jeudi 28 novembre 2024

Savoir de quoi l'on parle

 

Amusant d'observer que hier, discutant avec des collègues non chimistes, mais étudiant les questions d'alimentation sous différents aspects scientifiques, j'ai été amené à sans cesse corriger leur discours : ils confondaient les acides gras et les triglycérides, ils confondaient les tanins et les polyphénols,  et ainsi de suite. 

C'en est devenu un jeu : ils disaient tant de choses fausses et j'ai tant corrigé, que nous avons fini par en rire. Évidemment, je ne suis pas sûr d'avoir eu le beau rôle à être ainsi une sorte de censeur qui rappelle que le discours gagne à être juste mais quand même , je préfère savoir ce dont je parle 

A propos de sel dans l'alimentation

 

Nous finissons notre programme de recherche sur l'utilisation du sel dans l'alimentation, en vue de trouver des moyens pour arriver à une réduction publique de sa consommation. En effet, de fortes consommations de sel s'accompagnent de maladie variées et il y a lieu de trouver des moyens de réduire nos consommations. 

Déjà par le passé, les industriels de l'alimentaire s'étaient engagés à réduire le sel dans leurs préparations et le fait est qu'il y a eu une forte réduction au point que nous trouvons aujourd'hui trop salés des aliments qui étaient préparés il y a 10 ans. Mais comment réduire davantage le sel ? 

Il y a divers moyens et il s'agit quand même de savoir quel est leur efficacité. Quelle est l'efficacité d'un message de prévention, par exemple ? Est-il préférable de saler les aliments avant leur cuisson ou après ? 

C'est l'ensemble des résultats obtenus qui a été révélé hier à Dijon, en conclusion de notre programme Sal&Mieux, subventionné par l'Agence nationale de la recherche mais qui fera l'objet de diverses publications en plus de celles qui ont déjà été faites jusqu'à présent.

mercredi 27 novembre 2024

Il faut chercher à réfuter les théories

À propos d'un mécanisme de réaction chimique,  un collègue que j'interroge me répond que .  les choses n'ont guère changé depuis les articles très anciens que je lui cite : j'avais trouvé un mécanisme de la réaction dans un texte de 1992. 

Mais quand même, 30 ans sans progrès ? Dans la mesure où la science doit considérer que les théories sont toutes insuffisantes, et que nous devons tester expérimentalement ces théories, on  comprend mon étonnement : dans les 30 années écoulées, pourquoi n'a-t-on pas cherché à comprendre les différences de mécanismes en fonction du pH, par exemple ? Pourquoi n'a-t-on pas cherché à réfuté le mécanisme proposé alors que nos techniques analytiques n'étaient pas celles d'aujourd'hui ? 

Je  répète que la saine méthode scientifique veut que nous considérions les théories comme des assemblages intellectuels insuffisants par principe, qu'il s'agit de tester, en vue de les réfuter, condition d'améliorations, de rectifications, de progrès. En rester à des théories qui datent de plus de 30 ans, c'est paresseux.

Vulgarisation : peut mieux faire

 Alors que je sors d'un documentaire - que je juge sans intérêt-  sur les fouilles à Pompéi,  je lis un texte de vulgarisation sur le physicien James Clerk Maxwell, notamment à propos de ses travaux d'électromagnétisme.
Et là encore, le texte n'est guère intéressant, car il  enchaîne les descriptions et non pas les explications.

Il y a beaucoup de mots pour dire les choses, pour donner des détails, pour énoncer des circonstances... mais bien peu pour dire des choses précises et conceptuelles, pour situer dans un contexte.

Et quand il est question de formalisme mathématique de la physique, ce qui est le coeur du travail de Maxwell, alors les explications ne sont pas données. Là encore, j'accumule des connaissances mais je ne reçois pas d'intelligence et je comprends donc les limites terribles de l'historiographie.

