Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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vendredi 8 mai 2020
Les tests des précisions culinaires : il faut les répéter.
On ne dira jamais assez que le séminaire de gastronomie moléculaire est moins fait pour résoudre définitivement les questions que nous examinons que pour donner de l'énergie à nos amis pour qu'ils répètent nos expériences, à la maison, dans les lycées hôteliers, dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités...
Il s'agit en effet d'assurer nos connaissances, et surtout, de créer un réseau de sites où les expériences seront répétées, validées.
Prenons, par exemple, une précision culinaire testée récemment dans notre séminaire à propos des haricots blancs, dont il est parfois dit qu'ils éclatent moins à la cuisson si l'on met des bouchons de liège dans la casserole.
Théoriquement, il n'y guère de raison pour laquelle des bouchons de liège pourraient avoir un effet sur des haricots, mais j'ai appris à toujours tester les précisions culinaires sans a priori, sans penser qu'elles sont justes ou fausses, car j'ai vu trop de cas où je me trompait (ce qui ne me gêne pas, car je préfère être réfuter et progresser en observant mes erreurs, que rester dans l'erreur).
Et je vois comme parfaitement légitime le fait de tester cette précision, sans a priori, c'est-à-dire sans avoir l'idée qu'elle puisse être juste ou fausse, quels que soient les arguments théoriques. Bien sûr, en l'occurrence, je ne peux pas m'empêcher de penser que la précision des bouchons est fausse, parce que, comme j'ai dit rapidement, on voit mal quels composés libérés par le liège dans l'eau de cuisson pourraient s'opposer à l'éclatement. Mais on ne sait jamais, car après tout, le liège est une écorce, qui contient des tanins, et ces derniers pourraient donc se lier à des composés de la surface des haricots. Tout comme le liège pourrait libérer des ions divalents, tels le calcium, le cuivre, par exemple qui pourraient peuvent renforcer les paroi végétale, et éviter l'éclatement.
Mais ne perdons pas de temps initialement à imaginer des hypothèses, et faisons rapidement l'expérience, ou plutôt refaisons l'expérience qui a déjà été faite lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire. Au cours de cette séance, nous avions commencé par faire tremper les haricots, comme cela était prescrit dans la précision culinaire que nus avions recueillie, et nous avions ensuite réparti ces haricots dans deux casseroles identiques, contenant la même quantité d'eau, chauffées de la même façon, avec la même masse de haricots. Puis, la cuisson faite, nous avons déposé les haricots sur le plan de travail, et avons compté les haricots éclatés de chaque lot.
Il était important de faire plusieurs recomptages indépendants, comme vous le verrez si vous faites l'expérience, parce que, parfois, on décide difficilement si un haricot est éclaté ou non. Et avec ces valeurs, nous avons pu faire des comparaison... et observé qu'il n'y avait pas de différence significative entre les lots.
Mais s'il est vrai qu'un contre-exemple permet de réfuter une loi générale, il est vrai que nous avons utilisé une seule variété de haricots, et une qualié d'eau particulière, des bouchons spécifiques... et il serait bon de voir si le résultat se retrouve dans d'autres conditions. De toute façon, en sciences de la nature, on répète toujours les expériences, et, j'insiste un peu, nos séminaires sont là pour déterminer une méthodologie, voir les difficultés des tests expérimentaux des précisions culinaires, et nous avons besoin de tous pour les répéter. Profitez du confinement !
samedi 3 août 2013
Samedi 3 août 2013. La gastronomie moléculaire concerne tous les pays, toutes les cultures.
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La gastronomie moléculaire
ne vaut-elle que pour la cuisine française ? Non, bien sûr ! Cette
discipline scientifique vise pour partie à étudier les précisions
culinaires, c'est-à-dire les trucs, astuces, tours de main...
Par exemple, les blancs en
neige montent-ils mieux quand ils sont vieux ? Les poissons
ont-ils une consistance différente quand ils sont cuits sur arête ?
Les salmis doivent-ils vraiment attendre après la cuisson ?
L'écumage des bouillons les fait-il plus clairs ? Les questions
de ce type se posent par dizaines de milliers, pour la seule cuisine
française, la seule que j'ai examinée un peu correctement.
Toutefois des questions du même type abondent pour d'autres pays,
pour d'autres cultures. Par exemple, au Brésil, avant le repas, il
est courant de boire une cai pirinha en apéritif : le cocktail
est fait de citron vert, de sucre de canne et de cachasa. Si l'on
interroge les cuisiniers ou les barman brésiliens qui préparent cet
apéritif, on les entend nous dire qu'il faut absolument enlever la
peau des citron vert sur la partie centrale. Pourquoi ? Ils nous
disent que cela donne l'amertume.
Pourquoi pas ? Faisons
l'expérience. Or les expériences, à ce jour, n'ont montré aucune
différence d'amertume, dans un test sensoriel bien fait. Je ne doute
pas que toutes les cultures du monde, toutes les cuisines du monde
aient leurs propres précisions culinaires : dictons, tours de main,
astuces, proverbes, et la science nommée gastronomie moléculaire a
bien des raisons de s'intéresser à ces objets culturels.
Tout d'abord, les
personnes qui détiennent ces savoirs populaires sont souvent de
vieilles personnes, qui risquent de disparaître avec leur savoir
populaire, et l'on risque de perdre une foule d'information, d'idées,
juste ou fausses -peu importe- qui concernent cette activité
merveilleuse qu'est la cuisine.
D'autre part, il y a
question de l'enseignement : peut-on imaginer de transmettre des
données fausses à nos successeurs ? Non, bien sûr ! Alors il
tester expérimentalement ces idées, afin de ne transmettre que les
bonnes, mettre les autres au musée, bien conservées ; il faudra
essayer de comprendre, aussi, comment les idées sont apparues,
comment les idées fausses aussi sont apparues, et pourquoi ?
