dimanche 24 décembre 2017

Ne nous contorsionnons pas avec les pois chiches ;-)

Ces temps-ci, alors qu'un certain végétarianisme ou véganisme attaque la viande (personnellement, je propose un "droit des plantes à vivre dans la dignité, et je revendique que les agriculteurs soient beaucoup plus doux quand ils arrachent les carottes de terre), une certaine presse bobo promeut les mousses au chocolat sans oeuf, mais avec du jus de pois chiche.

Oui, ça mousse, parce que les légumineuses sont promues jusqu'à la FAO, qui a fait de 2016 l'année internationale des légumineuses, pour des raisons qui, elles, sont peu contestables.
Mais la question est surtout que ni l'oeuf ni le jus de pois chiche ne sont nécessaires pour faire des mousses au chocolat ! Dans la recette de "chocolat Chantilly", que j'ai introduite en 1995, il s'agit s'implement de mettre du chocolat avec de l'eau, de chauffer pour faire une émulsion analogue à la crème, puis de fouetter en refroidissant... pour obtenir comme de la crème Chantilly, mais sans crème, bien sûr.
Les proportions pour ceux qui n'ont jamais essayé : 200 grammes d'eau (eau pure, jus d'orange, thé, café, etc.), 250 grammes de chocolat à croquer. Et c'est tout  !

Un jeu d'enfant, comme le montre https://www.youtube.com/watch?v=Yu6dSd7wH1s






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

On me demande des éclaircissements, une fois de plus, à propos du mot "goût"

Pardonnez-moi, donc, d'y revenir, et soyez assurés, quand même (pour ceux qui ne me connaissent pas), que j'ai fait une recherche bibliographique solide, mais pas seulement dans les publications scientifiques, également dans les dictionnaires, et surtout les dictionnaires étymologiques.

En français (langue sur laquelle les scientifiques français doivent s'aligner), il y a depuis longtemps le mot "goût", pour désigner ce que l'on sent quand on mange ou quand on boit.
On mange du poulet rôti ? Il y a le goût de poulet rôti. On mange du chocolat ? Il y a le goût du chocolat. On boit du vin ? Il y a le goût du vin.

Bref, le goût est une sensation synthétique, et non pas divisée en ses différentes composantes. 

Les travaux de physiologie sensorielle ont progressivement bien établi que cette sensation synthétique est donc fondées sur divers perceptions élémentaires, en interaction.

Ainsi, le goût a une composante de saveur  : on perçoit des saveurs sucrées, salées, acides, amères, les saveurs des acides aminés (20 différentes), les saveurs de l'éthanol, de l'acide glycirrhizique (de la réglisse), du bicarbonate, etc. Il n'y a pas quatre saveurs plus élémentaires que les autres, mais une infinité, et elles sont perçues par des cellules "réceptrices" situées notamment dans les papilles. On dit parfois papilles gustatives, mais il faut insister : ces papilles, que l'on pourrait utilement et plus précisément dire "sapictives", détectent les saveur.

Puis le goût a une composante d'odeur : quand on mâche un aliment, des molécules volatiles plutôt hydrophobes passent dans l'air de la bouche avant de monter vers le nez, en empruntant les fosses rétronasales de l'arrière de la bouche. C'est la raison pour laquelle on dit que ces molécules sont odorantes, et, d'ailleurs, ce sont les mêmes que celles que l'on perçoit quand l'aliment passe sous le nez avant d'être introduit en bouche.
Il faut insister sur le fait ce que l'odeur rétronasale est l'odeur rétronasale, et ce n'est pas de l'arôme, puisque, en français, le mot arôme désigne l'odeur des aromates.

Quand on mange, on perçoit aussi des composés piquants et frais, qui stimulent les terminaisons du nerf "trigéminal.

Et l'on perçoit le chaud et le froid.

Et l'on perçoit le dur et le mou.

Et l'on perçoit bien d'autres choses : les ions calcium, les acides gras insaturés à longue chaîne.

Toutes les informations recueillies par divers récepteurs sont mêlées et envoyées au cerveau, lequel a plusieurs "missions" :
- reconnaître ce que l'on mange, afin d'éviter les dangerrs
- préparer la digestion spécifique des aliments ingérés
- tenir un compte de ce que l'on mange en vue d'établir l'état de rassasiement
- etc.


