dimanche 12 février 2012

E 100 N ?

"Les additifs" ? Ils sont trop souvent considérés comme diaboliques, ce qui, paradoxalement, me pousse à prendre la défense méritée de certains.
Par exemple, le code européen E 100 N désigne la curcumine, ou diféruloylméthane, un colorant jaune qui est extrait des rhizomes de Curcuma longa, plantes de la famille des Zingiberacées.
Extrait ? Oui, extrait. Les rhizomes sont broyés, et à l'aide de solvants (acétate d'éthyle, acétone, dioxyde de carbone, dichlorométhane, n-butanol, méthanol, éthanol, hexane), on dissout la curcumine, puis on évapore les solvants pour purifier l'extrait par cristallisation, en vue d'obtenir de la poudre de curcumine concentrée.
En pratique, le produit formé contient la curcumine, le principe colorant dont le nom complet est le bis-(hydroxy-4-méthoxy-3-phényl)-1,7-heptadiène-1,6-dione-3,5, et deux dérivés déméthoxy en différentes proportions, selon la source végétale et les conditions de préparation.
Faut-il préférer la poudre de curcuma ou le E 100 ? La poudre est obtenue par broyage et séchage, ce qui ne saurait aller sans des dégradations qui la distinguent du jus de curcuma. D'ailleurs, à ce propos, ce serait une bonne chose que l'on cesse de nommer "curcuma" la poudre de curcuma, car la plante et la poudre sont bien différents, du point de vue de la composition ! La poudre, elle, me semble bien plus sujette à des falsifications que le E 100, très réglementé.
Pour ce dernier, j'entends un certain public s'effrayer des "solvants" utilisés pour l'extraction... mais ceux qui ont peur savent-ils combien de solvant il reste dans le produit fini ? Je propose de le savoir avant de décider très péremptoirement  !

Donnons l'information à tous !

Nous avons des dictionnaires variés, souvent de lourds volumes produits par des sociétés commerciales. Certes, ces sociétés sont soucieuses de qualité... mais seulement jusqu'à la limite de la rentabilité de leurs entreprises.
C'est ainsi, par exemple, que lorsqu'une définition fautive de la cuisine moléculaire et de la gastronomie moléculaire a été donnée par un de nos deux grands piliers du dictionnaire, il y a peu d'années, j'ai écrit à la direction de ces sociétés (j'insiste, des dictionnaires tels que le Robert ou le Larousse sont des "produits" de sociétés commerciales), je n'ai pas obtenu de rectification : la preuve que ces sociétés ne voulaient pas avoir à retirer les ouvrages, et qu'elles faisaient passer leur intérêt commercial avant le désir de donner une information fiable.

Au passe, j'en profite donc pour donner des définitions propres :
La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la production et de la consommation des mets.
La cuisine moléculaire est la forme de cuisine qui fait objet de "nouveaux" outils, ingrédients, méthodes (par "nouveau", on entend "ce qui n'était pas présent dans la cuisine de Paul Bocuse et des autres cuisiniers français, dans les années 1970)
La cuisine note à note est la forme de cuisine qui construit les mets à partir de composés purs ou, moins bien, à partir de mélanges "nouveaux" de composés (par "mélanges nouveaux", on entend tout mélange qui ne se réduit pas à un fruit, un légume, une viande, un poisson).

Ces définitions claires étant données, revenons à la question des dictionnaires. Je vous invite ABSOLUMENT à diffuser le lien http://atilf.atilf.fr/, qui est celui du Trésor de la langue française informatisé : un ouvrage en ligne, gratuit, soutenu par le CNRS, fiable, intelligent, utile, qui n'est pas limité par la place. Mettons au recyclage nos gros volumes périmés, et dirigeons sans attendre les jeunes vers ce merveilleux TLF !

samedi 11 février 2012

J'analyse...

J'analyse qu'une des plaies de notre monde, c'est le doute qui s'est emparé des citoyens, et la perte de confiance dans les experts.
Vraiment étonnant : il y a moins d'une semaine, alors que j'en étais à indiquer des doses d'un composé toxique dans les aliments (doses que je connais!), je me suis vu répondre par un ignorant "Vous êtes sûr?".
Et quand j'affirmais que, connaissant ces doses sans hésitation, le risque était bien inférieur à celui que présentent des comportements courants, on a encore douté... alors que la personne était fumeur.
Oui, le doute est salutaire, mais comment organiser un dialogue social quand des ignorants veulent y mettre  leur grain de sel, au lieu de commencer par se mettre au courant des prémisses certaines ?
Allons, il reste l'émerveillement ! Et la saine transmission d'un savoir qui n'est pas marchand ! 

