J'ai longtemps tourné autour du pot, à propos de la dénomination de la science qui explore les réarrangements d'atomes, mais je crois que j'y suis.
Je reprends :
Attendu 1 : on nommera "assemblage d'atomes" une molécule, un cristal, un métal... bref, un groupe d'atomes liés par la "mise en commun" d'électrons, ce que l'on pourrait également dire "échange d'électrons", ou "recouvrement d'orbitales", ou toute autre dénomination qu'il serait plus juste de trouver pour bien décrire des associations un peu stables.
Attendu 2 : l'activité qui consiste à explorer la production de nouveaux assemblages d'atomes est nommée depuis longtemps la "chimie" (il y a eu des hésitations avec "alchimie", mais la question semble réglée).
Attendu 3 : la chimie est une activité scientifique.
Attendu 4 : il y a une différence entre science et technique, puisque la première produit des connaissances tandis que la seconde produit des artefacts matériels.
Conclusion intermédiaire : il faut un nom particulier pour la technique qui produit des "produits" à partir de "réactifs".
Attendu 5 : une telle activité est une activité technique.
Alors ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 13 septembre 2014
vendredi 12 septembre 2014
La difficile question de l'évaluation
Les êtres humains sont diversement constitués, et leurs réactions dans une circonstance particulière sont donc variées. Toutefois la question des évaluations est épineuse pour la plupart d'entre nous, je le sais d'expérience, de sorte que cette généralité mérite d'être discutée… paradoxalement à partir d'une expérience personnelle.
Le moi est haïssable, nous sommes bien d'accord, mais un cas personnel peut devenir est au moins un exemple à partir duquel on peut essayer d'analyser. Personnellement, donc, je déteste l'évaluation, parce que, faisant de mon mieux, je vois mal comment je pourrais faire mieux. Il est vrai, aussi, que je déteste l'idée de subir l'appréciation, parce que je ne vois pas dans mes évaluateurs des personnes qui auraient plus de compétences moi-même sur mon propre travail (je fais souvent l'hypothèse -évidente puisque je consacre tout mon temps à ma recherche, sans temps répit, vacances, etc.), de sorte que je suppose que leur compétence est moindre que la mienne, dont leur évaluation illégitime. Mais je sais que c'est là un défaut personnel, largement partagée par ailleurs, qui consiste à se croire le nombril du monde, et en conséquence, à mal réagir face à ces évaluations.
Dans mon cas, j'ai proposé des tas de « gesticulations » pour me sortir de cette situation, à savoir proposer ma propre évaluation, accumuler les démonstrations d'honnêteté, de travail et de droiture, à défaut de pouvoir proposer des compétences, etc. Toutefois le billet d'aujourd'hui reprend en écho celui que j'avais proposé à propos d'étudiants qui devaient faire un rapport.
Sortant d'une évaluation, ou d'un concours ce qui revient au même, je me suis aperçu, en cours d'audition, que le jury n'était pas malveillant et, surtout, qu'il posait des questions afin de bien comprendre mon activité. En conséquence, j'ai constaté que je m'étais mal exprimé, dans mon document initial, ou que la matière était complexe, de sorte qu'elle méritait des explications, des éclaircissements.
Vous vous souvenez que j'avais discuté le cas d'un étudiant qui avait été mal évalué, parce qu'il avait proposé une sorte de publications scientifique, en guise de rapport de stage. Ce n'est pas ce qu'on lui demandait : il aurait dû expliquer ce qu'il avait fait pendant son stage à des gens qui ne connaissaient pas son sujet ; Il y avait erreur à croire acquise des notions que n'avaient pas ses interlocuteurs.
De même pour mon dossier de concours : oui, je travaille ; oui je place bonté et droiture parmi les qualités les plus grandes. Oui, j'essaie de contribuer à l'avancement des connaissance, au bien être de la collectivité qui m'emploie, etc., mais c'est une erreur, une légère erreur que ne pas expliquer bien l'ensemble des travaux, leur articulation, leur cohérence... Ainsi le jury m'a demandé comment il était possible que je puisse mener de front recherche, enseignement, communication : la question était légitime, et la réponse simple à donner (quand on fait 105 heures par semaine sans prendre de vacances, on peut faire bien plus.... que si l'on faisait moins). La question était légitime, la réponse était simple, et le fait qu'il y ait eu question prouve que le dossier envoyé n'était pas clair, au moins de ce point de vue.
