dimanche 31 décembre 2023

La formation par la recherche ?


Attirons les jeunes vers la technologie... par quelle formation ?     

A l'heure où commence à se faire sentir un déficit de personnel dans les industries alimentaires, la question du type de formation dispensée aux jeunes convient d'être posée. Connaissant mal l'agronomie ou l'élevage, notamment, je ne prétends pas que l'analyse suivante convienne à ces... champs ; la question est surtout posée pour ce qui concerne l'alimentaire (qui ne se résume pas à l'industrie, mais comprend un artisanat diversifié et nombreux : en 2006, plus d'un million d'actifs dans les métiers de l'hôtellerie, de la restauration et de l'alimentation), mais on pourrait supposer qu'il y a peu de différences, sinon de nature des travaux.    

 

 La question principale que l'on évoque ici est cette "formation par la recherche", que l'on évoque sans cesse (<a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid22130/les-cifre.html">http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid22130/les-cifre.html</a>), mais n'avons-nous pas toujours intérêt de nous méfier des formules, qui font peser sur celui ou celle qui les reçoit le poids d'une "autorité" souvent indue ?   

Par exemple, serions-nous prêts à gober des "Tout est bien sortant de la Nature, tout dégénère dans les mains de l’homme" (Jean-Jacques Rousseau, qui eut hélas de l'influence) ? Et puis, "recherche" : de quoi s'agit-il exactement ? Si le scientifique fait de la recherche scientifique, le technologue fait de la recherche technologique... et l'artiste fait de la recherche artistique ; trois activités que l'on pressent bien différentes. Laquelle serait la bonne méthode pour former les jeunes esprits ? Et, même, l'une de ces trois méthodes serait-elle simplement utile ?   

Dans le passé, la formation des jeunes, et la sélection qui était assortie à cette formation a été le grec ou le latin (André Chervel, Marie-Madeleine Compère, "Les humanités dans l'histoire de l'enseignement français", Histoire de l'éducation, 1997, 74, 74, 5-38). Bonne méthode ?  Les deux disciplines ont eu leur heure, et rien ne prouve que l'enseignement de ces deux langues ne forme pas bien les esprits : il suffit de voir combien de grands Anciens furent formés à ces disciplines pour comprendre que la formation par le maniement du langage était légitime. Pourtant ce type d'enseignements a été balayé.   

La rhétorique ? Elle fut également employée, et il suffit de lire le manuel de Pierre Fontanier (Les figures du discours, 1818) pour mesurer combien nous sommes devenus des enfants... auprès des enfants qui bénéficiaient d'un tel enseignement. 

Les mathématiques ? Elles ont eu leur heure, qui n'est d'ailleurs pas entièrement terminée (Michèle Artigue et Hélène Gispert, Cent ans de réformes de l'enseignement des mathématiques, http://culturemath.ens.fr/histoire%20des%20maths/htm/ICMI/reformes.htm). La chimie ? Certains ont dit que son enseignement conduisait à bien appréhender les systèmes complexes. La biologie ? Elle est à la mode, et son argumentation est du même type que pour la chimie.   

Bref, chacun promeut sa discipline avec beaucoup d'aplomb, mais peu d'arguments quantitatifs.     

Et la "recherche", pour y revenir ? Là, la question est plus ambiguë, car, comme on l'a vu, le mot "recherche" est trop vague. 

Pour la recherche en sciences de la nature (pour des sciences de l'homme et de la société, c'est sans doute une autre affaire), la méthode enseignée, en vue de "structurer les esprits" (au fait, si un esprit peut effectivement apprendre ce qui lui est enseigné, peut-il vraiment être "structuré" par l'enseignement qu'on lui dispense ?) consiste en un objectif et une méthode. L'objectif est la recherche des mécanismes des phénomènes, et la méthode inclut : observation des phénomènes ; quantification de ces derniers ; réunion des données en lois synthétiques ; recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois ; recherche d'une prévision expérimentale ; test expérimental de cette prévision en vue de la réfutation de la théorie proposée.   

Pour la recherche technologique, la question semble bien différente, puisque l'objectif de la technologie est l'amélioration de la technique, et que sa méthode est... Au fait, quelle est la méthode de la technologie ?   Dans un "manuel de technologie" (<em>Science, technologie, technique : quelles relations?</em>, Editions Quae/Belin), j'ai proposé qu'elle consiste en : (1) aller chercher des résultats des sciences de la nature ; (2) sélectionner des résultats pour leur potentiel applicatif, d'innovation ; (3) faire le transfert technologique, de la science vers la technique. Toutefois cette proposition de bon sens est bien insuffisante, et il conviendrait d'aller plus loin dans cette analyse.   

