Chers Amis
J'ai beaucoup hésité, entre ce blog, le blog "gastronomie moléculaire", le blog "Vigilance intellectuelle et scientifique", et je me suis finalement décidé.
La question était de savoir s'il était utile d'en ajouter un ?
Précisons tout d'abord que l'idée n'est pas le foisonnement absurde, mais, plutôt, l'adéquation à des groupes d'amis différents.
Par
exemple, le blog "Vigilance intellectuelle et scientifique" est celui
que j'aime le moins faire, parce qu'il est négatif : il dénonce des
fautes de pensée. Par exemple, ce matin, je lisais un livre idiot, où il
était écrit que les "sciences modernes" avaient une "vocation
pratique". J'ai d'abord expliqué que tout ce qui est écrit n'est pas
nécessairement juste, puis j'ai expliqué que "les sciences modernes" est
une expression fautive, parce qu'elle confond la physique, la
géographie... et la cuisine (ne parle-t-on pas depuis longtemps de la
"science du cuisinier, ou du cordonnier, du maître d'hôtel, etc ?).
Enfin j'ai expliqué que les "sciences quantitatives" (la terminologie
que j'ai proposé pour signifier les "sciences dures") n'ont pas de
"vocation" : ne confondons pas les personnes et les actions de ces
dernières.
Bref, ce blog est peut-être utile (j'espère), mais bien
négatif. Je préfère de loin mes autres blogs "Gastronomie moléculaire"
et "Hervé This".
Dans le premier, je fais état de résultats de
gastronomie moléculaire (une science quantitative à ne pas confondre
avec la cuisine), je donne des informations, j'évoque des
manifestations, des cours, des séminaires...
Dans le premier, je discute positivement diverses idées, je me laisse aller à essayer d'être utile.
Que
reste-t-il à faire ? Partager de l'enthousiasme, puisque "c'est une
maladie qui se gagne", comme disait Voltaire dans ses Lettres
philosophiques.
Et c'est pourquoi, dans le blog www.scilogs.fr/vivelaconnaissance, je propose de
l'enthousiasme, de l'enthousiasme, de l'enthousiasme. D'ailleurs,
n'est-ce pas de l'enthousiasme que l'on entend dans le titre de la revue
"Pour la Science" ?
Les billets seront "colorés" :
Lundi : Nous sommes ce que nous faisons, voici l'agenda
Mardi : La Connaissance par la lorgnette de la gourmandise
Mercredi : J'ai lu/vu pour vous...
Jeudi : La beauté est dans l'œil de celui qui regarde
Vendredi : Des questions
Samedi : Vive les sciences quantitatives !
Dimanche : Les merveilleuses applications des sciences
Et
c'est ainsi que, semaine après semaine, nous verrons la vie belle...
comme elle l'est. C'est ainsi que nous chasserons les humeurs chagrines,
que nous combattrons, à la manière d'un Rabelais (modestement,
toutefois : sutor non supra crepidam), les pisses vinaigres, et les
divers cailloux qui viennent se loger dans les chaussures de notre
esprit.
Bref, vive la Connaissance produite et partagée !
PS. Dans le blog présent, je mettrai donc ce qui ne relève pas stricto sensu de la gastronomie moléculaire, ce qui n'est pas un combat intellectuel, et ce qui n'est pas la merveilleuse naïveté du nouveau blog.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 20 août 2013
lundi 19 août 2013
Lundi 19 août 2013. L'osmose
Le mot « osmose »
est facilement prononcé, mais, comme l'expression « choc thermique », il est
souvent mal compris et employé à tort et à travers, notamment dans le monde culinaire.
Il est mal compris, dans certains cas, parce que
l'on nous l'explique en nous parlant de « membranes semi-perméables
». Membranes semi-perméables ? Qu'est-ce que ce truc-là ? Drôle
d'enseignement que celui qui part d'une notion inconnue pour faire
l'explication d'une une autre notion inconnue ! Notre ami René
Descartes ne préconisait-il pas justement l'inverse ?
