mardi 30 mars 2021

Daubes, et terminologie en général

 Les questions terminologiques sont passionnantes parce qu'elles montrent des phénomènes inédits dans l'évolution du langage,  notamment pour le langage technique de la cuisine.

Il y a des mots qui nous semblent familiers, mais qui sont très flous. Par exemple le mot "daube". Au fond, en réalité, de quoi s'agit-il ?

Si l'on explore les livres de cuisine anciens, on voit au 17e siècle des daubes chaudes et des daubes froides, mais,  quand même, les auteurs disent qu'il s'agit plutôt d'un plat froid, d'un ragoût qui prend en gelée.

Puis, rapidement,  la daube est clairement, explicitement, un plat froid en gelée, qu'il s'agisse de bœuf, de volaille, de poisson, d'anguille par exemple. Là c'est clair, la daube plat froid en gelée.

Et cet usage du mot "daube" reste ainsi longtemps, malgré quelques incohérences d'auteurs qui sont soit idiosyncratiques sans raison, soit ignorants, soit de parti pris (on n'oublie pas que les artistes ont parfois un ego considérables, ce qui a été moqué pour les artistes culinaires).

Et l'on en arrive à aujourd'hui,  où l'on ne sais plus très bien ce qu'est une daube.

Je crois q'u'il est préférable de dire qu'une daube est une viande ou un poisson en gelée... avec l'exception de la "daube provençale", terminologie abrégé de "daube à la Provençale", qui correspond en réalité des recettes anciennes de daubes chaudes.

Aujourd'hui, on est donc obligé de préciser si l'on parle d'une daube (froide, en gelée, donc), ou d'une daube à la Provençale.

Terminons en signalant que j'ai été consulté à propos de la graphie du mot "Provençale" :  majuscule ou pas ? Dans le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre et dans d'autres ouvrages, cela est claire :  l'expression "daube provençale" est un abrègement de  " daube à la Provençale", et il doit y avoir une majuscule sur le p.

lundi 29 mars 2021

Ils causent...

 Je bétonne !

Je ne regarde pas souvent les commentaires qui me sont fait sur Twitter, parce que je n'ai pas le temps pour cela. Toutefois,  hier, on m'a retransmis par email un commentaire bizarre de quelqu'un qui me compare à d'autres et qui s'interroge apparemment sur mon cheminement.
Ce type de commentaires m'intéresse peu, mais il me donne l'occasion de m'interroger sur mon activité. Est-elle telle que je la souhaite ?

En réalité, les choses sont très claires : j'ai une production scientifique à faire, et l'essentiel de mon temps, de mon énergie, doit être consacré à cette recherche scientifique (pour laquelle je suis payé par le contribuable). Je dois donc m'efforcer de faire de la recherche scientifique, et non pas d'aller causer sur les réseaux sociaux comme au café du commerce.

En matière scientifique, il me paraît clair, aujourd'hui, que mon effort doit porter sur les "échanges",  car c'est autour de ce thème que s'articulent nombre de mes travaux.

Il y a lieu, maintenant, avec tous les résultats que j'ai obtenus, de produire un travail en profondeur sur cette question, un travail général. Cela demande beaucoup de temps et d'énergie ; cela demande que j'y pense, sans cesse, et c'est seulement à titre de délassement que je fais d'autres travaux telles que des recherches terminologiques autour de la cuisine, des séminaires, des réflexions sur la méthode scientifique, sur la didactique, et ainsi de suite.

La personne qui commentait mes productions n'a apparamment  pas compris que mon propos est essentiellement de produire de la science. Le chimiste Jean-Marie lehn cite souvent un de ses amis architecte qui répète "Ils causent, je bétonne".

Oui, il y a lieu d'élever l'édifice scientifique  sans perdre de temps à palabrer.

masterclass, her

Heureux de vous donner les liens pour mes Masterclass au Cordon bleu :
 

Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do

 
Science et art culinaire 2/6 : https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q

 
Science et art culinaire 3/6  : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY

 
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM

 
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I

 
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc

dimanche 28 mars 2021

Un ragoût, c'est quoi, au juste ?



Amusant terme que "ragoût". Dans les Nouvelles gastronomiques, je publie mon enquête sur ce mot. Cette enquête, je la fais dans les livres de cuisine anciens, traquant le mot tout aussi bien chez l'auteur qui ne signe que de ses initiales L.S.R  que chez Massialot, la Varenne, Marin, et cetera. Souvent, je m'arrête au Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre,  et je ne vais jusqu'au Guide culinaire que pour en montrer les erreurs (car on sais que je suis quelqu'un de méchant... avec les minables).

Pour le mot "ragoût", c'est amusant de voir qu'il s'agit d'un mot très ancien ;  l'accent circonflexe sur le u est un vestige du s qui se trouvait dans  "ragoust".

Mais la question du sens est bien plus intéressante   :  initialement, le mot ragoût était utilisé comme dans ragoûtant, appétissant ; quelque chose qui a du goût et un ragoût.

