lundi 13 avril 2020

La chimie est née de l'alchimie au 18e siècle

L'alchimie ? On ne saurait assez oublier tout ce qui a été dit et écrit ily a plus de cinquante ans, avec des travaux rigoureux, tels ceux de Robert Halleux, en Belgique. Il n'est pas seul : pour les textes en langue française, on pourra se référer également à Bernard Joly ou Didier Kahn. En substance, l'alchimie est l'ancien nom de la chimie, et la transition s'est faite au 18e siècle, en même temps que la physique ou la biologie apparaissaient sous leur forme moderne. Galilée, Newton (dans son champ), Bacon furent de merveilleux précurseurs de cette apparition des sciences de la nature modernes, qui nécessitaient encore des discours épistémologiques serrés, au 19e siècle (avec par exemple Michel Eugène Chevreul et sa "méthode a posteriori expérimentale"), pour que nous en arrivions à notre idée moderne (et l'on oubliera les idées floues de ceux qui confondent sciences de la nature et technologie sous le vocable de "technosciences" ou de ceux qui confondent les sciences de la nature et les sciences de l'humain et de la société).

Dans tout ce contexte, on aura raison de lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert , qui fut précisément publiée au moment où la chimie  se dégageait plus clairement de l'alchimie, avec une transition qui a été nommée (al)chimie par Didier Kahn, et chymistry par les historiens de langue anglaise. Dans l'Encyclopédie on voit les changements à l'oeuvre, entre le début et la fin de l'entreprise : la chimie telle que nous l'entendons aujourd'hui n'apparaît que vers le volume VI.

Et dans le volume 1, voici ce que l'on trouve (p. 248, http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-1117-0/, dernier accès 2020-03-25) :

ALCHIMIE, s. f. est la chimie la plus subtile par laquelle on fait des opérations de chimie extraordinaires, qui exécutent plus promptement les mêmes choses que la nature est long-tems à produire ; comme lorsqu’avec du mercure & du soufre seulement, on fait en peu d’heures une matiere solide & rouge, qu’on nomme cinabre, & qui est toute semblable au cinabre natif, que la nature met des années & même des siecles à produire.[on le voit : pas de mystique ici, mais seulement la reconnaissance de faits].

Les opérations de l’alchimie ont quelque chose d’admirable & de mystérieux ; il faut remarquer que lorsque ces opérations sont devenues plus connues, elles perdent leur merveilleux, & elles sont mises au nombre des opérations de la chimie ordinaire, comme y ont été mises celles du lilium, de la panacée, du kermès, de l’émétique, de la teinture de l’écarlate, &c. & suivant la façon, dont sont ordinairement traitées les choses humaines, la chimie use avec ingratitude des avantages qu’elle a reçûs de l’alchimie : l’alchimie est maltraitée dans la plûpart des livres de chimie. Voyez Alchimistes.[ici, la chimie prend sa place, et il faut d'ailleurs signaler que l'évolution vers la chimie visait notamment à se débarrasser de l'image détestable qu'avaient les alchimistes]

Le mot alchimie est composé de la préposition al qui est Arabe, & qui exprime sublime ou par excellence, & de chimie, dont nous donnerons la définition en son lieu. Voyez Chimie. De sorte que alchimie, suivant la force du mot, signifie la chimie sublime, la chimie par excellence.[dont acte, mais le 18e siècle fut quand même le moment où la quête de la pierre philosophale, par exemple, fut abandonnée, au point que Colbert interdit de considérer ces matières dans l'Académie qu'il avait créée]

Les antiquaires ne conviennent pas entre eux de l’origine, ni de l’ancienneté de l’alchimie : si on en croit quelques histoires fabuleuses, elle étoit dès le tems de Noé. Il y en a même eu qui ont prétendu qu’Adam savoit de l’alchimie.[on lira dans les bons auteurs d'histoire de la chimie que nombre de livres sont plus récents qu'ils ne le disent, et pas toujours écrits par ceux à qui on les attribue  : en les enracinant, leurs véritables auteurs voulaient en accroître l'autorité]

