Le
printemps est le moment où l'on s'aperçoit que le vert change, le
moment où nous prêtons attention à ces changement, parce que le
vert apparaît sur des branches jusque là dénudées. L'été est le
moment où l'on voit que le vert des feuilles change, parce que le
chaud alterne avec l'humide. L'automne est le moment où l'on
s'intéresse à la couleur des feuilles, parce que le vert cède la
place à d'autres teintes. En réalité, le vert des feuilles change
sans cesse, comme l'analyse suivante permet de le comprendre.
Le
vert des feuilles, c'est leur contenu en pigments que sont les
chlorophylles et les caroténoïdes, notamment. Pour certains
feuillages, il peut y avoir aussi des composés phénoliques, mais le
raisonnement serait le même que celui que nous allons faire.
Chlorophylles et caroténoïdes, donc. Dans les feuillages, les
chlorophylles sont les chlorophylles a, a', b, b', et les
caroténoïdes ont pour nom carotène, lutéine, violaxanthine...
Chacun de ces composés a un spectre d'absorption particulier, ce qui
signifie qu'il absorbe des rayonnements particuliers du spectre de la
lumière visible. La lumière du jour arrive donc sur la feuille ;
une partie est absorbée et le reste est réfléchi. Plus les
pigments sont nombreux, et plus leurs absorptions sont différentes,
plus la feuille paraît sombre.
Imaginons
que les feuilles ne contiennent que la chlorophylle a : on
aurait une certaine couleur. Puis imaginons que les feuilles
contiennent de la chlorophylle a et du carotène bêta : la
couleur serait différente.
Or
les feuilles qui croissent synthétisent les pigments, mais elles ne
les synthétisent pas tous à la même vitesse, parce que les voies
métaboliques sont différentes pour les divers pigments. La
proportion de chlorophylle a, par exemple, change avec le temps, de
sorte que la couleur change, puisque tout est affaire de proportion.
Et
voilà pourquoi il n'est pas étonnant que la couleur des feuilles
change avec les jours qui passent, du premier jour où elles
apparaissent, jusqu'au jour où telles tomberont.
J'ai
dit « il n'est pas étonnant », mais je me reprends, car
une telle expression banalise le phénomène, qui est bien mystérieux
et merveilleux pour qui n'est pas chimiste. Au contraire, ces
changements de couleur sont très étonnants ! La preuve :
il a fallu que les sciences viennent donner l'analyse précédente
pour que l'on y voie plus clair. Sans les éclaircissements des
sciences, les mystères tels que les verts changeants des feuillages
sont de ceux qui ont conduit l'humanité à imaginer des dieux, des
elfes, des lutins, des feux follets. Naguère, ce type de phénomène
appelait des puissances imaginaires, et chacun pouvait ajouter sa
voix à la grande cacophonie publique des mythes, des légendes.
Aujourd'hui
la chimie physique a-t-elle mis fin à cet « enchantement » ?
Je ne crois pas, car la théorie scientifique, bien plus fiable que
l'imagination, est toujours « insuffisante » par principe
(faut-il dire « incomplète » ?), de sorte que, jour
après jour, notre compréhension du monde s'embellit. Ce serait une
erreur de croire que la chimie physique de la couleur des feuilles a
dit son dernier mot, au contraire. La science n'a pas de fin parce
qu'elle perfectionne à l'infini ses théories, ses explications,
qu'elle améliore ses mécanismes, en vue de produire un discours
toujours plus approprié. Il est là, l'enchantement du monde.
Et
puis, il faut quand même s'étonner de ces synthèses
différentielles des chlorophylles et des caroténoïdes. Il y a de
quoi s'émerveiller de la constitution moléculaire des molécules de
ces composés qui absorbent la lumière visible.
Les
chlorophylles ? Des molécules qui sont construites autour d'un
noyau « tétrapyrrolique », avec des atomes qui forment
une sorte de « plaquette », et un atome de magnésium au
centre, des électrons étant répartis (on dit « délocalisés »)
sur tout le plan du noyau. Les caroténoïdes ? Des molécules
également remarquables, mais différemment : elles ont un long
squelette fait d'atomes de carbone, avec des liaisons simples et
des liaisons doubles qui alternent, ce qui permet, à nouveau, la
délocalisation des électrons, laquelle permet l'absorption de la
lumière visible.
Dans
les deux cas, il y a un mécanisme analogue, et très remarquable.
Ordinairement, quand il n'y a pas de délocalisation des électrons,
les molécules n'absorbent que des rayonnements très énergétiques,
ultraviolets par exemple. En revanche, quand les électrons de
doubles liaisons sont ainsi délocalisés, ils sont moins « tenus »
par le squelette moléculaire, et interagissent plus facilement avec
les rayonnements, de sorte qu'ils peuvent absorber ces derniers,
avant de revenir à l'état initial, souvent par réémission de
rayonnement invisible, infrarouge par exemple.
Je
m'arrête là : j'avais juste esquissé la suite du récit afin
de montrer qu'il y a lieu de s'étonner chaque seconde... de la
couleur changeante du vert des feuilles.