Pour expliquer une notion,
il faut de la stratégie, avant de la tactique : il faut choisir
un chemin, une méthode d'explication, avant d'élaborer cette
dernière. Il y a donc la méthode qui va du connu à l' inconnu, ou
celle qu'il va de l'inconnu à l'inconnu ... ou bien d'autres : par
exemple, il y a la méthode qui consiste à partir des faits
expérimentaux, tangibles, concrets, accessibles à tous : ne
suffit-ils pas de regarder, ou d'entendre, ou de sentir ou de
goûter ? Bref, il y a mille façons d'expliquer, et, comme
l'enseignement est un art, toutes se valent, puisque la question
n'est pas technique mais artistique. On pourrait même penser qu'un
très bon enseignant réussirait à utiliser la méthode a priori
étrange qui consiste à aller de l'inconnu vers l'inconnu...
mais, alors, il faudrait un très bon enseignant !
Une méthode simple,
efficace, consiste à partir de l'expérience, d'où le titre des
« cours INRA/AgroParisTech de gastronomie moléculaire : « de
l'expérience aux calculs ».
En l'occurrence, pour
présenter l'osmose, une bonne expérience consiste à plonger un
oeuf dans du vinaigre. Des phénomènes surviennent alors, à
commencer par l'attaque de la coquille par le vinaigre, la
dissolution du carbonate de calcium, qui laisse un oeuf dénudé,
mais entier, avec sa forme. Ce qui est alors intéressant, c'est que
si l'on met alors cet oeuf, en le manipulant délicatement, dans
l'eau pure ou dans de l'eaus salée, on voit respectivement l'oeuf
grossir ou se ratatiner. Manifestement, il y a donc des échanges
entre l'oeuf et son environnement liquide.
Il n'est pas difficile non
plus, à l'aide d'une pointe, de voir que l'oeuf sans sa coquille
est très fragile, qu'il peut crever. On s'aperçoit alors qu'il
libère un liquide. Autrement dit, on voit que l'oeuf dans un
liquide, c'est comme deux liquides séparés par une membrane. Cette
membrane laisse sortir ou entrer du liquide, mais lequel ? Si
l'on fait ensuite l'expérience (cela peut être une expérience de
pensée) de mesurer le pH dans l'oeuf, on s'aperçoit que ce pH
n'a pas changé quand bien même l'oeuf est dans un vinaigre de pH
égal à deux. Autrement dit, on doit conclure que l'eau de
l'intérieur a traversé la membrane, mais pas ce qui fait
l'acidité, les ions hydrogène. De même, si l'on met un oeuf dans
de l'eau très salée, on le voit se ratatiner, mais on peut alors
vérifier que le sel n'entre pas dans l'oeuf. Autrement dit, la
membrane n'est pas perméable à tous les composés, et c'est
seulement maintenant que l'on introduit la terminologie «
semi-perméable ».
Certes, le chemin est un
peu plus long que si l'on avait simplement balancé le mot «
semi-perméable, sans autre explication, mais la question est-elle
d'être rapide ou d'être efficace ? S'agit-il de déverser les
connaissances ou de proposer des explications ?
J'entends des collègues
me dire que les étudiants doivent travailler, et qu'ils devront
chercher par eux-mêmes le sens du mot « semi-perméable ». Je ne
crois pas que ce soit une bonne méthode : si le mot n'est pas
compris en début de cours, tout le reste du cours est inutile,
obscur, à reprendre... à moins que le cours ne consiste à
transmettre autre chose que des connaissances.
Pensons stratégie.
D'enseignement. Il y a une question beaucoup plus fondamentale :
soit on cherche à rendre services, et il faut sans doute expliquer ;
soit on considère qu'aucun savoir, qu'aucune compétence ne
s'obtiennent par des professeurs, et alors les enseignants devraient
sans doute se résoudre à donner aux étudiants une liste de
notions, de termes, afin que ceux-ci apprennent à apprendre, fassent
le travail par eux mêmes.
Autrement dit, notre
discussion stratégique était légèrement erronée, parce que la
véritable question stratégique était plus en amont. Nous y
reviendrons : faut-il que les enseignants enseignent ? La
question tourne autour du mot « enseigner » : par goût
personnel, j'ai l'impression que la méthode qui met les étudiants
en position d'autonomie est bien meilleure que le gavage des oies,
sans quoi nous serons dans le récit et non pas dans l'acquisition
des compétences.