jeudi 9 février 2012

Prochaine réunion du groupe d'étude des précisions culinaires

Chers Amis

Alors que nos Cours de gastronomie moléculaire viennent de se tenir (n'hésitez pas à distribuer le liens des podcasts : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/), qu'un forum se prépare pour des discussions sur la "cuisine note à note", je suis heureux de vous rappeler que notre prochaine réunion du Groupe d'étude des précisions culinaires se tiendra le 20 février, de 16 à 18 heures, à l'Ecole supérieure de la cuisine française, au 28 bis rue de l'Abbé Grégoire, 75006 Paris.
Le thème retenu est  double :

1. Nous chercherons à savoir si piquer les fond de tarte évite vraiment que ces dernières ne soufflent
2. Nous chercherons à savoir si masser la viande de boeuf l'attendrit (après cuisson).

Bref, du travail en perspective pour cette cuisine classique !
Au plaisir de retrouver ceux qui veulent/peuvent.

lundi 6 février 2012

Le mot "arôme"

Je vois que le mot "arôme" a intéressé. Des questions sont posées. J'y réponds plus largement  :


Le 29 avril 2009 s’est tenue à l’Académie d’agriculture de France une séance publique où les mots du goût ont été discutés (Pascal et This, 2009, 2010). A l’origine de cette rencontre, deux observations et une idée. La première observation : lors de journées plénières du club ECRIN « Arômes et formulation », la confusion a régné, parce que des collègues pourtant spécialistes du goût (chimie, analyse sensorielle...) ont désigné par le même mot « arôme » des objets différents. Pour certains, il s’agissait de l’odeur perçue par la voie rétronasale ; pour d’autres, il s’agissait de la sensation donnée par les molécules odorantes, quelle que soit la voie de stimulation olfactive ; pour d’autres encore, le terme désignait un mélange de sensations données par les récepteurs olfactifs et par les récepteurs des papilles ; pour d’autres encore… Jamais la nécessité de l'établissement d'un langage commun ne s'est fait autant sentir (cf chapitre 8.3).
La seconde observation : nombre d’articles scientifiques en sciences des aliments étudient les saveurs en conservant le point de vue de la théorie des quatre saveurs… alors que l’on sait depuis des décennies cette théorie fausse (Faurion, 1988). Comment ne pas penser que les travaux ainsi présentés ne soient pas sapés à la base ?
Au total, il y a donc beaucoup de confusion, notamment parce que les termes sont insuffisants. Or le père de la chimie moderne, Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis en avant une idée importante dans l’introduction de son Traité élémentaire de chimie (Lavoisier, 1793) : « L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment [...] Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage. » La « chimie des aliments et du goût » doit donc assainir sa terminologie pour progresser.
Évidemment, en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent imposer les mots (Uziel et al., 1987), et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science reste à faire. Cette science donnera des mots au langage commun (ce fut le cas, dans le passé, pour "protéine", "électrode", "atome"...) (Pearce, 1965), mais elle doit aussi tenir compte des mots qui existent, pour les conserver quand ils conviennent, les faire disparaître ou les modifier quand ils sont erronés (le mot "albumine", qui désignait les protéines, a été relégué à la désignation d'une classe particulière de protéines) (This, 2010a).
Ce qui doit être la base de la rénovation terminologique, c'est le mot "goût" (TLFI, 2011) : quand on mange une orange, quand on la "goûte", on perçoit un goût d'orange. Ce mot, qu'on le veuille ou non, subsistera pour désigner la sensation synthétique qui englobe toutes les autres, particulières, et des décennies de spécialistes utilisant le mot "flaveur" (Pierson et Le Magnen, 1969) n'ont pas réussi à imposer ce dernier terme, de sorte que persévérer serait sans doute une grave erreur, source de confusion plus que de progrès.
On n'a pas besoin de répéter ici que le goût finalement perçu résulte de l'activation de récepteurs, d'une part, et d'un traitement des signaux ainsi produits, d'autre part, mais on profitera de l'occasion pour évoquer l'usage du mot "arôme", notamment dans l'expression que je crois fautive "composé d'arôme". D'une part, bien que l'odeur rétronasale puisse être différente de l'odeur orthonasale, il n'y a pas lieu d'utiliser le mot "arôme" pour désigner la première, car le mot "arôme" désigne en français -sans qu'il y ait de nécessité de changer d'usage- l'odeur des plantes aromatiques, ou aromates (TLFI, 2011). Comment désigner l'odeur rétronasale, alors ? "Odeur rétronasale" convient bien. Les composé responsables de cette sensation, d'ailleurs, ne seraient pas nommés "composés d'arômes", mais simplement "composés odorants", ce qui aurait l'avantage d'éviter la confusion avec les "composés aromatiques" (dont les molécules vérifient la règle de Hückel) des chimistes (Carey et Sunberg, 1997).
Cette proposition doit également contribuer à corriger les normes et la législation française, qui accepte de nommer très abusivement "arômes" des extraits ou des compositions, utilisés par l'industrie alimentaire (SNIAA, 2011) et, aujourd'hui, par les cuisiniers, pour modifier le goût (ces produits renferment des composés variés, à effet olfactif, sapide, trigéminal...). Cette confusion réglementaire me semble être une des cause de rejet, par le public, de ces compositions ou extraits parfois remarquablement réalisés : la confusion est souvent source de tromperie, dont le public a raison de se méfier.
La question de la saveur semble plus simple, à cela près que l'on a nommé "papilles gustatives" (c'est un fait second, et non premier) les bourgeons composés de cellules réceptrices particulières (Landis, 2007). Là, un progrès terminologique semble nécessaire, parce que ces papilles, avec les cellules réceptrices et leurs récepteurs, ne perçoivent pas le "goût", mais seulement une de ses composantes, à savoir la saveur. Doit-on plutôt parler de « sapiction », par exemple (This, 2003) ? Et de papilles sapictives (This, 2009b) ? Il n'y aurait, à ma connaissance, aucune contre-indication.
Les choses sont évidemment compliquées par la découverte des récepteurs auxquels se lient les acides gras insaturés à longue chaîne (Laugerette et al., 2006). La découverte est tout à fait remarquable, d'une part, parce qu'elle laisse imaginer d'autres découvertes analogues, et aussi parce qu'elle conduit à nommer la sensation : pourquoi pas "lipoction" (de lipos, la graisse) ?
Comment nommer les composés qui se lient aux récepteurs de la voie trigéminale (Calvino et Conrat, 2008 ; Daniells, 2009) ? L'expression "composé à action trigéminale" est encombrante, et je compte plutôt sur des collègues inventifs pour proposer quelque chose de juste.


