lundi 22 juillet 2013

Cessons les incohérences !

Suite à mon article du mois, dans la revue Pour la Science (où j'exposais des dosages récents des glycoalcaloïdes toxiques dans des pommes de terre frites avec leur peau), je reçois des messages tels que :

Heureux rappel d'un "risque naturel" qui est bien réel. En France, dans les années 1950-60, tout le monde savait que les pommes de terre vertes étaient toxiques, et on nous l'enseignait aussi à l'école primaire. Aujourd'hui, au marché, j'ai du mal  faire comprendre au vendeur que je ne veux que des tubercules sans aucun verdissement. Ni lui, ni son patron n'en savent rien, ni ne savent qu'il faut impérativement conserver les pommes de terre à l'abri de la lumière afin de l'éviter.

Si j'en crois H. This, non seulement on en vend, mais aussi on en cuisine en restauration. Alors, Au secours ! 




Et ma réponse est : 
Oui, le public ignore complètement les risques les plus élémentaires (glycoalcaloïdes des peaux de pomme de terre, toxicité du plomb et du cuivre, toxicité de certains métabolites secondaires des végétaux. Il fume, il mange des viandes cuites au barbecue... et il paye plus chers des aliments bio, fait des révolutions contre des résidus de pesticides. Quelle inconséquence ! 

Vos macarons sont irréguliers ?


Pourquoi un macaron peut-il être creux, au centre, au lieu d'être une mousse solide homogène ?
Il y a mille raisons, comme on le verra.
Partons d'un blanc d'oeuf battu et sucré ; la poudre d'amandes ne changerait rien à l'affaire.
Ce qu'il faut savoir, tout d'abord, c'est que cette mousse est un excellent isolant thermique : j'ai souvent montré que si l'on met un thermocouple sous une mousse de blanc d'oeuf, et si l'on chauffe la mousse au chalumeau, la température sous la mousse n'augmente quasiment pas ! En effet, une mousse, c'est comme un super double vitrage, un très bon isolant thermique.
Bref, quand la meringue (ou le macaron, c'est la même chose) cuira, alors la température à coeur n'évoluera que très peu. Donc pas de quoi faire un coeur creux.
Toutefois les meringues et les macarons se font de mille manières différentes : on peut les poser sur une plaque métallique, ou sur un support moins conducteur de la chaleur ; on peut les cuire à four très chaud, ou à four moins chaud...
Supposons, ainsi, que l'on chauffe très fortement un petit tas de blanc sucré sur une plaque métallique placée dans un four pas suffisamment chaud pour faire croûter la surface : alors l'eau de la préparation s'évaporera au contact du métal chauffé... et l'on se souvient qu'un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur ; autrement dit, une grande quantité de vapeur apparaîtra, et elle se développera plutôt au centre, quitte à fissurer les macarons, pour s'échapper, si la croûte superficielle n'est pas assez rigide.
Autre cas de figure, à savoir celui des meringues  : on fait croûter en chauffant peu (140 °C), mais longtemps. Pourquoi les 140°C indiqués ? Parce que, au delà, la surface se colore, ce qui est à éviter pour une meringue. On chauffe pendant environ 20 minutes, pour avoir une croûte épaisse, et donc résistante. Si, ensuite, on cuit longuement à 100 °C, on videra la mousse liquide de son eau, la transformant en mousse solide qu'est la meringue.
Une cuisson sur un support peu conducteur ? Alors la croûte sera plus chauffée que la partie interne. Une cuisson à four très chaud ? On colorera.
Et ainsi de suite : les possibilités sont innombrables, selon le résultat que l'on veut obtenir !

dimanche 21 juillet 2013

Réclamons de la lumière !

Lu ce matin dans le tome 4 des Correspondances d'Einstein (CNRS/Le Seuil), une lettre à Solovine où je trouve  :

"Parmi les lectures que j'ai faites à ma soeur le soir, il y a eu celle d'écrits philosophiques d'Aristote. A vrai dire, cela a été une vraie déception ; si ce genre de philosophie n'était pas si obscur et si confus, il ne se serait pas maintenu aussi longtemps. Mais la plupart des gens ont justement un respect sacré des mots qu'ils sont incapables de comprendre ; quand ils peuvent comprendre un auteur, ils y voient un signe qu'il est superficiel."

samedi 20 juillet 2013

Vive la loyauté !