Bien sûr, de nombreux
étudiants observeront qu'ils ont besoin d'aide, mais... ne
devraient-ils pas travailler davantage avant de faire état de leur
« assistanabilité » ? Aujourd'hui, tout est en
ligne, et il suffit de chercher, mais, j'y reviens, si l'on reporte
sur les étudiants la question de l'obtention du savoir, ceux-ci, à
leur tour, devront se poser la question des compétences versus les
connaissances. N'est-ce pas à ce point là qu'il faut les aider ?
N'est-ce pas en matière de méthode d'apprentissage nous devons
faire porter l'effort ?
dimanche 18 août 2013
Dimanche 18 août 2013. La science quantitative ne conseille pas ; elle explore
Un grand hebdomadaire
français titre « les 30 aliments conseillés par la science ».
Un tel titre est fautif, et je dis bien fautif, et non erroné, car
il y a faute à dire que la sciene peut conseiller quelque chose. Ce
n'est pas seulement une erreur, mais une faute. Une faute, parce que,
derrière ce titre, il y a une confusion tendancieuse entre la
science quantitative et la technologie. Il y a également faute à
faire croire que la diététique, qui conseille, se confond avec la
nutrition, laquelle est une science.
La science quantitative
ne conseille rien, parce qu'elle n'a rien à conseiller : c'est
une activité de recherche des mécanismes des phénomènes, pas une
personne. Plus exactement, l'activité scientifique, pour la science
quantitative, consiste en la production de théories qui font
l'objets d'études en vue de leur réfutation, et ce sont les
applications technologiques ou pédagogiques qui manipulent les
résultats des sciences quantitatives. Depuis des décennies, nous
sommes dans une confusion, qui conduit à la fois à craindre la
science quantitative, alors que c'est la technologie qui est en
cause, et à tout confondre : intérêt de la recherche de la
connaissance, statut des « experts »...
D'ailleurs, à dire un tel
titre, on ferait bien d'être prudent et d'avoir la mémoire un peu
longue. La diététique nous a refusé le pain, il y a quelques
décennies, puis elle nous l'a conseillé. Même idée pour le vin.
Et ainsi de suite. La diététique, qui n'est pas une science
quantitative, mais une application de la science nommée nutrition,
nous fait tourner en bourrique.
La science quantitative ne
conseille pas.
vendredi 16 août 2013
La poussière du monde est en nous
Décidément, ce blog est l'occasion de faire acte de contrition ! Je me suis repris plusieurs fois publiquement, notamment à propos de ce qu'est la chimie. Aujourd'hui, je voudrais présenter mes excuses à mes amis à propos d'une idée que j'ai déjà discutée, à savoir la "poussière du monde".
J'avais trouvé l'expression dans le traité de peinture de Shitao, peintre chinois, qui avait discuté l'"unique trait de pinceau". Poussière du monde : l'expression sonnait bien, et je l'appliquais à toutes les discussions inutiles, café du commerce, discussion politiques où s'affrontent inutilement les opinions (je n'ai pas dit "les idées") politiques, petites conversations pour passer le temps...
Pourtant, à la réflexion, je crois que rien n'est insignifiant, rien n'est poussière, si l'on y met de l'intelligence, de la culture, de la réflexion, de l'analyse. Il ne tient qu'à nous-même que cette poussière n'en soit pas, que même la pire bêtise devienne enseignement, matière à pensée. Le philosophe français hélas décédé Jean Largeault disait "J'aime les mauvais livres, parce qu'ils me révèlent bien, a contrario, ce qui est digne d'être aimé". Il était dans ce mouvement de refus, de négation de la poussière du monde.
Bref, je propose que, pour chacun d'entre nous, la poussière du monde n'existe plus !
J'avais trouvé l'expression dans le traité de peinture de Shitao, peintre chinois, qui avait discuté l'"unique trait de pinceau". Poussière du monde : l'expression sonnait bien, et je l'appliquais à toutes les discussions inutiles, café du commerce, discussion politiques où s'affrontent inutilement les opinions (je n'ai pas dit "les idées") politiques, petites conversations pour passer le temps...
Pourtant, à la réflexion, je crois que rien n'est insignifiant, rien n'est poussière, si l'on y met de l'intelligence, de la culture, de la réflexion, de l'analyse. Il ne tient qu'à nous-même que cette poussière n'en soit pas, que même la pire bêtise devienne enseignement, matière à pensée. Le philosophe français hélas décédé Jean Largeault disait "J'aime les mauvais livres, parce qu'ils me révèlent bien, a contrario, ce qui est digne d'être aimé". Il était dans ce mouvement de refus, de négation de la poussière du monde.
