants. 

 

Bref, il y a lieu d'expliquer comment rédiger, il faut s'expliquer cela en détail, souligner les fautes les plus courantes, et c'est seulement à condition que nous ayons bien expliqué tout cela que nous pourrons faire remarquer à nos amis qui n'ont pas appliqué les règles qui leur ont été données. 

En revanche, une fois les règles données, avec une méthode facile à appliquer, celui ou celle qui écrit est tenu d'appliquer ces règles sous peine d'une évaluation défavorable. 

Il en va de même, au fond, pour les matières scientifiques. Par exemple, nous ne pouvons pas sanctionner un étudiant de ne pas savoir calculer un pH si le calcul de pH ne lui a pas été expliqué précédemment. Mais si cela a été fait, alors nous devons, dans le cas où il ne sait pas calculer le pH, le renvoyer à des études qu'il a déjà faites et ne pas perdre de temps à pallier les insuffisances de l'étudiant. 

 

Ce dernier cas m'amène à discuter le fait que nombre d'étudiants ont oublié ce qu'ils ont appris dans les années précédentes. Cela n'est pas extrêmement grave, mais dénote quand même un apprentissage insuffisant à l'époque.
Et pour pallier l'insuffisance actuelle, il y a lieu de les renvoyer vers l'étude qu'ils ont faite, les documents dont ils ont disposés, et nous ne devons pas à nouveau palier des insuffisances, perdre du temps à cela. 

En revanche, il n'y a pas de raison d'être particulièrement remonté contre ces étudiants et il suffit de leur dire qu'il y a lieu de se replonger dans des études anciennes. 


Tout cela, c'est ce que l'on nommerait de la pédagogie si nos interlocuteurs étaient des enfants et que l'on doit simplement nommer de la didactique quand ce sont des adultes.

Des sciences exactes ?

 
Dans un débat avec des amis des sciences de l'humain et de la société, j'ai été confronté à l'expression "sciences exactes" : la terminologie est de mes amis, et pas de moi, qui ai décidé de ne parler que de sciences de la nature, dont j'exclus les mathématiques, puisqu'elles sont d'une autre nature, même si demeure ce grand débat entre mathématiques découvertes et mathématiques inventées. 

Sciences exactes ? Je propose de ne pas confondre le savoir (ou prétendu tel, surtout en matière de sciences) et la recherche du savoir, à laquelle je propose de réserver le nom de science. La science, dans cette définition, est donc la recherche de savoir. 

Sciences exactes ? Il me semble qu'il y a là une difficulté de même nature que dans "sciences humaines", à savoir un emploi ambigu de l'article. 

Commençons par sciences humaines : c'est un pléonasme, car la science est une activité de l'être humain, et de nul autre. Généralement, ce pléonasme est une périssologie. 

Sciences de l'homme ? C'est mieux, mais la femme ? 

Sciences exactes ? Cela voudrait indiquer que certaines activités de recherche du savoir sont "exactes" ? Que serait donc une activité exacte ? Selon le TLF (le seul qui vaille), le terme "exact" signifie "Conforme aux règles prescrites, aux normes, à la convenance, aux usages, qui s'y conforme".
Nos amis des SHS qui parlent de sciences exactes pour les sciences de la nature voudraient-ils alors dire que leur propre activité n'est pas conforme à leurs propres règles ? Qu'elles ne suivent aucune norme ? Je croyais pourtant -on me l'a assez répété- que les historiens avaient leur méthode, tout comme les sociologues, ou les géographes ? Les philosophes ? Laissons-les de côté, afin de ne pas compliquer un débat qui n'est déjà pas parfaitement clair (quelle méthode commune entre Héraclite, Platon, Nietzsche ou Meyerson ?). 

Pour les sciences de la nature, oui, il y a des canons, lentement élaborés, et qui se retrouvent aujourd'hui dans la structure des publications scientifiques, qui collent à la description que je propose (et qui n'a toujours pas été réfutée ou critiquée), à savoir :
- observation d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données quantitatives en lois synthétiques
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois
- recherche de prévisions expérimentales testables
- test expérimental en vue d'une réfutation de la théorie proposée
- et ainsi de suite. 