Pour ce qui regarde l’antiquité de cette science ; on n’en trouve aucune apparence dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Philosophes, soit Poëtes, depuis Homere, jusqu’à quatre cens ans après Jesus-Christ. Le premier auteur qui parle de faire de l’or est Zozime, qui vivoit vers le commencement du cinquieme siècle. Il a composé en Grec un Livre sur l’art divin de faire de l’or & de l’argent. C’est un Manuscrit qui est à la Bibliotheque du Roi. Cet ouvrage donne lieu de juger que lorsqu’il a été écrit, il y avoit déjà long-tems que la chimie étoit cultivée ; puisqu’elle avoit déjà fait ce progrès.[oui, j'ai parlé de pierre philosophale, mais j'aurais dû évoquer la confection de l'or, puisque c'était un moteur essentiel de l'alchimie ; le même, en quelque sorte]

Il n’est point parlé du remede universel, qui est l’objet principal de l’Alchimie, avant Geber, auteur Arabe, qui vivoit dans le septieme siecle.[ah, voici la pierre philosophale : notre auteur prend les choses au rebours de moi, mais qu'importe, puisque c'est la même chose, la même quête]

Suidas prétend que si on ne trouve point de monument plus ancien de l’Alchimie, c’est que l’Empereur Dioclétien fit brûler tous les Livres des anciens Egyptiens ; & que c’étoient ces Livres qui contenoient les mysteres de l’Alchimie.[un peu facile : les preuves ont disparu ! Mais on se souviendra utilement de cette idée : à prétention extraordinaire, il faut des preuves extraordinaires.]

Kirker assûre que la théorie de la Pierre-philosophale est expliquée au long dans la table d’Hermès, & que les anciens Egyptiens n’ignoroient point cet art.

On sait que l’Empereur Caligula fit des essais, pour tirer de l’or de l’orpiment. Ce fait est rapporté par Pline, Hist. nat. ch. iv. liv. XXXIII. Cette opération n’a pû se faire sans des connoissances de Chimie, supérieures à celles qui suffisent dans la plûpart des arts & des expériences pour lesquelles on employe le feu.
[Oui, des essais, mais il est certain qu'il n'a pas réussi ! ]

Au reste, le monde est si ancien, & il s’y est fait tant de révolutions, qu’il ne reste point de monumens certains de l’état où étoient les sciences dans les tems qui ont précedé les vingt derniers siecles ; je n’en rapporterai qu’un exemple : la Musique a été portée, dans un certain tems chez les Grecs, à un haut point de perfection ; elle étoit si fort au-dessus de la nôtre, à en juger par ses effets, que nous avons peine à le comprendre ; & on ne manqueroit pas de le révoquer en doute, si cela n’étoit bien prouvé par l’attention singuliere qu’on sait que le gouvernement des Grecs y donnoit, & par le témoignage de plusieurs auteurs contemporains & dignes de foi. Voyez An ad sanitatem musice, de M. Malouin. A Paris, chez Quillau, rue Galande.[amusant, cette idée d'un âge d'or  ! bien faible, aussi : de sorte que l'on dit justement "à beau mentir qui vient de loin", on aura raison de penser que ce qui est ancien est périmé, plutôt qu'abatardi. Pensons notamment à la médecine... qui n'a jamais réussi, dans les anciens temps, ce qu'on fait les antibiotiques ou la médecine moderne. Allons, ne cédons pas à la faiblesse d'esprit du "bon vieux temps".]

Il se peut aussi que la Chimie ait de même été portée à un si haut point de perfection, qu’elle ait pû faire des choses que nous ne pouvons faire aujourd’hui, & que nous ne comprenons pas comment il seroit possible que l’on exécutât. C’est la Chimie ainsi perfectionnée qu’on a nommée Alchimie. Cette science, comme toutes les autres, a péri dans certains tems, & il n’en est resté que le nom. Dans la suite, ceux qui ont eu du goût pour l’Alchimie, se sont tout d’un coup mis à faire les opérations, dans lesquelles la renommée apprend que l’Alchimie réussissoit ; ils ont ainsi cherché l’inconnu sans passer par le connu : ils n’ont point commencé par la Chimie, sans laquelle on ne peut devenir Alchimiste que par hasard.[Et voilà, on repart sur la même idée fausse, pour le début du paragraphe. La suite est moins claire.]

