Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mercredi 13 novembre 2019
L'aspartame libère du méthanol ?
Pour expliquer la question, il faut expliquer que l'aspartame est un édulcorant intense, c'est-à-dire un composé qui donne une saveur très sucrée même quand il est en très petite quantité (200 fois plus sucré que le sucre), et qu'il a l'avantage de ne pas apporter de calories, de ne pas provoquer de caries, comme le fait le saccharose, le sucre de table. C'est un "dipeptide", c'est-à-dire un composé dont la molécule est faite de deux résidus d'acides aminés, ces briques de toutes les protéines de notre organisme, avec un groupe méthyle attaché à l'un des deux résidus d'acides aminés.
Quand l'aspartame est consommé, il est divisé en phénylalanine, en acide aspartique et en méthanol... et là est la double question : il y a libération de la phénylalanine, d'une part, et du méthanol d'autre part.
La question de la phénylalanine
Pour la phénylalanine, c'est un acide aminé "essentiel", qui a un rôle fondamental dans le système nerveux par une stimulation de la glande thyroïde. Il n'est pas synthétisé par l'organisme et doit donc être apporté via l'alimentation : on le trouve dans les aliments riches en protéines d'origine animale et végétale : viande, poisson, oeuf, soja, lait, fromage, etc.
Toutefois il y a une maladie nommée phénylcétonurie, qui est une déficience en métabolisme de cet acide aminé. En France, une personne sur 17 000 est atteinte de cette déficience enzymatique (Trefz et al. 1994). Mais il y a les 16 999 autres, et pour ceux-là, la seule question qui se pose est celle du méthanol.
Pour le le méthanol, il faut y regarder de plus près
Soit un morceau de sucre dans un café, par exemple. Cela représente environ 10 grammes. Pour avoir la même sucrosité, il faut environ 200 fois moins d'aspartame, soit 0,04 gramme. Est-ce "beaucoup" ?
Il faut comparer cela à des consommations classiques, telle celle de fruits, par exemple, car ces derniers apportent des pectines, lesquelles libèrent également du méthanol. De fait, Lindinger et al. ont mesuré en 1991 la quantité de méthanol dans l'organisme, après la consommation de fruits. Ils ont d'abord mesuré un méthanol basal, dont on ne comprend pas encore l'origine, et qui atteint 2 milligramme par litre (ce méthanol pourrait résulter de fermentations dans le tube digestif). Après l'ingestion de fruits, la quantité de méthanol est multipliée par 10 environ.
Finalement, l'Agence nationale de sécurité des aliments observe qu'un litre (un litre !) de boisson sans sucre contenant de l’aspartame produit environ 48 mg de méthanol, tandis qu'un litre de jus de fruits ou de légumes contient environ 200 à 280 mg de méthanol. Cela indique que les quantités de méthanol apportées par l’aspartame en tant qu’additif alimentaire sont inférieures à celles apportées par certains aliments naturels (Maher, 1986).
Tiens, je trouve pour une autre comparaison que la teneur en méthanol dans les eaux de vie est réglementée à 0,6 grammes par litre d'alcool à 50 °, soit, si l'on consomme 2 centilitres, cela fait d'un coup 12 milligrammes de méthanol.
Références :
Friedrich T, De Sonneville L, Matthis P, Benninger C, Lanz-Englert B. 1994. Neuropsychological and biochemical investigations in heterozygotes for phenulketonuria during ingesting of high dose aspartame (a sweetener containing phenylalanine), Human Genetics, 93, 369-374.
mardi 12 novembre 2019
Les polyphénols, de quoi s'agit-il ?
On m'interroge sur ce que sont les polyphénols.
Le mot "polyphénol" est effectivement largement répondu autour de nous : on lit que les polyphénols sont bons pour la santé, qu'ils sont antioxydants, on voit des réclames qui prétendent qu'ils sont bons pour la peau, contre le vieillissement, etc.... et je viens de m'assurer, par des questions à des amis honnêtes, qu'ils ignorent en réalité ce que sont ces composés.