Voilà, tout simple, non ?


NB : ici, j'avais prévu de discuter toutes les erreurs qui traînent à propos du goût, les prétendues flaveurs et autres... mais pourquoi compliqué inutilement. Restons à quelque chose d'aussi simple que juste !

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Comment colorer des aliments avec les pigments des végétaux ?

On m'interroge sur la  couleur des fruits. 

Fruits, légumes... Il s'agit de tissus  végétaux, et la réponse est identique.

Commençons par observer que certains composés sont plutôt solubles dans l'eau, et d'autres dans l'huile. C
'est vrai pour les composés de toutes sortes, qu'ils soient par ailleurs odorants, sapides... ou colorants. Et un composé insoluble dans l'eau ne colorera jamais de l'eau, tandis qu'un composés soluble dans l'eau ne colorera jamais de la matière grasse.

Pour les végétaux, les couleurs sont principalement dues à des espèces chimiques appartenant aux familles des chlorophylles, des caroténoïdes, des composés phénoliques, mais aussi à  quelques autres classes, telles les bétalaïnes, dans les betteraves.
Si les chlorophylles et de nombreux caroténoïdes sont insolubles dans l'eau, les composés phénoliques, eux, sont solubles.

Quelles conséquences ? Que l'eau de cuisson des carottes ne sera que peu colorée, tout comme celle de cuisson des haricots, par exemple.
Les caroténoïdes des carottes, ou les chlorophylles et les caroténoïdes des haricots reste dans le tissu végétal, sans pouvoir se dissoudre dans l'eau.
En revanche, l'eau de cuisson de cerises ou de fraises, elle, prend une couleur, parce que les couleurs des fruits et fleurs est souvent due aux composés phénoliques, notamment les anthocyanes.

Parfois, les résultats expérimentaux sont moins faciles à interpréter. Par exemple, les tomates sont rouges principalement en raison de la présence de particules de tissu végétal contenant les pigments insolubles dans l'eau, de sorte que si l'on filtre bien une purée de tomate, l'eau que l'on récupère n'est pas rouge, mais simplement dorée.
Il en va de même pour les chlorophylles. Inversement, on pourrait colorer de la matière grasse avec des gouttelettes d'eau  où des composés phénoliques seraient dissous.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 23 décembre 2017

A propos d'huiles essentielles

Les appels à la prudence sont rarement entendus par les plus fougueux d'entre nous. Surtout quand, en réalité, cette fougue est un moyen de se distinguer.

Imaginons, par exemple, un cuisinier qui fasse des macérations de grappes de tomates grappes dans de l'huile, qu'il servirait comme un moyen original de donner un goût original.
Si on lui dit  que ces macérations sont très dangereuses (ce qui est vrai), il est très improbable qu'il cesse sa pratique fautive... parce qu'il a trouvé un moyen de se distinguer. Idem pour des pommes de terre servies avec leur peau, laquelle contient des glycoalcaloïdes toxiques.
Ou pour des macérations de cannelle dans de l'huile, ou bien encore des macérations d'estragon ou de basilic dans l'eau de vie (je renvoie à d'autres billets pour les raisons de ces dangers).

Bref, inutile de vouloir réformer ceux qui ne veulent pas l'être, de sorte que faut-il vraiment que je fasse ce billet sur les huiles essentielles ? Ceux qui en vendent assureront qu'il n'y a aucun danger... alors qu'ils n'en savent en réalité rien.
 Pourtant, ce ne serait pas bien de ne pas discuter la question, car, à côté des marchands mercantiles, il y a tous les autres, qui souhaitent des informations de bon aloi, pour en faire bon usage.

Disons alors que, dans les huiles essentielles, il  y des concentrations considérables de composés odorants.
Par exemple, dans l'huile essentielle de basilic ou d'estragon, il y a jusqu'à 85 % d'un composé nommé méthylchavicol (qui est cancérogène et tératogène).
Pour de l'huile essentielle de lavande, il y a environ 30 % de linalol, 1 % d'alpha terpinéol, 4 % de terpinène-4-ol, 32 % d'acétate de linalyle, 7 % d'ocimène, et d'autres composés. Pour ce cas, on se méfiera, car on a vu les seins de petits garçons pousser quand leur mère mettait cette huile essentielle dans leur bain, jour après jour.