Toutefois, cette conformité des sciences de nature ne peut conduire les scientifiques de la nature (on voit que je distingue la science et ceux qui la font, sans quoi on tombe souvent dans des erreurs terribles) à prétendre à l'exactitude de leurs descriptions du monde, pas plus que les sciences de la nature ne prétendent à la description exacte du monde, et encore moins à la "Vérité" ! Il faut user d'une rhétorique vraiment nauséeuse, détestable -celle de l'homme de paille- pour le faire penser. Bref, je propose que nous abandonnions tous l'expression "sciences exactes". Pour les sciences de la nature, je propose que nous utilisions l'expression "sciences de la nature" ou "sciences quantitatives", à moins qu'une nouvelle expression reste à inventer ?

mercredi 7 février 2024

Les ringards sont... ringards

Ce matin, sur un radio qui aurait mieux fait d'être en grève, un groupe de vieilles personnes (je parle de leur esprit, car je ne connais pas leur âge, et n'ai pas envie de le connaître) qui renchérissait sur le fait que "tout fout le camp" : seul le papier et le crayon, la craie et le tableau noir valent quelque chose pour les "vrais penseurs" !

 Oui, dès que l'on utilise un ordinateur pour écrire, ou pour calculer, cela ne vaut plus rien, c'est du texto (sic ;-)), on faiblit, on pense mal ! 

 

En réalité, je soupçonne ces ringards de ne pas avoir été capables d'apprendre le maniement des nouveaux outils ! J'ai déjà vu cela avec la cuisine moléculaire : des chefs qui dénigraient les possibilités modernes, parce qu'ils n'avaient pas appris l'usage des nouveaux outils. Je me souviens de professeurs qui disaient que les calculatrices électroniques étaient des outils minables, parce que les élèves ne savaient plus extraire des racines carrées à la main. D'ailleurs, Aristote lui-même avait dit que l'écriture était la fin de la pensée. Pourtant, on a pensé, depuis lui ! 

En matière de littérature, il y a ceux qui écrivent avec un stylo, ceux qui utilisent une machine à écrire, ceux qui utilisent un ordinateur... Peu importe : ce n'est effectivement pas l'outil qui fait la pensée... mais la vitesse de la craie sur le tableau n'est pas une vitesse idéale, particulière, et c'est une faute que de le prétendre comme une généralité. Une faute paresseuse, une sorte de fossilisation. Jorge Luis Borgès disait que les archaïsmes, en littérature, étaient fautifs, et je le crois, dans la mesure où nous nous adressons à autrui : ne s'agit-il pas, notamment, d'être compris ? Pour le calcul, il y a effectivement ces mathématiciens qui utilisent la craie et le tableau noir, mais j'ai rencontré des mathématiciens parmi les plus grands pour lesquels l'ordinateur est devenu un outil essentiel... et il y en aura de plus en plus. 

 

Moralité ? La querelle des anciens et des modernes : les anciens ont toujours perdu, puisque ne reste, quand ils sont morts, que les modernes !

La perfection n'existe doublement pas

 
Chers Amis 

Pardonnez moi : mon enthousiasme communicatif a fait tomber certains de mes amis dans l'erreur où j'étais moi-même ! 

Tout a commencé il y a des décennies, quand je discutais le perfectionnement des oeufs durs. J'avais nommé "oeuf dur parfait" un oeuf qui ne serait pas caoutchouteux, dont le jaune ne serait pas sableux, ne serait pas cerné de ce vert qui est accompagné d'une odeur d'hydrogène sulfuré ; il fallait de surcroît que le jaune soit bien centré dans le blanc, que la coquille s'enlève facilement... 