Un autre exemple : souvent, je réponds à des demandes d'institutions variées. Un ministre qui m'invite à développer la science dans les écoles, un recteur qui me convie à des formations, l'ambassadeur qui propose une série de conférences à l'étranger... Le jury a posé la question de savoir quelle était ma stratégie face à des demandes en nombre excessives. Cette activité ne nuirait-elle pas à la production scientifique ? la question est légitime la réponse était facile à donner, puisque, évidemment, je me suis posé depuis longtemps la question de savoir comment réagir à ces demandes, moi qui propose de toujours placer la méthode avant la réponse, la stratégie avant la tactique, pour prendre une métaphore guerrière que je n'aime pas. Quand une demande me parvient, elle est analysée, passé au crible d'un certain nombre de critères, le premier temps étant l'utilité sociale, en accord avec les missions qui me sont confiées, au moins tel que j' interprète la lettre de mission qui m'a été donné. Ce n'est pas une injure que l'on me fait de m'interroger sur la façon de répondre à ces demandes, et il est plus intelligent de considérer que, puisque cette question épineuse est lancinante, j'aurais dû l'anticiper et en donner une réponse simple dans le dossier écrit.
Évidemment, on ne peut pas tout prévoir, surtout quand le nombre de pages du dossier écrit que l'on soumet est limité, mais en tout cas, je retiendrai – et je propose à mes amis (vous, donc) de le considérer aussi- qu'il y a une sorte de devoir d'explication, d'éclaircissement, qui s'impose avant tout.
Au fond, si nous n'avons rien à cacher, montrons tout, n'est-ce pas ?
samedi 6 septembre 2014
Votons !
OK, c'est en anglais, mais quand même :
https://www.googlesciencefair.com/en/
Voting has now opened for the Google Science Fair
Voter's Choice award. Between now and September 14, the public can cast a
vote on the website for one of our 15 Global Finalist projects, that
they think has the greatest potential to change the world. The winner will be announced during the awards show later this month.
https://www.googlesciencefair.com/en/
mardi 2 septembre 2014
Les tests de QI mesurent en réalité... la naïveté et l'ignorance des mathématiques
Un, deux, quatre, huit...
Quel est le suivant ? Vous avez dit seize, mais, en réalité, il
fallait répondre en 1013.
Un autre : 1, 1, 2, 3, 5,
8, 13, 21... Et le suivant ? Vous avez répondu 34, ayant observé
que chaque terme est la somme des deux termes précédents, et vous
avez tort : il fallait répondre 1013.
Alors, encore un autre :
1, 2, 4, 6, 3, 4, 6... Quel est le suivant ? Je sais que vous
avez répondu 1013, mais réponse était 724.
Analysons. Dans tous ces
cas, qui sont analogues aux questions posées dans les tests de QI,
on veut éprouver notre sens logique. Mais c'est ignorer que, par
une suite finie de points, on peut faire passer un nombre infini de
courbes, et que la multiplication par deux pour le premier cas, ou la
suite de Fibonacci pour le deuxième exemple, etc., ne sont que des
cas très particuliers qui ne sont ni plus simples n'est plus logique
que d'autres. Par une suite infinie de points, on peut faire passer
un nombre infini de courbes et toutes peuvent avoir leur
justification.
C'est là une leçon que
la nature donne régulièrement aux scientifiques qui font des
mesures : la nature n'a pas toujours choisi la solution la plus
simple, la plus logique (de notre point de vue), et nous devons bien
scruter les phénomènes pour rechercher les mécanismes.
Mais je m'égare. Pour en
revenir aux tests de QI, nous sommes en droit de répondre ce que
nous voulons à ces tests... du moment que nous savons justifier
notre réponse, mais il faut savoir que cette réponse sera très
idiosyncratique, et qu'il vaut mieux répondre au hasard, puisque le
nombre de réponses possibles est infini.
En
pratique, je doute (mais c'est sans doute une présomption idiote de
ma part, pardon si certains sont éclairés) que vos examinateurs
sachent que leurs tests sont naïfs à ce point. Evidemment, lors
d'un entretien d'embauche, il vaut peut-être répondre quand même
par la réponse attendue, mais vous n'y perdrez par si vous expliquez
pourquoi la question ne teste que la connaissance de certaines
régularités élémentaires, alors que vous êtes bien au-dessus de
cela. Et puis, si votre interlocuteur se vexe, ce sera la meilleure
démonstration qu'il ne vous mérite pas, qu'il ne faut absolument
pas aller travailler avec cette personne, qui joint la naïveté à
l'ignorance et à un amour-propre exagéré. Ne travaillons jamais
avec des salauds !