Ce qui s’oppose encore fort au progrès de cette science, c’est que les Chimistes, c’est-à-dire, ceux qui travaillent par principes, croient que l’Alchimie est une science imaginaire, à laquelle ils ne doivent pas s’appliquer ; & les Alchimistes au contraire croient que la chimie n’est pas la route qu’ils doivent tenir.[Ici, on ne sait pas bien de quelle "science" il s'agit. Et science au sens de "science de la nature moderne", ou simplement de "savoir" ? La confusion entre ces deux termes embrouille les discussions.]

La vie d’un homme, un siecle même, n’est pas suffisant pour perfectionner la Chimie ; on peut dire que le tems où a vécu Beker, est celui où a commencé notre Chimie. Elle s’est ensuite perfectionnée du tems de Stahl, & on y a encore bien ajoûté depuis ; cependant elle est vraissemblablement fort éloignée du terme où elle a été autrefois.[Amusant que notre auteur  cite Stahl comme un progrès... alors que Lavoisier allait le réfuter quelques années plus tard. Pour ceux qui l'ignorent, Stahl avait promu l'idée fausse du "phlogistique", un corps de masse négative, qui aurait enlevé aux corps calcinés. Et c'est ainsi que l'on expliquait que du fer que l'on brûle dans l'air a une masse qui augmente : Stahl prétendait que la perte de ce phologistique de masse négative laissait le métal calciné, plus lourd. Lavoisier fut celui qui montra que, au contraire, le métal capte l'oxygène lors de la combustion, de sorte que l'oxyde métallique formé avait la masse du métal plus la masse de l'oxygène fixé lors de la réaction.]

Les principaux auteurs d’Alchimie sont Geber, le Moine, Bacon, Ripley, Lulle, Jean le Hollandois, & Isaac le Hollandois, Basile Valentin, Paracelse, Van Zuchten, Sendigovius, &c. (M) [Bon, pas certain qu'il faille aller lire leurs divagations si l'on n'est pas historien de la chimie ;-).]

Et je vous invite maintenant à aller découvrir la suite, dans la suite de l'Encyclopédie, et surtout dans les auteurs modernes que je vous ai cités !


dimanche 12 avril 2020

A propos d'associations d'ingrédients


Ici, je mets en pratique ma nouvelle idée de constitution des textes. N'hésitez pas à me dire si cela vous paraît plus clair (icmg@agroparistech.fr)


1. On me parle encore de food pairing... La clé du bon  ! La clé du bon ? Je n'ai pas assez de points d'interrogation, afin de mettre en garde mes amis.

2. Tiens, j'observe que c'est de l'anglais : un peu snob,  un peu idiot, un peu simplet ? Nous aurions raison de nous souvenir de cette phrase hélas souvent juste : "à beau mentir qui vient de  loin" ! Oui, les termes étrangers, "ça en jette" ; ou disons plus justement que certains malhonnêtes ou prétentieux pensent que ça en jette, ou veulent faire croire qu'ils sont plus habiles que les autres. Oui, puisque non seulement ils ont des connaissances  (ou plus exactement ils prétendent les avoir) que les autres n'ont pas, et, de surcroît, ils sont allés les chercher si loin que, dans ces contrées, on ne parle même pas le français.

3. Le food pairing, c'est comme le nombre d'or : de ces petites règles simplistes qui sont prétendument la clé du beau. Le food pairing ? Il s'agit de penser que l'on peut faire quelque chose de bon  si l'on mêle deux ingrédients qui ont un composé odorant en commun. Enfin, disons que c'est la théorie actuelle, ou une des théories, parce que cette affaire de food pairing est complètement foireuse, et change tous les deux jours. On a d'abord dit, un composé odorant en commun, puis un composé odorant essentiel en commun, puis...

4. Au fait, et le nombre d'or  ? C'est un nombre, comme le nombre pi, que l'on trouve dans des circonstances faciles à décrire, mais ce serait un peu long. Disons seulement que des esprits mathématiquement un peu "légers"  y voient la clé de la construction des cathédrales, des pyramides, que sais-je... La clé du Beau, en tout cas. Et là encore, cette numérologie peut être largement réfutée.