Bien sûr, un objet peut se caractériser par ses propriétés, mais, en l'occurrence, ce que l'on entend ou ce qu'on lit est loin d'être toujours juste. Tout d'abord à propos des propriétés curatives, on aurait intérêt à se souvenir que les panacées n'existent pas. Et, d'ailleurs, les bons médecins savent bien que les médicaments sont assortis d'effets secondaires, et que l'on doit recourir à ces produits (les médicaments) de façon experte et parcimonieuse. On se souviendra de ce pharmacien qui vendait à Paris des régimes dont l'efficacité était avérée, mais qui ont conduit à des dizaines de cas d'insuffisance rénale très grave. Et puis, en matière de commerce, on se méfiera quand même des publicités, car quel marchand dirait les inconvénients de ses produits ?
Ici, c'est l'occasion de rappeler que l'invite mes amis à se méfier des mots de plus de 3 syllabes, qui cachent trop souvent de l'idéologie ou du mercantilisme le plus déloyal. En l'occurrence, le mot "polyphénol" a quatre syllabes, tandis qu'anti-vieillissement en a trop pour que je perde mon temps à les compter, tout comme pour "antioxydant". D'ailleurs, ce dernier mot a un statut bizarre, entre la chimie et la médecine... avec quand même ce fait que les chimistes ne parlent pas de composés antioxydants, mais de composés réducteurs.
Et puis, au fond, la plus grande confusion règne entre les polyphénols, les composés phénoliques, les tanins...
Le monde du vin, en particulier, dit trop souvent n'importe quoi à ce propos, par exemple avec des expressions comme « les tanins fondent », ce qui est une absurdité, puisque les chimistes savent au contraire que, quand un vin vieillit, les tanins s'agrègent, et grossissent ! D'ailleurs, ce sont les mêmes qui utilisent ces expressions erronées et qui confondent la saveur avec le goût, qui propagent l'idée fausse d'une carte de la langue qui reconnaîtrait les soi-disant quatre saveurs... alors qu'on sait depuis des décennies qu'il y a un nombre infini de saveurs.
Bref la plus grande confusion règne à propos de tous ces composés et il faut donner des explications
L'expérience étant la manière la plus efficace d'expliquer, commençons par prendre un fruit rouge ou une fleur, telle une rose rouge, et broyons ces tissu végétaux dans de l'eau. Après filtration, on récupère dans les deux cas une solution colorée qui est faite évidemment d'eau, mais aussi de composés sapides, par exemple des sucres (incolores) ou des acides (incolores aussi), et finalement de composés qui donnent la couleur à la solution.
Si l'on est chimiste, on peut fractionner cette solution, par des opérations classiques de cristallisation, de précipitations, de distillation, etc. mais je ne veux pas rentrer dans ces détails et je propose de partir des composés purs qui auront été isolés pour leur couleur.
Voici le phénol. Les boules grises représentent des atomes de carbone, la boule rouge un atome d'oxygène, et la petite boule un atome d'hydrogène. | C'est un "monophénol. |
Parmi ces composés, les tissus végétaux renferment des chlorophylles, les caroténoïdes, et d'autres, parmi lesquels ceux qui nous intéressent : les phénols.
De couleur rouge à bleue, ces composés changent de couleur avec l'acidité du milieu : par exemple, quand on met des framboises dans de la soude (il faut surtout ne pas manger), on voit les fruits de venir verts ! Ou encore, quand on ajoute du jus de citron dans un thé foncé, on le voit s'éclaircir, et virer au jaune. Inversement, si l'on ajoute du vinaigre aux framboises verdies, elles reprennent leur couleur rouge, tout comme le thé redevient marron si on lui ajoute du bicarbonate de sodium (qui va faire mousser, mais c'est une autre histoire).
Bref, les composés colorés responsables de ces changements de couleur sont des "composés phénoliques".
« Composés phénoliques » : c'est donc le nom d'une catégorie général de composés dont les molécules contiennent au minimum 6 atomes de carbone attachés en un cycle hexagonal, avec un des atomes de carbone lié à un atome d'oxygène, lui-même lié à un atome d'hydrogène :
Une molécule réduite à cela, avec des atomes d'hydrogène sur les autres atomes de carbone, c'est une molécule du composé que l'on a nommé "phénol" et qui fut découvert en 1650.
