On vient de me poser une question des plus difficiles, à savoir
comment l'étude des précisions culinaires s'intègre à la gastronomie
moléculaire, et comment elle s'articule avec nos études très
fondamentales d'aujourd'hui.
A la réflexion, la
question s'éclaircit si l'on considère la méthode des sciences de la
nature, puisque la gastronomie moléculaire est, on le répète, une
activité de ce type.
Pour la recherche scientifique, donc, les travaux
s'effectuent de la façon suivante :
- identification d'un phénomène,
- quantification de ce phénomène,
- réunion des données de mesures en lois synthétiques (équations),
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, c'est-à-dire avec les équations établies,
- recherche d'une conséquence de la théorie constituée par l'ensemble des équations dégagées,
- et, enfin, test expérimental de cette conséquence.
Tout
travail effectué à propos d'une ou plusieurs de ces étapes participe
donc de la recherche scientifique qu'est la gastronomie moléculaire.
Notamment les précisions culinaires ont un rapport avec la toute
première étape.
En effet, pour la cuisine, des phénomènes qui ont
été signalés par les praticiens, du moins par les auteurs de livres de
cuisine, ne sont pas toujours avérés. Or les mathématiciens savent bien
qu'il est inutile d'aller caractériser des objets mathématiques qui
n'existent pas. Avant de chercher des mécanismes des phénomènes que la
tradition culinaire nous signale, nous devons d'abord établir
l'existence de ces phénomènes, et les explorations que je faisais
initialement, l'étude des précisions culinaires, sont précisément de
telles vérifications préalables. Nous devons établir les faits avant de
les examiner.
Cette règle n'est pas limitée à la science, car l'un des
anciens directeurs du journal Le Monde le disait en d'autres mots : d'abord les faits, puis les interprétations.
Les précisions culinaires, transmises oralement ou par écrit, sont innombrables, et mon livre Les précisions culinaires montre
bien que si certaines sont parfaitement justes, d'autre sont
complètement fausses. Cela conduit à s'interroger sur la raison pour
laquelle les précisions culinaires fausses ont été transmises, mais,
ayant déjà fait des propositions pour explorer cette question, et, ne
cherchant pas moi-même, pour des raisons de stratégie scientifique, à
suivre les pistes que j'avais alors tracées, je propose de m'arrêter là,
et je renvoie à mon livre.
Nos travaux de recherche actuels, sur la
bioactivité des gels, n'ont effectivement rien à voir avec cette toute
première étape, mais la raison en est que, dans le champ exploré, nous
avons réussi à aller plus loin que cette première étape du travail
scientifique, qui, au moins pour ce qui me concerne, a constitué le
début de travail de gastronomie moléculaire, depuis le 16 mars 1980.
Pour
autant, le travail d'exploration des précisions culinaires est loin
d'être terminé, et, mieux, il ne fait que commencer, puisque se créent
aujourd'hui des centres de gastronomie moléculaire dans divers pays, où
des collègues devront faire eux-mêmes l'exploration des précisions
culinaires de leur propre pays.
C’est à ce titre que je suis heureux de
voir que les étudiants de notre master international Food Innovation and Product Design,
ont comme exercice de recueillir des recettes de leur pays, de
sélectionner des précisions culinaires présentes dans ces recettes, et
de les tester expérimentalement. Est ainsi donnée une impulsion pour
qu'ils poursuivent les travaux dans leur propre pays et pour que,
quand ils auront des résultats, nous puissions faire de la gastronomie
moléculaire comparative, c’est-à-dire que nous aurons de meilleures
chances d'explorer les raisons pour lesquelles les précisions culinaires
ont été transmises.
Notre travail fondamental est moins
accessible aux « citoyens », puisqu'il faut beaucoup de calculs et de
moyens expérimentaux perfectionnés, tant il est vrai que l'analyse
chimique ne se fait plus aujourd'hui comme il y a un siècle.
Dans un
billet précédent, je me suis amusé de ce que l’on nomme la science
citoyenne, ou collaborative, ou participative : on aura reconnu dans les
trois adjectifs précédents des mots bien à la mode, qui sont d'ailleurs
souvent utilisés de façon démagogique. Pourtant il est exact que les
enfants, les adolescents, les adultes peuvent parfaitement participer à
ce travail d' exploration des précisions culinaires, car, souvent, il
est bien simple de tester expérimentalement les prescriptions qui sont
données.
Et c'est pour cette raison qu'il est important de créer une
sorte de musée des précisions culinaires, où l'on donnera à tous le
résultats des tests, afin de faire avancer l'art culinaire.
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