mercredi 6 décembre 2023

Donnons de la mémoire aux institutions

Il y a au moins deux institutions scientifiques de ma connaissance qui ont bénéficié, pendant quelques décennies, de remarquables compétences scientifiques et humaines d'hommes aujourd'hui retraités. 

Dans les deux cas, ces hommes (cela aurait pu être des femmes, mais les exemples auxquels je pense sont ainsi) étaient chefs de département, mais des "chefs" qui faisaient penser, au lieu d'imposer ; deux hommes bienveillants, scientifiquement compétents, qui, au lieu de s'accrocher à leur poste comme tant de vieux crabes que l'on voit sur les rochers, ont su prévoir leur succession, et partir sans croire qu'ils étaient indispensables... et on les regrette chaque jour, parce que, dans les deux cas, on n'a pas trouvé si bien : il faut bien dire, partout, que personne n'est parfaitement remplaçable, et que la "régression vers la moyenne" nous condamne à avoir généralement moins bien quand nous avons eu le mieux. Tant pis. 

De toute façon, ce n'était pas mon sujet. Là où je veux en venir, c'est observer que, aujourd'hui, dans les deux institutions auxquelles je pense, les jeunes qui viennent travailler ne savent rien de l'existence de ces deux personnes qui ont forgé l'institution où ils travaillent, et je crois que ce n'est pas bon. 

Pis, les règles administratives sont telles que ces deux personnes auxquelles je pense n'ont plus eu de bureau (ce qui se comprend), ni d'adresse email. Leur nom a entièrement disparu de l'institution, et seuls quelques anciens (qui partiront avec la mémoire reconnaissante qu'ils ont encore) se souviennent de l'activité remarquable de nos deux personnages. 

Est-ce bien raisonnable ? On comprend que l'exemple donné ici n'est qu'un exemple, et que ce cas se retrouve partout : dans les institutions de recherche, dans les institutions d'enseignement, dans les entreprises... et cela me paraît dommageable : avec la mémoire des oeuvres de ceux qui ont bien fait, on perd l'exemple, l'enseignement de la possibilité de faire des actions merveilleuses, et aussi l'intelligence de quelques actions. Les plus jeunes doivent réinventer de l'intelligence, au lieu d'aller bâtir sur du dur déjà élevé. 

On n'est pas loin de Sisyphe et de son rocher qui roule sans cesse, et qu'il faut sans cesse remonter. Un autre cas se présente : imaginons un individu actif, qui fait fonctionner un groupe, pour le bien de ce groupe. Tout va bien... mais imaginons que notre individu soit si remarquable qu'il veuille promouvoir des jeunes, les aider à  se former pour prendre un jour sa place. Après un "entraînement" sous sa houlette, il veut leur confier la direction du groupe, et doit donc céder sa place. C'est alors que se présente un dilemme : s'il cède sa place, il n'est plus rien, ce qui n'est pas grave du point de vue du titre, mais l'est en ce sens qu'il n'a plus la possibilité d'agir, de contribuer, sans gêner son successeur. Bien sûr, on peut imaginer que le successeur le nomme "directeur honoraire" et qu'il tienne compte de ses avis, mais est-ce la solution ? On peut aussi imaginer qu'il se mette à travailler sous les ordres du jeune directeur, mais est-ce souhaitable ? Dans les deux cas, il y a la question de la mémoire.

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