Progressivement, on voit apparaître l'idée selon laquelle les ragoûts sont les produits de préparations culinaires qui ne sont pas des rôtissages ; il semble qu'il faille un élément principal et une sauce. C'est ainsi que l'on parle d'un ragoût de champignons, d'un ragoût de crevettes, d'un ragoût de veau... Chaque fois, il y a un élément principale, et la cuisson donne du goût par un liquide (par exemple du bouilon) et des tas d'éléments gustatifs, herbes, aromates, épices, etc.

Il y a du ragoût à toutes les sauces si l'on peut dire.

samedi 27 mars 2021

La variabilité des écarts-types



Les chercheurs en sciences des aliments ont l'habitude de répéter les expériences trois fois, mais est-ce suffisant ?

Bien sûr, retrouver (avec un petit écart quand même) un résultat que l'on a obtenu, c'est rassurant.
Si on a le résultat une troisième fois (toujours avec un petit écart), alors on a le sentiment que tout va vraiment bien... mais ne peut-on avoir une pièce de monnaie qui tombe trois fois de suite sur pile ? D'accord, le résultat que l'on obtient après une longue chaîne d'expériences, ce n'est pas comme une pièce de monnaie,  mais quand même, il faut savoir de combien nous pouvons être rassurés d'avoir le même résultat.

D'ailleurs, le "même" résultat... Le même, vraiment ? Certainement non : les trois expériences donnent peut-être des résultats voisins, mais pas le même.

Et puis, "voisins" : encore un de ces adjectifs que, avec les adverbes, j'invite mes amis à chasser, pour les remplacer par la réponse à la question "combien ?".

Si l'expérience ou la série d'expériences conduit à déterminer une grandeur, alors on a trois valeurs pour cette grandeur, et il est bon de les comparer : classiquement, on détermine leur moyenne et leur "écart-type".

L'écart-type caractérise quantitativement la dispersion des résultats, Ici, je ne veux pas faire un cours de statistiques, mais seulement illustrer la forte variabilité des écarts-types.

A cette fin, j'ai créé une répartition gaussienne, qui correspondrait à la pesée d'une masse sur une balance, avec des fluctuations. Arbitrairement, j'ai choisi une masse réelle à 100, et un écart-type égal à 1.
Puis, au lieu de peser 200 fois trois fois, j'ai "pesé théoriquement", in silico, et voici les résultats :


En abscisse, il y a le numéro de chaque expérience (trois "pesées"), et, en ordonnée, la valeur de l'écart-type pour ces trois valeurs.

On voit bien que l'écart-type n'est qu'un ordre de grandeur, ce qui a comme conséquence qu'il ne faut pas oublier de le considérer ainsi !

vendredi 26 mars 2021

A propos du rejet de manuscrits par les revues scientifiques


Dans un texte que j'ai publié dans les Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF),   j'évoquais la question du rejet des manuscrits par les publications scientifiques. Et c'est là un sujet dont il est important de parler, parce que, même si nous savons que cela arrive à tous, et pas seulement à nous-mêmes, il est très désagréable qu'un éditeur nous dise, se fondant sur des rapporteurs, qu'un manuscrit que nous proposons n'est pas publiable, alors que nous y avons passé beaucoup de temps, que nous sommes passés sous les fourches caudines de la préparation particulière et de la soumission, que nous avons fait de notre mieux.

Dans mon article aux N3AF, je commence par observer que, aujourd'hui, la question de limiter les publications -qui s'imposait quand on imprimait les revues scientifiques sur du papier- ne tient plus. D'ailleurs, il s'agit moins de journaux que de publications, et de publications en ligne.

En outre, il faut se souvenir de l'histoire de la publication scientifique pour comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une situation paradoxale.
Jadis, les auteurs  recopiaient leurs manuscrits à la main pour les distribuer.

Puis les académies et des scientifiques ont créé des revues pour éviter cela. Initialement, les auteurs touchaient des droits d'auteur, parce que les journaux étaient vendus, ce qui rapportait de l'argent.
Progressivement, l'édition scientifique a évolué vers un nouvel état où les auteurs ne touchaient plus d'argent pour leur texte, cédant gratuitement la propriété de leurs textes aux éditeurs, ce qui est sans doute un peu léonin.
Puis est venu le temps où les auteurs ont dû payer pour être publiés...

Alors que les scientifiques font tout le travail :
- l'écriture des textes
- la préparation des manuscrits selon des normes fixes
- l'évaluation des textes des collègues.

L'abondance excessive (plus exactement : excessive pour le système d'il y a plusieurs décennies) des manuscrits a conduit des éditeurs internationaux à s'engraisser indûment sur la communauté scientifique. Il est temps que cela cesse... car le numérique a donné un coup de pied dans la fourmillière.