5. Dans mon livre La cuisine c'est de l'art, de l'amour de la technique, je discute également la question du nombre-d'or qui était proposé en cuisine comme pour la construction des cathédrales. D'une part, les cathédrale ne sont jamais vraiment construites au nombre d'or,  qui est un nombre avec un nombre infini de décimales : une construction en pierre, elle, pourrait avoir certaines de ces proportions qui approchent le nombre d'or, mais pas toutes les proportions : ce serait idiot. De sorte que le choix des proportions au nombre d'or est arbitraire.

6. Dans les deux cas, du nombre d'or et du food pairing, une question : si le Beau était à ce compte enfantin du food pairing ou du nombre d'or, ne croyez vous pas que tout le monde l'atteindrait ? Oui, s'il suffisait de règles aussi simples, pourquoi tous les articles ne les utilisent-ils pas ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas Mozart, Rembrandt, Rodin, Flaubert, Carême ? 

7. D'ailleurs, pour en revenir plus précisément  à la cuisine, observons que, trop souvent, il y a la confusion entre la technique et l'art. La technique, c'est le fait d'être capable d'assembler des ingrédients, de les préparer, et c'est très simple, même si c'est parfois long. L'art, d'autre part, c'est le fait de faire du bon, c'est-à-dire du beau à manger. Et là, il ne s'agit pas d'une question physiologique, mais sans doute d'une question culturelle, et on aura toujours intérêt à comparer la cuisine avec les autres arts que son la musique, la peinture, et cetera.

8. Aujourd'hui, le correspondant qui suscite ce billet est un cuisinier qui me parle d'associer les huîtres avec l'huître végétale, cette plante dont les feuilles ont un goût d'huîtres. Un goût d'huîtres ? D'abord, toutes les huîtres n'ont pas le même goût, et, d'autre part, le goût de cette plante ressemble au goût de certaines huîtres. Pas celles qui ont "un goût de noisette", par exemple.  Alors, lesquelles : huîtres de Marennes ? d'Oléron ? de Normandie ? claires ? ? petites ? grosses ? Mais, surtout, pourquoi associer un goût d'huîtres avec un goût d'huîtres ? Ce serait comme mêler du vin rouge à du vin blanc : pourquoi faire ?

9. Comparons avec la musique : associer un fa avec un fa dièse, par exemple :  pourquoi pas ? mais d'abord pourquoi ? Je propose que l'objectif soit toujours premier : avant de nous demander si le prétendu "food pairing" permettrait d'associer une huître avec une feuille d'huître végétale, demandons-nous ce que nous visons : quel effet veut-on obtenir ?  Le fait que mon correspondant s'aperçoive que l'association ne fonctionne pas ne condamne pas l'association pour autant.

10. D'ailleurs,  il est rare d'avoir seulement deux ingrédients dans un plat, et pourquoi ne pas mettre tout cela avec un œuf poché ? Et une mayonnaise dans laquelle il y aura donc du jaune d' œuf, du vinaigre de l'huile ? Et du sel, et du poivre... Dailleurs, ne pourrait-on pas y mettre du sucre, du piment ? Se limiter à deux ingrédients, c'est bien faible et sans intérêt a priori, car je le répète pourquoi vouloir associer deux ingrédients et deux seulement alors que ce n'est jamais cela que l'on fait en cuisine ?

11. Tout cela me fait souvenir d'un cuisinier qui prétendait faire du beau en mettant toujours dans l'assiette trois éléments  : règle simplissime, simpliste, car pourquoi trois, et pas deux (le yin et le yang), et pas quatre (la beauté du carré), et pas cinq comme le voudrait la pensée coréenne, et pas six, comme l'étoile à 6 branches... Décidément les règles de valent pas grand-chose en matière artistique.

12. Et c'est d'ailleurs leur contestation qui fait grandir l'art. Suivre une règle condamne presque l'oeuvre : les artistes n'ont cessé de dérogé... mais cela est au delà des capacités de beaucoup, car il y a quand même de la règle de base, de la technique. Pour être Jean-Sébastien Bach, qui utilise l'accord du diable, il faut en être capable. Pour jouer avec la perspective, dans un tableau, il faut en maîtriser les règles. Les artistes sont d'excellents techniciens !