samedi 4 février 2012

Je me répète un peu, mais c'est pour la bonne cause

Lors des cours de gastronomie moléculaire, il y eut (heureusement assez brièvement) un petit débat sur les pesticides.

J'ai alors cité ceci :

"Même pour les agriculteurs, les plus exposés aux pesticides, la grande enquête Agrican (Agriculture et Cancer), entreprise par la MSA et soutenue, entre autres, par l’Anses et plusieurs organismes et associations de lutte contre le cancer, qui vient d’être publiée (13), a montré que leur espérance de vie était plus grande que la moyenne nationale et que la fréquence de décès par cancer était plus
faible de 27 % par rapport à la population générale. Bien qu’ayant été obtenues sur une cohorte de plus de 50 000 hommes déclarant avoir utilisé des pesticides, ces données sont tellement contraires aux idées reçues qu’elles ne manqueront
pas d’être mises en doute, voire « canardées », par des médias hostiles à l’agriculture conventionnelle."

sans donner la référence, que je n'avais pas, de tête, et que je ne voulais pas perdre de temps à chercher.

Pourtant, il y en a eu pour douter. Comme quoi la dernière phrase de mon collègue Léon Guéguen était clairvoyante. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !

vendredi 3 février 2012

Militons!

Les "arômes alimentaires" : l'expression est dans la réglementation, mais si cette dernière est bien (ce qu'il faudra examiner), il n'en reste pas moins qu'il est insupportable que le monde industrie utilise l'expression.
Un arôme, il faut le rappeler, c'est l'odeur d'une plante aromatique. Ce n'est donc pas un produit préparé par l'industrie pour donner du goût à un aliment.

1. Je n'ai rien contre l'industrie, qui fait vivre la population
2. Mais il y a confusion, entre l'arôme, au sens réel, rappelé plus haut, et ce que l'industrie utilise pour donner du goût.

Autrement dit, le mot "arôme" tel qu'utilisé par l'industrie ne répond pas aux critères de la loi de 1905 sur le commerce : les produits doivent être sains, loyaux, marchands. En l'occurrence, l'expression incriminée ici est déloyale.

Il faut donc sans attendre la changer... en observant que la même confusion n'a pas lieu en langue anglaise, où l'on utilise "flavouring" pour dénommer les préparations qui donnent du goût.

Ne soyons pas en retard d'un éclaircissement, dans un pays qui a vu le développement des Lumières !