Je saurai attendre pour boire mes vins d'Alsace.
Cet été, mes amis viticulteurs, en Alsace, m'ont fait goûter des vins d'Alsace vieux (1996, par exemple).
Stupéfaction ! Dans les années 1960 ou 1970, les vins étaient souvent trop soufrés, et ils donnaient parfois mal au crâne. Mais ils se conservaient encore mal. Cette fois, la démonstration était faite que la conservation n'était plus un problème, au contraire !
Les gewurtztraminer, souvent un peu doux, avaient perdu cette rondeur de jeunesse pour prendre une corpulence parfaite, qui laissait voir les véritables formes élégantes du cépage. Mieux, les riesling, que je trouve souvent faibles quand ils sont jeunes, avaient pris un merveilleux caractère, tout d'élégance.
Décidément, merci à mes amis viticulteurs : mon idée est changée. Du coup, toutes mes bouteilles de vin d'Alsace sont partis dans la rangée inaccessible, celle de derrière, pour attendre dix ou vingt ans, voire plus.
Je ne boirai plus de vins d'Alsace jeune : je saurai attendre !
Stupéfaction ! Dans les années 1960 ou 1970, les vins étaient souvent trop soufrés, et ils donnaient parfois mal au crâne. Mais ils se conservaient encore mal. Cette fois, la démonstration était faite que la conservation n'était plus un problème, au contraire !
Les gewurtztraminer, souvent un peu doux, avaient perdu cette rondeur de jeunesse pour prendre une corpulence parfaite, qui laissait voir les véritables formes élégantes du cépage. Mieux, les riesling, que je trouve souvent faibles quand ils sont jeunes, avaient pris un merveilleux caractère, tout d'élégance.
Décidément, merci à mes amis viticulteurs : mon idée est changée. Du coup, toutes mes bouteilles de vin d'Alsace sont partis dans la rangée inaccessible, celle de derrière, pour attendre dix ou vingt ans, voire plus.
Je ne boirai plus de vins d'Alsace jeune : je saurai attendre !
vendredi 29 août 2014
Si la notion de molécule est inconnue du public, comment celui-ci pourra-t-il décider raisonnablement de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés ?
Dans un billet précédent, je discutais ce fait essentiel : les « petits marquis » (on pourrait dire aussi « les intellectuels coupés du reste du monde ») que sont certains d'entre nous doivent être conscients que, en première approximation « le monde » ne comprend pas ce qu'ils font. Je ne dis pas, évidemment, avec morgue ou supériorité, que le public est ignorant, mais je dis qu'il ne connaît pas les sciences. Il a pourtant d'autres connaissances. Par exemple, un confiseur sait parfaitement le degré exact de changement de la matière qu'il travaille, quand il fait un fondant... mais il ne sait pas résoudre des équations ; et, inversement, un physicien serait bien incapable de faire un feston en sucre filé. De même pour un ébéniste, un garagiste...
Toutefois c'est un fait que notre monde est plein de techniques avancées, pour lesquelles des choix doivent être faits collectivement. Et c'est un fait que les objets techniquement avancés ne sont « compréhensibles » que si l'on dispose de connaissances scientifiques que peu ont, malgré les efforts admirables de l'Education nationale.
Bref, le public connaît mal les sciences et les technologies : c'est un fait. Or, dans un billet précédent, j'avais pris l'exemple de la différence entre composé et molécule, très généralement incomprise en dehors du cercle des chimistes. Nous devons tirer les conséquences de l'observation selon laquelle cette différence n'est pas comprise/connue : si le public ignore ce qu'est une molécule, comment pourrait-il comprendre ce qu'est l'ADN ? Du coup, comment peut-il comprendre ce que sont les OGM ?
Et si le public ne « comprend » pas ce que sont les OGM, comment peut-il rationnellement refuser une technique qu'il ignore (car beaucoup « refusent » l'utilisation des OGM, ou des PGM (plantes génétiquement modifiées)) ?
Soyons plus positifs : comment expliquer à notre entourage ce qu'est l'ADN, afin que les décisions prises collectivement le soient en connaissance de cause ?