Plus généralement, c'est la concentration des composés organiques qui fait leur danger, de sorte que l'on peut se demander si le législateur ne serait pas avisé de n'autoriser que des dilutions de ces huiles essentielles ?

En tout cas, j'invite mes amis cuisiniers, domestiques ou de restaurant, à être très prudent avec ces produits. Oui, il y a des odeurs merveilleuses, mais il y a des dangers. Diluons, et employons des dilutions !


Des références pour ceux qui en demandent :
- le site Toxicologie alimentaire d'AgroParisTech
-  Aziz et al., Journal of Food Science r Vol. 77, Nr. 3, 2012
- Jean Bruneton, Plantes Toxiques, Lavoisier Tec et Doc
- AFSSAPS : Recommandations relatives aux critères de qualité des huiles essentielles, 2008
- McDonald et al, Evidence of the carnogencity of estragole, nov 1999, Reproductive and Cancer Hazard Assessment Section Office of Environmental Health Hazard Assessment California Environmental Protection Agency
- Safety assessment of botanicals and botanical preparations as ingredients in food supplements intended for use. Guidance document of the Scientific Committee (Question No EFSA-Q-2005-233)
- et mille autres !




















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Eradiquons le mot flaveur, puisque nous avons le mot goût



Goût, arôme, saveur… Trop souvent, le monde culinaire ne fait pas bien la différence… ce qui est d'autant plus excusable que le monde scientifique, aussi, est parfois bien confus, avec des spécialistes qui ne s'accordent pas sur les mots pour désigner des modalités sensorielles.

Certains évitent le débat en se focalisant sur les structures anatomiques ou biologiques, mais cette position a l'inconvénient de laisser courir des mots confus, imprécis. Inversement, le centre de l'Inra spécialisé dans l'exploration du goût, à Dijon, est très justement nommé « Centre européen des sciences du goût ».


Lors de séances publiques de l'Académie d'agriculture de France, nous avons discuté cette question, en partant de l'observation simple selon laquelle un aliment que l'on mange a un goût : une banane a un goût (de banane), le jus d'une orange a un goût (d'orange), et ainsi de suite. Quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, la consultation des dictionnaires du passé montre que le mot « goût » désigne la sensation complète que l'on a quand on met un aliment en bouche.

De ce fait, le mot « flaveur », qui avait été proposé dans les années 1950, est complètement inutile, puisque redondant (et copié sur l'anglais). Le goût est ce que l'on perçoit : c'est une sensation complète, complexe, synthétique.

Sensation complète : dans le goût, on peut avoir des composantes particulières. Par exemple, quand on boit du vin, on peut « percevoir » (j'évite le mot « sentir », ici, pour des raisons que l'on verra plus loin) de la banane, du lila, de la rose, du salé, du piquant… Le vin a son goût, et ce goût a plusieurs dimensions… sans compter qu'il peut évaluer en cours de dégustation (une attaque, une finale…).


Sensation complexe : ce que l'on ignore parfois, c'est que la perception du goût relève de plusieurs voies nerveuses, avec pour chacune des « récepteurs » et des nerfs qui montent vers le cerveau, où se fait l'intégration des perceptions. Par exemple, le nez porte des « récepteurs olfactifs », qui transmettent l'information sur les molécules odorantes qui se sont liées à ces récepteurs (pensons à des clés qui viennent dans des serrures). Par exemple, la langue portent des récepteurs « sapictifs », associés aux papilles. Par exemple, la bouche a des capteurs de pression (associés aux dents), de température, etc. Le goût est la résultante de toutes les perceptions élémentaires.

Sensation synthétique : quand on mange un aliment, les diverses voies sensorielles de la bouche et du nez sont stimulées, et des signaux sont donc envoyés au cerveau : là, se fait la synthèse de toutes les sensations, et c'est pour cette raison que l'on peut finalement « reconnaître » le goût d'une banane, d'un poulet rôti, d'un poisson grillé.

