jeudi 17 août 2023

Apprenons à dégraisser des bouillons... comme au XXIe siècle

 
 Dégraisser d'un bouillon ? La question se pose quotidiennement dans les restaurants, car les cuisiniers ne cessent de préparer des bouillons, afin de confectionner les fonds dont ils mouilleront leurs préparations : ragoûts, daubes, sauces... 

Le matin, en arrivant, ils mettent donc des os et des viandes dans une casserole avec de l'eau, et ils chauffent doucement, à couvert, pendant plusieurs heures. À la suite de cette longue et douce cuisson, ils filtrent, afin de récupérer le liquide, dont ils doivent ensuite retirer la graisse qui surnage, avant de clarifier le bouillon. 

La clarification fera l'objet d'un autre billet, mais je veux commencer par considérer la question du dégraissage. À ce jour, les cuisiniers mettent le bouillon au froid, afin d'obtenir la solidification de la graisse, qu'ils retirent ensuite facilement. 

Toutefois ce refroidissement demande un long temps de repos. Autre possibilité : utiliser une cuiller ou une louche pour retirer la graisse qui se trouve à la surface du bouillon ; toutefois il faut peaufiner l'opération à l'aide d'un papier absorbant, ou d'un linge propre. Dans le premier cas, on allonge le temps de préparation, et dans le second, on fait un travail imparfait, qui gâche du papier absorbant ou qui salit un linge. 

 

On le voit, la pratique actuelle est loin d'être satisfaisante... parce que les ustensiles ne sont guère rationalisés. 

Analysons, donc : puisque la graisse flotte, on dégraisserait sans difficulté si nous pouvions soutirer le bouillon par le font du récipient qui le contient, en stoppant l'écoulement quand la graisse se présente à l'ouverture du point de soutirage, n'est-ce pas ? C'est précisément la fonction de ces "ampoules à décanter" que les chimistes utilisent quotidiennement : ces ampoules ont un gros corps, et un robinet dans la partie inférieure. Pourquoi ne pas les utiliser en cuisine ? J'ai fait cette proposition il y a environ 30 ans, mais je n'ai pas réussi à imposer ce système parce qu'il est souvent en verre, et que le monde culinaire sait bien que le verre est un matériau fragile, qui casse immanquablement. Toutefois il existe aussi des corps en métal inoxydable, que l'on peut visser sur un petit système extrêmement résistant, en téflon, muni d'une fenêtre en quartz, incassable. Les récipients peuvent contenir plusieurs litres, et il n'y a donc aucune hésitation à être moderne, à faire une cuisine du XXIe siècle, et non du Moyen Âge.


 

mercredi 16 août 2023

Quelques expressions à corriger, en vue de mieux comprendre

 
 Pendant longtemps, j'ai propagé cette idée de Lavoisier : pour faire de la bonne science, il faut de bons mots, parce que, disait-il en suivant Condillac, nous avons les phénomènes par la pensée, et nous manions les pensées à l'aide des mots. 

La relecture de Poincaré et de quelques autres semble montrer que, au moins consciemment, certains ne pensent pas avec des mots. Poincaré, par exemple, disait que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées qui naissaient en lui. Je suis donc troublé, hésitant... de ce point de vue. 

En revanche, du point de vue de la communication, j'ai moins d'hésitation. Par exemple, je maintiens, à la suite de Louis Pasteur, qu'il existe pas de sciences appliquées, si les sciences considérées sont des sciences de la nature. 

Evidemment, si l'on prend le mot "science" dans l'acception de "savoir", comme dans "la science du cordonnier", alors c'est bien une science appliquée. Mais pour les sciences de la nature, impossible : il y a les sciences de la nature, d'un côté, et leurs applications, de l'autre, d'où le terme de technologie, dont je me suis déjà largement expliqué. 

 

Ces temps-ci, je tombe sur d'autres expressions idiotes. 

 

Par exemple "dépassement d'honoraires" : impossible, puisque si un médecin fixe des honoraires, il ne peut pas les dépasser, du moment que ces honoraires sont fixés. Et s'il augmente ses honoraires, il ne dépasse rien, puisque les honoraires fixés sont les honoraires. Je pose donc la question : quand on entend "dépassement d'honoraires", de quoi s'agit-il ? 