S'il n'y avait pas l'atome d'oxygène lié à l'atome d'hydrogène, alors on aurait la molécule du benzène :
Avec six atomes de carbone, liés chacun à un atome d'hydrogène (non représentés), on a la molécule de benzène. |
Et voici un autre phénol : il y a plus d'un groupe oxygène+hydrogène sur le cycle de six atomes de carbone. |
Et quand il y a deux fois un groupe fait d'un atome d'oxygène et d'un atome d'hydrogène, alors c'est un oligophénol, avec le préfixe "oligo", rares :
J'en profite pour dire que certains phénols sont parfaitement toxiques, même s'ils sont « antioxydants ».
En outre, les composés phénoliques forment une famille très vaste, puisqu'il peut y avoir des tas d'autres motifs chimiques attachés à la structure initiale.
Voici un autre composé phénolique, et c'est également un polyphénol. |
La relation entre composés phénoliques et oligophénols ? Les oligophénols doivent avoir au moins les six atomes de carbone et deux groupes oxygène+hydrogène, alors que, pour les composés phénoliques, la définition est plus large, puisque n'est imposé que le groupe de six atomes de carbones avec un groupe oxygène+hydrogène.
Autrement dit, un oligophénol est toujours un composé phénolique, mais un composé phénolique n'est pas toujours un oligophénol.
Et les tanins ?
Pour les tanins, une perspective historique s'impose : les anciens artisans qui travaillaient le cuir avaient observé que les décoctions d'écorces d'arbres dans de l'eau faisaient des solutions très astringentes, qui avaient la particularité de "tanner le cuir", de le rendre plus résistant. Finalement les chimistes ont compris que les tanins sont des oligophénols particuliers : ce sont donc, ipso facto, des composés phénoliques.
Mais les composés phénoliques ne sont pas tous des tanins, de sorte que nos dégustateurs de vin feraient bien d'être prudents quand ils parlent de tanins.
Tiens, je vous livre un petit paysage explicatif :
lundi 11 novembre 2019
Je vous présente l'éthanol
L'expérience fondatrice, pour ce qui concerne l'éthanol, c'est la distillation, et, mieux, la distillation d'une solution sucrée qui aurait fermenté. Mais il y a pour l'instant trop de syllabes pour que ce soit compréhensible, et le recours à l'expérience, réelle ou décrite, s'impose.
Commençons donc par prendre de l'eau, et dissolvons-y du sucre.
Regardons au microscope : nous ne voyons rien, le sucre étant dissous, et la solution formée étant transparente.
Puis ajoutons un peu de levure, ce que l'on achète chez le boulanger sous forme d'une espèce de pâte très friable. On agite un peu pour disperser la pâte dans la solution sucrée... et cette fois, si l'on regarde au microscope, on voit de petites formes rondes, qui flottent dans l'eau. Si nous sommes patients, nous les voyons libérer des bulles de gaz, grossir et se diviser en deux. En effet, les levures sont des organismes vivants, unicellulaires puisque réduit à une sorte de sac vivant. Laissons-les s'activer un moment, en protégeant le récipient des courants d'air ; puis, à titre expérimental, posons une allumette enflammée juste au-dessus du liquide : l'allumette s'éteint, alors qu'elle resterait allumée si on la mettait au-dessus d'une solution d'eau et de sucre. C'est l'indication que le gaz formé par les levure me permet pas la combustion et, de fait, ce gaz est du dioxyde de carbone.
Si nous goûtons la solution, nous constatons qu'elle est alcoolisés. Filtrons pour éliminer les levures... et nous récupérons une solution parfaitement transparente au microscope : les molécules qui donnent ce goût alcoolisé, comme les molécules qui donnaient la saveur sucrée, sont bien trop petites pour être visibles avec un microscope.
Faisons donc différemment : distillons.
En pratique, c'est tout simple, puisqu'il suffit de chauffer et de conduire ensuite les vapeurs dans un système qui les refroidit, les recondense en un liquide. Si nous laissons refroidir ce liquide distillé et que nous le goûtons, nous n'avons plus aucune saveur sucrée, mais, en revanche, il y a un goût brûlant, alcoolisé, comme pour une vodka très forte.
Cette fois, la solution est quasi exclusivement composée de molécules d'eau et de molécules d'éthanol, de l' "alcool" qui a été formé par la fermentation du sucre par les levures.