13. Et derrière les oeuvres d'art, il y a beaucoup de travail : derrière les oeuvres de Bach, il y a une virtuosité fondée sur d'interminables travaux. Derrière les toiles de Rembrandt, il y a toute la maîtrise technique de la peinture. Flaubert travaillait jour et nuit pour ne produire que sept phrases par jour !

14. J'alerte donc mes amis : ne vous laissez pas piéger par le "food pairing" (qui n'existe pas !).

Je rigole, mais c'est pathétique


Dans un journal, un article sur la mayonnaise, et sa "chimie", à savoir que les gouttes d'huile seraient dispersées dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, grâce à des molécules "tensioactives", qui seraient des protéines nommées "lécithine".
Pour quelqu'un qui ignore la chose, cela fait savant, et c'est plausible... mais c'est parfaitement faux ! Expliquons, pour démasquer les faux savants, qui abusent les rédacteurs en chef, tout comme les lecteurs.

Oui, lors de la confection d'une mayonnaise, on part effectivement de jaune d'oeuf, et oui, le jaune d'oeuf est fait d'environ 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines, et de 35 pour cent de matière grasse, notamment des "phospholipides", dont les lécithines (il y en a plusieurs).
Et, d'ailleurs, il faut ajouter que la sauce mayonnaise se fait aussi avec du vinaigre, qui apporte plus de 90 pour cent d'eau. L'eau se mélangeant bien à l'eau, le jaune d'oeuf se mélange sans difficulté au vinaigre.

Puis, si l'on ajoute de l'huile, on voit que cette dernière flotte à la surface. Il faut donner de l'énergie, pour que le fouet divise la gouttelettes d'huile en deux, et en deux, et ainsi de suite jusqu'à atteindre des tailles microscopiques. Et les protéines, tout comme les phospholipides, sont alors essentiels pour cette division, parce que ces composés se placent à la limite des gouttelettes, une partie dans l'huile et une partie dans l'eau.

Les protéines ? Ce sont comme des fils microscopiques, en pelote, qui se déroulent quand on fouette la mayonnaise. Et certains segments se placent dans l'huile, et d'autres dans l'eau, formant une sorte de couche chevelue.
Les phospolipides ? Rien à voir chimiquement : ce sont de petites molécules, de la famille des lipides, avec une "tête" phosphate, très soluble dans l'eau.
Et ce sont bien principalement les protéines qui assurent l'émulsion.

La faute faite par la personne qui écrit dans le journal est-elle grave ? Je vous laisse juger, mais je trouve bizarre que quelqu'un qui n'est pas scientifique se pique d'expliquer la science de la cuisine... en se mélangeant les pinceaux. Imposture ?

jeudi 9 avril 2020

Ma recette de Lammala

Il est temps de s'entraîner, puisque Pâques arrive !

Voici ma recette (éprouvée) de Lammara :




Lammala (ou Lamala)  de Pâques :
Pour 1 agneau, il vous faut :
– 60 g de farine tamisé type 45
– 90 g de sucre semoule (60 et 30)
– 1 sachet de sucre vanillé
– Le zeste d’un demi-citron
– 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
– 4 jaunes d’œufs (3 s'ils sont gros)
- de l'eau de fleur d'oranger
Un moule en terre cuite
– une noix de beurre fondu dans  le moule
– Environ 20 g de farine tamisée Type 45

La fabrication :
1. Dans un premier temps, préparer le moule : déposer une noix de beurre dans chaque moitié, et mettre les deux moitiés dans le four que l'on préchauffe.
2. Quand le beurre est fondu, en badigeonner bien tout le moule, puis farine ; éliminer l'excès
3. Séparer les 4 jaunes des 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
4. Faire blanchir les jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et le sucre vanillé : il faut battre TRES longtemps, pour que ce soit parfaitement blanc et ferme.
5. Puis ajouter le zeste de citron très finement râpé det l'eau de fleur d'oranger
4. Monter les œufs en neige très ferme, et les serrer encore avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée de sel.
6. Mélanger les blancs en neige au premier mélange délicatement.
7. Ajouter 60 g à 100 g de farine et 50 g de beurre fondu à l'ensemble et incorporer à la spatule avec un minimum de mouvement, pour ne pas faire retomber la préparation
8. Puis fermer le moule avec le crochet et y verser la pâte.
9.  Enfourner le Lammala à 170°C pendant 35 à 40 minutes.
10. Une fois la cuisson finie, patientez 5 minutes avant de le démouler.
11. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

Cessons de parler des "laits végétaux" et de proposer qu'ils soient "naturels"


Je ne cesse de m'étonner du conservatisme de mon entourage. Quand je dis "entourage",  cela signifie jusqu'à mes collègues scientifiques,  et j'en vois encore un exemple ce matin alors que je suis en train éditer un texte pour le prochain Handbook of molecular gastronomy.