"Aliment naturel" : encore une imbécilité, car la nature, bien que le terme ait évolué, reste ce qui n'a pas fait l'objet de transformations par l'être humain. Autrement dit, tous les aliments sont artificiels, ce qui est le produit de l'"art". J'en profite, d'ailleurs, pour répéter que la cuisine a trois composantes, que je redonne dans un ordre qui n'est pas le bon : technique (il faut que le soufflé gonfle), social (faire à manger, c'est dire "je t'aime")... et artistique, tant il est vrai que le  "bon", c'est le beau à manger. 

Et j'insiste : je ne parle pas des "arts de la table", du service, etc. mais seulement du contenu de l'assiette. 

Enfin, pour cette fois, il y a "conflit d'intérêt", qui m'insupporte, parce que seuls les humains ont des conflits. De quoi veut-on parler ? D'intérêts cachés. C'est cela, qui est malhonnête, pour un expert. Bref, très positivement, je propose : - de ne jamais accepter de prendre des experts qui n'ont pas d'intérêts (avoués, bien sûr) : ceux qui ne travaillent pas avec l'industrie ne connaissent pas le monde, et sont bien incapables d'en juger - de cesser d'utiliser cette expression idiote, et d'utiliser l'expression "intérêts cachés". Il est juste de demander aux experts de faire des déclaration d'intérêts (expression qui me semble également juste, dans sa littéralité)... et c'est ainsi que nous aurons une société plus éclairée. 

 

Bref, même si Lavoisier n'avait pas entièrement raison, pour ce qui est du processus de création scientifique, il n'avait pas tort du point de vue de la pensée : de la clarté dans le langage ne fait pas de mal !

mardi 15 août 2023

Certains enseignants feraient mieux de se renseigner avant d'écrire des âneries !

Je lis dans un livre de pâtisserie que le glucose serait "une molécule de base pour les sucres", que ce serait un édulcorant fréquemment présent dans les fruits, que ce serait un constituant du sucre de table.
Non, non et non !


Dire des choses fausses, cela nous arrive... mais les enseigner, c'est quand même bien plus grave ! 


1. Le glucose n'est pas une molécule, mais un composé. Ou plutôt, deux composés : le D-glucose, et le L-glucose. 

Et ces deux composés sont des sucres simples, ou monosaccharides. Et il est faut de dire que les glucose seraient des "molécules de base pour les sucres" : ils n'ont rien à voir avec du glycérol (un sucre), du fructose (un autre sucre), du galactose (encore un sucre), etc. 

2. Le glucose n'est pas "fréquemment présent dans les fruits", mais toujours présent. 

3. Et non, le glucose n'est pas un "constituant du sucre de table", car le sucre de table n'est constitué que de molécules de saccharose. 

Dans ce dernier cas, on pourrait dire justement que la molécule de saccharose est composée d'un résidu de glucose et d'un résidu de fructose. D'ailleurs, il faudrait ajouter que l'on parle ici de D-glucose, seulement. 


Le pire : je suis bien sûr que si les auteurs de ce manuel étaient confrontés à mes réfutations, ils me diraient que je pinaille.

Retour sur la viande in vitro

 Dans un des  numéros de la revue Pour la Science, je discute la question de la "viande artificielle, tant il est vrai que fut grand, récemment, l'émoi (mais on s'émeut souvent de pas grand chose, ces jours-ci) soulevé par l'annonce (il faut bien emplir les journaux télévisés) de viande in vitro, disons plus justement de culture de cellules musculaires. 

Chacun y est allé de ses arguments de mauvaise foi, de certains technologues qui annonçaient une  production durable de viande  jusqu'au monde de l'élevage qui refusait de nommer viande les produits proposés. 

Il y avait aussi ceux qui prenaient des airs horrifiés, en soulignant le prix exorbitant des "steaks hachés" qui avaient été consommés : leGuardian titrait >Synthetic meat: how the world's costliest burger made it on to the plate, expliquant que le coût était de 325 000 dollars. 