Et ma découverte des oeufs à 6X°C m'avait conduit à donner ce nom d'oeuf parfait à ces oeufs... au point que, environ 20 ans après, des articles de journaux reprennent l'idée et le terme : 

http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/l-oeuf-parfait-derniere-lubie-des-chefs_1673678.html

ou

 http://weekend.levif.be/lifestyle/culinaire/ce-qu-il-faut-encore-savoir-de-l-oeuf-suite/article-normal-393579.html

 

Pourtant, la perfection n'est pas de ce monde, d'une part, et, d'autre part, quelle est l'échelle avec laquelle on mesure la perfection ? 

A vrai dire, en matière d'art culinaire, j'ai déjà signalé souvent que cela n'avait pas de sens de classer, autrement que par un "j'aime"... qui varie dans le temps. Parfois, je préfère Bach, et, parfois je préfère Mozart, quand ce n'est pas Debussy. Mon humeur changeante me fait apprécier "le plus" des musiques toujours différentes, et c'est la diversité qui fait mon bonheur. Le même oeuf servi répétitivement serait ennuyeux, morne... et très loin d'être parfait ! Cela pour moi seul, mais si je compare avec mes amis, c'est encore pire, car leur idée de la perfection (en admettant qu'il y en ait une, vu ce que je viens d'écrire) diffère généralement de la mienne. Or laquelle est la meilleure ? 

Bref, la perfection n'existe pas, et elle n'existe pas. De même que je récuse "le Beau", "le Bon"... Alors "la Perfection" ? Une idée enfantine.

mardi 6 février 2024

Forcer l'adhésion ?

Je me souviens d'une conférence devant une académie des sciences où j'avais - naïvement, je le concède- exposé mes travaux (j'avais été invité pour ce but) avec beaucoup d'enthousiasme. A la pause, le vice-président était venu me voir et m'avait dit "Je vous ai détesté dès que je vous ai entendu parler". Comment cela était-il possible ? Interrogé, notre homme me répondit que je "forçais l'adhésion", et qu'il n'aimait pas qu'on lui dise comment penser, s'il fallait aimer une matière ou pas... Bref, il aurait fallu que je garde mon feu pour moi, et -sans doute- que j'expose mes travaux avec beaucoup de froideur, sans enthousiasme. 

Que l'on ne compte pas sur moi pour cela, car l'enthousiasme est une maladie qui se gagne, et je ne désespère pas convaincre la terre entière que les sciences de la nature, la rationalité, sont choses merveilleuses ! 

 

De même, je me souviens de comités où, ayant proposé une expertise avec aplomb, mes amis qui siégeaient avec moi avec repoussé ma proposition... pour la même raison : je ne les laissais pas juger par eux-mêmes. 

 

A propos de la cuisine note à note, j'observe le même phénomène : quand je la présente en disant "que vous la vouliez ou pas, vous l'aurez, parce qu'il faudra bien nourrir dix milliards d'êtres humains", j'ai à coup sûr le résultat attendu, à savoir que mes interlocuteurs se raidissent, refusent l'idée. Inversement, si je leur dis que nous avons là une possibilité (j'insiste sur le mot), et que cette possibilité est merveilleuse, et qu'ils ont le choix d'aller plus loin dans la découverte de la chose, alors l'acceptation est plus facile. 

On observera que, dans ces discussions (inutiles, me dit un ami maçons "Ils causent, je bétonne"), ce n'est pas l'objet discuté qui compte, mais seulement la façon dont on le présente à nos amis. C'est un peu dommage, mais cela est ainsi depuis longtemps. On n'oublie pas le Gorgias, de Platon, et je vous invite à ne pas manquer la belle leçon d'éloquence de Marc Bonnant : https://www.youtube.com/watch?v=PslBw8QyK1I. 

Evidemment, certains détesteront ses blasphèmes, ses provocations... mais quel est l'objet ? L'importance de la parole, notamment dans les questions de conviction. Finalement, je ne suis pas certain de vouloir passer beaucoup de temps à vouloir proposer à mes amis de l'eau tiède... puisque Dieu, dit-on, vomit ceux qui ont la même température.