En attendant, la question se pose : notre société a-t-elle plutôt intérêt à former principalement des ingénieurs (on rappelle que la formation d'ingénieurs est l'objectif principal des écoles... d'ingénieurs, même s'il se glisse, dans les promotions, quelques personnes qui se destinent à la recherche scientifique) par la méthode scientifique, ou convient-il  de former des scientifiques par la technologie ?   

Le bon sens, encore, voudrait que des voies de formation soient séparées pour les deux types de métiers, que chaque groupe reçoive une formation spécifique, et certains ont proposé que les universités soient le lieu de formation des scientifiques, les écoles d'ingénieurs étant destinées à la formation d'ingénieurs.   

Toutefois les faits montrent que la "formation par la recherche" est proposée pour les deux cas... et que les promotions mêlent des étudiants qui visent les deux métiers. Ne serait-il pas dommage (pour la nation) que de bons esprits, sélectionnés par les concours d'entrée aux grandes écoles, ne puissent rejoindre les rangs de la recherche scientifique ? Ou que des étudiants de l'université ne puissent trouver du travail dans l'industrie ?   D'ailleurs, on ne saurait restreindre le panorama aux grandes écoles et aux universités : n'oublions pas les I.U.T, dont le nom comporte bien le mot "technologie"... alors que ces institutions forment souvent des techniciens, plutôt que des technologues, c'est-à-dire des ingénieurs;    

Dans l'hypothèse où l'enseignement dispensé "forme les esprits", la question s'impose : si un pays veut former des ingénieurs, ne semble-t-il pas préférable que ces derniers soient formés à leur méthode spécifique, au lieu d'être formés à un métier qu'ils n'exerceront pas ? Et vice versa pour les scientifiques ? D'ailleurs, il serait honnête d'observer que les sciences de la nature sont souvent "mieux  considérées" que la technologie,  par les étudiants comme dans l'enseignement primaire ou secondaire, où l'introduction de la technologie est un "marronnier", sans cesse repoussé par une partie du corps enseignant en "sciences". Certes, l'analyse de l'enseignement des sciences dans le Second Degré montre que l'on enseigne en réalité les résultats des sciences plutôt que leur méthode, de sorte que l'on n'est pas totalement hors sujet, mais, dans ces cours de "science", le mot "technologie" n'est pas prononcé, et l'on se raccroche au mot de "sciences", ces dernières étant une sorte d'objectif élevé, couronné, en vertu d'une détestable réminiscence d'Auguste Comte, par les mathématiques.   

Le résultat est connu : on récupère, en fin de licence, des étudiants qui rêvent de sciences, sans avoir la capacité de les exercer, au lieu de voir des étudiants briguer une saine technologie. 

Bref, ne faisons-nous pas une erreur sociale en montrant les beautés des sciences, au lieu de clamer "Vive la technologie ?". Ne faisons-nous pas une erreur sociale en plaçant la technologie au-dessus de la technique, au point de nommer "nouvelles technologies" ce qui n'est que nouvelle technique ? Le vulgarisateur Louis Figuier n'avait-il pas raison de publier ses Merveilles de l'industrie, en quatre tomes (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k106079n/f1.image), afin d'attirer de jeunes esprits vers les secteurs qui font la prospérité des nations ?     

 

Pour conclure, nous ne pouvons rester sur l'idée du contenu, tant la forme des enseignements est appelée à changer, notamment avec l'usage de l'internet : dans de récents échanges pédagogiques, on a vu cette réflexion naïve d'un collègue enseignant, qui s'interrogeait sur la possibilité d'accès wifi aux étudiants, sachant que "ces derniers vérifiaient sur internet ce que l'enseignant leur disait" dans un de ces cours <em>ex cathedra</em> périmés qu'il donnait encore.   

Formation par la "recherche" ? Au XXIe siècle, la formation se fait par la recherche... d'informations, et s'impose alors d'aider nos successeurs à apprendre à chercher des sources fiables, à faire du tri dans l'infinité des sources... S'impose un nouvel exercice des métiers... avec des compétences que nous n'avons peut-être pas nous-mêmes.   Chers confrères, je vous offre donc la question : la formation par la recherche, de quoi s'agit-il ?

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