À propos de liaison de sauce, j'ai déjà distingué des émulsions, des mousses, des suspensions, et cetera, mais je m'aperçois que je ne suis pas allé à la racine de la chose : l'idée, c'est qu'on part d'eau, ou plus exactement d'eau qui a du goût, ce que les chimistes nomment des solutions aqueuses, obtenue par cuisson de tissu animaux végétaux dans de l'eau, dans du vin, et cetera.
Cette solution aqueuse est souvent très fluide, avec peu de viscosité, et on voudrait lui en donner afin qu'elle nappe les morceaux en gardant une consistance plus fluide que celle d'une purée, par exemple.
Autrement dit, il faut ralentir le mouvement de l'eau.
Et cela se fait :
- soit en dispersant dans l'eau de longues molécules qui se lit aux molécules d'eau, tels des polysaccharides ou des protéines, fautivement nommés hydrocolloides,
- ou bien en dispersant des structures variées dans l'eau afin que cette dernière soit très encombrée. C'est le cas pour les liaisons par des protéines telles que le jaune d'œuf ou le sang, qui coagulent à la chaleur, formant des structures dispersées dans l'eau
C'est le cas aussi de l'émulsification, avec des gouttelettes de matière grasse également dispersées dans l'eau, comme on le fait quand on monte une sauce au beurre.
On peut imaginer aussi la dispersion de bulles d'air, un foisonnement qui peut engendrer une mousse... et l'on sait bien qu'un blanc battu en neige, par exemple, ne coule pas.
Bref, les possibilités classiques de liaison se retrouvent toutes dans cette description. Les liaisons à la farine ou à l'amidon se trouvent dans la catégorie des suspensions, mais cette fois, ce ne sont pas des particules solides qui sont dispersés ; plutôt des grains d'amidon empesés, c'est-à-dire en réalité des petits gel.
Notons que l'on peut aussi obtenir le même type de système si l'on fabrique d'abord une gelée et que l'on mixe dans le liquide : on dispersera alors des micro-gels dans la solution aqueuse pour faire ce que j'ai nommé les "debyes".
Je dois pas oublier de revenir sur un point de détail avec les sauces "confortables", c'est-à-dire celle qui sont liées par addition de gélatine : cette fois il s'agit d'une protéine et non pas d'un polysaccharide mais les molécules de gélatine se lient également aux molécules d'eau et donnent aux sauces une viscosité de bonne aloi.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 7 décembre 2023
A propos de liaison des sauces
mercredi 6 décembre 2023
Vegan egg wash ?
I am interviewed about the possibility of making vegan egg wash, and here is my answer :
For brilliancy, any layer that would be very smooth can be used (proteins in water, for example, but also oil, etc.). And for yellow, you use some yellow color (egg yolk or food colorant).
Donnons de la mémoire aux institutions
Il y a au moins deux institutions scientifiques de ma connaissance qui ont bénéficié, pendant quelques décennies, de remarquables compétences scientifiques et humaines d'hommes aujourd'hui retraités.
Dans les deux cas, ces hommes (cela aurait pu être des femmes, mais les exemples auxquels je pense sont ainsi) étaient chefs de département, mais des "chefs" qui faisaient penser, au lieu d'imposer ; deux hommes bienveillants, scientifiquement compétents, qui, au lieu de s'accrocher à leur poste comme tant de vieux crabes que l'on voit sur les rochers, ont su prévoir leur succession, et partir sans croire qu'ils étaient indispensables... et on les regrette chaque jour, parce que, dans les deux cas, on n'a pas trouvé si bien : il faut bien dire, partout, que personne n'est parfaitement remplaçable, et que la "régression vers la moyenne" nous condamne à avoir généralement moins bien quand nous avons eu le mieux. Tant pis.
De toute façon, ce n'était pas mon sujet. Là où je veux en venir, c'est observer que, aujourd'hui, dans les deux institutions auxquelles je pense, les jeunes qui viennent travailler ne savent rien de l'existence de ces deux personnes qui ont forgé l'institution où ils travaillent, et je crois que ce n'est pas bon.
Pis, les règles administratives sont telles que ces deux personnes auxquelles je pense n'ont plus eu de bureau (ce qui se comprend), ni d'adresse email. Leur nom a entièrement disparu de l'institution, et seuls quelques anciens (qui partiront avec la mémoire reconnaissante qu'ils ont encore) se souviennent de l'activité remarquable de nos deux personnages.
Est-ce bien raisonnable ? On comprend que l'exemple donné ici n'est qu'un exemple, et que ce cas se retrouve partout : dans les institutions de recherche, dans les institutions d'enseignement, dans les entreprises... et cela me paraît dommageable : avec la mémoire des oeuvres de ceux qui ont bien fait, on perd l'exemple, l'enseignement de la possibilité de faire des actions merveilleuses, et aussi l'intelligence de quelques actions. Les plus jeunes doivent réinventer de l'intelligence, au lieu d'aller bâtir sur du dur déjà élevé.
On n'est pas loin de Sisyphe et de son rocher qui roule sans cesse, et qu'il faut sans cesse remonter. Un autre cas se présente : imaginons un individu actif, qui fait fonctionner un groupe, pour le bien de ce groupe. Tout va bien... mais imaginons que notre individu soit si remarquable qu'il veuille promouvoir des jeunes, les aider à se former pour prendre un jour sa place. Après un "entraînement" sous sa houlette, il veut leur confier la direction du groupe, et doit donc céder sa place. C'est alors que se présente un dilemme : s'il cède sa place, il n'est plus rien, ce qui n'est pas grave du point de vue du titre, mais l'est en ce sens qu'il n'a plus la possibilité d'agir, de contribuer, sans gêner son successeur. Bien sûr, on peut imaginer que le successeur le nomme "directeur honoraire" et qu'il tienne compte de ses avis, mais est-ce la solution ? On peut aussi imaginer qu'il se mette à travailler sous les ordres du jeune directeur, mais est-ce souhaitable ? Dans les deux cas, il y a la question de la mémoire.