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Je viens de finir la lecture des inscriptions qui figuraient sur un conditionnement de produit alimentaire et je suis bien désolé de vous dire que c'était un immense baratin, encore pire que ce que j'aurais pu attendre. Un énorme mensonge : on y parle de nature, de produits naturels, alors que ce produit a été fabriqué, et que le naturel est ce qui n'a pas fait l'objet d'intervention par l'être humain... Bien peu d'ingrédients alimentaires sont naturels, et aucun aliment n'est naturel. 
 
Oui, aucun aliment n'est naturel, parce que tous les aliments ont été fabriqués. Tous ont fait l'objet de transformations par l'être humain, dans les cuisines domestiques, dans les «laboratoires » des artisans, dans les usines des industriels !
Allons plus loin : j'invite tous mes amis honnêtes à militer très activement contre l'utilisation abusive, déloyale du mot «  naturel » par les industriels ou les artisans de l'alimentaire.
Certes, bien souvent, l'emploi est simplement négligent ou ignorant, mais qui me fera croire que les cabinets de publicité ou de marketing de l'industrie alimentaire ignorent l'usage du mot « naturel » ? D'ailleurs, s'ils utilisaient le mot « naturel » fautivement par ignorance, ce serait encore plus grave ! 
Nous ne devons pas tolérer le mercantilisme déloyal. Luttons, luttons en écrivant aux services consommateurs des sociétés qui produisent ou vendent des aliments, luttons en écrivant aux services de l'État, afin qu'ils sanctionnent les fautifs. Luttons contre la déloyauté, la malhonnêteté !

Sur ce conditionnement, il y avait également une confusion entre goût, saveur, arômes. Cette confusion résultait à vrai dire d'un usage très métaphorique des mots, que leurs auteurs auraient justifié, sans doute, en invoquant le droit à un langage « poétique »... Et il est vrai qu'un marchand disant « Ah mes belles oranges » a le droit pour lui, car le « beau » est personnel. De même, il justifierait son discours « mon produit donne de l'énergie », car tout aliment ou ingrédient alimentaire, stricto sensu, apporte de l'énergie.
Mais on aura compris que, au delà des chicaneries, au delà de la mauvaise foi, je revendique de la loyauté, plus de loyauté qu'il n'est supporté de déloyauté aujourd'hui. 
J'invite tous mes amis honnêtes et loyaux à écrire au législateur pour réclamer plus de sévérité. J'invite tous mes amis des associations de consommateur, tous mes amis des ministères, en charge des produits alimentaires, tous mes amis engagés dans l'action politique, tous mes amis engagés dans l'éducation, à revendiquer, sinon pour nous-mêmes au moins pour nos enfants, à réclamer qu'un grand ménage soit fait. 
 
Même pour les mots qui désignent le goût ? Oui, même pour ces mots ! Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études pour être en mesure de dire que le goût est ce que l'on ressent quand on mange un aliment. Par exemple, quand on mange une banane, on a un goût de banane : on ne me fera pas croire que les publicitaires qui travaillent pour l'industrie alimentaire et qui, souvent, sortent des grandes écoles de formation des ingénieurs de commerce, ne sont pas capables de comprendre cela ?
Bref, le goût est une sensation synthétique, qui englobe la perception de la consistance, la perception des saveurs, des odeurs, du piquant et du frais.

Les saveurs ? Elles nous sont données par les cellules réceptrices des papilles, réparties sur la langue. 
C'est un autre combat de lutter contre la théorie fausse des quatre saveurs ; passons aux arômes. Là encore, il y a déloyauté à nommer arôme tout autre chose que ce qu'est un arôme : l'odeur d'une plante aromatique ! Une viande n'a donc pas d'arôme, pas plus qu'un fromage, un vin... Tout simplement, il y a l'odeur de la viande, il y a l'odeur des fromages, mais il y a l'arôme de la ciboulette ou du thym citron... 
Là encore, j'invite le législateur à refuser absolument l'emploi du mot arôme pour toute autre utilisation que l'utilisation juste. 