Quelles sont les sensations élémentaires ? Ce sera l'objet de billets à suivre.















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Qu'est-ce qu'un arôme ?




Arôme ? Le mot est employé à tort et à travers, et même la réglementation a tout faux.


Le mot « arôme », en bon français, désigne l'odeur d'un aromate, d'une plante aromatique. Mieux, étymologiquement, c'est une odeur agréable.

Il y a quelques décennies, quand des technologues de l'industrie des parfums ont appris à isoler des composés odorants, ils ont produit des mélanges de tels composés, avec lesquels l'industrie alimentaire (principalement) a appris à donner du goût à ses produits.
Quel nom donner à ces mélanges de composés ? L'industrie et les institutions d'état ont décidé d'utiliser le mot « arôme », confondant une odeur et un produit qui peut la donner.
C'était une grave erreur, voire une faute, parce que le public a bien compris que le gauchissement des mots s'assortissait d'une tromperie. Dans un yaourt « aromatisé à la fraise », il n'y a pas de fraise, et l'on n'aurait jamais dû la réglementation accepter ces dérives terminologiques.


Car quand un mot est dévoyé, tout part à vau-l’eau. C'est ainsi que l'on s'est mis à parler de l'arôme d'une viande, ou d'un vin, alors qu'il y avait le mot « odeur », ou le mot « bouquet », pour le vin.
Certains scientifiques se sont mis, très idiosyncratiquement, à désigner par « arôme » l'odeur rétronasale, dues aux molécules odorantes qui remontent par l'arrière de la bouche, dans le canal qui la relie au nez (ce que l'on perçoit quand on boit la tasse).
Ce sont pourtant les molécules odorantes que l'on sent quand on approche l'aliment sous le nez. Certes, on les sent différemment, parce que la mastication les libère davantage, et parce que les aliments sont chauffés par la bouche, ce qui augmente la libération des composés odorants, mais ce sont les mêmes composés.

Raison pour laquelle je propose plus justement de parler d'odeur, quand on sent par le nez, et d'odeur rétronasale, quand on sent par l'arrière du nez.


C'est tout simple, n'est-ce pas ? Alors réservons le mot « arôme » aux odeurs de plantes aromatiques, des aromates !


















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vendredi 22 décembre 2017

Non, les réactions de Maillard ne sont pas partout !

Dans d'autres lieux, j'ai expliqué que j'étais un peu  fautif d'avoir exagérément promu  les "réactions de Maillard", au point que, aujourd'hui, des personnes des métiers de bouche, ignorant toute l'histoire, m'expliquent que les réactions de  Maillard sont responsables de tous les brunissements que l'on observe en cuisine. On met  dit aussi que ces réactions n'ont lieu qu'à haute température.




Pourtant... Pourtant, les réactions de Maillard n'incluent pas les caramélisations, qui ont également lieu à haute température. Pourtant les réactions de Maillard ont également lieu (hélas)  à température ambiante, étant notamment responsables de l'opacification du cristallin des personnes souffrant de diabète !

Et puis, qu'est-ce qu'une réaction de Maillard ? Même le milieu des sciences de la nature, notamment des sciences et technologies des aliments, ont des idées parfois bien vagues à propos des réactions de Maillard.
Là, à l'occasion du Colloque du 4 février 2016, consacré aux  "réactions et produits de Maillard", j'ai refais une histoire chimique des  réactions de  Maillard, et je crois que tout est clair : alors que les réactions des sucres et des acides aminés étaient connues dès Schiff, Maillard n'a découvert qu'une chose, à savoir que les mêmes réactions avaient lieu avec des  peptides ou des  protéines à la place des acides aminés.

Un texte précis est en ligne sur http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-3-maillard-products-and-maillard-reactions-are-much-discussed-food. 


Ref : Hervé This, 2016.  “Maillard   products”   and “Maillard reactions” are much discussed in food science and technology, but do such products   and   reactions   deserve   their name? Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France / Academic Notes from   the   French   Academy   of   Agriculture , 3, 1-10.








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