Pourrais-je moi-même faire mieux ? Je pense notamment à mes chroniques dans la revue Pour la science, voire à mes textes pour les cuisiniers ou les charcutiers. J'y interprète des phénomènes, je donne des éléments théoriques pour interpréter les phénomènes, pour les "comprendre".  

Mais je vois maintenant plus clairement que je peux faire mieux, ayant compris les défauts du texte consacré à Maxwell  : c'est le formalisme qu'il s'agit d'expliciter.

mardi 26 novembre 2024

L'innovation : je crois moins au génie qu'au travail

Alors que je me prépare à faire un cours consacré aux applications des sciences et à l'innovation, je comprends que la première phrase doit être d'indiquer que la question n'est pas de trouver une nouveauté isolée, mais plutôt de sélectionner parmi un ensemble infini de possibilités parfaitement, clairement, identifiées et qui n'ont jamais été mises en œuvre;

La question est plutôt de savoir comment faire cette sélection et je propose la comparaison avec une table immense sur laquelle serait posée de petits objets, qui représenteraient les nouveaux systèmes potentiellement réalisables et utilisables.
Ces système, nous devons les sélectionner selon des critères, et la première chose à faire et donc d'identifier clairement les critères à mettre en œuvre. 


Ces critères peuvent être l'énoncé de propriété particulières, physiques ou chimiques... puisque les aliments, par exemple, sont des systèmes physico-chimiques qui doivent interagir avec le système sensoriel et avec le système digestif, voire avec la culture alimentaire du mangeur. 
Par exemple, on peut vouloir un gel transparent, ou plutôt un gel opaque ; on peut vouloir une bioactivité très rapide ou au contraire très lente (par exemple pour la libération d'un principe actif de médicaments, pour de la longueur en bouche, et cetera). 

Dans un tel mouvement, mieux penser que  le travail de technologie en relation avec l'innovation consiste alors surtout à caractériser les systèmes ou à prévoir leur caractéristiques, en vue de leur sélection selon les critères retenus. 

En tout cas on est bien loin de l'idée fantasmée d'une sorte de génie créatif et c'est bien plus tôt un labeur très terre à terre qu'il s'agit de mettre en œuvre. Les claquement de doigt prétendus ne sont gobés que par les imbéciles ou les paresseux qui ont envie d'y croire, mais en réalité, un travail considérable est nécessaire. 

Est-ce pesant ? Seulement pour ceux qui n'ont pas envie de parcourir le chemin. Mais,  pour les autres, il s'agit de faire comme une merveilleuse promenade en forêt à cela près qu'il y fait toujours beau si l'on désire qu'il fasse beau alors que, en forêt, on prend parfois la pluie sur la tête et on marche dans la boue. 

Oui, la recherche technologique est une merveilleuse promenade !

Pourquoi a-t-il été dit que la préparation des soufflés était compliquée ?

Quand on comprend les raisons d'une préparation culinaire, tout devient si simple ! Et c'est le cas des soufflés : il s'agit de faire une préparation un peu épaissie à laquelle on ajoute des jaunes d'œufs, et d'autre part, on bat les blancs en neige, on  ajoute les blancs en neige à la première masse, on place  dans un moule que l'on chauffe. 

Avec ce simple protocole,  on a donc un soufflé... que l'on peut bien cuire ou mal cuire. Mais là, la règle est simple : il suffit de cuire par le fond. En effet, un soufflé doit gonfler et j'ai découvert il y a longtemps que ce gonflement résulte principalement de l'évaporation de l'eau présente dans la préparation : par exemple du lait dans une béchamel pour un soufflé au fromage, ou l'eau des fruits dans une compote. 

Un gramme d'eau qui s'évapore fait un litre et demi de vapeur   : on comprend que si cette évaporation se fait au fond du moule, alors la vapeur  pousse les couches supérieures vers le haut, tandis que si l'on chauffait par le haut, alors la vapeur sera perdue en pure perte. 