Distillons à nouveau le distillat, et sa teneur en alcool augment. Bien sûr, il reste un peu d'eau, mais qu'importe : le produit que nous avons obtenu, c'est ce qui fut nommé de l'alcool.
Pourquoi avons-nous évoqué l'éthanol, et parler maintenant d'alcool ? Parce que d'autres procédé conduisent à des composés très voisins de celui que nous venons de préparer. Par exemple, quand on chauffe du bois à sec, on obtient un autre alcool qui a pour nom méthanol, ce que l'on nommait naguère esprit de bois, alors que l'alcool obtenu par fermentation était nommé esprit de vin.
Quand la chimie progressa et qu'elle découvrit l'existence des atomes et des molécules, vers la fin du 19e siècle, les chimistes arrivèrent progressivement à comprendre que l'eau est faite de molécules d'eau, des objets résultant de l'assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. Ils comprirent aussi que les molécule d'éthanol était faites d'un premier atome de carbone liés à trois atomes d'hydrogène et lié à un autre atome de carbone, qui est lui-même lié à deux atomes d'hydrogène et a un atome d'oxygène lié un atome d'hydrogène. Le méthanol, lui, est d'un seul atome de carbone lié à trois atomes d'hydrogène et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. Progressivement, les chimistes comprirent que la liaison d'un atome de carbone à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène donnait des propriétés chimiques particulières, et les composés ayant ces propriétés (et cette constitution chimique) furent nommés "alcools".
Mais pour revenir à nos vins ou eaux-de-vie, ce sont des solutions aqueuses qui contiennent des teneurs différentes en cet alcool particulier qu'est l'éthanol : il y en a un peu plus de 10 pour cent dans les vins, et environ 40 à 50 pour cent dans les eaux-de-vie (je donne des ordres de grandeur). A noter que l'on dose de l'éthanol dans les fruits ou légumes... mais en très petite quantité.
dimanche 10 novembre 2019
Cuisinons des protéines
Le recours à l'expérience est quand même la meilleure des explications, et j'en propose plusieurs successives, ici.
La première consiste à cuire une viande, ou bien des pattes de poules, des pieds de veau ou de porc, dans l'eau pendant quelques heures, ce qui procure un bouillon qui gélifie en refroidissant.
Si l on prend cette gelée et qu'on la sèche, alors on obtient une matière transparente et craquante... comme des feuilles de gélatine... Et, d'ailleurs, c'est ainsi que l'on produit la gélatine ;-).
Si l'on regarde cette matière solide avec un microscope extraordinairement puissant, alors on voit un enchevêtrement de "fils" : ce sont des molécules de gélatine. Et la gélatine est une protéine, parce que si l'on y regarde d'encore plus près, on voit que ces fils sont des enchaînements de groupes d'atomes que les chimistes reconnaissent comme des parties de molécules qu'ils connaissent bien et qu'ils ont nommées des acides aminés.
D'ailleurs, si l'on chauffe longtemps de la gélatine en milieu un peu acide (ajoutons du vinaigre blanc dans de l'eau où l'on chauffe la gélatine), alors les molécules de gélatine (les "fils") perdent de leurs morceaux élémentaires, et le liquide s'enrichit d'acides aminés.
Une deuxième expérience, maintenant : prenons un blanc d’œuf, ce liquide jaune et transparent, et laissons-le sécher à l'air libre : il ne pourrira pas parce qu'il est protégé par une... protéine nommée lysozyme, et, après un séchage de plusieurs jours, on obtiendra -à nouveau- une matière transparente et dure, cassante : ce sont les protéines du blanc d’œuf. D'ailleurs, le blanc d’œuf, qui pèse pas loin de 30 grammes, est fait de 90 pour cent d'eau (environ 27 grammes) et 10 % de protéines (3 grammes). Dans ce cas, il y a plusieurs protéines dans le résidu solide.
A noter que, pour la gélatine en feuille ou le blanc d’œuf séché, on peut avoir des feuilles, mais aussi des poudres, ou des liquides. Pensons à des matières comme la farine ou le sucre en poudre, notamment. Et ajoutons que l'on peut retrouver des solutions en leur ajoutant de l'eau.
Le problème de l'apparence étant réglé, considérons maintenant la question de l'usage.