D'autre part, dans mon texte, je dis que l'heure n'est plus aux rejets, qui font perdre le temps de tout le monde, et qui abattent le moral des courageux qui veulent publier. Notamment les "rejets", qui étaient souvent fondés sur de mauvaises excuses, en vue de limiter les soumissions, doivent cesser. Non pas qu'il faille éviter de publier des manuscrits impubliables, bien sûr.
Non, il est temps que les rapporteurs apprennent d'autres manières, à savoir une bienveillance qui doit permettre aux auteurs d'améliorer leurs manuscrits.

D'ailleurs, il faut absolument que les "évaluations" soient doublement anonymes : que les auteurs ignorent qui sont les rapporteurs, et que les rapporteurs ignorent qui sont les auteurs... car ils seront ainsi plus prudents : je me souviens d'un de mes manuscrits à propos duquel un des rapporteurs avait eu des mots douteux, et je peux assurer qu'il l'a regretté, ensuite, quand il a su que j'étais l'auteur et que, surtout, il avait outrepassé ses droits de rapporteur, faisant des demandes indues.

Pour autant -j'insiste-, il ne s'agit pas de lâcher sur la qualité des textes : il doit y avoir autant d'allers-retours que nécessaire entre les auteurs et les rapporteurs, afin que les textes publiés soient de grande qualité.

Et il faut bien sûr que les auteurs entendent quand leurs textes sont fautifs. Il faut que les jeunes auteurs apprennent à mieux rédiger des textes scientifiques. Où tout soit justifié, par exemple ; où des validations sont données ; et ainsi de suite. Cela s'apprend, et les rapporteurs ont donc une mission essentielle dans notre communauté.

Et d'abord une obligation de bienveillance : vita brevis, ars longa... et il faut apprendre lentement.

Il est temps, aussi, de bien expliquer qu'il n'est pas vrai que les revues rejettent les textes qui font mention de  "résultats négatifs", car les résultats sont toujours des résultats, et, quand ils sont contraire aux hypothèses que nous avons faites, ce sont des découvertes ! C'est une faute de la part des auteurs que de penser que des résultats puissent être négatifs.

Et tout résultat obtenu dans de bonnes conditions (contrôlées, reproductibles) doit être publié ! Evidemment, les interprétations sont parfois difficiles, mais j'insiste : les résultats sont là, et il faut les communiquer à la communauté scientifique.

D'ailleurs, bien plus généralement, nous devons faire nôtre la règle de Michael Faraday : work, finish and publish*... car une idée dans un tiroir n'est pas une idée !  


*    “The secret is comprised in three words — Work, finish, publish.”

An advice to the young William Crookes, who had asked him the secret of his success as a scientific investigator, as quoted in Michael Faraday (1874) by John Hall Gladstone, p. 123

jeudi 25 mars 2021

Les paradoxe apparent des sciences de la nature

 

Il y a des esprits qui s'effraient du paradoxe suivant  : oui les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes ;  mais non, elles ne prétendent pas trouver l'explication de ces phénomènes, mais donnent seulement des modèles, des théories, de plus en plus précis.

 Oui, il s'agit de chercher les mécanismes des phénomènes, c'est-à-dire en réalité de chercher à les comprendre ;  mais non, les explications que l'on donne, assorties de concepts (l'électron, l'énergie, l'inertie, etc.) ne sont pas des explications,  mais des descriptions.

Et ces descriptions sont toujours insuffisantes, car un modèle réduit de la réalité n'est pas la réalité, et c'est précisément la raison pour laquelle les sciences de la nature n'auront jamais de faim. Elle decrivent de mieux en mieux les phénomènes jusqu'à des nombres de décimales vraiment extraordinaires, mais pour autant, les scientifiques savent bien que leurs théories sont insuffisantes, et c'est la raison pour laquelle, inlassablement, ils en cherchent des améliorations.

Il n'y a pas de contradiction dans cette attitude et, en tout cas, les théories, les modèles (il y a des subtilités dans lesquelles je n'entre pas ici) sont aujourd'hui bien autre chose que des récits, des discours : ce sont des équations, ce que je nomme aussi des calculs.

Dans un billet récent, j'avais dit que la science était fondée sur deux pieds : l'expérience est le calcul. Je le maintiens absolument, et je propose de prendre garde  à ce que raconte la vulgarisation :  les récits de vulgarisation sont toujours des transcriptions difficilement adaptées des systèmes d'équations qui constituent véritablement la science.

J'insiste sur le "calcul" : la recherche scientifique n'est qu'ensembles d'équations. Il est loin le temps de la description quasi entomologique des phénomènes, d'une simple découverte d'objets. Bien sûr, on trouve encore des objets nouveaux et c'est ce qu'ont couronné des prix Nobel comme ceux qui ont été attribués pour les découvertes des fullérènes ou du graphène, par exemple.

Mais aujourd'hui, les sciences de la nature ont considérablement avancé, et rares sont celles qui ont sont restés à une simple description des objets.

Et c'est donc dans les mécanismes, les théories, que se font les avancées les plus notables.