Il y a dieu donc lieu de considérer ce phénomène quand on cuit un soufflé, ce qui a comme conséquence que l'on privilégiera un récipient de cuisson qui transmettra bien la chaleur par le fond, par exemple : plutôt donc un récipient métallique à fond mince qu'un récipient en porcelaine à fond épais. 

Les œufs dans la préparation permettront, en coagulant, de donner une certaine tenue à l'ensemble, et les blancs en neige ajouteront des bulles d'air qui augmenteront le côté aérien du soufflet. 

Mais je répète que ce n'est pas l'air qui fait gonfler les soufflés, et, d'ailleurs, dans un de mes séminaires, nous avons obtenu des soufflés tout aussi bien gonflés avec des blancs battus en neige ou avec des oeufs qui n'avaient pas été battus... à condition de bien chauffer par le fond. 

Il faut ajouter aussi les résultats d'un autre séminaire qui nous a montré les effets différents du blanc, du jaune ou des œufs entiers : avec les blancs, qui sont fait de 90 % d'eau, on avait un développement supérieur, mais des soufflés plus fragile. Avec les jaunes, on avait une tenue importante, mais aussi du goût. Tout est possible de ce point de vue pour qui comprend le phénomène essentiel : le gonflement des soufflés résulte de l'évaporation de l'eau.

La bonne (et la mauvaise) vulgarisation de l'archéologie

On me montre un documentaire sur les fouilles à Pompéi, et toutes les trois minutes le narrateur me dit qu'on fait une "découverte inédite". 

Une découverte inédite : n'est-ce pas un pléonasme, voire une périssologie (soit un pléonasme fautif) ? 

Quoi qu'il en soit, l'ajout d'adjectif ampoulé "inédite" ne fait que de l'épithétisme, et n'ajoute pas de force au mot découverte, surtout quand il est répété à tous les coins de phrase. C'est une sorte d'argument d'autorité idiot qui montre que la narration n'a pas su établir véritablement l'importance de la découverte. 

Ce genre d'observations vaut évidemment pour toute la vulgarisation scientifique. D'ailleurs, la présentation de fouilles archéologiques est une manière de vulgarisation de cette science qu'est l'archéologie. 

Quand je fais l'observer cela à mon entourage, on me répond qu'il faut bien "raconter une histoire". Certes mais ce n'est pas une justification suffisante pour mal raconter une histoire. Imagine-t-on que, dans l'histoire du petit Chaperon rouge, on nous dise trois fois de suite de le Chaperon rouge est parti voir sa grand-mère : une fois suffit, non ? 

Examinons, pour revenir à notre documentaire, le cas particulier de la découverte d'une pièce de métal qui ressemble à une pioche. Il y a des questions :  à savoir comment on a mise au jour cette pioche, comment on est certain que c'est une pioche, et qu'est-ce qu'une pioche à cette époque reculée. 

 J'aurais notamment aimé que l'on m'explique quelle est la professionnalité de celles et ceux qui utilisent de petites brosses pour dégager la pioche : ont-ils des gestes particuliers, ou bien n'importe qui pourrait-il ainsi "épousseter" ? 

L'objet est-il une pioche : comment le sait-on ? Cela impose notamment, pour dépasser l'anecdote, la ressemblance fortuite, que l'on m'expose le corpus de connaissance qui permet à des archéologues d'affirmer qu'il s'agit bien d'une pioche.
 

Finalement, sans le documentaire que l'on m'a montré, il y a non seulement des redondances épouvantables, mais, surtout, je ne sors guère plus intelligent des longs moments que j'ai passé : je n'ai guère appris, et, surtout,  je n'ai pas appris conceptuellement. 

Je conclus donc que c'était là de la mauvaise vulgarisation, un divertissement qui est en réalité une perte de temps. Ai-je vraiment envie de me "divertir" ? Non, j'ai mieux à faire, bien plus passionnant : la production scientifique !