Le 13 décembre
Rendez vous le 13 décembre, dans la grande nouvelle bibliothèque d'AgroParisTech : nous y explorerons des ganaches, et le massage du chocolat !
Nous cuisons une côte de bœuf ? Soyons patient et chauffons modérément.
Comment cuire une côte de boeuf ?
Une
côte de bœuf, c'est une partie de viande très épaisse, parfois plus de
deux fois plus épaisse qu'un steak ordinaire. Et sa cuisson doit être
très longue mais pas trop chaud évidemment sans quoi la surface noirci t
exagérément.
Combien de temps cuire une côte de bœuf ? On peut apprendre à faire cette cuisson exceptionnelle en observant d'abord un steak que l'on ne retourne pas quand on le cuit : la chaleur se transmet par conduction, de la poêle à la partie de la viande en contact avec celle-ci, puis progressivement vers les couches supérieures.
Il faut se dire que la couche supérieure de ce steak que l'on me retournerait pas serait comme l'intérieur de la côte de bœuf : on voit bien, quand on cuit un steak que l'on ne retourne pas, que cette couche supérieure ne cuit que très lentement !
Voilà pourquoi il est essentiel de ne pas trop chauffer : cela n'augmente pas la vitesse de cuisson considérablement, et la surface brunit trop.
Ce que l'on voit aussi, c'est que la contraction de la viande là où elle est chauffée, c'est-à-dire dans la partie inférieure, expulse les jus qui viennent perler à la surface.
Et, pour terminer, on analysera l'expérience qui consiste à mesurer la température sous une viande que l'on cuit. Quand le feu est doux, alors on mesure une température de 100 degrés au contact de la poêle, car la contraction de la viande fait sortir le jus, qui est essentiellement de l'eau. Or l'eau qui bout le fait à 100 degrés : à cette température, la viande ne brunira pas. En revanche, si l'on pousse le feu, alors la température peut monter jusqu'à 300 ou 400 degrés et l'on comprend les causes du brunissement.
Avec tout cela,
nous avons de quoi faire cuire une bonne côte de bœuf
mardi 5 décembre 2023
Les astuces techniques
Il y a des idées que j'aime beaucoup, notamment quand elles résolvent des questions que je me suis posées. C'était en 1969 : pour la fête des mères, je voulais préparer une essence de violette, et j'avais en prévision un entraînement à la vapeur d'eau. Mais, à l'époque, je n'avais qu'une cornue à l'ancienne, en verre, une lampe à alcool, un trépied muni d'une grille de fer. Je m'étais procuré des violettes, et il fallait donc me lancer. Ce fut facile de mettre les violettes dans l'eau et de chauffer... mais rapidement, ce fut de la vapeur qui sortit de la cornue ! Comment recondenser ? Un torchon imbibé d'eau froide sur le col de la cornue ne suffisait pas, et tout était brûlant. Je changeais le torchon humide, et encore, et encore ! Finalement, je produisis une "eau de violette" peu convaincante, mais je m'étais donné du mal !
J'aurais dû visiter plus tôt la maison de Louis Pasteur à Arbois, parce que s'y trouve la solution à mon problème : sur une table, un ballon et sa colonne à reflux, quand même bien plus efficace que la cornue ; surtout, à côté, un escabeau, avec un seau d'eau froide placé en hauteur, et dont l'eau s'écoule par gravité dans la colonne à reflux, avant de couler dans un autre seau, par terre. Quand le seau du bas est plein, on le reverse dans le seau du haut, et, de la sorte, on évite d'avoir de l'eau courage... et l'on évite aussi la consommation d'eau. Aujourd'hui, je fais de même : sur une batterie de colonnes à reflux en série, c'est la même eau qui circule, poussée par une pompe. Et l'eau chaude repart dans un gros récipient, dont l'inertie évite l'échauffement.
lundi 4 décembre 2023
Le manteau du Père Noël est bleu
Vous avez est bien lu : j'ai écrit que le manteau du père Noël est bleu. Cette déclaration est évidemment une façon de me moquer de ceux qui comptent le nombre d'anges sur la tête d'une épingle, comme le faisaient les théologiens du Moyen Âge. Si les anges n'existent pas, on peut passer inutilement des siècles à discuter de leur taille et de la possibilité qu'ils tiennent sur la tête d'une épingle.
De même pour le père Noël, qui, puisqu'il n'existe pas, n'a pas de manteau, de sorte de la couleur de son manteau n'existe pas non plus, et, en particulier, qu'elle n'est pas rouge.
On pourrait croire que cette question close… sauf que s'impose une question préliminaire : le Père Noël n'existe-t-il vraiment pas ? Le fait que nous en parlions montre que c'est au minimum une construction culturelle, qui, à ce titre, existe. Oui, matériellement, j'ai le droit de dire que le manteau du Père Noël est bleu, puisque le père Noël n'existe pas, mais, du point de vue de la construction culturelle, le manteau du Père Noël n'est pas bleu, puisque la construction culturelle intitulée « père Noël » existe parfaitement, et que cette construction culturelle inclut la couleur rouge dans le manteau du Père Noël.
Il en va donc de ces affaires comme du formalisme des systèmes dispersés (DSF), où un étalon doit être choisi, avant d'arriver à une caractérisation.
Le DSF ? Une autre histoire, qui sera contée une autre fois...