Il faut faire un grand ménage. Amis, luttons !

vendredi 19 juillet 2013

Pourquoi il est important de former les élèves ingénieurs à la physico-chimie


Des questions et des réponses

A noter que le site http://sites.google.com/site/travau... contient maintenant une page (http://sites.google.com/site/travau...) où divers protocoles de cuisine moléculaire sont donnés
19 juillet 2013 La question
Une question qui revient souvent : celle des cloques sur les pâtisseries. Comment les éviter, sur un petit pain au lait, sur un croissant, par exemple ?
La réponse : Cette question est merveilleuse, parce qu’elle permet de montrer que des étudiants (bien) formés à la physico-chimie peuvent apporter une aide réelle à l’industrie et à l’artisanat alimentaires, ou à tous le monde culinaire. Oui, d’abord, une cloque sur une dorure, c’est disgracieux, et c’est le signe que le praticien a "mal" travaillé. Analysons : s’il y a une cloque, c’est qu’une cloque s’est formée. Si une cloque s’est formée, c’est qu’il y a une raison. Pour faire cloquer, il faut pousser une partie de pâte assez mince, à la surface. Quel est le "moteur" du gonflement ? Ce ne peux pas être la dilatation de l’air, car entre la température ambiante et la température de cuisson, le gonflement n’est que de 30 pour cent, environ. Pas assez pour une cloque. Un seul autre moteur possible, le plus souvent : l’évaporation de l’eau ! Un gramme d’eau fait un litre de vapeur, environ. Ce qui signifie qu’il suffit de 0,00001 g d’eau pour faire une cloque de 5 mm sur 5 mm (environ). De ce fait, il suffit de dépister le dépôt d’eau sous la forme de gouttelettes, lors du travail de la pâte, pour le produit particulier qui est concerné, afin d’identifier la cause du malheur... et de tout corriger ensuite.
On observera pour finir que, sans ces quelques notions de physico-chimie, il est bien difficile de résoudre le problème, parce que le nombre de paramètres mis en oeuvre est quasi infini. Sans piste de départ, on est bien démuni.
N’est-ce pas que les sciences quantitatives (ce que l’on nomme parfois les "sciences dures") sont belles ?

Vendredi 19 juillet 2013. Le TLF


Puisque la science quantitative se fait avec des mots, le calcul formel étant fondé sur le langage, les mots sont importants. Tel était notamment le message de Condillac, puis de Lavoisier... et de bien d'autres.
Les mots : comment les connaître bien ? Il y a des dictionnaires. Toutefois, que valent des dictionnaires publiés par des sociétés d'édition privées, qui n'ont en réalité que leur profit en vue ? Tous ne sont pas médiocres pour autant... car les « auteurs » sont des auteurs de livres, et non pas nécessairement des mercenaires expédiant des tâches hâtivement. Toutefois l'expérience récente d'un dictionnaire populaire qui définissait fautivement la gastronomie moléculaire, et refusait de corriger son erreur, me fait penser que la langue ne peut être confiée à des sociétés privées.
Et c'est pourquoi j'invite tous mes amis à consulter le Trésor de la langue française informatisé, ou TLF, du Centre national de la recherche scientifique et de l'Université de Lorraine. Il est en ligne... et il est remarquable. D'autre, part, comme le sens des mots découle de leur étymologie et de leur histoire, il me faut aussi vous conseiller le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales, www.cnrtl.fr/etymologie, également remarquable.
Deux outils essentiels pour parler, écrire, penser, faire de la science !

jeudi 18 juillet 2013

Vive la technologie, surtout quand elle est bien enseignée.