L'ADN étant une molécule dans une cellule, l'expérience semble devoir montrer qu'il faut d'abord expliquer ce qu'est une cellule. Je ne suis pas certain (on aura compris qu'il s'agit là d'une figure de rhétorique) que l'ensemble de nos concitoyens savent que les levures (pas les poudres levantes !) sont des cellules, de petits sacs vivants ! Vivants ? L'explication est difficile mais on n'aurait pas tort, je crois, de commencer par dire que la possibilité d'une reproduction est essentielle. Évidemment je n'utiliserais pas le mot « reproduction » si je veux me faire comprendre, parce qu'il a plus de trois syllabes, et je préfère me contenter de dire qu’une cellule est un objet petit, visible au microscope et qui, à la bonne température et en présence de nutriments (là, il faut expliquer), grossit, grossit encore, puis se divise en deux objets identiques au premier. Mieux encore, je ne crois pas inutile de montrer, encore et encore, des images de cette division ou, mieux, des films ! Par exemple, j'ai trouvé ceci : www.snv.jussieu.fr/vie/images_semaine/imagealaune_38/imagealaune_38.html
Cela étant fait, sans oublier notre objectif (expliquer ce qu'est l'ADN), pourquoi ne pas nous limiter, dans un premier temps, à interroger nos amis -au lieu de leur déverser des connaissances ex cathedra- en leur demandant comment la division qu'on leur a montrée a pu avoir lieu ?
La notion de molécule étant acquise (voir le billet antérieur), ne pourrait-on alors indiquer (OK, le chemin est long) comment un simple bricolage permettrait de construire une cellule, par exemple à l'aide de ces molécules de lécithine, dont on pourrait faire une vésicule ? Puis, d'autre part, à partir de l'idée de molécules, ne pourrions-nous pas arriver à celle d'ADN, et, mieux encore, à celle d'ADN auto reproducteur ? Il resterait alors à mettre un ADN auto reproducteur dans une vésicule auto reproductrice et l'on aurait... l'objet que je rêve de voir un jour, à savoir une cellule vivante artificielle.
Je sais qu'un tel exploit ne réfutera pas le vitalisme, mais en associant la présentation de cette réalisation à des idées sur le mouvement moléculaire d'origine thermique, je crois que nous aurions avancé.
dimanche 17 août 2014
La loi n'est pas la fin de la science
L'avantage,
quand on est « insuffisant », c'est que l'on a la
possibilité de s'améliorer. L'avantage, quand on n'a pas de maître,
c'est que, certes, on fait des erreurs qu'il nous aurait peut être
évitées, mais que, si l'on traque le « symptôme », on
peut progresser.
Je
me souviens ainsi d'un jour où je lisais un manuscrit d'article
scientifique qu'une revue m'avait demandé de « rapporter ».
Je lisais donc d'abord l'introduction, m'assurant que la question
posée était claire, que la bibliographie avait été bien faite.
Puis je regardais attentivement la partie « Matériels et
méthodes », afin de m'assurer que les informations étaient
suffisantes, que toutes les précautions méthodologiques avaient été
bien prises par les auteurs. Je passais aux résultats, et m'assurais
que rien d'exagéré n'était produit, que les résultats
correspondaient donc bien aux méthodes mises en œuvre, que le
traitement statistique était bien fait. Puis je lus la discussion,
pour voir si tout était cohérent.
Tout
allait bien. Certes, il y avait des détails à corriger, mais rien
de bien grave... sauf que je trouvais l'article médiocre.
Logiquement,
j'aurais dû dire à l'éditeur que l'article était acceptable, mais
quelque chose me retenait. Quoi ? Je ne savais pas. De sorte que
je décidais de lire une fois de plus, et je ne retrouvais que bien
peu de choses supplémentaires à corriger. Je mis le manuscrit dans
mon cartable, et décidai de laisser passer la nuit.
Le
lendemain matin, dans l'autobus, je le sortis de mon cartable, je le
relus... et tout s'éclaira ! Les auteurs avaient caractérisé
un phénomène, et ils n'avaient en réalité pas considéré les
mécanismes compatibles avec les lois qu'ils avaient dégagées !
Ce n'était donc pas un travail scientifique, en quelque sorte, mais
seulement une étape sur le chemin scientifique.
A
la réflexion, ma réaction était injuste* : tout ce qui figure
sur le chemin de la science (observation de phénomènes,
caractérisation quantitative, réunion des mesures en lois
synthétiques, recherche de mécanismes, prévision théorique, test
expérimental de ces prévisions) est un bout de science, et mérite
donc publication, parce que cela fait avancer le travail.
*
En réalité, pas complètement : ajuster des données par une
fonction, comme les auteurs l'avaient fait, nécessite d'avoir une
raison de choisir cette fonction particulière !
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