vendredi 18 octobre 2024

Évitons la naïveté si nous voulons faire de la bonne chimie

Au début de la cuisine moléculaire, j'avais invité les chefs à faire des perles d'alginate. A cette fin, je leur proposais d'acheter de l' "alginate de sodium" et un sel de calcium. Et c'est ainsi que les chefs ont commencé par utiliser du chlorure de calcium, bon marché mais très amer. J'ai aussitôt proposé de remplacer ce chlorure par du lactate de calcium qui contient également l'ion calcium, divalent, mais sans l'amertume du chlorure. 

Mais c'est surtout le second ingrédient qui m'intéresse maintenant à savoir l'alginate de sodium. Très rapidement, des chefs variés sont venus m'interroger parce qu'ils avaient des résultats parfois très différents de ceux qui étaient indiqués dans les recettes. À l'analyse, il est apparu que le mot "alginate de sodium" décrivait insuffisamment le produit acheté, qui, certes, était bien "produit" extrait des algues, mais qui pouvait être bien différent selon le procédé d'extraction
 

Sans compter que certains fabricants diluaient leur poudre et, évidemment, réduisaient l'activité du produit  en proportions des bénéfices qu'ils faisaient sur le dos de leurs clients.  Interrogé, un de ces fabricant là m'a avoué qu'il ajoutait un excipient non pas pour réduire le coût de la matière mais pour faciliter la mise en œuvre : mouais...

Il y a d'autres cas, et, par exemple, je me souviens avoir vu une de mes expériences publiques rater alors que j'avais comme d'habitude mélangé dans les bonnes proportions de la poudre de blanc d'oeuf et de l'eau, que je chauffais. Ordinairement, on observe une coagulation, et si les proportions sont celles du blanc d'oeuf, on obtient comme un blanc d'œuf.
Mais ce jour-là, rien ne s'est passé normalement et à l'analyse il est apparu que cette "poudre de blanc d'oeuf" avait d'abord été cuite avant d'être réduite en poudre. Or cuite, séchée et réduite en poudre, elle ne pouvait plus coaguler comme une poudre de blanc d'oeuf dont les protéines auraient été encore quasi natives. 

Évidemment, selon la méthode de production, il y a tous les intermédiaires possibles, et l'indication poudre de blanc d'oeuf, ou alginate, et cetera, sur un paquet n'est absolument pas la garantie que l'on aura les effets que l'on souhaite.

Je ne parle pas des cas où ayant acheté des réactifs chimiques auprès de grandes sociétés chimiques, assortissent leurs produits d'un degré de pureté, j'ai reçu quelque chose d'autre que ce qui était commandé. Par exemple, du trichloroanisole annoncé avec 99,99 % de pureté s'est révélé être composé à 50 % seulement de ce composé, après analyse par résonance magnétique nucléaire, technique imparable.
Et je connais un grand laboratoire de chimie du CNRS qui, pendant presque un an, a eu des résultats complètement différents de ceux qu'il attendait parce que les réactifs achetés n'étaient pas ceux qu'ils voulaient utiliser. 

 

Bref, il y a eu lieu de se méfier des termes généraux : amylose, amylopectine, alginate de sodium, protéine de pois, polyphosphate... Dans le meilleur des cas, on aura quelque chose qui s'apparentera à ce que le mot désigne, mais la question de la pureté restera entière. Or il ne faut pas être naïf : la pureté absolue n'existant pas, comment nommer des produits qui ne sont pas purs ?

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