Une première particularité des protéines, c'est qu'elles n'ont pas de goût quand elles sont pures. Et, d'ailleurs, elles n'ont pas de couleur non plus : dans le blanc d’œuf, la couleur est due à de petites quantités d'un composé coloré nommé riboflavine... qui est une vitamine (B2)... utilisée comme colorant alimentaire sous le numéro E101(i).
Comme l'amidon, les protéines sont de longues molécules qui se dispersent dans l'eau et qui peuvent conduire à des gélifications, quand elles se lient. Par exemple quand on chauffe du blanc d’œuf, on obtient le blanc d' œuf cuit, gélifié ce qui signifie que l'eau présente ne coule plus, et c'est bien le cas quand on considère un blanc d’œuf cuit : le durcissement ne résulte pas de l'évaporation de l'eau, mais cette dernière est restée piégée dans une espèce de réseau, d'échafaudage formée par les protéines qui se sont liées.
D'autres gélifications peuvent avoir lieu avec d'autres protéines. Par exemple avec de la gélatine dissoute dans l'eau et que l'on refroidit : cette gélification-là se fait à froid, non pas à chaud.
Ou encore, dans les yaourts : les protéines du lait forment un gel quand des micro-organismes transforment le sucre du lait -le lactose- en acide lactique, qui acidifie le lait.
Ou encore un autre type de gélification se produit lors de la fabrication des fromages, et cette fois ce n'est ni la chaleur ni l'acidification qui agissent mais plutôt des enzymes, c'est-à-dire des protéines qui sont actives même en toute petite quantité : il suffit de quelques gouttes de "présure" pour faire coaguler une grande quantité de lait.
Mais prenons une perspective un peu plus historique à propos des transformations des protéines que l'on fait ou que l'on peut faire en cuisine.
Quand on cuit de la viande, on provoque les protéines de la viande. De même pour le poisson et pour l'œuf. Là, on ne voit pas les protéines, qui ne sont pas extraite des ingrédients initiaux, mais le résultat résulte quand même de leurs modifications chimiques.
Avec des protéines à l'état pur, on reproduit cela de façon bien plus contrôlée, et c'est en quelque sorte ce qu'ont appris les cuisinier quand ils font des flans par exemple, où les protéines de l' œuf provoquent la gélification de l'appareil, ou dans les aspics, quand les protéines extraites classiquement du pied de veau permettent la gélification.
Cela dit, extraire la gélatine du pied de veau, et la purifier, cela s'apparente à extraire le sucre de la canne à sucre ou de la betterave : pourquoi le faire soi-même ? De même que nous n'allons plus arracher les plumes des canards, les tailler en pointe, faire bouillir de l'écorce d'arbre avec du fer rouillé pour faire nous-même notre encre, je vois mal pourquoi nous serions condamnés à revenir des décennies ou des siècles en arrière et pourquoi nous n'utiliserions pas directement des protéines que l'industrie a extraites à beaucoup plus grande échelle, beaucoup plus efficacement que nous, et certainement avec des degré de pureté que nous n'obtiendrions jamais dans nos cuisines.
Bref, cuisinons des protéines !
samedi 9 novembre 2019
A propos de boissons gazeuses
La question initiale portait sur l'eau pétillante, qui, comme chacun sait, n'est pas effervescente quand la bouteille est fermée, mais où des bulles de gaz apparaissent quand on ouvre la bouteille qu'on verse de l'eau dans un verre.
Pourquoi ?
Commençons par examiner un verre d'eau, un liquide donc transparent.
Et entre les molécules ? Rien, du vide.
Au-dessus du verre ? Là, si l'on regarde à des distances de l'ordre de celles qui séparent les molécules d'eau, on voit également du vide mais si l'on prend une perspective plus large, alors on peut voir d'autres objets se déplacer, cette fois plutôt en ligne droite, jusqu'à ce qu'ils heurtent quelque chose. Ces objets-là n'ont pas la même constitution que les molécules d'eau et, pour ce qui concerne l'air, on voit principalement des molécules de deux sortes : des sortes d'haltères nommées molécules de diazote et d'autres sortes d'haltères nommées molécules de dioxygène. Dans les molécules de diazote, il y a deux atomes d'azote attaché entre eux, et pour les molécules de dioxygène, il y a deux atomes d'oxygène. Tout simple non ?
