Je m'étais promis de revenir un jour sur la question de la méthodologie de la technologie.
Commençons par analyser la question : la technologie, c'est l’amélioration des techniques. On voit au moins deux possibilités : soit on utilise des résultats scientifiques nouveaux dont on fait l'application, soit on fonctionne de façon autonome, différemment.
Mais cela est bien abstrait ; considérons deux exemples.
Est paru il y a peu un article qui dit comment différents aliments désodorisent l'haleine, après que l'on a mangé de l'ail (j'en ai fait une chronique dans la revue Pour la Science). Les collègues qui ont fait cette étude ont dosé quatre composés soufrés dans l'haleine de personnes qui ont d'abord mangé de la purée d'ail cru, puis ont consommé divers ingrédients alimentaires : menthe, fruits, des légumes, crus ou cuits, etc. Il y avait là une question technique, pratique, et un début de travail, une sorte de débroussaillage, technologique, tant il est vrai que les aliments sont des mélanges complexes de composés et que, une fois les tests faits, il faudra déterminer quels composés peuvent être à l'origine d'une éventuelle désodorisation. Evidemment, quand le travail aura été fait, on pourra fabriquer des préparations que l'on vendra accompagnés de la mention «fait disparaître l'odeur d'ail dans l'haleine ». Contrairement à des marchands d'orviétan, on sera alors habilité à faire valoir une efficacité réelle du produit, et il faudra beaucoup de communication pour parvenir à s'enrichir. Mais la démarche est saine. Ici, le transfert technologique est donc du deuxième type : pas de science. Observons que l'on aurait pu faire autrement, à savoir explorer soit le mécanisme fondamental de production de l'haleine chargée, soit des interactions des composés soufrés et d'autres composés.
Un autre exemple : un article du musicologue français Jean-Claude Risset sur les escaliers d'Escher musicaux. Cette fois, on voit le musicologue prendre l'idée de cet escalier qui monte à l'infini, due au graveur hollandais Maurits Escher, et la transposer, la transférer, dans le domaine musical. Il ne s'agit pas de technique, mais on passe d'un champ artistique à un autre. Il y a transfert ? Pensons au transfert ! Si l'on est passé d'un art à un autre, cela signifie peut-être que l'on peut passer du deuxième art à un troisième, un quatrième ? Quels sont les arts ? La sculpture, la peinture, la musique, la littérature... la cuisine !
Et c'est ainsi que j'avais proposé, il y a plusieurs années, des escaliers d'Escher gustatifs : je renvoie vers mon livre <a href="http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/l/librairie-cours-de-gastronomie-mol-culaire-na-1-17422.php" target="_blank">Science, technologie technique</a> (Editions Quae/Belin) pour ceux qui voudraient mettre en œuvre cette nouvelle technique, et je propose seulement, ici, d'analyser la méthode technologique mise en œuvre.
On a observé, analysé un transfert entre deux arts, et il n'a pas fallu être très intelligent pour généraliser, pour se poser la question de ce transfert. Tout tenait dans « transferts entre champs artistiques », et c'est donc par la dénomination que s'est faite l'invention. La reconnaissance d'un transfert technologique a conduit à l'imagination, à l'invention d'un transfert analogue. On a donc, en quelque sorte, copié la méthode initiale du transfert, et c'est donc à cette première méthode qu'il nous faut revenir.
Qu'a fait Risset ? Il s'est émerveillé d'une réalisation du graveur hollandais, et il a voulu la reproduire dans un champ particulier, qui était celui de la musique. Il a donc travaillé, et réussi à faire le transfert. Sa méthode (pas le travail, bien évidemment) était donc le « transfert entre champs », alors que ma propre méthode était plutôt la « généralisation de la méthode du transfert entre champs » plutôt que le transfert entre champs lui-même.
Passer d'un champ à un autre, reprendre des méthodes qui ont déjà eu du succès et se donner un peu de mal pour les appliquer : voilà deux éléments méthodologiques que nous pouvons conserver, dans un répertoire qu'il faudra élargir. Il faudra aussi en faire de l’enseignement. C’était là le propos du livre précédemment cité, qui, en réalité, est un manuel de technologie, au moins pour la seconde partie, puisque la première fait l'analyse des relations entre science, technologie et technique, analyse toujours bienvenue tant il est vrai que c'est en creusant, en prenant de la peine, que l'on y voit plus clair !
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