Le manuscrit de mon collègue discute la question des systèmes émulsionnés (qu'il confond avec des émulsions, preuve qu'il est imprécis), et il en cite des exemples : la mayonnaise, qui est bien une dispersion d'huile dans l'eau du jaune d' œuf et du vinaigre, ou encore le lait, qui contient effectivement des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau.

Puis mon collègue évoque ces liquides blancs, qui ressemblent à du lait et sont extraits des végétaux et qui, comme le lait, contiennent des matières grasses émulsionnées. Il les nomme des "laits végétaux", mais je lui fais remarquer que cette dénomination est contestable, car le lait est le lait ;  ces émulsions  ne sont pas du lait, et je lui fais valoir que nous aurions intérêt, collectivement, à leur refuser le nom de lait, car des végétariens le confondent avec du lait au point de mettre de jeunes enfants en danger de mort. Ne pourrait-on pas parler d'émulsions végétales ?

De surcroît, je critique énergiquement son emploi du mot "naturel", à propos de ces produits :  ces produits ne sont pas naturels, puisque ils ont  été extraits ; or la définition du naturel, c'est ce qui n'a pas fait l'objet d'interventions par un être humain.
Mon collègue répond que la d'élimination lait végétal est acceptée,  et que, comme ces produits se trouvent les graines, ils sont bien naturels.

Soit il n'a rien compris à mon argumentation,  soit il s'enferme dans une erreur nuisible, car susceptible de créer des confusions. Le mot "naturel" tout d'abord, est à l'origine de nombre d'interminables débats publics, et ces débats naissent de l'utilisation du mot dans une acception gauchie, donc erronée, parfois fautive.
D'autre part, des accidents, dans les familles végétariennes, seraient évités si l'expression "lait végétal était interdite (ma proposition).

Mais, surtout, je ne vois pas ce que mon collègue perdrait en changeant ses habitudes de langage. Pourquoi reste-t-il collé à des idées anciennes : la paresse, des intérêts idéologiques ou commerciaux, de l'incompréhension ?

Pourrez-vous m'aider à comprendre sa position et les avantages qu'elle aurait ?
Pour moi, je termine en rappelant cette utile citation d'Antoine Laurent de Lavoisier :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».





Et celle de Condillac :

« Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »

mardi 7 avril 2020

Quelles relations entre 'activité nommée "cuisine" et l'activité nommée "chimie" ?



1. Commençons par observer que la cuisine est une activité "technique" : le mot "technique" vient du grec techne, qui signifie "faire". Et, de ...fait, on "fait" quand on produit un mets.
Naguère, il y  également eu une activité de fabrication de métaux, de bougies, de médicaments, de couleurs, de cosmétiques... et cela fut, comme la cuisine, du technique qui engendra des réflexions sur le pourquoi des phénomènes observés, et, à partir de la Renaissance, des sciences de la nature.
Oui, la cuisine est une base à partir de laquelle la chimie est née, mais la métaphore de l'engendrement n'est pas juste, car la chimie n'est pas "fille" des arts techniques, mais d'une autre nature.

2. Observons que, en français, il n'y a pas d'autre mot que "cuisine" pour désigner la production d'aliments à partir d'ingrédients. Certes, certains me diront qu'il vaudrait mieux parler de "mets" que d'aliments ; pourquoi pas, puisque la définition des aliments n'impose pas qu'ils soient préparés, en langue française (je maintiens que le Trésor de la langue française informatisé, du CNRS, est le seul dictionnaire officiel, puisqu'il n'est pas produit par un organisme commercial).
D'autre part, je maintiens aussi (puisque c'est ce que montre parfaitement l'histoire des techniques et des sciences) que la "chimie" n'est pas la production de composés, à partir de  composés différents, mais bien la science de la nature qui  explore ces transformations. Le mot "chimie" a toujours désigné cette activité, et il continue de le faire, de sorte qu'il faut un autre nom pour désigner la techique qui met en oeuvre les phénomènes.