Quand il y a de l'air au-dessus de l'eau, les molécules de diazote et de dioxygène vont toutes les directions, mais certaines vont en direction de l'eau, et quand elles atteignent les molécules d'eau, certaines s'immiscent entre elles : on dit qu'il y a du diazote ou du dioxygène dissout dans l'eau.
Cette dénomination est légitime, car le phénomène est tout à fait analogue à celui que l'on aurait si l'on ajoutait un cristal de sucre, formé d'un empilement régulier de molécule de saccharose, dans de l'eau : les molécule de saccharose se disperseraient entre les molécules d'eau, et l'on obtiendrait du saccharose dissout dans l'eau.
Pour en revenir à l'eau et l'air, il y a un équilibre qui s'établit : si on met de l'eau à l'air libre, les molécules d'eau vont finir par s'évaporer et, au bout de quelques jours, il n'y aura plus d'eau dans le verre, pas plus qu'il n'y a d'eau sur la route quelques heures après la pluie, surtout s'il y a du vent. Mais si l'on enferme de l'eau avec de l'air dans une bouteille, alors il y aura des molécules d'eau qui iront dans l'air, faisant une certaine humidité, tout comme il y aura des molécules d'air qui iront dans l'eau s'y dissoudre.
Supposons maintenant que l'on presse l'air au-dessus de l'eau : alors on augmente la densité de molécule de diazote et dioxygène de l'air et l'on peut dissoudre davantage de ces molécules dans l'eau. Mais si l'on supprime rapidement la pression de l'air, alors ces molécules en surnombre, qui se sont dissoutes dans l'eau, vont en sortir, et c'est là qu'elles feront des bulles d'air, ces bulles qui font l'effervescence de nos boissons gazeuses.
vendredi 8 novembre 2019
Surimis et diracs fibrés
Ici, la question est de nommer des produits qui auraient la texture de surimis sans en être.
Mais avant d'en décider, il faut que je présente les deux protagonistes de l'alternative terminologique dont il est question maintenant.
D'une part, les surimis sont des produits traditionnels dans certaines parties de l'Asie, qui sont fait à partir de poisson broyé, d'amidon (pensons à de la sauce blanche) et de matière grasse, la pâte ainsi constituée est striée par passage sous un peigne, et les feuillets striés sont cuits, puis roulés sur eux-mêmes en bâtonnets, colorés avec du paprika et reçoivent une dispersion d'un aromatisant qui rappelle le goût du crabe, par exemple.
Qu'en dit la réglementation ? Les surimis font l'objet d'une norme d’application volontaire, numérotée NF V45-068, qui encadre les conditions d’usage du mot « surimi » et la composition de ces petits bâtonnets et de leurs dérivés. Ce document a été élaboré par des représentants des industriels, des distributeurs, des autorités réglementaires (dont la DGCCRF et le Service commun des laboratoires, SCL), des centres techniques, des laboratoires d’analyses et des organismes de certifications. Ils font partie de la commission de normalisation AFNOR / V45C « Produits transformés issus de la pêche et de l’aquaculture ».
La norme volontaire indique que le produit surimi doit contenir au minimum 30 % de chair de poisson ou de céphalopode. Elle autorise aussi l’ajout d’ingrédients pour aromatiser ou valoriser le surimi. Si l’ingrédient d’origine aquatique (poissons, crustacés, mollusques, algues, etc.) représente plus de 5 % – en poids – du produit fini, la norme autorise le fabricant à le mentionner sur l’emballage, avec une phrase-type telle que « surimi à xxx », ou « surimi de chair de poisson à xxx ». Pour les autres ingrédients, qu’ils soient d’origine terrestre (chorizo, lard fumé, etc.), végétale (fruits, légumes, épices, aromates, etc.) ou comportant de l’alcool (mirin, vin, etc.), la norme volontaire ne fixe pas de pourcentage minimal ou maximal. Concernant les aromatisants, additifs et colorants, la norme rappelle la nécessité de respecter les réglementations concernées, mais proscrit les additifs à usage de blanchiment. Elle autorise l’usage de liants (lait, dérivés de lait, farines), d’huiles et graisses végétales (hormis certaines, comme l’huile de palme), d’huiles d’animaux aquatiques, des fibres végétales, de l’eau, du sucre et du sel.
