Alors que je suis lancé dans la confection quotidienne de billets
plus techniques que moraux, où j'examine la confection de certains
plats, je vois, après quelques jours, que j'ai plus décrit les
phénomènes physiques que les phénomènes chimiques.
Par exemple,
c'est la densité qui m'a intéressé à propos de cocktails, ou
l'évaporation de l'eau à propos de soufflés, ou l'entrée de la matière
grasse dans des viandes que l'on confit… Il y a plus là des phénomènes
physiques que des phénomènes chimiques… apparemment. Est-ce une
impression ? Est-ce que la chimie qui opère est si complexe que je me
rabats sur des phénomènes plus simples ? Y aurait-il lieu
de plus focaliser sur de la chimie ?
Prenons le cas
d'un soufflé. Certes, son gonflement est dû à l'évaporation de l'eau, ce
que l'on nomme une transition de phase, phénomène physique pour lequel
il n'y a pas de changement de nature des composés présents (les mêmes
molécules sont présentes avant et après). L'évaporation de l'eau, ce
n'est donc pas de la chimie, mais de la physique.
Toutefois
réduire le soufflé à l'évaporation de l'eau serait une erreur, car le
soufflé, qui est liquide initialement se voit finalement solidifié
(relativement) par la coagulation des protéines de l'oeuf. Or la
coagulation est un phénomène véritablement chimique, puisque les
protéines individuelles, sortes de pelotes, sont déroulées par la
chaleur et, une fois déroulées, elles s'attachent par des liaisons
chimiques que l'on nomme des ponts disulfure, formant un réseau qui
s'étend dans toute la masse du soufflé. Le soufflé ne se ferait pas sans
cette transformation chimique, et il est bon de s'en apercevoir.
Pour
un tel cas, c'était donc vraiment une impression que de penser la
confection du soufflé comme une transformation physique.
En réalité, il
faut de la physique et de la chimie, c'est-à-dire en réalité de la
physico-chimie, qui est une science merveilleuse, en ce qu'elle
considère les phénomènes physiques et chimiques en relation.
Continuons
avec le soufflé. La croûte du soufflé ? Bien sûr, l'eau de surface
s'évapore quand la température est supérieure à 100 degrés, mais on voit
bien que la couleur change : la surface supérieure du soufflé brunit.
Pourquoi ? Ayant d'abord observé que le goût de cette croûte est
puissant, différent de celui de l'intérieur du soufflé, on peut
s'interroger, et l'on doit considérer que l'appareil est fait d'eau, de
matières grasses, de protéines, de quelques « polysaccharides », et que
c'est l'échauffement de cette matière, au-delà de 100 degrés, qui
conduit à ce brunissement.
Les lipides ? Bien sûr, ils peuvent réagir,
mais ils sont assez inertes, et la réaction est lente.
Les
polysaccharides ? Ils étaient initialement empesés dans l'appareil à
soufflé, de sorte que les grains d'amidon ont pu s'interpénétrer avant
que l'eau soit évaporée.
Mais l'expérience qui consiste à placer de la
farine dans une poêle chauffée, ou dans un four à côté d'un soufflé que
l'on cuit, montre qu'il n'y a guère de brunissement. Les protéines,
elles, sont bien plus sensibles, comme on le voit quand on produit un
beurre noisette : tant qu'il y a des bulles, la température est de 100
degrés, et la couleur reste celle d'un beurre fondu, mais quand les
bulles disparaissent, et que la température augmente, la préparation
brunit, prend du goût.
Manifestement la pyrolyse des protéines est
importante.
Bien sûr il y a aussi des réactions de Maillard entre le
lactose et les protéines, mais ces réactions sont bien secondaires.
Pyrolyse des protéines : voilà des réactions qu'il faudra bien explorer
pour mieux comprendre les changements de goût des aliments en cours de
cuisson.
Que ferons-nous de telles informations ?
Les chimistes
ont découvert que les réactions de Maillard produisent des goûts
différents quand elles sont en présence de matières grasses, et que ce
ne sont plus stricto sensu des réactions de Maillard. Quand on
comprendra mieux ces différences, alors ont pourra faire une cuisine
plus précise, avec des goûts plus assurés. Il est donc essentiel de se
préoccuper un peu plus de chimie dans la transformation des aliments.
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