Bref, je propose que, pour chacun d'entre nous, la poussière du monde n'existe plus !
samedi 3 août 2013
SOS meringue
Une question reçue aujourd'hui :
J'ai une question qui me trotte dans la tête à chaque fois que je fais des meringues : le sucre (50 g /1 blanc) pour monter les blancs en neige très ferme (formation de "bec") cuit-il ou non les blancs ?
Et la réponse :
Quand on fait des meringues, il est fréquent de monter des blancs en neige ferme, puis d'ajouter du sucre en poudre et de battre jusqu'à ce que les "grains" disparaissent et que la préparation devienne très très ferme, lourde, même, brillante, d'un brillant différent de celui de blancs d'oeufs battus en neige ferme.
Le mécanisme : quand on bat des blancs d'oeufs en neige, on introduit des bulles d'air dans le liquide jaune qu'est le blanc d'oeuf (un blanc, c'est 90 % d'eau, et 10 % de protéines, le tout avec de quoi donner une couleur jaune tirant sur le vert ; oui, regardez bien).
Progressivement, donc, des bulles d'air sont introduites, et elles sont stabilisées par les protéines, lesquelles sont comme des colliers de perles très petits, qui sont déroulés par le cisaillement du fouet ; elles forment alors comme des fils qui se mettent à la limite des bulles d'air.
Si l'on ajoute du sucre, on ajoute des grains... d'un matériau qui se dissout dans l'eau présente. Progressivement, donc, la partie liquide devient un sirop, visqueux. Cela a plusieurs conséquences. D'abord, la préparation prend un goût sucré (évidemment !), et, ensuite, la viscosité accrue est la cause que les bulles deviennent bien plus petites qu'elles n'étaient.
La présence de bulles bien plus petites explique le changement de consistance et de brillant. Consistance : les blancs battus ainsi sont faits de bulles d'air très tassées, dans un sirop très visqueux. Brillant : chaque bulle d'air réfléchit la lumière, de sorte que plus il y en a, plus la surface du blanc battu sucré paraît blanche, brillante.
Et effectivement, un blanc battu sucré très ferme fait un "bec de canard", sur le fouet, ce qui signifie que du blanc qui dépasse du fouet, quand le fouet est redressé, reste à l'horizontale.
Enfin, la question : le sucre "cuit-il" les blancs ? Tout tient dans le mot "cuire" !
Si l'on admet que la cuisson d'un blanc d'oeuf non battu correspond au déroulement des protéines et à la liaison de ces dernières. La liaison est irréversible (pour simplifier : en réalité, c'est plus compliqué).
En revanche, pour des blancs sucrés, ils peuvent retomber, preuve que la liaison des protéines n'est pas du même type que la cuisson classique d'un oeuf sur le plat.
Oui, les blancs sucrés retombent bien plus lentement que les blancs battus non sucrés, mais il y a à cela des raisons qui sont trop longues à donner ici, et qui figurent dans mon livre "Révélations gastronomiques".
J'ai une question qui me trotte dans la tête à chaque fois que je fais des meringues : le sucre (50 g /1 blanc) pour monter les blancs en neige très ferme (formation de "bec") cuit-il ou non les blancs ?
Et la réponse :
Quand on fait des meringues, il est fréquent de monter des blancs en neige ferme, puis d'ajouter du sucre en poudre et de battre jusqu'à ce que les "grains" disparaissent et que la préparation devienne très très ferme, lourde, même, brillante, d'un brillant différent de celui de blancs d'oeufs battus en neige ferme.
Le mécanisme : quand on bat des blancs d'oeufs en neige, on introduit des bulles d'air dans le liquide jaune qu'est le blanc d'oeuf (un blanc, c'est 90 % d'eau, et 10 % de protéines, le tout avec de quoi donner une couleur jaune tirant sur le vert ; oui, regardez bien).
Progressivement, donc, des bulles d'air sont introduites, et elles sont stabilisées par les protéines, lesquelles sont comme des colliers de perles très petits, qui sont déroulés par le cisaillement du fouet ; elles forment alors comme des fils qui se mettent à la limite des bulles d'air.
