mardi 10 septembre 2024

Le sel dans les carottes que l'on cuit

Je m'aperçois que je n'ai jamais vraiment bien présenté les résultats de nos études sur le sodium dans les carottes que l'on cuit. 

 

La question découle du fait que, quand on cuit, on ajoute du sel dans l'eau et certains cuisiniers disent même que l'on ne parvient pas à saler correctement des carottes si l'on ajoute le sel ensuite. Est-ce vrai ? 

D'autre part, les agences sanitaires se préoccupent de la consommation excessive de sel par les individus. 


Pour avoir des idées sur la consommation de sel réelle, nous avons cuit des carottes soit dans de l'eau pure soit dans l'eau salée. Je vous épargne des détails mais faites-nous confiance : l'article a été publié après une évaluation soigneuse, qui a vérifié que les expériences avaient été très rigoureuses. Par exemple il ne s'agissait évidemment pas d'eau du robinet mais l'union parfaitement pure, sans ions, et ainsi de suite. 


Les résultats sont intéressants.

 

Par exemple, nous avons vu qu'il y a une très grande diversité de carottes :  avant cuisson, il y a certaines carottes qui contiennent beaucoup plus de sodium que d'autres et cela dans différentes parties : en haut, en bas, sur la partie externe, dans le cœur. 

 

D'autre part, quand on cuit une carotte dans l'eau pure, on voit son sel s'en échapper et plutôt par les bouts que par les parties latérales. 

 

Inversement, quand on cuit une carotte dans l'eau salée alors on voit le sel entrer en abondance dans les carottes par la parties supérieure ou par la partie inférieure, plutôt que par les flancs. Finalement, dans les extrémités, la concentration en sel   est presque celle de l'eau de cuisson après 30 minutes de cuisson. 

 Pour une carotte de plusieurs centimètres de long, alors on a une concentration un peu inférieure au milieu de la carotte mais pour des carottes plus petites, la concentration fait quasiment celle du bouillon partout. 

 

Bref, nos carottes cuites classiquement dans l'eau salée sont chargés de sel en proportion de la quantité de sel que l'on a mise   dans le bouillon. 

Pour en revenir à la question des cuisiniers, de savoir si l'on peut saler correctement des carottes en ajoutant un sel "discrétionnaire", c'est-à-dire à la fin de la cuisson, la réponse et que les carottes seront différemment salées puisque le sel restera à l'extérieur de la carotte qu'on mangera et non pas à l'intérieur de la carotte comme quand on cuit les carottes dans l'eau salée. 

lundi 9 septembre 2024

La chimie ? Encore plus belle que je ne le disais !

C'est difficile à croire mais je viens de trouver des raisons supplémentaires de considérer que la chimie est une science merveilleuse. 

 

Les petits esprits opposent la physique et la chimie : ceux qui préfèrent la première disent que la chimie est un assemblage de détails  ; inversement les chimistes les plus sectaires répondent que la physique a beau jeu de proposer de grandes équations générales car celle-ci ne s'appliquent  jamais en pratique. 

Evidemment, ces deux positions sont intenables ,  et il vaut mieux au contraire comprendre en quoi les deux sciences sont différentes, complémentaires et toutes deux passionnantes. 

 

Pour la physique, il est extraordinaire que des équations algébriques puissent décrire si bien les phénomènes et, mieux, faire le tri entre des mécanismes concurrents. 

Pour la chimie, j'ai récemment découvert deux caractéristiques qu'il est intéressant de signaler à ceux qui apprennent cette science. Ma première observation est que si l'approche quantitative, algébrique, n'est pas à rejeter bien au contraire, il y a lieu de considérer, de surcroît, que le symbolisme de la chimie est une représentation de tels calculs, et une raison représentation très opérationnelle puisqu'elle permet d'envisager les transformations de la matière. 