Ne devrions-nous pas relire ce merveilleux Louis Figuier, qui, dans ses Merveilles de l'industrie (un titre à méditer, à l'heure où l'on parle trop rapidement de "formation par la recherche") écrit : 

Une des principales branches de la richesse publique en Europe, c'est aujourd'hui le sucre de betterave. Mais, au début, lorsque le chimiste de Berlin, Margraff, annonça l'existence d'un sucre cristallisable dans la racine de betterave, on était loin de s'imaginer que l'extraction de ce sucre fût possible industriellement. Margraff écrivait en 1747 qu'il ne se chargerait pas de fournir le nouveau sucre à 100 francs l'once. Aujourd'hui le sucre de betterave revient, dans nos usines du Nord, à 50 centimes le kilogramme, et sa fabrication enrichit notre trésor public de revenus énormes ; elle alimente d'innombrables usines, et occupe des milliers d'ouvriers.

lundi 14 août 2023

La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde... la poussière

 
Que mes amis me pardonnent : j'ai propagé bêtement l'expression « poussière du monde ». 

La poussière du monde, c'est tout ce qui aurait été sans intérêt : les conversations politiques stériles (on ne convainc hélas jamais), le pain et les jeux (cela empêche les révolutions depuis l'Antiquité : quand le « peuple » est nourri et amusé, il est calme), les hochets de la vanité (de la voiture à la décoration)... 

L'expression n'est pas de moi : je l'avais trouvée il y a longtemps dans les propos sur la peinture du moine japonais Shitao (en français : Citrouille amère). Cela m'avait intéressé, retenu, et j'avais diffusé l'idée autour de moi. 

 

Grave erreur ! Je me repens ! Rien du monde n'est insignifiant, et c'est à moi d'aller voir la beauté, d'aller mettre de l'intelligence dans les moindres mots de mes interlocuteurs et de moi-même, dans les moindres actes, dans les moindres particularités du monde. 

D'ailleurs, dans mes discours, mes cours, à moi d'aller toujours y loger la Raison, l'Esprit des sciences quantitatives, lequel se fonde sur le Nombre ! Une femme ou un homme politique évoque des questions d'énergie ? Cherchons à évaluer quantitativement ses propos. Un interlocuteur évoque devant nous sa voiture : analysons cette déclaration à l'aune de la théorie de l'évolution. Un match de football ? De quelle matière est le ballon, pour résister si bien à des coups de pied ? Comment son cuir a-t-il été tanné ? Quelle matière des synthèse pourrait-elle remplacer avantageusement le cuir ? 

 

Décidément, les Jésuites avaient bien raison de dire qu'il ne faut pas vivre en tant que Chrétien, mais en Chrétien : pour celui qui vit en physico-chimiste, la poussière du monde n'existe plus !

dimanche 13 août 2023

Comment faire une gelée d'ananas ?

 
Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. 

D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ? Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 

C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c 'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé 

Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. 

Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraguénanes... 

De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental. La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées.

samedi 12 août 2023

Une phrase, une référence

 
 Le "jeu de la publication scientifique" est évidemment compliqué par les relations humaines entre les "chers collègues" (cela date du XIIe siècle que l'on dise que Dieu a couronné le monde avec le Professeur d'université, mais que le Diable a ensuite produit le "cher collègue"), mais il y a quelques règles. 

Sortant de plusieurs rapport que je devais faire pour des revues, j'aurais tendance à vous inviter à transmettre autour de vous, notamment aux étudiants qui font des rapports, des thèses, des articles, que la science doit justifier tous ses dires. 

D'où une première règle "Une phrase, une référence". 

Et, évidement, la référence doit être celle d'un document de bonne qualité. D'autre part, il y a une faute fréquente, et facile à dépister : jamais d'adjectif ni d'adverbe, que l'on remplacera toujours par la réponse à la question "Combien ?"... tant il est vrai que la fondation des sciences de la nature est un acte de foi : le monde est écrit en langage mathématique (comptez sur moi pour être capable de vous interpréter cela d'une façon qui réfute d'avance certains tenants des science studies ; j'insiste, j'ai écrit "certains"). 

Et là, hélas, je suis sur une note amère à la fin d'un billet qui veut rendre service. Impossible, pour quelqu'un qui propose que ce soit une politesse de voir la bouteille plus qu'à moitié pleine. 

Réconfortons donc nos jeunes amis : il existe de "belles personnes", des rapporteurs attentifs et aidants, des collègues si intéressés par les sciences de la nature qu'ils dépassent les mesquineries que trop craignent. La boutade initiale est une boutade, et il existe des épistémologues remarquables : je vous invite à lire, sans attendre, les livres du défunt Jean Largeault, qui était un puits de science. Et pour avoir une idée de la personnalité de cette homme, n'hésitez pas à assister aux cours d'Anne Fagot-Largeault, dont il était l'époux. 

Vive l'Etude !