D'autre part, il y a très longtemps, j'ai nommé diracs ces préparations qui reproduisent des tissus musculaires (viandes, poissons), pour ce qui concerne la composition chimique, à savoir environ 70 % d'eau, 20 % de protéines et 10 % de matière grasse. Et c'est ainsi que l'on obtient une sorte de steak quand on mélange 7 cuillerées d'eau, 2 cuillerées de protéines coagulables (par opposition à la gélatine qui coagule pas à la chaleur) et une cuillerée d'huile. Un tel dirac est très élémentaire, mais on peut en produire de nombreuses versions : on peut émulsionner plus d'huile pour obtenir un dirac émulsionné, on peut foisonner afin d'obtenir un dirac mousseux, foisonné. On peut aussi l'étaler en couches très minces superposées pour faire des dirac feuilletés... et l'on peut enfin le strier, un fois en couche mince, pour obtenir un diras fibré.
Et puis, on peut aussi mélanger lla pâte faite de protéines, d'eau et de lipides, avec une sauce blanche, et l'on retrouve alors une composition analogue à celle du surimi, avec la même consistance. Pour le goût et la couleur, on met ce que l'on veut et l'on obtient tout aussi bien des diracs striés bleus, ou rouges, ou jaunes, ou verts, avec des goûts de poire, de rhum, de poisson, le citron...
D'où la question : un dirac fibré serait-il un surimi ? Vu la norme volontaire actuelle, ce serait abusif, car le surimi est aujourd'hui connu pour être un produit délimité tel que je l'ai expliqué plus haut, même si la norme volontaire peut évoluer.
Bref, finalement, je crois qu'un dirac fibré doit être nommé dirac fibré.
Un dirac strié replié sur lui-même, réalisé à l'Institut technique d'hôtellerie du Québec en 2012. |
jeudi 7 novembre 2019
Dépassons les corrélations
Et c'est là que survient la question de la causalité, si bien décrite par Émile Meyerson dans son Du cheminement de la pensée. La question est de savoir si deux variables varient régulièrement l'une en fonction de l'autre parce qu'il y a causalité, ou bien si elles varient simplement simultanément, peut-être même par hasard, ce qui relève d'une corrélation sans causalité. Pour expliquer la différence, j'aime cette observation d'attroupements sur le quai des gares avant que les trains arrivent. Si l'on est Martien et que l'on ignore tout du phénomène, on peut donc mesurer le nombre de personnes sur le quai en fonction du temps, d'une part, et l'heure d'arrivée des trains, d'autre part, mais il serait insensé de considérer que les attroupements sont la cause de l'arrivée des trains, car c'est en réalité l'inverse.
Il y a donc lieu d'être attentif quand on calcule des coefficients de corrélation et de bien s'empêcher de penser à des causalités quand il n'y en a pas. Ce qui doit nous conduire à réfléchir sur le statut de corrélations. D'ailleurs, il faut ajouter que des corrélations ne sont jamais parfaites, et que c'est précisément ce défaut de corrélation qui doit nous intéresser. Cette imperfection peut évidemment se mesurer par un nombre. Ainsi, quand on fait -de façon extrêmement élémentaire- des droite de régression, alors on apprend à afficher la somme des carrés des distances des points à la droite, un nombre que l'on note souvent R2. Mais c'est une façon rapide de se débarrasser du problème et elle ne dit d'ailleurs rien d'autre que ce que l'on voit.
Ce qui commence à être plus intéressant, c'est quand on calcule les résidus, c'est-à-dire quand on affiche la courbe de tous les écarts à la droite. Là, on peut commencer à se poser des questions, sur la répartition de ces résidus, aléatoire ou pas, et leur amplitude aussi, bien sûr, doit nous intéresser. Surtout, considérer les résidus au lieu de pousser la poussière sous le tapis du R2, c'est décoller de la corrélation, et plonger davantage du côté du mécanisme, ce que l'on cherche absolument.
C'est cela la direction où l'on veut aller, plutôt que le paresseux coefficient de corrélation global. Cet affichage des résidus est une bonne pratique, car c'est un fil que l'on peut être intéressé de tirer si l'on veut y passer du temps au lieu de se débarrasser rapidement du problème.
C'est là l'endroit où toute notre intelligence est nécessaire pour imaginer de véritables causes.