vendredi 29 décembre 2017

Des quenelles : une théorie

Il y a des recettes de quenelles par centaines, voire par milliers. Chaque chef y va de la sienne, chaque livre de cuisine en donne, mais laquelle prendre et pourquoi ? Souvent, on se fonde sur un sentiment, une réputation, et l'on a le résultat... que l'on a. Comment mieux choisir ? 



Pendant des années, j'ai collectionné ces recettes de quenelles, en espérant y trouver une clé, un secret, l'assurance de la réussite, un goût "réussi". Finalement, aujourd'hui, je crois être en mesure de donner quelques conseils pour aider mes amis à faire des choix éclairés.


Le plus important, c'est sans doute de s'interroger d'abord sur le projet, l'objectif. Bien sûr, on veut faire des quenelles, mais pourquoi ? J'ai mis longtemps à comprendre que, puisque des gens intelligents s'intéressent à cette activité qu'est la cuisine, c'est qu'elle ne se réduisait pas à quelques gestes automatiques, pour lesquels une machine suffirait. Non, la cuisine n'est pas réduite à une composante technique.

Qu'y a-t-il de plus ? Certainement de l'art ! Oui, de l'art culinaire. Mettre plus ou moins de sel, de sucre, de coriandre, de cognac, ce n'est pas une question technique : autrement dit, la question n'est pas tant de mettre ces ingrédients que de décider la quantité que l'on doit mettre. Et ce choix-là change tout ! Il fait la différence entre le "bon" et le moins bon, voire le mauvais.
Ce choix s'apparente au choix des notes dans une musique, au choix des couleurs en peinture, au choix des mots en littérature. Le "bon", c'est le beau à manger, et le choix en vue du beau se nomme "art". La cuisine a une composante artistique qui fait que beaucoup d'entre nous sommes heureux de la pratiquer, parce que ce bonheur s'apparente à celui des peintres, des musiciens, des écrivains.

Mais il y a encore mieux : la cuisine, c'est la production d'aliments pour les autres. Faire un plat qui ait bon goût, bien fait, c'est une façon de dire "Je t'aime". C'est ce que je nomme la composante sociale, qui est évidemment essentielle, car notre espèce humaine est sociale !
Bref, la cuisine est une activité merveilleuse, et la production de quenelles, en particulier, est particulièrement merveilleuse. Il faut évidemment qu'elles aient "bonne mine", "bon goût", qu'elles soient bien "faites... Et le choix des recettes doit s'effectuer d'après ces trois critères. Mais le fait est qu'aucune recette aujourd'hui ne se justifie selon ces trois critères : les recettes restent des protocoles que l'on doit exécuter... et que l'on ne parvient jamais à reproduire, tant il est difficile de doser les ingrédients essentiels que sont le sel, le sucre, le poivre, le piment, les épices, etc.

Résignons-nous donc. Nous avons des recettes... Mais, au fait, avons-nous vraiment besoin de recettes ? Pour quelle partie : la composante technique ? la composante artistique ? la composante sociale ? La question est vraiment difficile, et je propose plutôt de donner ici l'"intelligence" des quenelles. Une sorte de caractéristique commune à toute les recettes, un principe que l'on pourra ensuite décliner à l'infini, au gré de nos envies artistiques.

Oui, après l'analyse de centaines de recettes, j'ai fini par comprendre que les quenelles s'apparentent aux terrines : dans les deux cas, il y a de la "chair" que l'on broie, et qui coagule à la chaleur.
Dans la terrine, la chair est simplement assaisonnée, la coagulation s'assortit d'un léger croûtage de surface.
Dans la quenelle, il en va de même, mais on observera  que ces préparations s'apparentent aux flans, aux royales, aux mousses, aux  mousselines...

Elles diffèrent traditionnellement par le type de cuisson (entre deux cuillers, pochées dans l'eau bouillante), mais c'est en réalité un détail. Surtout les cuisiniers qui ont exercé avant les robot à mixer savent que les quenelles se faisaient en passant la chair broyée (au mortier et pilon) à travers un tamis, pour avoir une préparation très  fine.

La composition ? La base, c'est donc de la chair crue de viande ou de poisson broyée, ce qui libère les protéines de l'intérieur des fibres musculaires, essentiellement les actines et les myosines.
A cette chair, on peut ajouter de la matière grasse, pour plus de tendreté : du beurre, de la crème, voire de l'huile, du foie gras, ce que l'on veut.
Puis, souvent, on y ajoute une "charge" : une panade, par exemple, obtenue par cuisson de farine avec de l'eau salée.

Et l'affaire est faite. Bien sûr, on peut  ajouter de l'oeuf, avec éventuellement du blanc battu en neige, mais c'est encore une affaire de goût. Le jaune donne un goût flatteur, le blanc contribuer au volume et à la coagulation.
Les épices, aromates, alcools, fonds, fumets ? C'est du détail pour  ce qui concerne la coagulation, tant qu'on n'en met pas trop, mais ce détail devient essentiel pour ce qui est du  goût.

Enfin, la cuisson : elle peut  se faire entre deux  cuillers, sur de l'eau bouillante, ou bien dans un film plastique, au four à assez basse température (c'est plus long, bien sûr), ou au four à micro-ondes, que sais-je : la question est seulement de faire coaguler les protéines de l'intérieur de la masse.

Et c'est ainsi que l'art culinaire est merveilleux : quand la consistance est telle qu'on l'a voulue, avec le goût que l'on a décidé !







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

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