Il est merveilleux d'admirer que cette pratique a permis de découvrir l'idée de molécules avant même que la physique n'y parvienne. Mais il y a mieux  :  à savoir que les réactions classiques de la chimie sont l'équivalent des équations générales de la physique. Par exemple la réaction d'un diène et d'un alcène permet de former un "cycle", une structure fermée pour la chaîne d'atomes de carbone,  ce que l'on nomme la réaction de Diels Albert, et qui est l'homologue d'une loi  physique telle que la loi d'Ohm, par exemple
 

Certains étudiants reprochent à la chimie d'imposer du par coeur... mais faut-il savoir plus qu'en physique ou en biologie ? Dépassons les "on dit". 

De surcroît, si l'on admettait que cette critique était juste il y a 40 ans, quand on faisait la chimie "au lasso", elle ne met plus aujourd'hui, alors que nous envisageons du transfert d'électrons et stéréochimie. La chimie au lasso consistait à repérer dans les réactifs un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène : on les entourait d'un trait et l'on considérait qu'il y aurait une réaction de condensation. Aujourd'hui, la connaissance des électrons et de leurs possibilités de mouvement a balayé tout cela, et il s'agit d'analyser, de réfléchir à des mécanismes. 

Que la chimie est belle !

S'achève le 12e Concours international de cuisine

 Nous venons de tenir notre douzième concours de cuisine de synthèse, dites encore cuisine nota note.
Je rappelle, s'il le faut vraiment, que cette cuisine se fait à partir d'ingrédients qui sont des composés, et non plus des viandes, poissons, légumes, fruits et cetera. Ces composés peuvent évidemment venir des viandes, fruits, poissons, légumes, etc., mais il s'agit en l'occurrence de faire comme un musicien qui utiliserait un synthétiseur (d'où le nom de cuisine de synthèse), et qui assemblerait des ondes sonores pour faire de la musique. On sait combien cette musique de synthèse s'est développée dans le monde : aujourd'hui elle est partout et même les chanteurs ont une voix qui passe par une boîte à musique, et qui est donc modifié électroniquement. 

Bref toute la musique du monde est aujourd'hui de synthèse et de la même façon, il y a lieu d'explorer cette cuisine de synthèse, dont la composante artistique est dite note à note, en référence évidemment à des notes de musique. 

 

C'est pour cette raison que nous organisons tous les ans un concours international dont la finale se tient sur le campus à gros Paris Saclay à Palaiseau. 

 

Cette année, il y avait une trentaine de concurrents et nous en avons présélectionné 5 pour la finale, qui sont venus présenter la recette qu'ils avaient été imaginé. Le thème était l'énergie, et il y a eu tout aussi bien des concurrents qui ont cherché à réduire la quantité d'énergie qu'ils utilisaient pour produire une recette note à note que des concurrents qui ont évoqué métaphoriquement l'énergie... Telle la gagnante, Blandine Bouchelet de Vendegies, qui a créé un plat représentant un volcan. 


En tout cas, le jury, qui était composé de chefs réputés, a considéré que toutes les présentations ont été remarquables et d'un niveau supérieur aux années précédentes. Ils ont  aussi observé combien ces présentations avaient été professionnelles, alors qu'elles étaient effectuées par des étudiants (souvent de notre Master International Erasmus plus Food innovation and product design

Le jury ? Il était composé de Jean-Pierre Lepeletier, président d'honneur des Toques Blanches Internationales, de Pierre Dominique Cécillon, également président d'honneur des  Toques Blanches Internationales, et d'Eric Sanchez, actuel président des Toques Blanches Internationales. Il était guidé par Yolanda Rigault, biochimiste et membre de l'équipe d'organisation, par Roisin Burke, professeur à la Technological University Dublin et également membre de l'équipe d'organisation,  tandis que Dao Nguyen et Pasquale Altomonte, de la société Kitchenlab, partenaire du concours, venaient présenter les produits odorants qu'ils commercialisent. Des représentants de la société Louis François, également partenaire du concours, étaient en ligne, pour cette finale qui a été enregistrée. 