Et puis il y
a des raisons scientifiques et techniques : parfois, les praticiens
ont fait des observations remarquables, merveilleuses,
incomprises de la science ;
là, il faudra comprendre, faire des travaux scientifiques pour
explorer les phénomènes, identifier leurs mécanismes... Et
c'est ainsi que la gastronomie culinaire est une
science éblouissante, remarquable, amusantes, passionnantes, à la
portée de tous, au moins pour les tests expérimentaux.
mardi 16 juillet 2013
Vive les sciences quantitatives, puisqu'elles cherchent sans cesse à « valider
--> Lors d'un précédent billet, j'ai vanté l'intelligence remarquable de la méthode mise en oeuvre par les sciences quantitatives. Ici, je voudrais faire part d'une caractéristique merveilleuse et hélas trop méconnue des sciences quantitative : la validation.
C'est quelque chose qui
n'est guère enseigné au collège, au lycée, ou même à
l'université. Au mieux, on nous dit qu'il faut « vérifier »
les calculs, en les refaisant, en faisant une estimation du résultat,
un ordre de grandeur, afin de voir que le résultat obtenu n'est pas
exorbitant. C'est bien insuffisant, toutefois.
Or la validation est
quelque chose de vraiment essentiel, et il faut répéter qu'il n'y a
pas de travail scientifique sans beaucoup de validation.
De quoi s'agit-il ? Il
s'agit de considérer, d'une certaine façon, que le diable est caché
derrière tout résultat expérimental, derrière tout calcul. De ce
fait, nous devons considérer a priori que nos résultats
scientifiques, sont faux.
Oui, nos propres
résultats, ces résultats que nous avons obtenus à la sueur de
notre front, sont biaisés, gauchis, erronés, fautifs... Malgré
tous le soin avec lequel nous avons préparé nos expériences,
malgré tout le temps que nous avons consacré à nos études, nous
devons craindre d'avoir laissé passer des erreurs, tels des poissons
dans un filet percé. De même pour les calculs : même s'ils
nous ont fait transpiré, même si nous avons séché pendant des
jours, nous devons craindre qu'ils soient faux.
En conséquence de quoi
nous devons trouver des moyens de tester les résultats
expérimentaux, les calculs.
Au minimum, au tout petit
minimum, une expérience doit être refaite plusieurs fois de suite.
Pour les calculs, c'est une autre affaire, bien plus intéressante,
et je propose de discuter cela une autre fois.
Revenons donc aux
expériences et à leurs résultat. Il s'agit donc de refaire les
expériences, mais pas de les refaire « automatiquement »,
telles des machines, pas les refaire à l'identique, sans quoi,
évidemment, les mêmes erreurs se produiront à nouveau. Il s'agit
de les refaire en exerçant un esprit critique, en remettant en
question tous les gestes qui ont été faits pour pour la production
du résultat. Non seulement nous devons pouvoir justifier toutes les
caractéristiques des expériences, mais nous devons douter de la
façon dont elles sont conduites, dont nous les avons nous-mêmes
conduites, et des résultats qui sont donnés
Un
exemple : la simple mesure d'une température. Ordinairement,
dans la vie quotidienne, on prend un thermomètre et on lit
l'indication qu'il donne. En science, le strict minimum consiste à
douter de la fiabilité de cet instrument de mesure, à le plonger
par exemple dans un récipient contenant de l'eau et de la glace (ce
que l'on nomme de la glace fondante), afin de vérifier que
l'indication est bien 0 °C, puis à plonger le même thermomètre
dans l'eau bouillante, afin de vérifier que l'on obtient bien cette
fois une indication de 100 °C.
Deux mesures, c'est une
indication, pas plus... alors que l'on s'intéresse à des valeurs
qui ne sont ni 0 ni 100, mais à toutes les valeurs dans cette gamme.
Avoir foi que que l'instrument donnera les bonnes mesures entre 0 et
100 alors qu'il donne seulement des mesures correctes pour 0 et pour
100 ? C'est la porte ouverte au diable.
Bref lors d'une
expérience, il y a lieu de douter de tout, toujours, tout le temps,
à tout moment, et l'on comprend que la répétition n'est qu'une
indication de plus, guère mieux. Le bon scientifique a des raisons
de mal dormir, car il ne doit compter que sur lui-même, se
surveiller, s'évaluer, se corriger, craindre le diable... Chaque
résultat doit être reproduit, discuté prudemment, obtenu par
d'autres moyens... validé en un mot.
Est-ce une prudence
excessive ? La question des « extractions » trouve que
non. Par exemple, récemment, dans notre groupe, nous avons mis au
point une nouvelle méthode d'analyse des sucres dans les tissus
végétaux, et, après un long travail, nous avons montré que la
meilleure méthode d'extraction de ces sucres, afin de les doser,
était fautive de près de 50 % !
D'autre part, toujours
dans notre laboratoire, des collègues qui s'intéressent aux
éléments métalliques dans les végétaux ont montré que même
avec l'utilisation d'eau régale bouillante (un mélange d'acide
nitrique et d'acide sulfurique concentrés) ne ne permettait pas de
séparer la totalité des métaux présents, en vue de leur analyse.
Les erreurs, dans ce cas atteignent environ 10 %.
Dix pour cent, alors que
nos méthode d'analyse sont juste à la partie par millième de
milliardième ! On voit bien qu'il il y a là de quoi travailler
beaucoup, et surtout, de quoi douter beaucoup, toujours, de nos
résultats.
Il y a lieu de valider, et
ce mot de validation doit absolument être prononcé très
répétitivement devant les élèves, les étudiants, qu'ils soient
en formation initiale ou en plein exercice de la science.
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