3. Donc la cuisine, d'un côté, et la chimie, de l'autre. Deux activité qui sont préparées dans des pièces respectivement nommées "cuisine" et "laboratoire"... à cela près que les charcutiers, les pâtissiers, et d'autres professionnels travaillent aussi dans un lieu nommé "laboratoire". Le mot vient de labeur, travail. Mais on aurait tort de penser que le chimiste se limite à son laboratoire, car l'activité des sciences de la nature a en réalité deux composantes indissociables : l'expérience et le calcul. Pas de science sans les deux activités. Et c'est la raison pour laquelle j'ai naguère proposé de parler plutôt de sciences de la nature que de sciences expérimentales.

4. Oui, en cuisine, il  y a des gestes qui ressemblent à ceux de certains chimistes, quand ils en sont à faire la partie expérimentale de la chimie : broyer, découper, chauffer, refroidir... Cela ressemble,  et alors ? Le cuisinier et le chimiste respirent, marchent, aiment, mangent, boivent... mais ces activités communes ne font pas que tout soit commun !

5. Tout cela étant dit, observons la chimie, à la lumière des nombreux documents d'histoire des sciences et des techniques.
Au début, des chimistes (on disait aussi des alchimistes, le mot n'ayant pas, en réalité, la connotation ésotérique qu'on lui prête trop souvent aujourd'hui, à tort) chauffaient des matières et observaient des modifications de leurs propriétés. La matière était donc littéralement transformée, et cela était cause de trouble, mais avait aussi des applications pratiques évidentes : produire de la chaux à partir de carbonate était essentiel, tout comme fabriquer des métaux à partir des minerais, ou du savon, qui lave, à partir de graisse et de cendres...
Ce premier temps, qui consistait à pratiquer des "recettes", s'accompagnait de "spéculations", d'interrogations sur les transformations, bien mystérieuses qui se manifestaient lors des expériences. Il y  eut des "théories", celle des quatre éléments (air, terre, feu, eau) ou celle du phlogistique (on croyait que le chauffage enlevait des matières aux "substances"), celle du "calorique" (qui aurait été un fluide transmis par chauffage), etc.
Puis progressivement se dégagèrent les notions de molécule, d'atome... L'(al)chimie (en anglais chymistry) céda la place à la chimie (chemistry), cette merveilleuse science de la nature que j'aime passionnément. Rien à voir avec l'activité culinaire, qui n'a pas changé et ne changera pas dans ses objectifs : préparer des aliments.

6. Bien sûr, les sciences de la nature ont des conséquences technologiques. Et c'est ainsi, par exemple, que le chimiste Michel-Eugène Chevreul améliora la confection des bougies après avoir découvert la constitution moléculaire des graisses. Dans les premières recettes de savon, on mettait de la cendre avec de la graisse, mais il apparut que, dans la cendre, la composante essentielle était la potasse qui y est présente (c'est ce que l'on nommait un alcali, aujourd'hui nommé base). De ce fait, il y eut cette proposition de remplacer la potasse par d'autres bases, et il y eut d'autres savons, mieux que les premiers.
Progressivement, la science de la chimie  permit de déterminer par avance les résultats des opérations techniques que l'on se proposait de faire. Au lieu d'observer des résultats, de les orienter empiriquement, on devenait capable de prévoir des résultats.
Trois temps, donc : la recette, la recette épurée à ses seuls composés actifs, la recette prévue théoriquement.

7. Et pour la cuisine, quelle évolution est-elle possible ? L'objectif, je l'ai dit, ne changera pas, mais la technique, elle, peut encore progresser. D'abord, il y a eu cette rénovation technique de la cuisine moléculaire, qui voulait rénover les ustensiles. Puis, depuis moins longtemps, la "cuisine note à note", où l'on change les ingrédients.
Mais l'usage que l'on fait des ingrédients reste le même : produire des aliments. Bien sûr, les progrès de la gastronomie moléculaire permettent de prévoir par avance le résultat des transformations que l'on met en oeuvre, mais la technique restera la technique.