 Je félicite très vivement tous les concurrents, notamment ceux qui ont été pré-sélectionnés, et évidement les vainqueurs  : 

1. Blandine Bouchelet de Vandegies

2 Julio Garcia Dominguez

3 Rine Krasniqi

4. Charlotte Delattre et Kate Doherty

dimanche 8 septembre 2024

Bonnes pratiques

 

Il est amusant d'observer que ce que l'on nomme bonne pratique en français soit nommé best pratices c'est-à-dire "meilleure pratique" en anglais. 
 
Mais repartons de plus loin : il y a des différences importantes entre ces différents termes  de déontologie, éthique, morale, bonne pratique... 
 
Et le fait que beaucoup de nos amis s'y perdent montrent que ces notions ne sont guère familières. 
 
Autrement dit, ceux d'entre nous qui cherchent à faire bien le font un peu intuitivement, naïvement, ou, disons-le différemment :  du mieux qu'ils le peuvent. 
Pour autant, un large corpus de réflexion a déjà été créé et l'on a intérêt  à consulter les idées mûrement réfléchies, au lieu de penser très individuellement à ce que nous pensons être le bien ou le mal. 
Notre culture personnelle est un handicap et nos ignorances de certaines prémices nous font parfois tomber dans des conclusions contestables. 
Je prends ici une métaphore à propos de bonnes pratiques (sutor non supra crepidam) :  supposons que nous ayons devant nous une balance sur laquelle soit indiquée que la masse maximum pesable est de 300 g. Sans connaissance des documents de bonne pratique relatifs à l'usage des balances, comment pourrions-nous savoir que l'on doit éviter de peser entre 90 % de la valeur maximum et 100 % ? Et entre 0 et 5 % de cette valeur ? 
 
Les bonnes pratiques sont précisément des documents qui nous permettent d'avoir... de bonnes pratiques et ce qui est dit là pour les bonnes pratiques vaut tout aussi bien pour la déontologie. 
 
N'oublions pas la recommandation des mathématiciens : sans  suffisamment de prémsses, une conclusion faible ne peut pas être tirée.





samedi 7 septembre 2024

A propos de risotto

En juin, lors du  séminaire de gastronomie musculaire du mois, nous avons exploré la confection du risotto. 

Nous avions déjà, par le passé, deux fois exploré cette question, d'abord en 2007 en montrant que l'ajout du liquide (du bouillon) par petites quantités permettait d'en évaporer davantage, ce qui engendre plus de goût puisque le bouillon se concentre.
Puis, plus récemment, nous avions vérifié que le nacrage du riz, c'est-à-dire la cuisson avec un peu d'huile préalablement, permet de donner un peu plus de goût au risotto. 

Il nous restait à comparer l'ajout du bouillon soit froid soit bouillant, au riz qui avait été nacré. 

Nous avons donc nacré du riz, dans les règles de l'art, ajouté un demi-verre de vin comme il est prescrit classiquement, et ensuite, en chauffant les deux  risottos de la même façon, nous avons ajouté soit du bouillon froid soit du bouillon bouillant, en quantités exactement identiques : nous versions une louche de bouillon froid d'un côté et une louche de bouillon chaud de l'autre. 

Les deux risotto, dans les conditions de cuisson que nous avons effectué, ont cuit exactement pendant 27 minutes, et nous avons effectué des comparaisons à l'aveugle, soit en visuel soit en gustatif. 

Il faut dire que pour l'une ou pour l'autre des comparaisons, les différences sont extrêmement faibles alors qu'on nous avait prédit des différences considérables. 

Mais on la différence entre les deux risotto était si faible que la moitié des tests sensoriels ne l'a pas révélée, alors que nous faisions tout dans les règles de l'art.

vendredi 6 septembre 2024

Cherchons toujours les mécanismes !