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Dans un précédent billet, je me suis efforcé de bien distinguer la technique, la technologie et les sciences quantitatives.
La technique, c'est le « faire ». Le cuisinier, par exemple, fait un geste technique, il produit des plats, objets matériels. Toutefois la matérialité n'est pas l'apanage de la technique, car un programmeur fait également des gestes techniques, tout comme un médecin (ce n'est pas moi qui le dis, mais le grand Claude Bernard : le médecin doit soigner, produire des soins, malgré les prétentions).
Le technologie ? Il suffit d'examiner les mots : techne, faire, et logos signifie « étude », « connaissance »... La technologie utilise le savoir, les connaissances, pour améliorer les techniques. Là encore la définition n'est pas de moi : c'est celle qui a été retenue pour la classe « Technologie et société » de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de Belgique.
Enfin, la science quantitative ? Cette fois il s'agit de production de connaissances : comme on l'a vu plusieurs, on recherche les mécanismes font des phénomènes par une méthode nous avons eu l'occasion de décrire font soigneusement.

Comment enseigner la technologie ?
Prenons un exemple : la recherche de gelée claire au goût de vin rouge. Si l'on prend un vin tannique et et si on lui ajoute de la gélatine, un trouble apparaît ; la gelée qui prend n'est pas claire. Comment éviter ce désagrément ? Dans un tel cas, la connaissance des phénomènes qui ont eu lieu donne plusieurs pistes. Notamment les polyphénols des vins rouges, et plus spécifiquement les polyphénols de la classe des tanins, ont la propriété de se lier aux protéines. C'est cela qui est à l'origine du trouble : les agrégats deviennent si gros qu'ils perturbent la propagation de la lumière.
Autrement dit, puisqu'on ne peut pas changer le vin, on pourrait changer l'agent gélifiant : au lieu d'utiliser de la gélatine, qui est une protéine, on pourrait utiliser divers polysaccharides : agar-agar,alginate...

La moralité de cette affaire est claire : la connaissance des résultats scientifiques permet l'action.

De ce fait, de jeunes ingénieurs doivent être formés à la connaissance des résultats scientifiques. Ils doivent apprendre à chercher des résultats... mais la masse de connaissances où ils devront fouiller est immense. Il faudra donc qu'ils apprennent à sélectionner les connaissances qui répondront aux questions qu'ils se posent. Puis viendra l'étape d'utilisation de ces connaissances, le retour à la technique, le « transfert technologique ».

Au total, de jeunes ingénieurs semblent avoir besoin d'au moins quatre compétences essentielles : d'abord ils doivent apprendre à vivre en société, dans cette société particulière qu'est le monde industriel, lequel n'est pas déconnecté du monde général. Dans cette partie de leur éducation, il devrait y avoir de l'éthique, mais aussi le maniement du langage, c'est-à-dire -soyons simples- de l'orthographe, de la grammaire, de la rhétorique, de la logique. Pas grand-chose de neuf depuis Aristote ou Condillac ! D'ailleurs, je n'ai considéré ici que la langue française, mais il y aurait lieu d'apprendre une plusieurs langues étrangères. Plus généralement, regroupons toutes ces matières indispensables sous le nom d'humanités. À côté, il doit y faut un enseignement qui permette de sélectionner des résultats utiles... ce qui suppose qu'il y aura eu un enseignement qui conduit à comprendre les résultats des sciences quantitatives. Enfin, il faut un enseignement du transfert technologique, le travail qui consiste à passer du résultat scientifique à l'application.

Cette vision a des corollaires, et, notamment, elle montre qu'il ne faut pas transformer les ingénieurs en scientifiques. Les ingénieurs n'ont pas à passer leur temps à chercher les mécanisme des phénomènes. Même s'ils sont de remarquables ingénieurs de recherche, leur objectif est technologique. Même si, au cours de leur des travaux technologiques, des innovations surviennent, utiles à l'exercice de la science, les ingénieurs ne semblent pas devoir faire de sciences quantitatives pour autant. Par exemple, au Centre IBM de Zürich, il y a quelques années, M. Rohrer et M. Binnig avaient mis au point un microscope à effet tunnel. Il ne s'agissait pas d'aller explorer les phénomènes, mais bien de mettre au point un microscope. La science a largement fait usage de ces outils, comme Galilée fit usage de la lunette, récemment intentée. Plus généralement, la science utilise très fréquemment les innovations, les nouveaux moyens d'observation, mais la science a ses objectifs et ses méthodes, et la technologie en à d'autres.

Vive la technologie !