8. Pour conclure, deux champs séparés :
- la cuisine, activité technique, avec une composante artistique et une composante sociale
- la chimie, science de la nature, qui cherche les mécanismes des phénomènes.


lundi 6 avril 2020

Comment rater la cuisson d'un steak


1. Dans la série des "Comment rater", il faut quand même commencer par quelque chose de simple : cuire un steak.

2. Je rappelle que cette série ne vise évidemment pas à rater, mais à réussir, en connaissant les causes d'échec les plus fréquentes. Bien sûr, je ne peux pas les évoquer toutes, et j'écris cela en me souvenant d'une personne qui ratait ses mayonnaises... parce qu'elle les faisait sans huile, ou en me souvenant d'un ami qui ne savait pas reconnaître qu'il avait réussi, de sorte qui poursuivait le travail, ce qui le conduisait à rater. Bref, il y a une infinité de possibilités de faire, mais pas beaucoup de bien faire, et l'on perdrait son temps à imaginer toutes les errances.
Reste que le "paysage" des réussites et des échecs devient plus familier quand on connaît les principales causes d'erreurs. Lançons-nous donc, à propos  d'un steak.

3. La première cause d'échec, c'est la qualité de la viande ! Car qui dit steak ne dit en réalité rien de bien précis. Le dictionnaire (le TLFi, le seul bon) dit "Tranche de bœuf grillée ou à griller". Toutefois, il y a du bon comme du mauvais... et il est bien difficile de faire une bonne viande grillée si l'on part de viande dure, d'un animal âgé, dont la chair contient beaucoup de tissu collagénique. Bien sûr, on peut attendrir une viande dure en la cuisson  à basse température, mais ce n'est plus une viande grillée... à  moins que l'on ne s'y prenne bien  : nous y reviendrons.

4. Mais commençons simplement par une viande tendre, "à griller" : la tendreté - pas la tendresse, qui est bien autre chose- d'une viande se reconnaît à la pression des doigts : quand la viande cède sous les doigts comme du beurre, alors la viande est parfaitement tendre, et c'est même ainsi que certains cuisiniers la reconnaissent.
Soit donc cette viande tendre : comment la "griller" ?

5. Observons qu'il y a des  opérations différentes possibles : griller, c'est placer sur un grill, ou sous une salamandre, une "grille". La température étant très élevé, il y a une façon de rater, qui consiste à cuire trop longtemps, ce qui évapore l'eau et faire perdre la jutosité, tandis que l'on perd aussi de la tendreté.
Expliquons ces deux termes : une viande tendre est tendre, elle cède sous les doigts. Et une viande tendre qui cuit durcit, parce que les protéines qu'elle contient en abondance coagulent, comme le blanc d'oeuf durcit quand on le chauffe. Mais, ce faisant, s'il n'y a que cette coagulation, la viande ne perd pas d'eau (de jus), et elle ne perd pas de jutosité : le jus sera libéré quand on aura la viande sous la dent. En revanche, si l'on chauffe longtemps, l'eau de la viande s'évapore (observons la fumée blanche au dessus d'une viande que l'on grille), et la viande perd de la jutosité. Pour rater, il faut donc évaporer l'eau de la viande... mais pour ne pas rater, il faut donc éviter de perdre de l'eau.

6. Cela dit, je reviens aux différentes façons de cuire un steak. On peut aussi le "sauter", ce qui signifie le cuire dans un sautoir, ce que l'on nomme couramment une poêle. Autrement dit, on ne poêle pas un steak, mais on le fait sauter. Et là, même question de tendreté et de jutosité.

7. Bref, il faut conserver l'eau du steak pour qu'il reste juteux, et il faut éviter de le durcir par coagulation... ce qui impose qu'il reste bleu, ou saignant, voire à point : à l'intérieur, il ne doit certainement pas être comme à l'extérieur... ce qui arriverait si la cuisson languissait. Pour rater un steak, il faut le cuire doucement, lentement, afin qu'il perde son jus et qu'il soit coagulé à l'intérieur comme à l'extérieur... mais bien sûr, a contrario, on aura un bon résultat si l'on cuit à très forte chaleur, afin que la partie extérieure soit brunie, prenne du goût, de la croustillance, tandis que l'intérieur reste tendre et juteux.