Lors de la dernière année universitaire, j'ai eu l'occasion d'observer que nos élèves ingénieurs n'avaient pas suffisamment le réflexe d'aller chercher les mécanismes des phénomènes qu'ils considéraient.
De sorte que, cette année, au moins pour ce qui me concerne, je serai très insistant à ce propos car je crois que c'est là la clé du bon exercice du métier d'ingénieur. 

Je ne méconnais pas que ce métier a une composante strictement technologique au sens de l'amélioration des techniques, de la résolution de problèmes techniques, de la mise au point des produits, et une composante d'encadrement d'équipe, de gestion de projet. Ici, c'est bien la question technologique qui m'intéresse et l'expérience montre amplement que des maniments superficiels des questions ne mènent à rien, font perdre du temps... 

La clé du succès, c'est la compréhension des phénomènes et la mise en œuvre de solutions guidées par cette compréhension.
Il faut chercher le mécanisme en terme de chimie, de physique, de biologie et c'est ensuite, quand on a une description des phénomènes, une analyse des questions en ces termes scientifiques, que l'on peut résoudre les problèmes de façon efficace. 

Je prends la précaution d'ajouter que je ne cherche pas à transformer nos ingénieurs en scientifiques, en personnes qui cherchent les mécanismes des phénomènes. Non, il s'agit plutôt que nos élèves ingénieurs aillent chercher la connaissance des mécanismes produites par les scientifiques et mettent en œuvre cette connaissance pour les questions qu'ils traitent. 

D'ailleurs, celles et ceux qui ont concocté les programmes de préparation aux écoles d'ingénieurs ont bien compris tout cela puisqu'ils ont mis au programme des matières fondamentales telles que mathématiques, chimie, physique, biologie.
Nos élèves ingénieurs bénéficient de ce socle très ferme , et nous avons la mission de les faire avancer plus loin. Ils auraient tort s'ils pensaient pouvoir ne plus traiter ces questions, et d'ailleurs, beaucoup aiment ces matières. Poursuivons donc sur la lancée, incitons-les à ne pas oublier les connaissances qu'ils ont acquises et, au contraire invitons les à développer leur connaissance dans tous ces champs car c'est ainsi qu'ils feront d'excellents ingénieurs. 

Cela a été bien compris notamment par l'Ecole de physique et de chimie de Paris, où  l'enseignement « scientifique » est très poussé, sans négliger  pour autant les questions pratiques : il y a des séances expérimentales tous les après-midi pendant 4 ans. 

 

Aidons nos amis à devenir d'excellents ingénieurs ! 

jeudi 5 septembre 2024

À propos d'endogamie intellectuelle

Cela fait plusieurs fois que j'observe des situations où l'endogamie est une menace. Je m'explique. 

Tout d'abord, dans une académie où je siège, nous sommes invités à renouveler l'Académie périodiquement en élisant de nouveaux membres, et je ne cesse de recommander à mes consoeurs et mes confrères de ne surtout pas choisir quelqu'un de leur propre discipline mais au contraire des personnalités de disciplines différentes, et différentes de celles des membres qui sont déjà présents. Rien de pire que d'augmenter le nombre de personnes ayant des compétences similaires car nous manquons alors de la nécessaire diversité permettant de juger de questions qui doivent être considérés sous des angles différents. 

De même, hier, nous discutions de l'organisation d'une conférence et j'ai recommandé à chacun des organisateurs de ne pas proposer des personnes de leur propre discipline sans quoi nous tournerions en rond, nous ne découvrirons collectivement pas de nouveau. 

Derrière tout cela, il y a cette question du philosophe Alain : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? C'est une question salutaire que nous devons utiliser le plus largement possible car c'est la seule façon de ne pas moisir dans un entre nous stérile, de ne pas nous appauvrir génétiquement par une endogamie excessive . Il nous faut de l'air frais, des idées neuves...