Si l'on ajoute du sucre, on ajoute des grains... d'un matériau qui se dissout dans l'eau présente. Progressivement, donc, la partie liquide devient un sirop, visqueux. Cela a plusieurs conséquences. D'abord, la préparation prend un goût sucré (évidemment !), et, ensuite, la viscosité accrue est la cause que les bulles deviennent bien plus petites qu'elles n'étaient.
La présence de bulles bien plus petites explique le changement de consistance et de brillant. Consistance : les blancs battus ainsi sont faits de bulles d'air très tassées, dans un sirop très visqueux. Brillant : chaque bulle d'air réfléchit la lumière, de sorte que plus il y en a, plus la surface du blanc battu sucré paraît blanche, brillante.
Et effectivement, un blanc battu sucré très ferme fait un "bec de canard", sur le fouet, ce qui signifie que du blanc qui dépasse du fouet, quand le fouet est redressé, reste à l'horizontale.
Enfin, la question : le sucre "cuit-il" les blancs ? Tout tient dans le mot "cuire" !
Si l'on admet que la cuisson d'un blanc d'oeuf non battu correspond au déroulement des protéines et à la liaison de ces dernières. La liaison est irréversible (pour simplifier : en réalité, c'est plus compliqué).
En revanche, pour des blancs sucrés, ils peuvent retomber, preuve que la liaison des protéines n'est pas du même type que la cuisson classique d'un oeuf sur le plat.
Oui, les blancs sucrés retombent bien plus lentement que les blancs battus non sucrés, mais il y a à cela des raisons qui sont trop longues à donner ici, et qui figurent dans mon livre "Révélations gastronomiques".
Samedi 3 août 2013. La gastronomie moléculaire concerne tous les pays, toutes les cultures.
-->
La gastronomie moléculaire
ne vaut-elle que pour la cuisine française ? Non, bien sûr ! Cette
discipline scientifique vise pour partie à étudier les précisions
culinaires, c'est-à-dire les trucs, astuces, tours de main...
Par exemple, les blancs en
neige montent-ils mieux quand ils sont vieux ? Les poissons
ont-ils une consistance différente quand ils sont cuits sur arête ?
Les salmis doivent-ils vraiment attendre après la cuisson ?
L'écumage des bouillons les fait-il plus clairs ? Les questions
de ce type se posent par dizaines de milliers, pour la seule cuisine
française, la seule que j'ai examinée un peu correctement.
Toutefois des questions du même type abondent pour d'autres pays,
pour d'autres cultures. Par exemple, au Brésil, avant le repas, il
est courant de boire une cai pirinha en apéritif : le cocktail
est fait de citron vert, de sucre de canne et de cachasa. Si l'on
interroge les cuisiniers ou les barman brésiliens qui préparent cet
apéritif, on les entend nous dire qu'il faut absolument enlever la
peau des citron vert sur la partie centrale. Pourquoi ? Ils nous
disent que cela donne l'amertume.
Pourquoi pas ? Faisons
l'expérience. Or les expériences, à ce jour, n'ont montré aucune
différence d'amertume, dans un test sensoriel bien fait. Je ne doute
pas que toutes les cultures du monde, toutes les cuisines du monde
aient leurs propres précisions culinaires : dictons, tours de main,
astuces, proverbes, et la science nommée gastronomie moléculaire a
bien des raisons de s'intéresser à ces objets culturels.
Tout d'abord, les
personnes qui détiennent ces savoirs populaires sont souvent de
vieilles personnes, qui risquent de disparaître avec leur savoir
populaire, et l'on risque de perdre une foule d'information, d'idées,
juste ou fausses -peu importe- qui concernent cette activité
merveilleuse qu'est la cuisine.
D'autre part, il y a
question de l'enseignement : peut-on imaginer de transmettre des
données fausses à nos successeurs ? Non, bien sûr ! Alors il
tester expérimentalement ces idées, afin de ne transmettre que les
bonnes, mettre les autres au musée, bien conservées ; il faudra
essayer de comprendre, aussi, comment les idées sont apparues,
comment les idées fausses aussi sont apparues, et pourquoi ?
Et puis il y
a des raisons scientifiques et techniques : parfois, les praticiens
ont fait des observations remarquables, merveilleuses,
incomprises de la science ;
là, il faudra comprendre, faire des travaux scientifiques pour
explorer les phénomènes, identifier leurs mécanismes... Et
c'est ainsi que la gastronomie culinaire est une
science éblouissante, remarquable, amusantes, passionnantes, à la
portée de tous, au moins pour les tests expérimentaux.
vendredi 2 août 2013
Vendredi 2 août. Les quenelles
-->
Je m'aperçois que je n'ai
guère fait état de ma collection de recettes de quenelles. Il y en
a aujourd'hui des centaines, recopiées de livre de cuisine française
de toutes les époques, et j'ai fini par comprendre qu'une quenelle,
c'est comme une boulette de viande !
La consultation de
l'étymologie ne donne pas de résultats probants : on nous dit
que le mot « quenelle » vient de l'Alsacien Knödel,
aliment en forme de boulette, et il est exact que la cuisine
alsacienne continue de produire de tels mets, mais je crois plus
intéressant de rapporter que le plus petit dénominateur de toutes
les recettes, c'est de la chair broyée. Cette chair coagule à la
cuisson, comme dans les steaks hachés, comme dans les terrines. Et
cela vaut pour les viandes comme pour les poissons !
En effet, le tissu
musculaire est fait de fibres, sortes de tuyaux dont la « peau »
est le tissu collagénique, fait d'une protéine nommée collagène
(qui est à l'origine de la gélatine), et dont l'intérieur est fait
d'eau et de quelques sortes de protéines, dont les principales sont
les actines et les myosines. Protéines qui coagulent ! La
dégradation des chairs conduit à leur libération, de sorte qu'une
viande bien broyée, tout comme un poisson pilé (les quenelles se
faisaient au mortier et au pilon), coagulent comme du blanc d'oeuf, à
la cuisson.
Toutefois, cette chair
étant fade, elle a souvent été aromatisée. On y a mis de l'oeuf,
dont le jaune a beaucoup de goût, mais aussi des ingrédients
variés, aromatiques.
La farine ? Elle sert de charge, pour « diluer » cette matière coûteuse qu'est la chair, de viande ou de poisson. Pour des raisons pratiques, on évite de la mettre sous la forme de farine toute simple, et on l'emploie souvent sous la forme d'une panade, où la farine est pré-cuite, dans de l'eau, du lait, du bouillon, lesquels ont également beaucoup de goût.
La farine ? Elle sert de charge, pour « diluer » cette matière coûteuse qu'est la chair, de viande ou de poisson. Pour des raisons pratiques, on évite de la mettre sous la forme de farine toute simple, et on l'emploie souvent sous la forme d'une panade, où la farine est pré-cuite, dans de l'eau, du lait, du bouillon, lesquels ont également beaucoup de goût.
Tout cela étant dit, le
résultat manque de moelleux, ce qui a conduit les cuisiniers du
passé à proposer l'emploi de matière grasse. Souvent, on utilisait
la graisse de rognon de boeuf, mais, plus récemment, on a remplacé
cette graisse par du beurre, de la crème, par exemple.
Enfin, il y a la question du gonflement des quenelles à la cuisson. Observons que des quenelles bien travaillées sont comme un appareil à soufflé, et que, de ce fait, chauffées, elles peuvent souffler. Cela a sans doute conduit, par analogie, à mettre du blanc d'oeuf battu en neige dans les quenelles. Autrement dit, le soufflage est obtenu même sans soufflage particulier. Dans les deux cas, le mécanisme est le même: c'est l'eau de la préparation qui s'évapore, quand elle est porté à 100 °C ; dans les deux cas, ce sont des protéines qui forment le réseau qui tient les bulles. Autrement dit, les protéines de l'oeuf sont inutiles, puisqu'il y a déjà celles de la chair.
Et c'est ainsi que,
comprenant la mécanique des quenelles, on peut en faire de
merveilleuses : n'hésitez pas à vous débarrasser de
l'opération fastidieuse qui consiste à pocher les quenelles entre
deux cuillers ; si vous mettez la préparation dans un film
plastique que vous roulez et fermez, vous pourrez pocher sans
difficulté... et même sans liquide, en mettant dans votre four à
une température juste suffisante pour faire coaguler les protéines
et stabiliser les quenelles.
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